B Exposé
des motifs, par Andrew McIntosh, rapporteur
1 Introduction
1. Ce rapport fait suite à mon rapport précédent qui
a conduit à la
Résolution
1535 de l’Assemblée et à la
Recommandation 1783 (2007) relatives
aux menaces contre la vie et la liberté d’expression des journalistes. Le
rapport est structuré conformément aux principes fondamentaux définis
dans la
Résolution 1636
(2008) de l’Assemblée sur les indicateurs pour les médias
dans une démocratie, et se fonde sur trois catégories fondamentales
de violations:
- la catégorie A
couvre les atteintes les plus graves et les plus dommageables à
la liberté des médias, comme les agressions physiques et les meurtres,
l’intimidation, l’impunité des crimes visant des journalistes et
l’application de lois pénales excessivement répressives pour protéger
les hauts représentants de l’Etat contre des critiques d’un niveau
légitime en démocratie (Résolution
1636 (2008), paragraphes 8.1, 8.2 et 8.14);
- la catégorie B s’applique aux relations entre le gouvernement
et les médias sur les plans juridique et administratif. Ces indicateurs
concernent les violations de la liberté des médias qui découlent
d’une utilisation abusive des prérogatives de puissance publique
ou autres en vue d’orienter les médias, en particulier dans un cadre
électoral (Résolution
1636 (2008), paragraphe 8.5), les ingérences dans la liberté
des médias du fait de la propriété, des contrôles et de la régulation
(paragraphes 8.7, 8.15 à 8.19, et 8.22 à 8.24), les conséquences
négatives de la législation antiterroriste et des lois sur l’extrémisme et
la sécurité de l’Etat sur la liberté d’expression, l’accès à l’information
et la confidentialité des sources (paragraphes 8.3 à 8.10 et 8.24)
et l’indépendance des radiodiffuseurs du secteur public (paragraphes 8.20
et 8.21);
- la catégorie C recouvre la nécessité d’assurer une diversité
dans la propriété des médias (Résolution 1636
(2008), paragraphe 8.18), de veiller au respect par les
propriétaires de médias, les dirigeants, les rédacteurs et les personnels
de presse de la déontologie professionnelle (paragraphes 8.12, 8.13,
8.21 et 8.26), de garantir des conditions de travail décentes (paragraphe
8.11), de faire en sorte qu’il existe des procédures de règlement
des conflits et de réclamation (paragraphe 8.25) et de procéder
à un examen efficace de la situation de la liberté des médias au
niveau national.
2. Je voudrais exprimer ma profonde gratitude à William Horsley,
directeur international du Centre pour la liberté des médias de
l’université de Sheffield et représentant pour la liberté des médias
de l’Association des journalistes européens, qui a été mandaté pour
élaborer un rapport d’information fondamental sur les violations graves
de la liberté des médias en Europe sur la période 2007-2009. Cet
exposé des motifs s’inspire de ce rapport d’information.
3. Pour élaborer ce rapport, la sous-commission des médias a
tenu une audition sur la liberté des médias au Luxembourg le 26
octobre 2009. J’apprécie les importantes contributions faites pendant
cette audition par Marc Gruber de la Fédération internationale des
journalistes, Danièle Fonck, Alvin Sold et Michal Musil de European
Newspaper Publishers Association, Boyko Boev d'Article 19, Boris
Bergant d'International Press Institute/Organisation des médias
de l’Europe du Sud-Est, et Olivier Basille de Reporters sans frontières. L’audition
a été accueillie par la Chambre des députés du Luxembourg.
4. A cette occasion, le journaliste allemand Hans-Martin Tillack
a remis au Conseil de l’Europe un exemplaire original de la «Charte
européenne sur la liberté de la presse» élaborée et signée par de
nombreux journalistes européens éminents. La charte a été reçue
au cours de cette réunion de la sous-commission des médias à Luxembourg
par le Président du Comité des Ministres, M. Samuel Zbogar, ministre
des Affaires étrangères de Slovénie, ainsi que par moi-même pour
le compte de l’Assemblée.
5. Ce rappel symbolique de la nécessité de respecter la liberté
des médias dans toute démocratie est un appel des médias et de leurs
organisations au Conseil de l’Europe pour qu’il intensifie ses efforts
dans ce domaine. C’est un rappel de la nécessité permanente d’être
vigilant pour ne pas mettre en danger la démocratie en occultant
les violations graves de la liberté des médias. La démocratie et
la liberté des médias sont des valeurs fondamentales du Conseil
de l’Europe.
2 Catégorie
A: meurtres et agressions de journalistes et violations graves
2.1 Arménie
6. A l’approche de l’élection présidentielle de février
2008, le harcèlement des journalistes et les contrôles directs des
médias se sont intensifiés. Plusieurs journalistes, dont le photographe
Gaguik Chamchian, ont été blessés lors de charges de la police contre
des manifestants après l’élection. Le Comité de protection des journalistes
(CPJ) a indiqué qu’une reporter, Loussine Barseghian, a été agressée
alors qu’elle tentait de réunir des éléments sur des irrégularités
dans un bureau de vote d’Erevan. L’état d’urgence ayant été imposé pendant
trois semaines, toute information indépendante a été interdite pendant
cette période. En mars 2007, des contrôles similaires des médias
avaient été imposés pendant l’état d’urgence déclaré temporairement
par le gouvernement précédent.
7. Plusieurs autres journalistes ont été victimes d’agressions
en 2008, notamment Haratch Melkoumian, chef du bureau de Erevan
de Radio Free Europe/Radio Liberty, et Edik Baghdassarian, rédacteur
du magazine en ligne Hetq et
président de l’Association arménienne des journalistes d’investigation.
8. Le 30 avril 2009, Arguichti Kivirian, rédacteur du site web
d’information en ligne Armenia Today, a
été agressé devant son domicile, à Erevan, par trois inconnus qui
l’ont laissé dans un état grave. Il aurait été frappé à la tête
et sur le corps avec des matraques ou des bâtons et l’un de ses
agresseurs aurait également tiré des coups de feu qui ne l’ont pas
touché. Ses collègues pensent que cette agression est liée à son
travail.
