B Exposé des motifs,
par M. Bernard MarquetNote
1 Introduction
1. Le suicide est un acte délibéré
pour mettre fin à sa propre vie. Depuis les travaux d’Emile Durkheim
en 1897, le suicide n’est plus associé uniquement à des troubles
psychiques ou à une maladie mentale, mais résulte également de problèmes
sociaux. Il est devenu avec les maladies graves le deuxième problème
majeur de santé publique, surtout à partir des années 1970. Outre
qu’il met prématurément fin à de jeunes vies, le suicide fait énormément
de dégâts dans son sillage. Ses effets se répercutent sur ceux qui
sont étroitement concernés par le décès d’un jeune.
2. Le suicide touche profondément les sociétés occidentales.
Il tue plus que les accidents de la route. Parmi les Etats membres
du Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie, la Hongrie et la
Slovénie figurent parmi les pays où le taux de suicides est le plus
important. Il touche toutes les catégories de la population, notamment
les enfants et les adolescents.
3. Parmi les jeunes, deux tiers des cas concernent des jeunes
hommes et un tiers des cas des jeunes femmes dont la tranche d’âge
se situe entre 11 et 24 ans – cette proportion étant inversée pour
les tentatives de suicide. Si les tentatives de suicide sont surtout
un cri d’alarme ou un geste de souffrance, l’acte suicidaire est
un geste beaucoup plus violent, qui est parfois planifié et répété
pendant un certain temps.
4. L’adolescence, période transitoire de la vie qui varie selon
les traditions nationales, peut schématiquement se situer entre
11 et 24 ans. Elle représente surtout le moment où l’on se cherche
pour se construire, ce qui se traduit très souvent par un besoin
de tout contrôler, même sa mort. Les adolescents se font souvent
des confidences qui subliment la mort et la douleur.
5. Le suicide est lié à l’interaction complexe de différents
facteurs, à savoir les troubles mentaux, la pauvreté, l’abus de
drogues et d’alcool, l’isolement, le deuil, les difficultés relationnelles,
les problèmes liés au travail et les discriminations subies. Le
suicide demeure un révélateur du mal-être social, qui, s’il est
moins lié à l’alcoolisme que dans le passé, doit beaucoup à la montée
du chômage et de la précarité ainsi qu’au relâchement des liens
familiaux. Pour beaucoup d’adolescents, le suicide est déterminé
par une situation d’échec ou de peur de l’échec. En outre, il est
prouvé que l’abus d’alcool ou de drogue est associé au suicide des
jeunes et que les addictions fournissent souvent un terrain propice
au suicide chez les jeunes.
6. En Europe, le taux de suicides est souvent bas dans les pays
où la religion occupe une place importante, comme en Italie ou en
Pologne, de même que dans les pays musulmans et dans quelques pays
asiatiques. Les croyances religieuses peuvent permettre de prévenir
le suicide car, pour les croyants de toutes les religions, seul
Dieu peut décider de la mort. Enfin, les religions offrent un cadre
communautaire à des valeurs de vérité ou de paix et permettent aux
adolescents de se sentir intégrés dans un groupe à un moment où
ils cherchent la reconnaissance des adultes et de leurs pairs. Mais
cette démarche peut également aboutir à des dérives, notamment à
l’intérieur de sectes ou de mouvements religieux millénaristes,
où l’endoctrinement peut conduire à des suicides collectifs ou à
une volonté de mettre fin à sa vie pour rejoindre un monde meilleur.
Ce fut le cas par exemple en Albanie en février 2005 où plusieurs
enfants de 9 à 16 ans se suicidèrent après avoir eu des contacts
avec des témoins de Jéhovah.
7. Les matériels circulant sur internet doivent être traités
de manière discriminatoire. Les jeunes considèrent internet comme
un espace où ils ne sont plus soumis au contrôle et à la surveillance
des adultes. Il est prouvé que les jeunes hommes en particulier
peuvent trouver plus facile d’exprimer des pensées et sentiments
troublants dans l’espace anonyme et non surveillé d’internet: ainsi,
l’initiative CALM au Royaume-Uni, qui visait à soutenir les jeunes
hommes dépressifs, en les encourageant à utiliser internet pour
exprimer leurs sentiments de désarroi et leur permettre d’accéder
à des conseils, a permis des résultats encourageants. Toutefois,
la nature non surveillée des espaces de discussion virtuels («chatrooms») et des blogs implique qu’ils
offrent aussi la possibilité de glorifier le suicide et de faire
circuler librement des informations sur les moyens de se donner
la mort.
8. L’on constate également l’apparition des «suicides en série».
Ce terme est utilisé pour décrire un certain nombre de suicides
survenant dans des moments et lieux rapprochés. Ils ont été repérés
dans des institutions comme les universités, les écoles et les prisons.
