C Exposé
des motifs par Mme Smet, rapporteuse
1 Introduction
1. Dans un article publié le 6 mars 2009 par l’International Herald Tribune,
le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, affirme que la violence
sexuelle contre les femmes est un crime contre l’humanité. A vrai
dire, depuis l’adoption du Traité de Rome sur le statut de la Cour
pénale internationale (17 juillet 1998) et de la résolution 1820
du Conseil de sécurité de l’ONU (19 juin 2008), il ne fait plus
de doute que les violences sexuelles envers les femmes en temps
de conflit armé sont un crime de guerre et un crime contre l’humanité.
2. On a donc formidablement avancé depuis que notre commission
a choisi pour thème de l’un de ses premiers rapports le viol dans
les conflits armés. A la suite de ce rapport
Note de
Mme Stanoiu (Roumanie), l’Assemblée parlementaire
a adopté la
Résolution 1212
(2000) sur le même sujet. Cependant, à l’époque, l’Assemblée
avait dû se limiter à réitérer «son souhait que les viols soient
traités comme des crimes contre l’humanité»
Note.
Hélas, malgré des progrès considérables au plan juridique, la situation
est restée particulièrement terrible sur le terrain.
3. Evidemment, les viols et les violences sexuelles commis lors
de guerres et de conflits armés n’ont rien de nouveau: le viol –
et les grossesses forcées – ont été une arme de guerre pendant des
siècles, pour ne pas dire des millénaires. Le tabou sur le viol
à grande échelle de femmes allemandes à la fin de la seconde guerre mondiale
est levé lentement; les viols systématiques de femmes lors des guerres
des Balkans et du Caucase dans les années 1990 restent ensevelis
sous le secret et la honte. Malheureusement, la violence continue,
par exemple au Darfour (Soudan) et au Kivu (dans l’est de la République
démocratique du Congo), alors que je rédige ce rapport.
4. Ce sont les 25 000 actes de violence sexuelle commis chaque
année dans le seul Nord-Kivu contre des femmes qui m’ont conduite
à élaborer ce rapport pour présenter une nouvelle fois ce sujet
devant l’Assemblée. L’année dernière, j’ai rédigé une proposition
de recommandation sur les violences sexuelles envers les femmes
dans l’est de la République démocratique du Congo. Après en avoir
débattu, la commission est convenue d’élargir le rapport à tous
les cas de violences sexuelles en temps de conflit armé. L’Assemblée
l’a ensuite chargée de l’élaboration d’un rapport et, le 5 décembre
2008, j’ai été nommée rapporteuse. J’espère pouvoir présenter mon
rapport lors de la réunion de la Commission permanente qui se tiendra
en Slovénie fin mai 2009.
2 Les actes
de violence sexuelle contre les femmes dans l’est de la République
démocratique du Congo
5. Les actes de violence sexuelle contre les femmes
dans l’est de la République démocratique du Congo sont un bon exemple
pour étudier les violences sexuelles en temps de conflit armé, même
s’il peut sembler à première vue que cela se situe hors de notre
zone d’action. Pourtant, l’Assemblée a souvent affirmé (et réaffirmé)
que les droits de l’homme sont universels et ne doivent pas s’arrêter
aux frontières des Etats membres du Conseil de l’Europe
Note. Je crois que l’Organisation
devrait condamner la violence dans l’est du Congo et se lancer dans
un travail de sensibilisation sur le thème des violences sexuelles
contre les femmes lors des conflits armés. J’ai moi-même mis en
place, avec des collègues du Parlement flamand et du Sénat belge,
le fonds d’aide «SOS stop à la terreur sexuelle à l’est du Congo»
pour soutenir des projets d’aide aux victimes de la terreur sexuelle.