2.2 Azerbaïdjan
9. Les autorités azerbaïdjanaises sont accusées d’avoir
arbitrairement emprisonné des journalistes et de les avoir maltraités
en prison. Le 17 août 2009, Novruzali Mamedov, rédacteur du journal
minoritaire Talyshi Sado,
qui a cessé d’exister, est mort dans une prison de Bakou, où il
purgeait une peine de dix ans depuis février 2007. Le CPJ avait
protesté contre son arrestation au motif que Mamedov était incarcéré
sur la base de chefs d’inculpation forgés de toutes pièces, y compris
la trahison. D’après la Fédération internationale des droits de
l’homme basée à Paris, il aurait été torturé en prison. D’après
plusieurs groupes internationaux, il se serait vu refuser les traitements
médicaux que nécessitait son mauvais état de santé pendant son incarcération.
Un porte-parole de la prison a déclaré que son décès était dû à
une attaque. Le journal Talyshi Sado a
cessé de paraître peu après l’emprisonnement de Mamedov.
10. La brutalité policière est évoquée dans le cas d’Emin Huseynov,
directeur de l’Institut pour la liberté et la sécurité des reporters
en Azerbaïdjan, blessé à la tête après avoir été, selon certaines
sources, frappé à coups de crosse dans un poste de police de Bakou,
le 14 juin 2008. M. Huseynov a été raflé lors d’une descente de
police dans un café de Bakou où il couvrait un événement. De source
officielle, ses blessures seraient dues à une automutilation.
11. Le meurtre d’Elmar Huseynov, rédacteur en chef du journal Monitor et fervent partisan de la démocratisation,
survenu en 2005, n’a toujours pas été élucidé. Il a été tué devant
chez lui à quelques jours des élections de 2005. Pour certains groupes
internationaux de surveillance des médias, des responsables gouvernementaux
seraient impliqués dans la mort de M. Huseynov.
12. Eynoulla Fatoullaïev, rédacteur de Gundelike
Azerbaijan et du journal russophone Realny Azerbaijan, est emprisonné
depuis sa condamnation, en avril 2007, pour avoir laissé entendre,
dans des articles de presse, que le meurtre d’Elmar Huseynov avait
été commandité par de hauts responsables de l’Etat. Le CPJ et Pen International
ont dénoncé le caractère «politique» de la condamnation de M. Fatoullaïev
pour terrorisme et incitation à la haine ethnique. Il a été condamné
en tout à huit ans de prison. Il avait déjà été condamné avec sursis
pour diffamation envers le ministre de l’Intérieur. Le CPJ indique
qu’il a reçu des menaces de mort. De plus, les bureaux de son journal
ont été fermés.
13. Le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias a signalé
qu’un autre reporter de Realny Azerbaijan, Uzeyir Jafarov, avait
été presque battu à mort en mai 2007.
14. Trois journalistes condamnés à des peines de prison pour diffamation
et d’autres chefs d’inculpation ont été libérés le 21 avril 2009.
Le 24 septembre 2009, l’Association mondiale des journaux et éditeurs
de nouvelles (AMF-IFRA) a demandé la libération de cinq autres rédacteurs,
journalistes et blogueurs emprisonnés. Selon l’AMJ, ils ont tous
été punis en raison de leur attitude critique envers le gouvernement. L’association
déplore «le climat généralisé d’intimidation et de peur» qui règne
dans les médias en Azerbaïdjan.
2.3 Bosnie-Herzégovine
15. En septembre 2008, plusieurs journalistes de la radio
et de la presse écrite qui ont couvert une manifestation sur les
droits des gays organisée à Sarajevo ont reçu des menaces de mort.
2.4 Bulgarie
16. Le 7 avril 2008, Georgi Stoev, éditorialiste de presse
et auteur de plusieurs livres à succès sur le crime organisé en
Bulgarie, a été abattu dans une rue de Sofia. D’après le CPJ, il
avait prédit qu’il serait assassiné à cause de ce qu’il écrivait.
Aucun suspect n’a été identifié.
17. Ognyan Stefanov, rédacteur du site web d’investigation Frognews, est resté trois jours
dans le coma, dont il est ressorti dans un état critique, après
avoir été frappé à coups de marteau par des hommes masqués, devant
un restaurant de Sofia, le 22 septembre 2008. Reporters sans frontières
(RSF) a indiqué que M. Stefanov avait aussi les deux jambes et un
bras cassés.
18. RSF signale que deux hommes ont menacé, le 9 février 2007,
d’asperger Maria Nikolaeva d’acide pour avoir cosigné un article
critique sur un projet de construction d’un immeuble résidentiel
dans la réserve naturelle de Strandja, sur les bords de la mer Noire,
qui est le plus grand site protégé de Bulgarie.
19. RSF conclut que le journalisme d’investigation et le pluralisme
des médias en Bulgarie sont gravement menacés par le crime organisé
et diverses formes de pression des milieux politiques et d’affaires,
et indique que l’autocensure est de plus en plus courante en raison
des risques évidents que courent les journalistes depuis le meurtre
de Stoev et l’agression de Stefanov.
2.5 Croatie
20. Le 23 octobre 2008, Ivo Pukanic, propriétaire et
directeur de rédaction de l’hebdomadaire politique croate Nacional, et Niko Franjic, directeur
de commercialisation du journal, ont été tués par une bombe qui
a explosé sous la voiture du directeur devant les bureaux du journal
à Zagreb. Ces meurtres étaient les premiers perpétrés sur des employés
des médias depuis les guerres des Balkans dans les années 1990. Nacional est bien connu pour ses
informations sur la criminalité, la corruption et les atteintes
aux droits de l’homme. Cet attentat est imputé à des bandes criminelles;
cinq hommes ont été inculpés dans cette affaire. Pukanic avait reçu
des menaces de mort. L’Association mondiale des journaux (AMJ) avait
auparavant critiqué le peu d’empressement de la police et de la
justice croates à poursuivre les auteurs d’agressions contre des journalistes.
21. L’Organisation des médias du sud-est de l’Europe (SEEMO) s’est
inquiétée des menaces de mort reçues en 2008 par Drago Hedl, journaliste
de l’hebdomadaire Feral Tribune, qui
avait enquêté sur les crimes de guerre commis contre les populations
civiles en 1991, et Vedran Strukar, d’Europe Press Holdings, dont
la famille a également fait l’objet de menaces.