Un suicide qui survient à proximité semble avoir l’effet de lever les
inhibitions associées à l’acte de s’ôter la vie.
9. Enfin, il existe un autre phénomène, que les spécialistes
appellent le «Mat Syndrome», processus comportant cinq phases d’une
durée variable qui conduit l’adolescent à transformer sa douleur
en une trajectoire suicidaire. La première phase est celle où l’imaginaire
est roi, c’est la fuite dans la tête. Puis vient la phase de lutte
pendant laquelle l’adolescent est seul face à son angoisse. La troisième
phase s’apparente à la dépression, c’est la période où le jeune
appelle à l’aide. La phase de révolte qui suit est également celle pendant
laquelle l’adolescent va chercher des personnes ayant les mêmes
pensées que lui. Enfin, le processus s’achève avec la dernière phase,
appelée «l’œil du cyclone», qui est le moment le plus dangereux, car
l’adolescent affiche un calme trompeur, alors même qu’il est en
train de préparer le scénario de sa mort
Note.
10. Dans ce contexte, la prévention doit devenir la préoccupation
majeure pour enrayer ce phénomène qui ne cesse de croître. Cependant,
suggérer qu’un jeune s’approche du suicide à travers des étapes séquentielles
distinctes peut être trompeur, car ces étapes ne sont pas facilement
identifiables pour ceux qui cherchent à repérer les jeunes tentés
par le suicide.
2 Facteurs associés au suicide
11. Il convient de rappeler au
préalable qu’avoir des pensées suicidaires pour un adolescent n’est
pas anormal, bien au contraire. Ces pensées suicidaires deviennent
préoccupantes lorsque leur réalisation apparaît comme la seule manière
de résoudre ses propres problèmes et difficultés. Le suicide peut
en effet être interprété comme un
«cri
de douleur» en réponse au sentiment d’une personne prise au piège
d’une situation sans issueNote.
12. Il est prouvé que le suicide des jeunes est associé à un vaste
éventail de facteurs. Si les troubles mentaux interviennent dans
une part importante des suicides, ces troubles caractérisent dans
une moindre mesure le suicide des jeunes car il y a moins de chances
que ceux-ci soient atteints d’une maladie mentale. Outre les facteurs
liés à la santé mentale d’un individu, des traits de caractère comme
l’impulsivité et le perfectionnisme, l’histoire familiale et des
événements de la vie tels que la rupture d’une relation, le harcèlement
ou le deuil peuvent jouer un rôle crucial.
13. Un autre facteur de risque provient de l’environnement familial:
perte d’un parent proche, violences familiales, abus sexuels (incestes,
attouchements, viols) ou encore exposition au suicide d’un proche.
La solitude, le chômage et la détention pour les plus âgés ainsi
qu’une condition sociale très précaire peuvent aussi expliquer le
suicide. Tous ces facteurs contribuent à fragiliser l’estime que
les jeunes ont d’eux-mêmes et les enferment dans un sentiment de
mal-être, de solitude. Or «dans les cas les plus extrêmes, le sentiment de
solitude devient sentiment de flottement, voire de détachement,
face à une société qui n’offre pas de repères fixes, ni de sens
à l’existence. En effet, le thème de la solitude s’exprime aussi
à travers des problématiques beaucoup plus graves, comme celui des
scarifications ou des suicides»
Note, résume
le pôle de ressources «conduites à risque» du Bas-Rhin en France.
14. Selon une étude canadienne
Note,
les enfants dont les parents sont divorcés souffrent plus souvent
de dépression que les autres et peuvent manifester des comportements
dépressifs ou d’anxiété. Cependant, le rapporteur estime que, comme
le divorce est devenu un trait répandu et bien établi de la société
européenne, il est inutile de suggérer une association directe avec
le suicide des jeunes. Il est peut-être plus pertinent de noter
que les structures familiales et sociales changeantes ont privé
les jeunes de certaines formes traditionnelles de soutien émotionnel
et pratique qui leur facilitaient le passage au statut d’adulte
et à un mode de vie indépendant. Certaines des ressources qu’octroyait
autrefois le gouvernement pour les jeunes adultes, comme les logements
sociaux, les apprentissages ou l’aide au revenu, n’existent plus.
15. Chez les jeunes filles, le suicide est souvent le résultat
d’un viol, d’abus sexuels ou de la rupture d’une relation amoureuse.
Dans le cas du viol, les jeunes filles développent des sentiments
de culpabilité, de dégoût de leur propre corps qui peuvent les pousser
au suicide.
16. La souffrance exprimée sur le mode de la délinquance peut
se manifester temporairement par une violence retournée contre soi.