6. Ces dernières années, les viols de femmes et de jeunes filles
ont pris des proportions sans précédent dans l’est du Congo. Il
est toutefois difficile d’obtenir des chiffres exacts en raison
de la nature même du problème. La Mission de l’Organisation des
Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) estime
à au moins 25 000 par an les actes de violence sexuelle dans le
seul Nord-Kivu. D’après John Holmes, Secrétaire général adjoint
des Nations Unies aux affaires humanitaires et coordonnateur des
secours d’urgence, il y a eu 27 000 cas dans le Sud-Kivu en 2006.
Selon une étude de 2008 reposant sur des entretiens réalisés entre
septembre et décembre 2007, 23 % des personnes interrogées dans
l’est avaient été témoins de violences sexuelles et 16 % avaient
elles-mêmes subi un viol – 12 % à de multiples reprises
Note. Malgré
les accords de paix de Goma de janvier 2008, les violences continuent.
7. Qui plus est, ces violences sexuelles sont perpétrées avec
une cruauté indescriptible. Généralement, avant ou après le viol,
les agresseurs infligent délibérément des blessures (mutilation
des seins, par exemple) et se livrent à des actes de torture, y
compris à caractère sexuel (comme le viol à l’aide d’armes à feu
ou de baïonnettes). Chez beaucoup de filles
Note (la moitié des victimes ont moins
de 18 ans) et de femmes, les violences subies entraînent le développement
de fistules – lésions du vagin, de la vessie et du rectum provoquant
l’incontinence de la victime et l’exposant aux infections et aux
maladies – des blessures que l’on ne peut que qualifier de traumatisantes.
8. Comme l’a souligné pertinemment le Secrétaire général de l’ONU,
ce qui est plus traumatisant encore, c’est le fait que dans l’est
du Congo, les victimes de violences sexuelles sont stigmatisées
et donc généralement rejetées par leur famille et leur village «au
nom d’un honneur mal placé»
Note.
Les victimes de viol doivent donc faire face à des problèmes physiques,
psychiques et financiers (y compris quelquefois l’infection par
le virus du sida) ainsi qu’à la nécessité d’affronter seules les
conséquences de leur agression. Cette terreur sexuelle a de terribles
répercussions sur les communautés qu’elle brise et les femmes qui,
en tant que groupe, ne sont plus respectées.
9. Certaines femmes violées se retrouvent enceintes. Elles doivent
donc, en plus du viol, porter l’enfant du violeur. D’aucuns pensent
que ces enfants sont des bombes à retardement du fait de leur position
très difficile dans les familles et dans la communauté où, souvent,
comme leur mère, ils ne sont pas les bienvenus.
10. Les auteurs d’actes de violence sexuelle n’appartiennent pas
seulement à des groupes armés et à des milices mais aussi à l’armée
régulière et à la police. Il est particulièrement alarmant que cette
violence se propage parmi les civils et que ces derniers soient
de plus en plus nombreux à se livrer au viol.
11. Les plus de 18 000 casques bleus des Nations Unies déployés
au Congo semblent impuissants face à la violence. «Actuellement,
dans l’est de la République démocratique du Congo, il est plus dangereux
d’être une femme qu’un soldat» a déclaré le général de division
Patrick Cammaert, ancien commandant de division de la MONUC, lors
d’une conférence à haut niveau organisée à Wilton Park, en mai 2008,
sur le rôle des forces de maintien de la paix dans la lutte contre
la violence envers les femmes.
12. Pire encore, l’impunité complète dans laquelle sont laissés
ces crimes dont les auteurs ne sont presque jamais poursuivis. Le
système judiciaire du Congo étant en ruine, l’est du pays est devenu
une zone de non-droit. Les victimes n’ont donc pratiquement aucun
accès à la justice. En l’absence de possibilité de traduire les coupables
en justice, les violences sexuelles vont continuer.
13. En République démocratique du Congo, beaucoup d’organisations
non-gouvernementales font un excellent travail d’aide aux victimes
de violences sexuelles aux plans médical, psychologique et juridique.
Elles aident également les femmes concernées à gagner leur indépendance
économique.
