C Exposé des motifs, par Mme Ferić-Vac,
rapporteure pour avis
1 Observations générales
1. Je tiens à féliciter M. Volontè pour son excellent
rapport qui porte sur une question particulièrement importante pour
la situation des femmes.
2. J’approuve tout particulièrement l’approche fondée sur les
droits de l'homme de son rapport: la pauvreté nuit à leur exercice.
Elle affecte tous les droits, qu’ils soient politiques, civils,
sociaux ou culturels. Tant que le problème de la pauvreté ne sera
pas réglé, les droits de l'homme ne pourront être véritablement
exercés.
3. Je souhaiterais ajouter que le plein respect des droits fondamentaux,
y compris l’égalité entre les femmes et les hommes, peut par ailleurs
avoir un impact direct sur la réduction de la pauvreté et aider
à inverser le cercle vicieux en cercle vertueux. Un exemple simple
suffit à expliquer cette dynamique: selon de récentes études, en
comblant l’écart entre les femmes et les hommes dans le domaine
de l’emploi, les pays de l’Union européenne pourraient augmenter
leur produit intérieur brut d’environ 30 %
NoteNote.
2 Les femmes, plus touchées par la pauvreté
4. Les femmes sont plus touchées par la pauvreté que
les hommes et leur pauvreté est souvent plus grande. Elles sont
en outre de plus en plus nombreuses à être frappées par ce phénomène.
Dans l’Union européenne, 17 % de femmes vivent dans la pauvreté
contre 15 % d’hommes
Note.
5. L’Assemblée parlementaire a attiré l’attention sur ce phénomène
dans sa
Résolution 1558
(2007) sur la féminisation de la pauvreté, dans laquelle
elle déclare que la prévention et l’éradication de la pauvreté des femmes
sont des aspects importants du principe fondamental de solidarité
sociale. Elle invite également les Etats membres du Conseil de l'Europe
à considérer que l’égalité des sexes conditionne non seulement la justice
sociale, mais aussi la promotion du développement.
6. Certains groupes spécifiques sont plus touchés que d’autres
par la pauvreté, à l’instar des mères célibataires, des personnes
âgées et des immigrées.
3 Les causes de la pauvreté chez les femmes
7. La pauvreté relative des femmes n’a qu’une seule
et unique cause profonde: l’inégalité et la discrimination dont
elles sont victimes dans la société.
3.1 Chômage
8. Ces facteurs entravent l’accès des femmes au marché
du travail et les placent dans une situation de dépendance économique
vis-à-vis de leur partenaire ou d’autres membres de leur famille.
9. Les données sur les taux d’emploi révèlent un écart considérable
entre les femmes et les hommes. En 2008, dans l’Union européenne,
cet écart variait entre moins de 5 % en Italie et 30 % en Estonie,
beaucoup de pays enregistrant des taux proches de 25 %
NoteNote.
10. Les récentes évolutions montrent que l’écart entre les sexes
dans le taux d’emploi diminue, du fait de l’arrivée sur le marché
du travail d’une proportion accrue de femmes dans la plupart des
pays européens. Ne nous y trompons toutefois pas, une large part
de ces femmes sont recrutées à temps partiel ou acceptent des emplois
pour lesquels elles sont surqualifiées, dans le souci de concilier
vie professionnelle et vie de famille.
3.2 Contrat à temps partiel et à durée déterminée
11. La participation des femmes au marché du travail
se caractérise principalement par une très forte incidence du travail
à temps partiel. Les tâches
ménagères leur incombent généralement plus largement qu’aux hommes
et elles sont bien souvent recrutées sur la base de contrats à temps
partiel et à durée déterminée.
12. Dans les Etats membres de l’Union européenne, en 2008, la
part de salariées travaillant à temps partiel était de 31,1 % contre
7,9 % pour les hommes. La part de femmes à temps partiel dépassait
35 % au Danemark et au Luxembourg, 40 % en Belgique, Suède, Autriche,
Royaume-Uni et Allemagne, et même 75 % aux Pays-Bas. En revanche,
dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale et dans
les pays Baltes, la proportion de femmes occupant un emploi à temps
partiel était très faible. Le nombre de femmes travaillant à temps
partiel est globalement en augmentation
Note.