La question est de savoir si cette violence s’exprimera par la délinquance
ou par le suicide. Il est d’ailleurs possible de se demander si
les tueries de masse perpétrées par des lycéens dans leurs établissements
scolaires ne sont pas une forme de suicide, car après avoir exprimé
cette violence contre leurs semblables, ils la retournent contre
eux. Néanmoins, le rapporteur souhaite souligner à cet égard que
la relation entre le suicide et l’homicide est complexe et varie
d’un pays à l’autre.
17. La prise de risques est généralement considérée comme une
caractéristique normale du développement des adolescents et comme
l’un des moyens par lesquels les jeunes étendent leur expérience et
testent les limites. Depuis quelques années, on assiste à une augmentation
des conduites à risques (se mettre soi-même en danger avec des risques
physiques, pour son corps, sa santé – blessures, maladie, mort –
mais aussi des risques psychologiques) résultant en grande partie
de pactes entre les adolescents. Les suicides s’inscrivent également
dans le cadre de jeux tels que les jeux de rôle qui conduisent les
adolescents à approcher le plus possible la mort, soit par confusion
entre la réalité et la fiction, soit pour ressentir une sensation
qui se situe entre l’extase et la mort.
18. Le suicide collectif ou les incitations au suicide risquent
ainsi de se développer avec les nouveaux moyens de communication
comme les blogs sur internet. En effet, internet permet à ces jeunes
adolescents fragilisés et seuls de rencontrer d’autres «compagnons
d’infortune». Au lieu d’en discuter avec leurs parents, le corps
médical ou des travailleurs sociaux, ils créent une sorte de communauté
et s’enferment ainsi dans un monde où le suicide devient une évidence,
voire un geste romantique. «Dans leur esprit, se suicider était
aussi banal que de changer de chemise», affirme cette mère belge
d’un enfant qui tenta de se suicider après de nombreux échanges
sur les blogs avec d’autres adolescents
Note.
19. Le rapporteur est préoccupé par les effets funestes que peuvent
produire les documents en ligne qui font l’apologie du suicide.
Ces contenus ne sont pas nécessairement illégaux et la recherche
Note n’a pas
établi de façon irréfutable qu’ils incitent au suicide, mais ils
risquent de porter atteinte au bien-être physique, émotionnel et
psychologique des jeunes, notamment en ce qui concerne la présentation
et la glorification de l’automutilation. L’Assemblée note que la
protection des enfants et des jeunes contre ces risques fait partie des
obligations générales qui incombent aux Etats au titre de la Convention
européenne des droits de l’homme;
20. Le cas le plus emblématique de ces «suicides adolescents en
réseau» fut celui de Bridgend au pays de Galles. En 2007, sept adolescents
se sont suicidés par pendaison après avoir semble-t-il correspondu
sur internet, notamment à travers le club de tchat Bebo. (En dépit
des spéculations médiatiques, aucun élément ne permet de prouver
que les jeunes qui sont morts à Bridgend avaient discuté du suicide
sur internet. Cependant, les médias ont été vivement critiqués au
Royaume-Uni pour la couverture de ces décès.) L’histoire fit des
émules puisque plusieurs tentatives de suicides collectifs d’adolescents
furent constatées en Europe, comme dans la région de Gand en Belgique
plus récemment. De plus, ces blogs donnent souvent l’impression que
le suicide est facile, fréquent, et suscitent chez les adolescents,
notamment s’ils sont en phase de dépression, l’envie de suivre cet
exemple, surtout s’il y a un défi à la clé.
21. Les jeunes adolescents, qui grandissent dans cette société
médiatisée à outrance, sont souvent confrontés à une forme de médiatisation
qui présente le suicide comme un acte héroïque procurant la gloire. En
effet, l’évocation du lieu du suicide, de sa méthode et de l’identité
du suicidé crée des sortes de modèles pour des adolescents fragilisés,
qui sont tentés de les imiter. L’association autrichienne de prévention
du suicide, soutenue par l’AISP (Association internationale pour
la prévention du suicide), a d’ailleurs lancé en 2006 une vaste
campagne de sensibilisation appelant les médias à la prudence dans
leur traitement du suicide. De plus, à un âge où l’adolescent se
construit identitairement et a besoin de modèles, les suicides de chanteurs
de groupe de rock (Nirvana, INXS) peuvent aussi provoquer le désir
de les imiter.