14. D’autres organisations internationales que l’ONU sont également
actives dans la région. Depuis 2005, une mission de conseil et d’assistance
de l’Union européenne en matière de réforme du secteur de la sécurité est
en place dans le pays (EUSEC RD Congo). Elle fournit conseil et
assistance pour la réforme des forces armées congolaises dans la
perspective, entre autres, de garantir la sécurité de la population
Note. Dans l’objectif de renforcer l’assistance
judiciaire dans la lutte contre l’impunité dans les cas de violences
sexuelles, le programme REJUSCO "Restauration de la Justice à l’Est
de la République démocratique du Congo" est en pleine phase de formulation
et devait commencer en novembre 2008. L’Union européenne et les
coopérations britannique, néerlandaise et belge ont joint leurs
efforts pour appuyer ce programme de restauration de la justice.
3 Les violences sexuelles
contre les femmes dans les conflits armés: crime de guerre et crime
contre l’humanité
Le statut de la Cour pénale internationale
15. La reconnaissance du viol et de l’esclavage sexuel
comme crime de guerre et crime contre l’humanité en 1998 par le
traité de Rome sur le statut de la Cour pénale internationale est
une avancée considérable dans la manière de traiter la violence
sexuelle contre les femmes. Les tribunaux pénaux internationaux
pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie établis par l’ONU ont été les
premiers à entendre des témoignages et à prononcer des inculpations
sur l’utilisation du viol comme méthode de guerre. Un tribunal du
même type pour la Sierra Leone a prononcé pour la première fois
une condamnation pour esclavage sexuel.
16. Concernant la République démocratique du Congo, trois hommes
attendent actuellement d’être jugés par la Cour pénale internationale
de La Haye; ils sont poursuivis, entre autres, pour esclavage sexuel
et viol au titre des articles 8.2.b.xxii (crimes de guerre) et 7.1.g
(crimes contre l’humanité) du Statut de Rome. Malheureusement, l’ancien
chef des Serbes de Bosnie, Radovan Karadžić, n’est pas poursuivi
spécifiquement pour viol et tortures sexuelles bien que l’acte d’accusation
le concernant fasse état de viols commis dans les villages dont
les troupes génocidaires qu’il commandait ont pris le contrôle.
Résolution 1325 (2000) du Conseil
de sécurité de l’ONU
17. Le 31 octobre 2000 le Conseil de sécurité de l’ONU
a adopté à l’unanimité la résolution 1325 sur les femmes, la paix
et la sécurité – la première sur la situation et le rôle des femmes
dans les conflits armés –, qui appelle les Etats à protéger pleinement
les femmes en temps de guerre et de conflits et à les associer aux processus
de paix. La résolution vise à renforcer le rôle des femmes dans
les situations de conflit, dans la prévention, la gestion et la
résolution des conflits (un rapport est actuellement en cours de
préparation par ma collègue finlandaise Krista Kiuru sur cet aspect
de la résolution)
Note. Ce qui suit est important
pour mon rapport: la résolution demande de prendre des mesures particulières
pour protéger les femmes et les filles contre les actes de violence
sexiste, en particulier le viol et les autres formes de sévices
sexuels, ainsi que contre toutes les autres formes de violence dans
les situations de conflit armé. Elle souligne, par ailleurs, que
tous les États membres ont l’obligation de mettre fin à l’impunité
et de poursuivre en justice ceux qui sont accusés de génocide, de
crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, y compris toutes
les formes de violence sexiste et autre contre les femmes et les
filles, et d’exclure ces crimes du bénéfice des mesures d’amnistie
dans les accords de paix. Les Etats membres doivent également tenir
compte des besoins particuliers des femmes et des filles lors du
rapatriement et de la réinstallation et en vue du rétablissement,
de la réinsertion et de la reconstruction après les conflits.
