B Exposé des motifs par M. Lindblad,
rapporteur pour avis
1 On compte pas moins de 70 millions de migrants en
Europe
Note, soit environ
un sur 11 habitants. Les migrants participent largement à la vie
socioéconomique de leurs pays d’accueil en mettant leurs compétences au
service du marché du travail ou des activités associatives locales
et en utilisant les services sociaux disponibles (santé, éducation,
logement et, dans une moindre mesure, formation professionnelle
par exemple) et les prestations sociales. Parallèlement, ils apportent
une aide financière qui se révèle souvent importante à leurs familles
restées au pays par le biais de transferts réguliers de fonds.
2 En l’absence de politique européenne bien arrêtée en matière
de migrations, les Etats membres du Conseil de l’Europe ont adopté,
de manière individuelle, toute une série de mesures visant à favoriser l’intégration
des migrants par l’emploi et l’aide sociale. Cette diversité d’approche
permet aux pays de tester et d’adapter leurs politiques relatives
aux migrants dans un contexte national et des conditions socioéconomiques
en pleine évolution. Il n’en reste pas moins que tous les pays sont
également tenus de respecter le droit international universellement
accepté
Note, qui interdit
la discrimination sur le marché du travail et le lieu de travail.
3 Le rapport de la commission des migrations, des réfugiés et
de la population indique que les pays européens sont parmi les plus
touchés par la crise économique mondiale
Note, en particulier
sur le plan du chômage, qui est élevé et en augmentation, et dont
les migrants ont bien plus tendance à souffrir que la population
locale. De fait, les migrants les moins qualifiés ou travaillant
dans les secteurs les plus touchés par la crise (industrie du bâtiment,
secteur des transports, services financiers, secteur de l’immobilier,
tourisme, etc.) ont été parmi les premières victimes du chômage
provoqué par la crise. La pression s’est ensuite faite croissante
sur les migrants « économiques » pour qu’ils quittent le pays, à
défaut de quoi ils auraient à subir la colère d’une population locale
s’évertuant à préserver un vivier d’emplois en peau de chagrin.
Parallèlement, on constate que dans certains pays, des secteurs
donnés – santé, soins aux personnes âgées et éducation – ont continué
à générer des emplois. C’est là un signe que, en toutes circonstances,
il existe des opportunités d’emploi pour les migrants qui possèdent
les compétences requises, ce qui reflète les tendances à long terme en
matière de démographie et d’emploi dans ces pays.
4 Soit, certaines personnes officiellement inscrites au chômage
ont rejoint le secteur informel, où les employeurs comme les employés
ne versent aucune contribution sociale, ou travaillent pour l’économie formelle
mais sans être déclarées – et se trouvent donc dans une situation
plus précaire
Note.
Cet état des choses signifie également moins de recettes pour l’Etat
et plus de charges financières pour les services sociaux (dans les
cas où l’Etat s’efforce de respecter son engagement d’offrir le
minimum vital et des soins de santé élémentaires aux migrants en
situation irrégulière). Cependant, nous manquons actuellement de
données fiables sur ce phénomène. S’il est difficile d’évaluer les
répercussions des migrations irrégulières au niveau économique,
il est fort probable que, compte tenu de l’évolution démographique
actuelle en Europe, nombreux sont les pays qui tireraient des avantages
économiques tangibles d’une forme ou d’une autre de régularisation des
migrants en situation irrégulière et d’une plus grande ouverture
concernant les migrations de main d’œuvre.
5 Il convient ici de se poser la question fondamentale de savoir
si, compte tenu des obligations de non-discrimination, les pays
peuvent faire une distinction entre les travailleurs migrants et
la main d’œuvre locale. S’ils naissent tous égaux, ils devraient
tous bénéficier d’un accès égal aux marchés du travail et aux services sociaux,
ce qui favoriserait une concurrence saine en matière d’emploi, ainsi
que l’apprentissage tout au long de la vie et la mobilité. Néanmoins,
il est également vrai que de nombreux travailleurs migrants appartiennent de
fait aux catégories vulnérables de la population et ont donc besoin
d’une protection supplémentaire, même dans des conditions normales.
Toute personne qui perd un emploi régulier peut se retrouver forcée
de quitter son pays pour prendre un emploi dans un autre pays et
de ce fait devenir travailleur migrant.
6 En outre, les réunions du Groupe des Vingt (G-20) en 2008
et 2009
Note n’ont
cessé d’insister sur l’importance de restaurer la confiance, la
croissance et l’emploi pour assurer une reprise économique placée sous
le signe de
l’inclusion, de
l’écologie et de la durabilité. Votre rapporteur est d’avis que
les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient non seulement
résister à toute tentation de recourir au protectionnisme concernant
la main d’œuvre locale mais, qui plus est, s’employer à démontrer
la contribution positive, et de qualité, qu’apportent les migrants
au développement économique national.
7 Votre rapporteur, qui a participé au forum « Rester, émigrer,
revenir : que faire en pleine récession mondiale? », organisé par
la sous-commission des migrations de l’Assemblée parlementaire les
12 et 13 novembre 2009 à Antalya (Turquie), tient à souligner que
les travailleurs migrants contribuent de manière inestimable à la
création de richesses et à la réduction de la pauvreté tant dans
leur pays d’origine que dans leur pays de destination. Avant le
déclenchement de la crise, la Banque mondiale faisait état d’une
croissance stable des transferts de fonds des migrants dans le monde
entier (environ 7 à 8 % par an – plus que les taux de croissance
des économies nationales) et estimait que ces transferts constituaient
désormais une source essentielle de financement du développement
mondial. En effet, leur volume avait doublé depuis 1995, se situant
presque au niveau des flux nets mondiaux d’IDE (investissements
directs à l’étranger) et excédant même les flux d’aide publique
au développement (APD). De nombreux pays européens (Allemagne, Suisse, France,
Luxembourg, Italie, Fédération de Russie et Espagne) figurent parmi
les sources les plus importantes d’envoi de fonds par les migrants.