22. Une attention particulière doit enfin être apportée aux jeunes
ayant des orientations sexuelles non conventionnelles. Ces jeunes
présentent un risque plus élevé de crises psychologiques liées à
la découverte de leur homosexualité, au rejet par la famille, par
les amis, au harcèlement ou aux agressions homophobes. Le rejet
social et en particulier l’homophobie, plus que l’homosexualité
elle-même et son acceptation, serait le principal facteur de suicide
chez les adolescents, notamment chez les garçons. Selon plusieurs
études
Note,
ces jeunes seraient plus exposés que les autres à faire des dépressions
les conduisant au suicide. Ils peuvent se retrouver pris au piège
entre leur nouvelle et leur ancienne identité sexuelle, qui est
celle que connaissent la famille et les amis. Les auteurs de ces
études estiment que le déni ou l’acceptation profonde de son homosexualité
sont les seuls moyens de se protéger du suicide.
3 Facteurs
associés aux tentatives de suicide
23. A la différence du suicide,
les tentatives de suicide sont souvent considérées comme un appel
au secours ou la conséquence d’un grand isolement social ou d’une
inattention de la part des adultes. Elles ont souvent pour point
de départ des situations apparemment anodines, telles qu’une mauvaise
note scolaire, une réprimande familiale ou des déboires sentimentaux.
Enfin, la façon de tenter de se suicider envoie un message fort
à destination des proches et du corps médical. Certaines façons,
moins violentes, sont plus des appels au secours qu’une réelle volonté
de mettre fin à ses jours.
24. A l’heure actuelle, il n’existe pas de statistiques sur les
tentatives de suicide, mais on constate cependant qu’en règle générale
les tentatives de suicide sont plus nombreuses chez les filles que
chez les garçons. L’on attribue ce constat au fait que les jeunes
hommes utilisent des moyens plus violents que les jeunes filles.
25. Il est possible de distinguer trois types de facteurs, définis
par la conférence de consensus sur la crise suicidaire des adolescents
organisée par la Fédération française de psychiatrie à Paris en
2000: les facteurs primaires, qui ont des valeurs prédictives fortes
(les antécédents de tentatives de suicide multiplient par 20 le risque
d’un nouveau geste; les dépressions par 5; les antécédents de soins
psychiatriques par 30); les facteurs secondaires, qui peuvent être
aggravants s’il y a des facteurs primaires (violences entre parents
ou entre parents et enfants, violence sexuelle, dépression, alcoolisme,
décès ou séparation brutale, problèmes disciplinaires à l’école
notamment); et enfin les facteurs tertiaires, qui sont plus d’ordre
sociologique (âge, sexe notamment)
Note.
26. En général, les filles expriment leur souffrance par des tentatives
de suicide en prenant des médicaments qui provoquent la mort mais
avec l’espoir de trouver un sommeil réparateur et de se réveiller différentes.
La prise de médicaments laissera plus facilement en vie les jeunes
qui utilisent ce moyen.
27. Le traitement chimique des tentatives de suicide pose également
certains problèmes. En effet, les médicaments et notamment les antidépresseurs
présentent certains risques pour les suicidants. Outre le phénomène
de dépendance, la levée de l’inhibition peut entraîner de nouveaux
risques suicidaires.
28. Après une tentative de suicide, il y a un grand risque de
récidive. Cette récidive n’apparaît pas forcément tout de suite,
ni l’année d’après, mais un peu plus tard dans la vie. Il existe
ainsi une propension très importante à la répétition du geste suicidaire.
C’est ainsi que 15 % des adolescents qui ont tenté de se suicider
vont récidiver. Pour aider au mieux les adolescents il est essentiel
que l’entourage familial, éducatif et médical accompagne l’adolescent
et essaie de lui redonner l’estime de lui-même en valorisant notamment
ses compétences. «Il est important d’aller voir le jeune suicidant
au service de réanimation. Etre là au moment où il reprend conscience,
discuter avec lui et lui donner aussitôt un rendez-vous. Le fait
de l’avoir vu à ce moment crée un lien, un engagement. Trois jours
après, c’est souvent trop tard: le jeune jure qu’il n’a pas besoin
d’être suivi, qu’il ne le fera plus», estime un médecin
Note.
29. Il faut noter que le désespoir ou le sentiment éprouvé face
à des problèmes qui paraissent insolubles permet d’éclairer le lien
entre la dépression et la tentative de suicide. Le désespoir peut
se traduire par un manque de projets, un sentiment d’incompétence
et une faible estime de soi. Le désespoir explique ainsi souvent
mieux que la dépression clinique une tentative de suicide et peut
être un des meilleurs facteurs pronostiques d’un suicide accompli.
30. Le suicide en milieu étudiant demeure également un problème
très préoccupant. En effet, pour ces adolescents ou jeunes adultes,
leur environnement est souvent un monde nouveau dans lequel ne s’exercent plus
l’autorité et la bienveillance des parents, une société où il faut
se confronter aux défis qu’implique la transition à une vie indépendante
et au statut d’adulte.