18. Après la mise en œuvre de la résolution, dans des déclarations
du président faites en 2004 et 2005, le Conseil de sécurité a appelé
les Etats membres à continuer d’appliquer la Résolution 1325 (2000),
y compris par la création de plans nationaux d’action ou d’autres
stratégies d’envergure nationale. La création d’un plan d’action
offre la possibilité d’engager des actions stratégiques, de recenser
les priorités et les ressources et de déterminer les responsabilités
et les délais. Le processus de création d’un plan est également
un processus de sensibilisation et de renforcement des capacités
visant à remédier aux insuffisances et à résoudre les difficultés
inhérentes à la mise en œuvre de la résolution. Malheureusement,
seuls 14 pays ont aujourd’hui des plans d’action opérationnels (dont
la majorité sont des Etats membres du Conseil de l’Europe: l’Autriche,
la Belgique, le Danemark, la Finlande, l’Islande, les Pays-Bas,
la Norvège, l’Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni)
Note.
19. On continue de s’interroger sur la manière de garantir une
mise en œuvre adaptée de cette résolution décisive. L’ONG
Human Rights Watch a proposé de
créer un organisme subsidiaire permanent ou autre mécanisme directement
lié au Conseil de sécurité, avec pour mission de rapporter et de
suivre les cas de violences sexuelles en période de conflit. En
2005, le Conseil de sécurité a mis en place un mécanisme chargé de
rapporter et de suivre en particulier le recrutement et le recours
aux enfants soldats.
Human Rights Watch a
remarqué que bien que n’ayant pas échappé aux critiques, ce mécanisme
a sans aucun doute accru l’attention du Conseil de sécurité sur
la question des enfants soldats
Note. Il existe aussi des réseaux entiers d’ONG
(par exemple, “La ligue Internationale de femmes pour la paix et
liberté”), ainsi qu’un groupe de gouvernements (“
Friends of 1325” – qui regroupe
lui aussi de nombreux États membres du Conseil de l’Europe), militant
activement pour une mise en œuvre plus globale et plus efficace
de la résolution.
Résolution 1820 (2008) du Conseil
de sécurité de l’ONU
20. L’adoption à l’unanimité, au mois de juin dernier,
de la résolution 1820 du Conseil de sécurité sur les femmes, la
paix et la sécurité, est peut-être tout aussi importante. Le Conseil
de sécurité y «exige de toutes les parties à des conflits armés
qu’elles mettent immédiatement et totalement fin à tous actes de
violence sexuelle contre des civils» après s’être déclaré profondément
préoccupé par le fait que, malgré des condamnations répétées, les
abus sexuels et la violence contre les femmes et les enfants bloqués
dans des zones de guerre persistent et sont même, dans certains
cas, tellement systématiques et généralisés qu’ils ont atteint une
«brutalité épouvantable». Il observe en outre que «le viol et d’autres
formes de violence sexuelle peuvent constituer un crime de guerre,
un crime contre l’humanité ou un élément constitutif du crime de génocide».
21. Surtout, la résolution affirme également l’intention du Conseil
de sécurité d’apprécier, au moment de décréter ou de reconduire
un régime de sanctions visant spécialement tel ou tel Etat, l’opportunité
de mesures «ciblées et graduelles» contre les factions en guerre
coupables de viols et d’autres formes de violence contre des femmes
et des filles. On peut espérer que cette volonté d’imposer des sanctions
contribue à réduire, au moins partiellement, les violences contre
les femmes. Le Secrétaire général de l’ONU doit présenter, d’ici
le 30 juin 2009, un rapport sur la mise en œuvre de la résolution,
qui devra notamment apporter des informations sur les situations
de conflit dans lesquelles des violences sexuelles ont été commises
en grand nombre ou systématiquement contre des civils et énoncer
des propositions visant à limiter le risque pour les femmes et les
filles de subir de telles violences. M. Ban Ki-moon a également
été chargé d’élaborer des stratégies et des lignes directrices concrètes
pour améliorer la capacité des forces de maintien de la paix des
Nations Unies à protéger les civils, y compris les femmes et les
filles, de toutes les formes de violence sexuelle.