2.6 Géorgie
22. Quatre journalistes ont été tués et une dizaine d’autres
ont été blessés en mission, lors du conflit en Géorgie d’août 2008.
23. Le 10 août 2008, Alexandre Klimtchouk, directeur de l’agence
photo Caucasus Images, basée à Tbilissi, et Grigol Tchikhladze,
qui travaillait en indépendant pour cette même agence, ont été tués
alors qu’ils tentaient d’entrer dans Tskhinvali, en Ossétie du Sud,
lors d’une mission pour l’agence de presse russe Itar-Tass.
24. Le 12 août 2008, Stan Storimans, cameraman hollandais de RTL
télévision, a été tué lors d’une attaque militaire sur la ville
géorgienne de Gori, tandis que son collègue reporter, Jeroen Akkermans
était blessé. Une enquête diligentée par le Gouvernement néerlandais
a conclu que le décès et les blessures ont été causés par des armes
à sous-munitions russes, mais cette affirmation a été contestée.
M. Akkermans a porté plainte contre la Russie pour cette attaque
devant la Cour européenne des droits de l’homme.
25. Giorgi Ramichvili, de la chaîne de télévision Rustavi2, a été tué le 6 septembre; il
aurait été abattu alors qu’il était en tournage dans les environs
du village géorgien de Chavnabada, près de Tbilissi.
26. Le 7 novembre 2007, lors de manifestations populaires contre
la corruption et les abus de pouvoir reprochés au Gouvernement géorgien,
un important détachement de forces armées a pris d’assaut la chaîne de
télévision privée Imedi, qui constituait une cible privilégiée car
elle relayait les opinions de l’opposition politique. Les militaires
ont retenu et menacé des centaines d’employés et détruit une grande
partie du matériel de la chaîne, ce qui l’a contrainte à cesser
d’émettre. Plusieurs employés ont été chargés par la police antiémeute
après avoir été expulsés du bâtiment. Human Rights Watch et d’autres
organisations internationales ont mis en doute la légalité de cette
opération, dictée, selon le gouvernement, par la menace qui pesait
sur la sécurité nationale. Lorsque la chaîne a été autorisée à reprendre
ses émissions, cinq mois plus tard, elle avait changé de propriétaire
et mitigé son attitude critique à l’égard du gouvernement.
27. Article 19 a accusé le Gouvernement géorgien de ne pas avoir
satisfait son engagement de respecter la liberté d’expression en
suspendant les médias lors des élections législatives et présidentielles
de 2008, ainsi que pendant le conflit de 2008 avec la Russie.
28. Les autorités géorgiennes ont été vivement critiquées par
les organisations internationales de surveillance pour avoir censuré
les médias et, notamment, empêché la diffusion d’émissions en russe,
lors du conflit.
2.7 Grèce
29. Des groupes de journalistes ont fait part de leur
grande inquiétude après l’intrusion de quatre hommes armés dans
les locaux de la chaîne de télévision privée Alter, à Athènes, le
17 février 2009. Ces individus ont tiré plusieurs coups de feu et
lancé un engin explosif contre le bâtiment en proférant des menaces
contre les journalistes qui s’y trouvaient. Ils se seraient réclamés
de la «secte révolutionnaire». Aucune explication n’a été fournie
quant aux motifs de cet attentat.
2.8 Hongrie
30. Le 22 juin 2007, Iren Karman, une journaliste qui
enquêtait sur des allégations de corruption impliquant des bandes
de criminels dans le cadre de contrats pétroliers conclus dans les
années 1990, a été victime d’une brutale agression. Enlevée à Budapest,
elle a été violemment frappée et abandonnée sur une rive du Danube, atteinte
de blessures à la tête et souffrant d’hémorragies internes.
2.9 Italie
31. Selon les procureurs généraux italiens, les menaces
de mort et les agressions physiques sont couramment utilisées par
des éléments criminels, y compris la mafia, pour forcer des journalistes
italiens au silence sur le crime organisé. L’écrivain et journaliste
Roberto Saviano, auteur du livre Gomorra, est
contraint de vivre sous protection policière depuis octobre 2006
en raison des menaces que lui ont valu ses investigations sur la
camorra napolitaine. RSF estime qu’une dizaine d’autres journalistes
ont aussi dû demander la protection de la police après avoir reçu
des menaces.
32. Le 2 septembre 2007, deux hommes ont été surpris alors qu’ils
plaçaient une bombe artisanale sous la voiture de Lirio Abbate,
correspondant de l’agence de presse nationale Ansa à Palerme. Son
livre I Complici (Les Complices)
traitait des connivences entre les milieux politiques et la mafia.
2.10 Moldova
33. Lors des manifestations qui ont suivi les élections,
le 8 avril 2009 et les jours suivants, la police a été accusée d’un
recours excessif à la force et d’avoir attaqué et arrêté plusieurs
journalistes. Le gouvernement a empêché des journalistes roumains
et autres journalistes étrangers d’entrer dans le pays au cours
de cette période et en a arrêté d’autres qui s’y trouvaient déjà.
34. Le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias s’est
plaint auprès du gouvernement du comportement de la police et des
interdictions faites aux journalistes de faire des reportages. Il
a aussi appelé les journalistes qui rendaient compte des manifestations
de rue et des affrontements à le faire objectivement, sans jeter
de l’huile sur le feu.
2.11 Russie
35. La liste interminable des journalistes morts de mort
violente en Russie est un affront aux principes du Conseil de l’Europe,
en particulier au droit à la vie et à la liberté d’expression. Ces
cas établis semblent témoigner d’un mépris persistant de l’obligation
de protéger les journalistes de toute agression physique et de l’absence
généralisée de réaction appropriée de la justice face aux agressions
et aux menaces.
36. Le 2 mars 2007, Ivan Safronov, correspondant pour les questions
militaires pour le journal Kommersant est
mort après être tombé du quatrième étage de l’immeuble de sa résidence
à Moscou. Les enquêteurs ont attribué sa mort à un suicide, mais
sa famille et ses amis ont indiqué qu’ils étaient certains qu'Ivan
Safronov avait été tué à cause de son travail. Il se préparait à
publier des articles contenant des preuves sur des ventes d’armes controversées
au Moyen-Orient. Le CPJ et d’autres organisations ont demandé une
enquête approfondie. Cependant, aucun suspect n’est actuellement
recherché.