3.3 Interruption de la carrière professionnelle des
femmes
13. La carrière des femmes est souvent moins linéaire
que celle des hommes et ponctuée d’interruptions liées à l’éducation
des enfants ou à la prise en charge d’autres membres de la famille.
Ce choix n’est pas toujours délibéré. Si certaines femmes choisissent
de renoncer à leur emploi pour se consacrer pleinement à leur foyer,
d’autres y sont contraintes en raison de l’absence de solutions
de garde. On considère encore bien souvent qu’élever les enfants
est une tâche qui incombe aux femmes. Un certain nombre de pays
européens ne proposent pas de congé parental ou de paternité rémunéré,
or cela encouragerait les hommes à partager la responsabilité en
matière de prise en charge.
3.4 Ecart salarial
14. La différence entre les sexes est particulièrement
frappante en matière de salaire. En moyenne, les femmes gagnent
18 % de moins que les hommes. L’écart salarial diffère selon les
pays de l’Union européenne, variant entre 5 % et 23 %. Ce dernier
chiffre est celui qu’enregistre l’Allemagne où des données publiées récemment
révèlent que l’écart de rémunération – désignant la différence relative
entre les salaires horaires moyens bruts des femmes et des hommes
– est une constante depuis plusieurs années
Note. La ségrégation
et les différents cycles de travail ne peuvent qu’en partie expliquer
ce phénomène: à emploi égal, le salaire des femmes reste inférieur
à celui des hommes.
15. Dans sa
Résolution
1715 (2010) sur le fossé salarial entre les femmes et
les hommes, l’Assemblée réitère son appel en faveur de l’égalité
des salaires, un droit qui, plus de soixante ans après sa proclamation, est
encore largement et systématiquement bafoué, sans même que cela
suscite beaucoup d’attention. L’Assemblée recommande également au
Comité des Ministres de donner à cette question la priorité qu’elle mérite
en matière de lutte contre la discrimination à l’égard des femmes
et de redoubler d’efforts pour veiller au respect du droit à un
salaire égal pour un travail de valeur égal dans tous les Etats
membres afin de mettre fin à l’écart de rémunération entre les femmes
et les hommes. Cela devrait s’appliquer aussi bien au secteur public
que privé.
3.5 Dépendance économique
16. Un certain nombre de femmes se retrouvent démunies
à la suite d’un divorce lorsque leurs ex-conjoints, qui ont généralement
une meilleure situation économique, ne s’acquittent pas de leurs
obligations financières postdivorce. Même pendant le mariage et
même chez les plus démunis, le partage des revenus du ménage est
inéquitable et s’opère au détriment de la femme. Il en est de même
pour le partage des dépenses au sein du ménage, les hommes ayant
tendance à les consacrer davantage à des besoins personnels contrairement aux
femmes qui privilégient leurs enfants en la matière.
4 Catégories particulièrement à risques
17. La pauvreté est un phénomène qui touche plus particulièrement
les femmes âgées (environ 23 % des femmes de plus de 65 ans en Europe
vivent dans la pauvreté)
Note en
raison du traitement dont elles ont fait l’objet lorsqu’elles exerçaient
une activité – dans la mesure où elles ont accumulé des salaires
inférieurs à ceux des hommes tout au long de leur cycle de vie –
ou du fait qu’elles n’ont jamais travaillé.
18. L’organisation des régimes de pensions de retraite a également
des répercussions sur la situation des femmes âgées: ces régimes
ont désormais atteint leurs limites – à l’origine destinés aux hommes,
ils ne sont pas adaptés à la carrière des femmes.
19. Dans son rapport sur «Des pensions de retraite décentes pour
les femmes» publié l’année dernière, la commission sur l’égalité
des chances pour les femmes et les hommes recommandait de réviser
les systèmes traditionnels de retraite qui favorisent les parcours
professionnels linéaires des hommes et sont déconnectés des réalités
de la société. Elle demandait des mesures positives en faveur des
femmes, afin de tenir compte des ruptures de carrière et des parcours
de vie des femmes et des hommes, telles que la garantie d’un droit individuel
à pension. Elle appelait notamment à une plus grande solidarité
entre les femmes et les hommes lorsque les droits acquis sont insuffisants,
et recommandait la prise de mesures positives en faveur des personnes
âgées, telles que l’octroi d’une pension ou d’un revenu global minimal
au moins égal au seuil national de pauvreté.