22. La résolution 1820 ne s’applique hélas qu’aux victimes civiles
de violences sexuelles. Elle ne concerne donc pas les filles forcées
à combattre dans des armées ou des milices – qui ne devraient pas
être considérées comme des soldats. Pourtant, beaucoup d’entre elles
font l’objet de violences sexuelles systématiques, voire d’esclavage
sexuel.
4 Violences sexuelles
pendant les guerres des Balkans: une étude de cas européenne sur
l’impunité
23. Durant les guerres des Balkans, dans les années 1990,
les viols à grande échelle ont été utilisés comme arme de guerre
pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale sur le sol
européen. Dans un premier temps, les viols n’ont guère retenu l’attention,
d’autres atrocités (exécutions et massacres) accaparant les gros titres.
Il a fallu une campagne énergique menée par des organisations de
femmes pour révéler l’étendue des violences perpétrées au début
des années 1990. Aujourd’hui encore, les chiffres exacts sont contestés
mais l’on estime que près de 20 000 femmes bosniaques, croates et
serbes ont subi un viol, souvent collectif, et que certaines ont
parfois été asservies sexuellement et fécondées de force dans ce
que l’on a appelé les “camps du viol”, par des armées et groupes
paramilitaires.
24. Les atroces sévices sexuels subis par ces femmes – et leur
ampleur même – ont été l’un des facteurs qui ont conduit le Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie, puis le Statut de Rome
de la Cour pénale internationale, à reconnaître le viol comme un
crime de guerre et un crime contre l’humanité. Cependant, aujourd’hui
encore, une impunité presque totale règne: bien qu’il ait eu quelques
procès pour viol et esclavagisme sexuel, notamment devant l’ancien
tribunal, seule une poignée de condamnations ont été obtenues. Presque
aucune poursuite n’a été engagée pour viol ou autres sévices sexuels
devant les tribunaux nationaux, par exemple en Bosnie-Herzégovine,
des milliers de victimes se sont ainsi trouvé privées du droit d’obtenir
justice et réparation
Note. Comme l’ONG Amnesty International
le soulignait déjà en 2004: “Les hommes qui les ont violées continuent
à jouir de l’impunité, tandis que la vie des victimes a été économiquement
et socialement anéantie. En dehors des services apportés par certaines
associations de femmes, il n’existe, en général, aucun autre système
d’aide médicale et psychosociale.”
Note Alors
qu’il apparaît que la Bosnie‑Herzégovine a accordé aux femmes victimes
un statut de victimes civiles de la guerre et les a aidées dans
leur chemin vers une reconstruction intégrale, au moins à partir
de 2006
Note, en leur donnant une chance de développement
professionnel, des allocations mensuelles, ainsi qu’une assistance
médicale et psychosociale, les crimes sexuels commis à l’encontre
de ces femmes ne semblent pas avoir été pris en compte d’un point
de vue juridique et judiciaire.
25. En 2008, Monica Hauser, fondatrice de l’ONG “
medica mondiale“
a été l’une des lauréates du “Right Livelihood
Award” (souvent appelé le prix Nobel alternatif) pour son engagement
sans relâche en faveur des femmes qui ont subi les violences sexuelles
les plus terribles dans quelques-uns des pays les plus dangereux du
monde et sa lutte pour leur reconnaissance sociale et leur indemnisation
Note Fin 1992, Mme Hauser
avait été choquée par les récits des médias sur la tragédie des
femmes bosniaques et par l’instrumentalisation des survivantes dans
ces mêmes médias qui réduisaient souvent les femmes à de simples
"victimes de viol". Elle a donc constitué une équipe extrêmement
motivée de 20 experts bosniaques, rassemblé les fonds requis, traversé
les lignes de front avec le matériel complet nécessaire aux cliniques
de Bosnie centrale et mis sur pied
Medica
Zenica, un centre de thérapie pour femmes, en plein cœur
d’une Bosnie déchirée par la guerre
Note. L’ONG
qu’elle a créée a depuis aussi aidé des femmes au Kosovo, en République
démocratique du Congo, au Libéria et en Afghanistan; sans ce genre
d’organisations, les victimes de violences sexuelles des guerres des
Balkans auraient reçu très peu d’aide. Je trouve personnellement
déprimant que les organisations gouvernementales et internationales
n’aient pas été capables de suivre cet exemple.