37. Le 5 avril 2007, Viatcheslav Ifanov, cameraman de la chaîne
de télévision indépendante Novoïe Televideniye Aleiska de la ville
d’Aleisk, en Sibérie, est mort dans son garage. Officiellement,
il aurait succombé à une intoxication au monoxyde de carbone qu’il
aurait lui-même provoquée. Cependant, selon le CPJ, les membres
de la famille ont indiqué que son corps portait des blessures et
qu’il avait reçu des menaces de mort. Ifanov a été tué le lendemain
de la diffusion, sur sa chaîne de télévision, d’une émission sur
une agression précédente en janvier, dont il s’était tiré avec une
commotion cérébrale après avoir été battu par un groupe d’hommes
non identifiés en uniforme de camouflage qui l’auraient averti qu’il
s’exposait à des risques plus graves s’il n’arrêtait pas ses reportages
d’investigation. Aucun suspect n’a été identifié.
38. Le 21 mars 2008, Ilias Chourpaïev, reporter pour la chaîne
de télévision russe Channel One, qui a largement rendu compte de
la situation dans la République russe du Daghestan, a été poignardé
et apparemment étranglé dans son appartement, à Moscou. Trois suspects
ont été arrêtés et accusés de meurtre et de vol. Ils ont été condamnés
à de longues peines d’emprisonnement. Le CPJ indique que Chourpaïev
avait déclaré qu’il était catalogué comme dissident. Il a été tué
peu de temps après avoir écrit un article dans un journal du Daghestan,
qui a refusé son papier, jugé trop polémique. Trois hommes ont été
jugés coupables mais une enquête plus approfondie est demandée.
39. Toujours le 21 mars 2008, Gadji Abachilov, directeur de la
radio et télévision publique du Daghestan et ancien vice-ministre
de l’Information de cette république, a été abattu dans sa voiture,
dans la capitale Makhatchkala. Son chauffeur a été gravement blessé.
Aucun suspect n’a été identifié.
40. Le 31 août 2008, Magomed Evloïev, propriétaire du site web
d’information indépendant à succès Ingushetia.ru, a été abattu lors
de sa détention par des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur
après avoir été arrêté à l’aéroport de la capitale de l’Ingouchie,
Nazran. Des déclarations officielles contradictoires ont été faites
à propos de la manière dont il a trouvé la mort, mais il a été annoncé
par la suite que l’un des fonctionnaires serait inculpé pour homicide
par négligence. La famille d’Evloïev demande que l’enquête soit prolongée
pour rechercher les personnes qui ont commandité sa mort. Elle a
déposé un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
Des audiences préliminaires ont été ouvertes à la Cour en 2008. Evloïev
et son site web étaient connus pour leurs travaux dénonçant la corruption
officielle, la fraude électorale et les violations des droits de
l’homme en Ingouchie.
41. En 2007, la rédactrice en chef de ce site web, Roza Malsagova,
avait quitté l’Ingouchie en expliquant qu’elle avait été attaquée
par les autorités locales et reçu des menaces physiques. Elle risquait
aussi des poursuites pénales pour diffusion de documents prétendument
extrémistes et incitation à la haine ethnique. Le centre Sova, basé
à Moscou, qui suit les questions relatives à la xénophobie et aux
libertés civiles en Russie, a indiqué dans un rapport du 29 juillet
2009 que si toute une série d’accusations utilisées pour poursuivre Ingushetia.ru
était dénuée de fondement, certains textes publiés sur ce site contenaient
effectivement des propos xénophobes à l’encontre des Ossètes. Il
signale aussi que la réouverture de ce site web a été autorisée depuis,
sous le nom d’Ingushetia.org.
42. Le 2 septembre 2008, Telman Alichaïev, présentateur de TV-Chirkel,
à Makhatchkala, au Daghestan, a été abattu au volant de sa voiture
par deux individus. Il est décédé le jour suivant. Il était connu
pour ses propos critiques sur la secte islamique ultraconservatrice
wahhabite et avait reçu des menaces de mort. L’enquête se poursuit.
43. Le 5 janvier 2009, Shafiq Amarkhov, rédacteur de l’agence
de presse en ligne RIA 51, décédait six jours après avoir reçu plusieurs
balles en caoutchouc dans la tête, à son domicile de Mourmansk.
Le CPJ indique qu’il avait publiquement critiqué le gouverneur de
Mourmansk peu de temps auparavant et qu’il s’était vu refuser son
accréditation pour participer à la dernière conférence de presse
donnée par le Président Vladimir Poutine dans l’exercice de cette
fonction, en février 2008. M. Amrakhov avait déjà été grièvement
blessé lors d’une précédente agression, en 1997. Aucun suspect n’a
été identifié.
44. Le 19 janvier 2009, Anastassia Babourova, reporter au journal
indépendant Novaïa Gazeta, a
été mortellement blessée par balle dans une rue de Moscou, par un
homme qui portait un masque de ski. Elle venait de participer à
une conférence de presse en compagnie de Stanislav Markelov, éminent
avocat spécialisé dans les droits de l’homme, que le tireur a abattu
en premier et qui était peut-être sa cible principale. Le procureur
a dit qu’un suspect dont l’identité est connue des autorités est
recherché. L’enquête continue.
45. Le 30 mars 2009, Sergey Protazanov, un maquettiste qui travaillait
pour Grajdanskoye Soglasye (Concorde
civile), journal local critique de Khimki dans la banlieue de Moscou,
est mort deux jours après avoir été attaqué près de chez lui, d’après
les propos recueillis avant son décès par le rédacteur du journal
Anatoly Yurov. La FIJ a indiqué que les enquêteurs ont fait des
déclarations contradictoires sur la manière dont il a trouvé la
mort et qu’ils ont ensuite établi qu’il était mort d’une attaque
après une chute dans les escaliers. La Fondation pour la défense
de la Glasnost et la FIJ ont indiqué que Protazanov était en train
de préparer une couverture du journal sur la fraude alléguée dans
les récentes élections municipales locales. Anatoly Yurov, aussi,
avait été poignardé au cours d’une agression en février 2008. Six
mois après le décès de Protazanov, aucune enquête criminelle n’a
encore été ouverte.