31. Une étude britannique
NoteNote a ainsi
montré que le taux de suicides en milieu étudiant et ses causes
sont bien souvent similaires à ceux des jeunes adultes en général.
Cependant, ces causes (problèmes mentaux, consommation d’alcool,
de drogues, participation active aux conduites à risque, automutilations
délibérées – surtout chez les jeunes filles – solitude, déceptions
amoureuses) prennent une résonance plus particulière dans le milieu
étudiant, espace de liberté retrouvée où se structurent les rapports
sociaux. De plus, certaines causes de suicide des jeunes sont spécifiques
au monde étudiant, comme le manque de ressources financières et
l’échec universitaire.
32. Enfin, le suicide d’étudiants crée bien souvent un climat
d’anxiété et de peur lorsque l’acte est commis sur un campus ou
dans une résidence universitaire. L’attente de la police et du croque-mort,
l’enquête de la police, l’identification du suicidé par les étudiants,
l’accompagnement des parents à la morgue et la diffusion de la nouvelle
aux autres étudiants sont autant d’éléments qui agissent sur l’équilibre
mental de ces jeunes adultes et qui peuvent entraîner chez les étudiants
les plus fragiles des risques d’imitation.
33. Une attention particulière doit être également apportée au
phénomène nouveau des blogs (contraction de weblog)
sur internet, qui est un ensemble de pages personnelles permettant
aux adolescents de s’exprimer par des textes, des photos, des morceaux
de musique et de dialoguer avec les internautes. Il ne s’agit pas
d’un journal intime, mais d’un espace public soumis aux lois régissant
la liberté d’expression.
34. Dans ce contexte, il est bon de rappeler que les automutilations
peuvent également être considérées comme des tentatives de suicide
au sens large. Ces automutilations sont en effet devenues emblématiques de
l’adolescence. Cette pratique touche le plus souvent les filles
alors que les garçons expriment leur agressivité par des actes violents
à l’extérieur.
4 Dépistage
et prévention de la récidive
35. La prévention du suicide est
née en Angleterre en novembre 1952. C’est un pasteur, Chad Varah,
qui en a fondé les bases en faisant publier dans la presse londonienne
l’annonce suivante: «Avant de vous suicider, appeler Man 2000».
C’était son propre numéro de téléphone. Il avait lancé cet appel
à la suite du suicide d’un jeune de son entourage et il était convaincu
que s’il avait pu lui parler juste avant son geste, son ami aurait
renoncé à son passage à l’acte.
36. Le dépistage consiste le plus souvent à essayer de repérer
une fragilité particulière chez l’adolescent ou l’enfant. Les parents,
mais aussi les enseignants, les camarades de classe, tous ceux qui
gravitent autour de lui doivent essayer de percevoir les signes
précurseurs: le fait que l’enfant devienne plus triste, qu’il travaille moins
bien à l’école et présente des signes de surexcitation. Il est important,
dans ce contexte, que tous les signes soient pris en compte et l’un
des signes les plus visibles est celui de la scarification sur le
corps, acte par lequel l’adolescent va essayer dans un premier temps
d’exorciser sa souffrance.
37. Dans ce contexte, l’OMS estime que, pour prévenir les suicides
en Europe, il faut avant tout identifier les maladies mentales qui
poussent les personnes à s’en prendre à elles-mêmes. Certaines maladies,
comme la dépression, commencent tôt et, selon le corps médical,
la dépression d’une jeune fille de 14 ans ne se manifeste pas de
la même manière que celle d’une femme de 45 ans.
38. Selon une étude entreprise en milieu hospitalier, en matière
de prévention l’on distingue la prévention primaire, la prévention
secondaire et la prévention tertiaire. La prévention primaire concerne
des sujets ne présentant pas de risque suicidaire mais des facteurs
de risque: pertes relationnelles, familiales, affectives. Ces situations,
qui ne justifient pas de mesures de protection immédiates comme
une hospitalisation, mettent l’accent sur l’importance d’une intervention
psychosociale précoce. Cette forme de prévention est particulièrement
importante en milieu scolaire, où l’on peut identifier plus facilement
les jeunes sujets à risque de suicide.
39. La prévention secondaire vise à stopper le processus suicidaire
avant que le sujet ne passe à l’acte. Il est très important pour
l’entourage de reconnaître le «texte suicidaire». Une majorité de
suicidés ont fait part de leur projet à un membre de leur entourage,
alors que d’autres gardent leur projet secret.
40. La prévention dite tertiaire tend avant tout à éviter la récidive
en essayant d’identifier les éléments qui la font craindre.