5 Le rôle du Conseil
de l’Europe
26. Le Conseil de l’Europe n’est pas une organisation
de maintien de la paix et sa Cour européenne des droits de l’homme
n’est pas une cour pénale. Les viols à grande échelle perpétrés
lors des guerres des Balkans ne peuvent être jugés à Strasbourg
car ils ont été commis avant que les pays concernés ne deviennent membres
de l’Organisation et ne ratifient la Convention européenne des droits
de l’homme. Le seul conflit armé récent impliquant des Etats membres
de l’Organisation est celui qui a opposé la Géorgie et la Russie
au cours de l’été 2008. Or, dans ce cas, il n’a pas été fait état
de violences sexuelles systématiques contre les femmes. Dans ces
circonstances, pourquoi le Conseil de l’Europe devrait-il se saisir
du problème et comment?
27. Le Conseil de l’Europe a le devoir de s’assurer que les droits
de la personne humaine sont garantis sur le territoire de ses Etats
membres. Les viols à grande échelle perpétrés pendant les guerres
des Balkans des années 1990 ont malheureusement clairement montré
que la violence sexuelle, le viol et les grossesses forcées constituent
des armes de guerres qui ne sont ni d’un autre temps (celui de nos
mères et grand-mères lors de la seconde guerre mondiale), ni l’apanage
de l’Afrique. Même si la Cour européenne des droits de l’homme ne
peut actuellement pas être saisie de ces crimes, il n’est pas exclu
qu’ils se reproduisent un jour sur notre continent. Notre Organisation
doit non seulement être prête à faire face à cette menace mais devrait aussi
envisager la possibilité d’apporter une assistance – notamment aux
Etats membres – pour s’occuper de violences sexuelles passées lors
de conflits armés.
28. Le Conseil de l’Europe peut aussi demander à ses Etats membres
de se conformer aux Résolutions 1325 (2000) et 1820 (2008) du Conseil
de sécurité, et de prendre en compte l’appel de 2004 de ce dernier
à élaborer un plan d’action national pour donner suite à la première.
29. Les Etats membres pourraient intervenir au niveau des Nations
Unies en faveur d’une extension de la résolution 1820 aux femmes
et aux filles enrôlées de force dans l’armée auxquelles la résolution
ne s’applique pas pour l’instant.
30. Le Conseil de l’Europe a également l’obligation morale de
contribuer à diffuser au-delà de ses frontières géographiques ses
valeurs fondatrices que sont les droits de l’homme et l’état de
droit. Face à la vague de violences sexuelles qui déferle actuellement
en Afrique sur la région des Grands Lacs et certaines parties du Soudan,
l’Organisation doit se doter d’une politique visant à garantir le
droit des femmes à une vie sans violence. Elle pourrait donc, par
exemple, faire en sorte que les violences sexuelles perpétrées lors
de conflits armés soient reconnues comme une forme de persécution
fondée sur le sexe permettant aux victimes de bénéficier du droit
d’asile dans ses Etats membres.
31. Le Conseil de l’Europe pourrait aussi encourager ceux-ci à
veiller à ce que leur arsenal législatif contienne des textes de
lois adaptés et à se donner les moyens de traduire effectivement
en justice les auteurs de tels crimes le cas échéant s’ils devaient
se produire dans leur juridiction. De plus, les Etats membres devraient
être prêts à envisager de sanctionner les pays qui ne souhaitent
pas protéger les femmes contre les violences sexuelles lors de conflits
armés ni poursuivre les auteurs de tels actes. Lorsque des contingents nationaux
ou des forces internationales de maintien de la paix sont envoyés
dans des zones de conflit, ils devraient être clairement investis
de la mission de protéger les populations civiles, notamment les
femmes et les filles, des violences sexuelles. Il en va de même
pour les missions de l’Union européenne. Enfin, des Etats pourraient
également envisager d’envoyer des missions civiles dont le but serait
de soutenir l’état de droit et de veiller à son respect.