46. Le 30 juin 2009, Viatcheslav Iarotchenko, le rédacteur en
chef de Korruptsiya i Prestupnost (Corruption et
Crime), a succombé aux blessures à la tête que lui ont, à ses dires,
infligées des agresseurs inconnus, dans l’entrée de son immeuble,
à Rostov-sur-le-Don. La police a déclaré que Iarotchenko était mort
des suites d’une chute dans les escaliers, mais pour ses collègues
et les organisations internationales, il aurait été assassiné et
les enquêteurs auraient fait preuve de négligence. Il avait publié
des rapports sur des allégations de corruption concernant les forces
de l’ordre de la ville. Aucune enquête pénale n’a été ouverte.
47. Le 15 juillet 2009, Natalia Estemirova, qui travaillait en
Tchétchénie pour l’organisation des droits de l’homme Memorial,
a été enlevée dans une rue de Groznyï. Son corps a été découvert
portant des blessures par balles à la tête et au cœur, dans l’Ingouchie
voisine, plus tard le même jour. Une enquête a été ordonnée, mais
plusieurs organisations internationales ont émis des doutes sur
son impartialité. Estemirova avait publié des articles mettant en
cause des forces loyales au Président tchétchène, Ramzan Kadyrov
dans des cas de torture et autres atteintes graves aux droits de
l’homme. Après sa mort, des responsables russes pour les droits
de l’homme ont demandé qu’une enquête soit menée sur les forces
de l’ordre locales en relation avec le meurtre. Aucun suspect n’a
encore été identifié.
48. Après la mort d’Estemirova, Memorial a déclaré qu’il serait
contraint de se retirer de la Tchétchénie à cause du risque inacceptable
pesant sur les vies de son personnel. Natalia Estemirova a écrit
des articles pour Novaya Gazeta et
est le cinquième journaliste écrivant pour ce journal à avoir été
tué depuis 2000.
49. Le 11 août 2009, Abdoulmalik Akhmedilov, le rédacteur adjoint
de Khakikat (La Vérité), journal
publié en langue avar du Daghestan, a été abattu par des inconnus
alors qu’il quittait son domicile, à Makhatchkala. La Fondation
pour la défense de la Glasnost et la FIJ rapportent que des témoins
oculaires ont déclaré que ses agresseurs avaient une voiture aux
vitres teintées et sans plaque d’immatriculation. Les enquêteurs auraient
déclaré que leurs recherches porteraient sur différents motifs éventuels
du meurtre. Le rédacteur en chef de Khakikat,
Ali Kamalov, a allégué que le motif était politique. Akhmedilov
avait critiqué les forces de l’ordre fédérales et locales pour avoir
supprimé la dissidence politique et religieuse sous le couvert d’une campagne
de lutte contre l’extrémisme. Les enquêtes sont en cours.
50. De toutes ces affaires, une seule – le décès d’Ilias Chourpaïev
– a donné lieu à une condamnation. A la suite du meurtre d’Abdoulmalik
Akhmedilov au Daghestan, le représentant de l’OSCE pour la liberté
des médias, Miklos Haraszti, a écrit au ministre russe des Affaires
étrangères, Sergueï Lavrov, pour demander que le Gouvernement russe
reconnaisse publiquement que la campagne menée contre les journalistes
et les militants des droits de l’homme en Fédération de Russie est
intolérable et que les plus hautes autorités policières et judiciaires
soient rappelées à leur devoir, après avoir montré leur incapacité
à élucider les affaires précédentes. M. Haraszti a demandé qu’un
plan d’action soit établi pour mettre un terme à ce qu’il a appelé une
«crise des droits de l’homme».
51. En septembre 2009, Oleg Panfilov, représentant du Centre for
Journalism in Extreme Situations (CJES), a décrit la situation actuelle
en Russie pour les journalistes curieux et d’esprit indépendant
«d’état permanent de peur». Le CJES estime que plusieurs centaines
de journalistes russes ont décidé de quitter le pays en raison des
risques pour leur sécurité personnelle et des limites contraignantes
imposées à leur liberté professionnelle en Russie, tandis que d’autres
ont abandonné le journalisme.
52. Les journalistes russes indépendants sont unanimes à reconnaître
que l’autocensure est aujourd’hui très répandue parmi les professionnels
russes des médias, mus par la crainte des violences au vu de la multitude
d’agressions dont sont victimes les journalistes trop curieux. En
2008, la FIJ et la Fondation pour la défense de la Glasnost ont
recensé 69 autres cas d’agressions physiques et 35 cas de menaces
contre la sécurité des journalistes en Russie, confirmant ainsi
la réputation de pays d’Europe le plus dangereux pour les journalistes
que s’est acquise la Russie.
53. Parmi les cas les plus graves figure la tentative manifeste
de meurtre dont a été victime Mikhaïl Beketov, rédacteur en chef
du journal indépendant Khimkinskaïa Pravda,
dans la région de Khimki, près de Moscou, le 12 novembre 2008. Des
inconnus l’ont attaqué à coups de barres de fer devant son domicile
et l’ont laissé pour mort. Atteint de lésions à la tête engageant
le pronostic vital, il a en outre dû être amputé d’une jambe. Certains de
ses collègues ont signalé qu’il avait été prévenu d’un plan visant
à le supprimer s’il n’arrêtait pas de parler de la corruption officielle.
Sa voiture avait déjà été incendiée. Beketov avait enquêté sur une
affaire potentielle de corruption officielle dans le cadre d’un
projet de construction d’une autoroute qui devait traverser une
zone forestière protégée, projet auquel la population locale était
opposée.
54. Le 3 février 2009, Iouri Gratchev, 72 ans, rédacteur au journal
moscovite Solnetchnogorski Forum,
a été frappé et laissé inconscient devant son domicile, près de
Moscou. Il avait publié des articles très critiques sur le comportement
de responsables locaux lors de récentes élections.