41. Une association québécoise de prévention du suicide propose
de restreindre l’accès aux moyens de s’enlever la vie pour éviter
les suicides impulsifs (armes à feu, armes blanches, produits toxiques
ménagers), de construire des barrières antisuicide, d’engager des
surveillants spécialisés dans les lycées et dans les centres de
détention pour reconnaître les signes précurseurs de dépression
et de prévoir une aide psychologique aussi bien pour les adolescents
que pour la famille pour éviter les récidives.
42. Un autre exemple est celui des «Samaritains» au Royaume-Uni,
où l’on écoute et reçoit toutes les personnes qui se trouvent en
détresse morale. L’on constate d’ailleurs qu’au Royaume-Uni le nombre
annuel des suicides est le plus bas d’Europe.
43. La prévention du suicide implique par conséquent des activités
allant de l’éducation au traitement des troubles psychologiques
et au contrôle environnemental des facteurs de risque. La réponse
des médecins ne doit plus être pharmaceutique.
44. La prévention médicale s’est développée ces dernières années.
Pendant longtemps, le corps médical était démuni face à ce problème.
Aujourd’hui, cette prévention est intégrée dans des programmes régionaux ou
municipaux autour de structures regroupant des médecins, des infirmières
et des pédopsychiatres. Mais la prise en charge médicale doit s’intensifier.
En février 2005, l’ordre des médecins français révélait que 75 %
des adolescents qui faisaient une tentative de suicide n’étaient
pas hospitalisés
Note.
45. Il est par conséquent important de prévoir des structures
appropriées, dès la prise en charge du suicidant dans les services
de réanimation ou pendant les premiers soins. L’acte suicidaire
ne doit pas être banalisé et il faudra aider l’adolescent mais aussi
sa famille à dépasser cet acte et apprendre à aborder l’avenir en
oubliant le passé. Parfois, la tentative de suicide vient seulement
clore une crise d’adolescence et ce geste, qui permet d’exprimer
le malaise, peut alors augurer une guérison.
46. De plus, les professionnels de santé doivent également bénéficier
de programmes de formation et d’éducation aux phénomènes du suicide,
et plus particulièrement celui qui vise les adolescents. L’attitude
des professionnels de santé envers les adolescents qui ont des pensées
suicidaires, d’automutilation ou qui font une tentative de suicide
peut être déterminante pour les amener à être suivis ou soutenus.
Il existe une quantité considérable de témoignages provenant des
adolescents eux-mêmes qui montrent que l’attitude des professionnels
de santé peut être moralisatrice, méprisante ou indifférente (Fondation
pour la santé mentale, 2006). Les programmes de formation ont pour
tâche essentielle de remettre en cause et de modifier cette attitude.
Plusieurs pays (Pays-Bas, Danemark, Norvège, notamment) ont lancé
de vastes programmes sur ce sujet. En Norvège, par exemple, la formation
est une priorité. Les programmes d’éducation en suicidologie sont transversaux,
intégrant de nombreux champs de compétence (médical, social, particularismes
régionaux).
47. La prévention psychologique doit également permettre de détecter
le plus tôt possible les dysfonctionnements psychologiques qui conduisent
de jeunes adolescents à passer à l’acte. La Finlande et le Canada
ont notamment mis en place, dans le cadre de leur programme de prévention,
une méthode appelée «autopsie psychologique» qui permet de discerner
les facteurs conduisant au suicide. Comme une autopsie classique,
la méthode de «l’autopsie psychologique» retrace le parcours psychologique,
social et médical du suicidant pour mieux comprendre son acte et
ainsi permettre une détection plus précoce chez les adolescents en
difficulté.
48. Bien entendu, rien ne saurait remplacer la prévention sociale
préalable, celle qui s’exerce au sein de la famille et du cercle
amical de l’adolescent. Le fait qu’un enfant se sente aimé, reconnu,
valorisé et qu’il ait l’impression d’être compris et intégré dans
un groupe joue grandement en faveur de son équilibre. Le rôle des adultes
auprès des adolescents est fondamental dans tous les domaines. L’écoute
et le dialogue doivent être privilégiés. Et toute allusion à la
mort ou à un éventuel suicide faite par l’adolescent ne doit pas
être considérée par les parents comme un chantage mais comme un
appel au secours. Car comme le rappelle Patrick Delaroche, pédopsychiatre
et psychanalyste, auteur d’Adolescents
à problèmes: «Dans un conflit qui oppose l’adolescent
à ses parents, beaucoup d’adultes ne voient que la crise d’opposition,
et pas toujours la souffrance réelle qui peut se trouver derrière
ce conflit.»
49. Enfin, les familles doivent prendre conscience de l’ampleur
du problème et se confier à leur médecin de famille car, bien souvent,
les tentatives de suicide des adolescents sont cachées à l’entourage
familial et au médecin en raison d’un sentiment de honte persistant.
Le médecin et la famille doivent donc être pleinement associés à
la reconstruction psychologique des adolescents.