6 Conclusions
et recommandations
32. Qu’est-ce qui fait des violences sexuelles envers
les femmes une arme de guerre si efficace? Des historiens, des politiciens
et des psychologues ont avancé diverses théories, mais nombre d’entre
eux établissent un lien entre l’efficacité des violences sexuelles
contre les femmes dans les conflits armés et les sociétés patriarcales
au sein desquelles ces crimes sont commis. L’ennemi (homme) est
considéré comme “déshonoré” parce qu’il n’a pas été capable de protéger
sa femme, sa fille, etc. La femme devient une possession, le butin
du soldat: comme en temps de paix, le viol est un jeu de pouvoir,
mais ici avec le piquant supplémentaire de blesser et/ou de détruire
l’ennemi. Les femmes et les filles “déshonorées” sont souvent ostracisées
par leur propre communauté et tenues pour partiellement responsables
de ce qu’elles ont subi, ce qui affaiblit encore l’ennemi. En réalité,
les femmes violées qui sont exclues de leurs communautés perdent non
seulement des liens sociaux, mais aussi leur logement et leur travail
– ce qui peut, à son tour, affecter sérieusement la situation économique
de ladite communauté
Note. De plus, dans une société patrilinéaire
où l’ethnicité d’un enfant dépend de celle du père (plutôt que de
la mère), violer et féconder de force des femmes d’une autre ethnie
est une méthode de nettoyage ethnique – en modifiant les “équilibres”
dans la population. Si, en outre, l’impunité règne, il est difficile
d’imaginer comment il serait possible de mettre un terme aux violences
sexuelles contre les femmes dans les conflits armés.
33. C’est pourquoi il faut, afin que cessent ces violences contre
les femmes commises en période de conflit armé, que les femmes voient
leur position renforcée, que les modèles sociétaux patriarcaux changent
et que l’on veille à ce que justice soit rendue chaque fois qu’une
femme sera violée dans un conflit armé, que celui-ci soit proche,
sur le sol européen ou se déroule au loin, sur un autre continent.
La solution à l’éradication de la violence sexuelle dans les conflits
armés repose sur l’égalité entre les femmes et les hommes.
34. Je suggère donc que l’Assemblée formule une recommandation
à l’intention du Comité des Ministres afin d’envisager de fournir
l’une ou l’autre forme d’assistance aux États membres pour qu’ils
parviennent à gérer l’héritage des violences sexuelles passées,
commises lors d’un conflit armé, par exemple en assistant les Etats
membres en question dans la rédaction et la mise en œuvre de législation
appropriée accordant aux femmes victimes de violence sexuelle dans
un conflit armé le statut de victime civile de guerre et en les
aidant dans leur chemin vers une reconstruction intégrale en leur
garantissant un accès à la justice, en leur accordant un dédommagement
financier, et en leur fournissant une assistance médicale et psychosociale.
35. Selon moi, l’Assemblée devrait de plus faire les recommandations
suivantes aux Etats membres:
i se
conformer aux Résolutions 1325 (2000) et 1820 (2008) du Conseil
de sécurité des Nations Unies et rédiger s’ils ne l’ont pas encore
fait un plan national d’action pour donner suite à la première;
ii faire pression au niveau des Nations Unies pour étendre
la Résolution 1820 (2008) aux filles et aux femmes enrôlées de force
dans l’armée et qui ne relèvent pas du champ d’action de la résolution actuelle;
iii reconnaître les violences sexuelles perpétrées durant
un conflit armé comme une forme de persécution sexiste permettant
aux victimes de bénéficier du droit d’asile dans les États membres;
iv veiller à ce que leur arsenal législatif contienne des
textes de lois adaptés et se donner les moyens de traduire effectivement
en justice les auteurs de crimes de violences sexuelles dans les
conflits armés s’ils devaient être commis dans le ressort juridictionnel
de l’État membre;
v être prêts à envisager de sanctionner les pays qui ne
souhaitent pas protéger les femmes contre les violences sexuelles
lors de conflits armés ni poursuivre les auteurs de tels actes;
vi lorsque des contingents nationaux ou des forces internationales
de maintien de la paix sont envoyés dans des zones de conflit, veiller
à ce qu’ils soient clairement investis de la mission de protéger
les populations civiles, notamment les femmes et les filles, des
violences sexuelles, qu’ils soient correctement formés à l’égalité
entre les femmes et les hommes, et que les femmes représentent une proportion
substantielle de ces missions;.