55. Le 10 mars 2009, Vadim Rogojine, journaliste d’investigation
et directeur de la holding de médias Vzglyad (Vue), dans la ville
de Saratov, dans le sud de la Russie, a été grièvement blessé à
la tête à coups de hache par deux individus qui l’ont agressé devant
chez lui. Il avait écrit des articles sur la corruption dans le gouvernement
régional et les services de sécurité.
56. Le 12 mars 2009, Maxime Zolotarev, rédacteur du journal indépendant Molva Youjnoïe Podmoskovie (Molva
Sud), à Serpoukhov, près de Moscou, a été agressé devant chez lui
et frappé à coups de matraque. Il a déclaré par la suite avoir abandonné
le journalisme à cause des intimidations. Le CPJ indique que Zolotarev pense
qu’il a été agressé en représailles à la publication de son article
sur la corruption.
57. Il est capital que les élus condamnent publiquement les crimes
violents contre les professionnels des médias afin de créer un climat
politique suffisamment dissuasif pour empêcher la répétition de
ces actes scandaleux. La première réaction enregistrée par Vladimir
Poutine, alors Président de la Russie, à la suite du décès d’Anna
Politkovskaïa, avait semé la consternation dans la communauté internationale:
le dirigeant russe décrivait dédaigneusement la journaliste assassinée
comme une personne dont l’influence était très limitée en Russie.
58. Toutefois, en janvier 2007, lors d’une conférence de presse,
le Président Poutine s’est déclaré touché par sa mort et a décrit
la persécution des journalistes en Russie comme l’un des problèmes
les plus urgents auxquels son gouvernement devait réagir. La liste
des journalistes assassinés et agressés en Russie appelle une condamnation
sans ambiguïté et une réaction déterminée de la tête de l’exécutif.
Le Président Dimitri Medvedev, qui a accédé à ces fonctions en 2008,
a vivement condamné la violence à l’encontre de journalistes, mais
il reste encore à faire les réformes politiques et législatives
qui s’imposent.
2.12 Agressions contre
les défenseurs des droits de l’homme
59. Les meurtres et agressions d’éminents défenseurs
des droits de l’homme en Russie, notamment d’avocats, réduisent
encore la possibilité de voir une presse libre se maintenir, à la
fois parce que ces agressions répandent la peur et parce que les
journalistes dépendent d’un petit nombre de personnes déterminées
et dignes de foi pour obtenir des informations fiables sur des régions
dangereuses, comme la Tchétchénie.
60. L’assassinat, en pleine rue, du célèbre avocat des droits
de l’homme Stanislav Markelov et d’Anastassia Babourova, en janvier
2009, et la mort de Zarema Sadoulaïeva, membre d’une ONG qui s’occupe
des enfants en Tchétchénie, tuée là-bas le 12 août 2009 avec son
mari, ont provoqué l’indignation de la communauté internationale,
qui a condamné ces actes.
61. Les risques encourus par ceux qui prennent publiquement position
pour la liberté d’expression et de conscience et se dressent contre
les menaces et la coercition ont de nouveau été démontrés par les
menaces de mort adressées fin septembre 2009 à Alexandre Podrabinek,
ancien dissident anticommuniste et journaliste indépendant, par
le mouvement de jeunesse de droite et pro-Kremlin Nachi. Podrabinek
a écrit un article sur un site web dans lequel il critiquait le
passé soviétique de la Russie, et notamment les crimes du stalinisme,
et accusait l’actuel Gouvernement russe de chercher à réhabiliter
l’image de l’Union soviétique. Il a décidé de se cacher avec sa
famille, après que des membres de Nachi ont menacé de le poursuivre
en justice, manifesté de façon menaçante sous ses fenêtres et publié
des informations personnelles le concernant, notamment son adresse,
sur d’autres sites internet.
2.13 Serbie et KosovoNote
62. Des agressions physiques et de graves menaces contre
des journalistes ont continué d’être signalées en Serbie et au Kosovo.
Elles étaient, dans la plupart des cas, liées à des tensions nationalistes
et politiques résiduelles. En Serbie, l’Organisation des médias
du sud-est de l’Europe a indiqué que Stefan Cvetovic, rédacteur
en chef de RTV TNT à Bela Crkva, avait été agressé le 18 juillet
2008, apparemment à cause de ses reportages diffusés à l’antenne.
En septembre 2008, un groupe de manifestants nationalistes s’est
introduit dans les locaux de l’agence de presse Beta, à Belgrade,
pour exiger que les médias rendent compte de leurs manifestations
contre l’arrestation du criminel de guerre présumé Radovan Karadzic.
En mars 2008, l’Organisation des médias du sud-est de l’Europe a
signalé que deux responsables de la rédaction de l’hebdomadaire Nedeljni Telegraf avaient reçu des
menaces de mort.
63. Au Kosovo, la présentatrice Jeta Xharra a été menacée de mort
en juin 2009 à la suite de ses reportages d’investigation diffusés
sur la chaîne publique RTK, consacrés aux restrictions de la liberté
de la presse au Kosovo et aux atrocités présumées commises par l’Armée
de libération du Kosovo pendant le conflit qui a frappé la région
à la fin des années 1990.
2.14 Espagne
64. L’organisation armée séparatiste basque ETA a continué
d’attaquer et de menacer des journalistes critiquant son recours
à la violence terroriste et à l’extorsion.
65. Parmi les actes de violence les plus récents ayant visé les
médias au Pays basque, on peut citer un attentat contre le siège
de la radiotélévision publique EiTB à Bilbao le 31 décembre 2008
et un autre contre une antenne relais à Hernani le 16 janvier 2009.
Ces attaques ont provoqué d’importants dégâts mais n’ont pas fait
de victimes.
66. Du fait de ces violences, selon RSF, les journalistes sont
depuis des années victimes de manœuvres d’intimidation qui les poussent
à faire des compromis sur la façon dont ils rendent compte de l’actualité
liée à l’ETA. RSF a également indiqué qu’en mai 2008 une quarantaine
d’entre eux étaient contraints de vivre sous protection policière
au Pays basque.
2.15 Turquie
67. Hrant Dink, rédacteur en chef du magazine bilingue Agos, publié en arménien et en turc,
a été abattu devant son bureau d’Istanbul le 19 janvier 2007. Le
procès de 18 accusés est toujours en cours.