50. Le rôle des parents est encore plus important pour les adolescents
ayant des orientations sexuelles non conventionnelles car leur attitude
est cruciale pour les aider à vivre et à accepter leur orientation.
De même, l’école, le collège et l’université ont aussi un rôle à
jouer pour encourager les jeunes, à la fois individuellement et
en groupe, à accepter la diversité en matière de sexualité ainsi
qu’en matière de race et de handicap.
51. Lorsque cette prévention sociale est absente au sein du domicile
familial, les diverses structures sociales doivent se mobiliser
pour détecter les risques suicidaires. A l’école notamment, les
travailleurs sociaux, en lien avec le corps médical, offrent alors
un espace de dialogue pour évoquer les problèmes qui rongent ces
adolescents et peuvent les pousser au suicide. Mais comme le rappelle
l’OMS, «l’équilibre qui doit être trouvé auprès d’un étudiant suicidant
doit se situer entre la distance et l’intimité, et entre l’empathie
et le respect»
Note.
Des associations, telles que Papyrus au Royaume-Uni (dédiée à la
prévention du suicide chez les jeunes), proposent une assistance
à la fois aux parents et aux adolescents, et tentent également d’apporter leur
expertise dans les décisions politiques pour permettre une meilleure
mise en œuvre de ces dernières.
52. De nombreuses structures se sont mises en place dans plusieurs
Etats membres pour servir de plate-forme de dialogue à ces adolescents
qui pourraient être amenés à faire une tentative de suicide. Ces
pôles sur les conduites à risques permettent aux suicidants potentiels
de trouver une oreille attentive à leurs angoisses qui rassure ces
adolescents. Ainsi, en Allemagne, l’Alliance contre la dépression,
vaste plan de prévention du suicide, a mis en place une ligne téléphonique
ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour les suicidants ou
leurs proches. En France, des pôles de ressources «conduites à risque»
offrent aux adolescents des espaces d’écoute et de dialogue. «Le
travail des écoutants ne se réduit donc pas à l’écoute. Ces derniers jouent
un rôle actif durant l’appel téléphonique. Ils permettent aux appelants
d’accéder à de nouveaux mots pour exprimer leurs pensées, leurs
craintes, voire leur souffrances»
Note, résume
Valérie Béguet, responsable de l’un de ces pôles au Conseil général
du Bas-Rhin, à Strasbourg.
53. La prévention passe également par de grandes politiques de
sensibilisation, aussi bien en ce qui concerne le traitement médiatique
des suicides des adolescents que le refus de la banalisation d’un
tel acte. Des pays tels que la Bosnie-Herzégovine, la Slovénie,
la Norvège ou le Royaume-Uni, notamment, ont bien compris l’impact
médiatique du suicide sur les adolescents et commencent à agir sur
ce terrain.
54. Cette politique de prévention passe aussi par une politique
éducative envers les adolescents eux-mêmes. C’est d’ailleurs ce
que préconise l’association Papyrus, qui estime que les adolescents
devraient pouvoir reconnaître les symptômes de maladies mentales
aussi bien chez eux que chez les autres pour y répondre de manière
approprié et rapide. En effet, la recherche sur un certain nombre
de questions a montré que les premières personnes à qui s’adressent
les jeunes en détresse pour trouver un soutien sont les autres jeunes.
55. Enfin, il faut, malheureusement, envisager le cas où la mort
survient, entraînant le plus souvent un immense sentiment de perte
et de culpabilité chez les parents. Les familles, mais également
tout le proche entourage, vont vivre un cauchemar et se demander
ce qu’ils auraient pu faire pour empêcher cet acte. Il faut, par
conséquent, être très attentifs à l’état d’esprit et à l’attitude
des jeunes qui ont vécu le suicide d’un proche ou d’un ami et les
aider à vivre ce deuil particulièrement difficile à supporter.
56. Dans ce contexte, le rapporteur souhaite souligner l’importance
des stratégies dites de «postvention» et le rôle des établissements
comme l’école, les clubs, le collège, l’université et la prison
pour appliquer ces stratégies. La «postvention» est un terme qui
est utilisé pour couvrir un éventail d’activités de planification
et de soutien visant à limiter les effets du suicide sur les survivants
NoteNote. Le risque
que les pensées et comportements suicidaires se transmettent à d’autres
jeunes au sein de ces communautés signifie que l’école, les clubs,
le collège, l’université et la prison ont un rôle à jouer pour garantir
que des stratégies de «postvention» seront adoptées à la suite d’un
décès.
5 Conclusions
et recommandations
57. La perte d’un enfant, quelle
qu’en soit la cause, fait basculer les parents dans un autre monde.
Mais s’il s’agit d’un suicide, les parents sont confrontés à l’inacceptable.