vii envisager d’envoyer des missions civiles dont le but serait
de soutenir l’Etat de droit et de veiller à son respect pour compléter
la protection apportée par les forces de maintien de la paix; de
telles missions devraient idéalement être composées d’un nombre
égal de femmes et d’hommes, qui devraient être correctement formés
à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Commission chargée du rapport: commission
sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes
Renvoi en commission: Doc. 11633 rev, renvoi n° 3499 du 28 novembre 2008
Projet de résolution et projet de recommandation adoptés à
l’unanimité par la commission le 14 mai 2009
Membres de la commission: Mme Pernille Frahm(Présidente), M. José Mendes Bota (1er Vice-président), Mme Ingrīda
Circene (2ème Vice-présidente), Mme Anna Čurdová (3ème Vice-présidente),
Mme Sonja Ablinger, M. Francis Agius, M. Florin Serghei Anghel (suppléante:
Mme Maria Stavrositu), M. John Austin, M. Lokman Ayva, Mme Marieluise Beck, Mme Anna
Benaki, M. Laurent Béteille, Mme Deborah Bergamini,Mme Oksana Bilozir, Mme Rosa Delia
Blanco Terán, Mme Olena Bondarenko, M. Predrag Bošcović, Mme Anna
Maria Carloni, M. James Clappison, Mme Diana Çuli, Mme Lydie Err,
Mme Catherine Fautrier, Mme Mirjana Ferić-Vac,
Mme Sonia Fertuzinhos, Mme Doris Frommelt,
Mme Alena Gajdůšková, M. Giuseppe
Galati, Mme Claude Greff, M. Attila Gruber, Mme Carina Hägg, Mme Fatme Ilyaz, Mme Francine John-Calame,
Mme Nataša Jovanoviċ, Mme Birgen Keleş,
Mme Krista Kiuru, Mme Elvira Kovács, Mme Angela Leahu, M. Terry
Leyden, Mme Mirjana Malić, Mme Assunta Meloni, Mme Nursuna Memecan, Mme Dangutė Mikutienė,
M. Burkhardt Müller-Sönksen, Mme Hermine Naghdalyan, M. Mark Oaten, M. Kent Olsson, M. Jaroslav Paška, Mme Antigoni
Papadopoulos, Mme Maria del Carmen Quintanilla Barba, M. Frédéric
Reiss, Mme Mailis Reps, Mme Maria
Pilar Riba Font, Mme Andreja Rihter, Mme Jadwiga Rotnicka, M. Nicolae Robu, Mme Marlene Rupprecht, Mme Klára Sándor, Mme Miet Smet, Mme Albertina Soliani, Mme Darinka
Stantcheva, Mme Tineke Strik, M. Michał Stuligrosz, Mme Doris Stump, M. Han Ten Broeke, M. Mihai
Tudose, M. Volodymyr Vecherko, Mme Tatiana Volozhinskaya, M. Marek
Wikiński, M. Paul Wille,
Mme Betty Williams, M. Gert
Winkelmeier, Mme Karin S. Woldseth, Mme Gisela Wurm, M. Andrej Zernovski, M. Vladimir
Zhidkikh, Mme Rodoula Zissi.
N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont
imprimés en gras
Secrétariat de la commission: Mme Kleinsorge, Mme Affholder,
Mme Devaux