68. Le comportement de la police turque pendant l’enquête et la
conduite du procès des meurtriers présumés de Hrant Dink ont donné
lieu à des plaintes pour négligence, obstruction et collusion des
membres des forces de sécurité. Un certain nombre d’autres hauts
fonctionnaires ont été destitués pour manquement à leur devoir.
Début 2007, la télévision turque a diffusé une vidéo dans laquelle
plusieurs policiers et gendarmes posaient pour une photographie
aux côtés d’Oguen Samast, qui venait d’être arrêté pour avoir tué
Hrant Dink.
69. Le 30 avril 2008, le Gouvernement turc a modifié l’article 301
du Code pénal sous la pression internationale, mais de nombreuses
voix ont jugé ces changements insuffisants. Dans son ancien libellé,
cet article érigeait en infraction pénale tout «dénigrement de l’identité
turque, de la République, des institutions et organes de l’Etat».
Dans le nouveau libellé, «identité turque» est remplacé par «nation
turque». La peine maximale a été ramenée de trois à deux ans d’emprisonnement
et la loi prévoit désormais que les poursuites doivent d’abord être
approuvées par le ministre de la Justice. Auparavant, des avocats
nationalistes avaient la possibilité d’engager eux-mêmes des poursuites.
70. Ces changements n’ont pas réduit sensiblement le nombre d’affaires
dans lesquelles des écrivains ou des journalistes sont poursuivis
pour avoir publié leurs opinions. Selon l’Association turque de
contrôle Bianet, 125 personnes dont 57 journalistes ont été jugées
pour leurs opinions entre avril et juin 2009.
71. PEN International a indiqué que, en septembre 2009, plus de
70 journalistes et écrivains faisaient l’objet d’une enquête pénale
ou d’un procès pour leurs opinions en Turquie. Sur ces 70 personnes,
27 pourraient être poursuivies en vertu de l’article 301. Toujours
selon PEN International, au moins sept demandes d’enquête pénale
au titre du nouvel article 301 sont en cours d’examen par le ministère
de la Justice. Jusqu’à présent, l’organisation n’a eu connaissance
d’aucun cas confirmé de poursuites judiciaires en vertu de l’article
modifié.
72. D’après l’association Article 19, les autres dispositions
du Code pénal qui sont souvent utilisées pour poursuivre les journalistes
et les écrivains sont l’article 216, qui interdit «de distiller
la haine et l’hostilité dans la population», et la loi 5816, qui
érige en infraction pénale «l’insulte à la mémoire d’Atatürk». Dans
la plupart des cas, les charges retenues contre des journalistes
pour «abus de la liberté de parole» sont liées aux questions kurdes.
73. Plus récemment, RSF a fait état de deux autres agressions
contre des journalistes. Haci Bogatekin, propriétaire de la publication
bimensuelle Gerger Kirat,
a été blessé et son appareil photo endommagé lorsqu’il a été attaqué
le 28 juillet 2009 tandis qu’il enquêtait sur l’incendie d’une déchetterie
controversée de la province d’Adiyaman (sud-est du pays). RSF avait
alors affirmé qu’il n’était pas rare que les fonctionnaires locaux
ordonnent des passages à tabac ou se livrent à de tels actes pour
réduire les journalistes au silence. Dans une autre affaire, Durmus
Tuna, propriétaire du journal local Soke
Gercek dans le sud-ouest de la Turquie, a eu le bras
cassé lorsqu’il a été agressé par un groupe d’hommes le 6 juillet
2009. Il avait publié des articles sur des pratiques de corruption
au sein de la municipalité.
2.16 Ukraine
74. En Ukraine, trois anciens policiers ont été condamnés
en mars 2008 pour le meurtre de Gueorgui Gongadze et l’enquête s’est
accélérée.
75. En septembre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme
a rendu un arrêt défavorable à l’Etat ukrainien, celui-ci n’ayant
ni protégé la vie du journaliste ni mené une enquête efficace sur
son meurtre pendant plusieurs années. Le pays se caractérise aujourd’hui
par un climat politique plus ouvert et un secteur des médias dynamique
et indépendant. Le Comité des Ministres, dans une seconde résolution
intérimaire adoptée en septembre 2009 (CM/ResDH(2009)74), a salué
les progrès récents de l’enquête, notamment la nouvelle arrestation
de l’ex-général Oleksi Poukatch, supérieur hiérarchique des anciens
policiers condamnés, qui était en fuite.
2.17 Royaume-Uni
76. En septembre 2007, un groupe paramilitaire loyaliste
présumé a proféré des menaces de mort dans un message envoyé à un
studio de télévision d’Irlande du Nord. Le message, accompagné d’une
balle, indiquait le nom et l’adresse de Robin Livingstone, rédacteur
en chef du journal Andersonstown News.
Par ailleurs, RSF a critiqué le manquement de la police à traduire
en justice les meurtriers du journaliste de Belfast Martin O’Hagan,
tué en septembre 2001 par un groupe apparemment composé de paramilitaires
loyalistes. RSF a appelé la police à se mobiliser davantage pour
protéger les journalistes et faire juger les responsables des agressions
commises à leur égard. L’organisation s’est félicitée des nouvelles
enquêtes qui s’intéressent aux écrits de Martin O’Hagan faisant
état de collusion entre les forces de sécurité et les groupes paramilitaires.
2.18 Bélarus
77. Le Bélarus, qui n’est pas un Etat membre du Conseil
de l’Europe, arrive à la 188e place sur 195 dans le classement mondial
2009 de la liberté de la presse établi par Freedom House, ce qui
en fait le plus mauvais des pays d’Europe. RSF déclarait le 12 février
2008 que la presse libre avait virtuellement disparu de ce pays en
raison d’un harcèlement administratif répété et d’un cadre législatif
répressif. Le gouvernement s’est récemment déclaré disposé à autoriser
la publication et la vente de quelques journaux indépendants.
78. Article 19 fait état de plusieurs attaques récentes à l’encontre
de journalistes, dont l’agression du photographe Uladzimir Hrydzin,
le 16 avril 2009, et l’arrestation du journaliste Siarhei Panamarou
et de son équipe, qui se sont vu confisquer leur matériel, le 17
avril 2009.