20. La structure des ménages peut également augmenter le risque
de pauvreté. Avoir des enfants à charge et vivre seule sont des
facteurs susceptibles de rapprocher la personne du seuil de pauvreté
ou de le lui faire franchir. Des études récentes sur les working poor (les personnes qui,
bien qu’ayant un emploi, vivent dans la pauvreté) en Europe montrent
que les catégories les plus vulnérables sont les familles monoparentales
et celles dont seulement un membre a un emploi avec enfant(s) à
charge.
21. L’intensité du travail du ménage, autrement dit le nombre
de salariés dans le ménage par rapport au nombre de membres composant
le ménage, est le principal aspect dont il faut tenir compte. Le
taux de risque de pauvreté pour les familles monoparentales est
de 33 %, soit près du double de celui de la population générale.
Soulignons que dans 80-90 % des familles monoparentales, le parent
est une femme: d’après les données d’Eurostat, sur les 200 millions
de ménages privés dans l’Union européenne en 2009, on comptabilisait
4 % de mères célibataires contre seulement 0,5 % de pères célibataires.
5 Recommandations
22. La pauvreté a souvent des conséquences dramatiques.
Les études montrent de manière systématique qu’il existe une forte
relation de cause à effet entre suicide, tentative de suicide et
pauvreté. Outre ces cas extrêmes, la pauvreté finit par détruire
le tissu social. Les personnes exposées au risque de pauvreté ou
vivant actuellement en dessous du seuil de pauvreté n’ont souvent
pas accès à un logement décent et leurs enfants ont plus de difficultés
à accéder à l’éducation.
23. Je ne peux que souscrire à l’appel lancé par la commission
des questions sociales, de la santé et de la famille au Comité des
Ministres pour qu’il revoie son programme d’activités et prenne
des mesures transversales pour lutter contre la pauvreté et améliorer
l’accès des personnes touchées par la pauvreté à l’ensemble des
droits de l'homme – civils, politiques, économiques, sociaux et
culturels.
24. Etant donné que les femmes sont plus particulièrement touchées
par la pauvreté, il est essentiel que les initiatives et mesures
prises en la matière reposent sur une approche tenant compte de
la dimension genre. L’ensemble des politiques et des programmes
visant à éradiquer la pauvreté et à lutter contre l’exclusion sociale
devraient être élaborés en intégrant une perspective homme/femme,
aux niveaux international et national.
25. D’autre part, l’exemple des pays scandinaves montre qu’il
est possible d’améliorer la participation des femmes au marché du
travail en élaborant et en mettant en œuvre une politique sociale
de grande envergure. Ces avancées ont notamment été rendues possibles
en proposant des services de garde d’enfants gratuits ou à des coûts
abordables. Les systèmes de congé parental et de maternité contribuent
également à une participation élevée des femmes au marché du travail.
26. Dans ce contexte, je souhaiterais rappeler la pertinence de
la résolution et du plan d’action sur «L’égalité entre les femmes
et les hommes: combler le fossé entre l’égalité de jure et de
facto», adoptés en 2010 lors de la 7e réunion de la Conférence
du Conseil de l'Europe des ministres responsables de l’égalité entre
les femmes et les hommes à Bakou.
27. La résolution en question invite le Comité des Ministres à
développer des politiques et des mesures spécifiques, notamment
des actions positives, y compris des mesures temporaires spéciales,
pour éliminer toute forme de discrimination à l’encontre des femmes
et combler le fossé entre l’égalité de
jure et de facto. Elle
recommande également que des mesures soient prises dans des domaines
tels que l’aménagement du temps de travail, la suppression des discriminations
entre les femmes et les hommes sur le marché du travail, notamment
les inégalités salariales et le développement des services, avec
les moyens financiers appropriés, en faveur des familles.
28. Les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient faire tout
ce qui est en leur pouvoir pour mettre en œuvre ces recommandations
et soutenir le plan d’action. La réalisation de l’égalité de fait
entre les femmes et les hommes est l’un des objectifs majeurs de
notre Organisation et contribue également à ce que l’Europe devienne
une société plus juste et plus riche.