58. Pour reprendre les conclusions d’une conférence qui s’est
tenue à Nantes en 2000 sur cette question: «Un suicide est toujours
un échec, l’échec d’une personne qui a renoncé, l’échec d’un entourage
qui n’a pas su voir, ni entendre, l’échec d’une société qui n’a
pas su se donner les moyens d’aider, de soutenir, de sauver.»
59. Le suicide d’un adolescent est un scandale et un drame qui
concerne la société tout entière car il touche tous les membres
d’une même famille, reflète les rapports qu’entretiennent les membres
d’une même société et, surtout, constitue un échec pour toute société
démocratique qui se veut progressiste et égalitaire.
60. L’Assemblée recommande, entre autres, aux gouvernements de
prendre toutes les mesures pour reconnaître que le suicide et les
tentatives de suicide sont un problème de santé publique majeur
car, comme le rappelle Dominique Gillot, ancienne secrétaire d’Etat
à la Santé française, «l’Europe de demain ne peut pas accepter,
elle qui représente un facteur d’espoir pour une grande majorité
de jeunes, que tout ne soit pas mis en œuvre pour prévenir de telles
conduites désespérées»
Note.
***
Commission chargée du rapport: commission des questions sociales,
de la santé et de la famille.
Renvoi en commission: Doc. 10773 et Renvoi no 3164 du 23 janvier 2006.
Projet de résolution adopté par la commission le 14 mars 2008.
Membres de la commission: Mme Christine McCafferty (Présidente), M. Denis
Jacquat (1er Vice-Président), Mme Minodora Cliveti (2e Vice-Présidente), M. Konstantinos
Aivaliotis, M. Farkhad Akhmedov, M. Vicenç Alay Ferrer, Mme Sirpa
Asko-Seljavaara, M. Jorodd Asphjell, M. Lokman Ayva, M. Zigmantas Balčytis, M. Miguel Barceló
Pérez, M. Andris Bērzinš, M. Jaime Blanco
García, M. Roland Blum, Mme Olena Bondarenko, Mme Monika
Brüning, Mme Boženna Bukiewicz, M. Igor
Chernyshenko, M. Imre Czinege, Mme Helen
D’Amato, M. Karl Donabauer, Mme Daniela
Filipiová, M. Ilija Filipović, M. André Flahaut (remplaçant: M. Philippe Monfils), M. Paul Flynn, Mme Pernille
Frahm, Mme Doris Frommelt, M. Renato
Galeazzi, M. Henk van Gerven, Mme Sophia
Giannaka, M. Stepan Glăvan, M. Marcel Glesener, M. Luc Goutry (remplaçant:
Geert Lambert), Mme Claude
Greff, M. Michael Hancock,
Mme Olha Herasym’yuk,
M. Vahe Hovhannisyan, M. Ali Huseynov, M. Fazail Ibrahimli, Mme Evguenia
Jivkova, Mme Marietta Karamanli (remplaçant:
M. Jean-Paul Lecoq), M. András
Kelemen, M. Peter Kelly, Baroness Knight of Collingtree, M. Haluk
Koç, M. Slaven Letica, M. Andrija Mandić, M. Michal Marcinkiewicz,
M. Bernard Marquet, M. Ruzhdi
Matoshi (remplaçant: M. Aziz Pollozhani),
Mme Liliane Maury
Pasquier, M. Donato Mosella, M. Felix Müri, Mme Maia
Nadiradzé, Mme Carina Ohlsson, M. Peter Omtzigt, Mme Vera
Oskina, Mme Lajla Pernaska, Mme Marietta
de Pourbaix-Lundin, M. Cezar Florin Preda, Mme Adoración
Quesada Bravo (remplaçante: Mme Bianca Fernández-Capel), Mme Vjerica
Radeta, M. Walter Riester, M. Andrea Rigoni, M. Ricardo Rodrigues, Mme Maria
de Belém Roseira, M. Alessandro
Rossi, Mme Marlene Rupprecht, M. Indrek
Saar, M. Fidias Sarikas, M. Andreas Schieder, M. Ellert B. Schram,
M. Gianpaolo Silvestri, Mme Svetlana
Smirnova (remplaçant: M. Vladimir Zhidkikh),
Mme Anna Sobecka, Mme Michaela Šojdrová, Mme Darinka
Stantcheva, M. Oleg Ţulea, M. Alexander Ulrich, M. Mustafa Ünal, M. Milan Urbáni, Mme Nastaša
Vučković, M. Victor Yanukovych, Mme Barbara Žgajner-Tavš.
N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont
indiqués en gras.
Voir 15e séance, 16 avril 2008 (adoption du projet de résolution
amendé); et Résolution
1608.