8 Les chiffres de la Banque mondiale pour 2008 et 2009 (estimations)
montrent que les flux entrants de fonds envoyés par les migrants
dans les pays d’Europe centrale, de l’Est et du Sud-Est ont décliné
de manière systématique et, dans certains cas, radicale (de quelque
30 % en Arménie et en Azerbaïdjan, 27 % en Géorgie, 22 % en Ukraine,
21 % en Moldova et en Pologne, et 15 % en Roumanie). Ce déclin semble
atteindre son niveau le plus bas et il se pourrait que les flux
de transfert de fonds retrouvent progressivement leurs niveaux antérieurs
en 2010-2011. Si les flux entrants de fonds envoyés par les migrants
jouent un rôle mineur dans la plupart des pays d’Europe occidentale
(où la part des transferts de fonds représente généralement moins
de 1 % du PIB), pour nombre des économies dites en transition, en
Europe centrale et en Europe de l’Est, le pourcentage de ces fonds
a varié, en 2008, de 0,2 % en Turquie et 0,4 % en Fédération de
Russie à 31,4 % en Moldova, 14,8 % en Bosnie-Herzégovine, 12,2 %
en Albanie, 11,1 % en Serbie, 8,9 % en Arménie et 5,7 % en Géorgie.
Ces chiffres attestent de l’importance des migrations de main d’œuvre
pour réduire les disparités en matière de revenus entre les pays
les plus riches et les pays moins bien lotis d’Europe.
9 Il est fort intéressant de comparer les statistiques de la
Banque mondiale relatives aux transferts de fonds et celles de l’OCDE
sur les flux d’APD. Ainsi, en 2008, les fonds reçus par la Serbie
de ses émigrés étaient cinq fois supérieurs à ceux de l’APD (5 538
contre 1 047 millions de dollars). Les chiffres similaires pour l’Ukraine
étaient de 5 769 contre 618 millions de dollars, de 2 835 contre
482 millions de dollars en Bosnie-Herzégovine, de 1 495 contre 386
millions de dollars en Albanie, et de 1 897 contre 299 millions
de dollars en Moldova. Ces pays figurent parmi les six premiers
pays bénéficiaires de l’APD en Europe, mais force est de reconnaître
que la contribution des travailleurs migrants à ces économies dépasse
largement celle de l’APD multilatérale. Par ailleurs, les travailleurs
migrants ont tendance à économiser plus activement que la population
locale ; ils peuvent donc, avec le temps, disposer de fonds importants
pour investir dans le foncier soit dans leur pays d’origine soit
dans leur pays de destination.
10 Votre rapporteur tient à encourager les Etats membres du Conseil
de l’Europe à envisager les migrations dans une perspective de moyen
à long terme, plus propice à mettre en lumière les avantages qu’apportent
les travailleurs migrants aux pays d’accueil. Dans une perspective
à court terme, les travailleurs migrants risquent d’être perçus
par certains comme une charge, voire un fléau pour la société d’accueil ;
en revanche, adopter une perspective à long terme permet de les
considérer comme des participants actifs aux évolutions économiques
structurelles des pays d’accueil, acceptant par exemple des emplois
que les locaux refusent ou pour lesquels on manque de travailleurs
dûment qualifiés.
11 Rappelons ici le cas de ce plombier polonais sur lequel s’est
focalisée, pendant un certain temps, l’attention du public et des
médias européens occidentaux, qui voyaient en lui un symbole de
l’afflux des travailleurs migrants des nouveaux Etats membres de
l’Union européenne. Les personnes qui sollicitaient ce type de services
faisaient probablement peu de cas de l’origine du prestataire, appréciant
plutôt la qualité de son travail et des délais d’intervention. Ce
cas a mis en lumière que les travailleurs migrants quittaient l’Europe de
l’Est pour l’Europe de l’Ouest principalement parce qu’il existait
dans cette dernière une demande spécifique à laquelle ils étaient
à même de répondre, une sorte de créneau sur le marché du travail
local. Tant les prestataires de services que les bénéficiaires avaient
à gagner d’une telle situation. Par ailleurs, ces travailleurs migrants
intra-européens se sont avérés capables de tirer parti des opportunités
commerciales en créant des sociétés et en devenant entrepreneurs,
ce qui, incontestablement, stimule le développement local dans les
pays d’accueil. Sans leur dynamisme et leur contribution économique,
le rythme de la reprise en Europe serait beaucoup plus lent. Néanmoins,
c’est aussi parce que les politiques en matière de migrations de
main d’œuvre étaient ouvertes qu’ils ont pu réussir.
12 Avec une formation adéquate et un soutien approprié des services
publics chargés des migrations et de l’emploi, les travailleurs
migrants peuvent « migrer » vers les secteurs économiques qui ont
besoin de main d’œuvre supplémentaire pour stimuler la reprise économique.
Les migrants qui sont à la recherche d’emplois plus attrayants dans
d’autres pays ou qui souhaitent rentrer chez eux devraient pouvoir
mettre à profit le savoir-faire acquis au fil des ans. L’Italie,
par exemple, expérimente actuellement un nouveau système de permis
de séjour à points, basé sur le modèle de la carotte et du bâton,
qui entend inciter les migrants à s’intégrer sans heurts dans la
société.
13 L’Assemblée parlementaire devrait également examiner de manière
plus approfondie le coût de l’intégration des migrants par rapport
à celui de leur non-intégration.