79. Article 19 et d’autres organisations sont revenus à maintes
reprises à la charge auprès des autorités du Bélarus, qui n’ont
toujours pas élucidé le meurtre de la journaliste Veronika Tcherkassova,
en octobre 2004, et la disparition du cameraman Dimitri Zavadski
en juillet 2000.
2.19 Agressions et menaces
contre des journalistes par des cercles religieux à la suite de
la polémique sur les caricatures danoises
80. La polémique sur les caricatures de Mahomet, en 2005
et 2006, a donné lieu à des manifestations massives et violentes
dans le monde arabe et dans certaines villes européennes, où la
minorité religieuse musulmane contestait le concept libéral européen
de liberté de la presse. Cette catégorie de la société demandait
que la liberté d’expression soit restreinte pour tenir compte de
sensibilités religieuses particulières.
81. La liberté des médias a été mise à mal car certains protagonistes
se trouvant au cœur de la polémique, notamment plusieurs caricaturistes
danois, ont dû se cacher pour se protéger contre les menaces de
violence émanant d’extrémistes islamiques, et la presse de certains
pays comme le Royaume-Uni a semblé s’autocensurer par crainte de
représailles.
82. Cependant, la reproduction des caricatures dans les journaux
de la plupart des pays européens a montré que l’opinion publique
était très attachée à la libre expression des idées, même lorsque
celles-ci peuvent être offensantes. A cette occasion, a également
été publiquement réaffirmé le principe qui veut que les lois sur
la diffamation ne peuvent s’appliquer qu’à des individus et non
à une religion, en l’occurrence l’islam. De nombreux Etats ont mis
en place de nouvelles formes de dialogue entre groupes religieux
et autres groupes de la société civile, ce qui a parfois contribué
à améliorer la compréhension mutuelle entre les personnes ayant
des croyances et convictions différentes. Si ce dialogue se poursuit,
il servira noblement la cause de la liberté d’expression.
83. Les risques concernant la sécurité des personnes n’ont toutefois
pas disparu. Au Danemark a été déjoué en février 2008 un complot
visant à assassiner Kurt Westergaard, l’auteur du dessin très controversé
montrant un turban. Kurt Westergaard s’est plaint de se retrouver
une nouvelle fois dans la situation d’un fugitif dans son propre
pays.
84. En Suède, certains groupes musulmans ont condamné en août
2007 une autre caricature de Lars Vilks sur le prophète Mahomet
parue dans le journal Nerikes Aallehanda.
Le dessin aurait été publié, comme les caricatures danoises, pour
attirer l’attention sur la question de l’autocensure et la liberté
d’expression. L’auteur a reçu des menaces et plusieurs galeries
d’art ont refusé d’exposer son travail par peur de représailles.
85. En France, Robert Redeker, professeur de philosophie, a également
été contraint de solliciter une protection policière après avoir
été menacé de mort en raison de sa tribune «Face aux intimidations
islamistes, que doit faire le monde libre?» parue dans Le Figaro en septembre 2006. Un
jeune Marocain arrêté en Libye début 2007 a reconnu avoir lancé
un appel au meurtre du professeur sur un site internet islamiste.
86. Au Royaume-Uni, Martin Rynja, propriétaire de la maison d’édition
indépendante Gibson Square, a été la cible d’un incendie criminel
le 27 septembre 2008. Les assaillants ont versé de l’essence à travers
la boîte aux lettres de sa maison d’édition, qui est également son
domicile, avant de mettre le feu. En 2009, trois hommes de religion
musulmane ont été condamnés à quatre ans et demi de prison pour
l’attentat. Celui-ci a été perpétré à la suite de la publication
du Joyau de Médine, une interprétation
romancée de la relation entre le prophète Mahomet et sa très jeune
épouse Aïcha.
3 Catégorie B: les
relations entre l’Etat et les médias, et les graves violations de
la liberté d’information et d’expression des journalistes
87. Le présent rapport montre que les gouvernements eux-mêmes
sont les premiers responsables des atteintes aux normes promues
par le Conseil de l’Europe en matière de liberté des médias. Ils
ont par conséquent aussi le pouvoir de supprimer nombre des obstacles
à des médias libres, pluralistes et professionnels.
88. L’International Press Institute, qui représente des rédacteurs,
des responsables de médias et d’éminents journalistes, a déclaré
dans sa revue de 2008 que le recul graduel de la liberté de la presse
en Europe s’est poursuivi cette année par des atteintes de plus
en plus marquées au droit des journalistes de protéger la confidentialité
de leurs sources, par des gouvernements qui ont durci et appliqué
des lois pénales sur la diffamation et utilisé la lutte contre le
terrorisme comme prétexte pour museler la liberté d’expression.
89. Vingt ans après la fin de la guerre froide, beaucoup de structures
politiques traditionnelles en Europe sont balayées et remplacées
par de nouvelles, et des luttes de pouvoir impitoyables s’accentuent
entre forces politiques rivales pour contrôler, influencer, voire
posséder de grands médias.
90. Cet antagonisme très marqué entre les formations politiques
rivales épaulées par leurs alliés au sein des médias a été la source
de maintes manifestations d’intolérance de la part d’élus politiques
à l’égard des médias critiques ces dernières années. Les dirigeants
politiques multiplient non seulement les tentatives pour dominer
les programmes d’information en exerçant une influence sur les radiodiffuseurs
du secteur public ou autres médias «bienveillants», mais se hâtent
de poursuivre des journalistes pour diffamation ou autres délits.
91. Le Conseil de l’Europe et l’OSCE, par son représentant pour
la liberté des médias, ont tous deux identifié les dangers pour
la liberté d’expression découlant de l’exercice du pouvoir de l’Etat,
en particulier dans les domaines suivants dont l’importance est
soulignée dans la liste des indicateurs: pressions sur les médias
en périodes électorales, utilisation de lois pénales et de moyens
administratifs pour bloquer les enquêtes journalistiques, impact
et utilisation d’internet et manipulation de la radiodiffusion de
service public.
3.1 Restrictions, harcèlement
et partialité des médias lors des élections
92. L’accès équitable aux médias pour tous les candidats,
en particulier en période électorale, est au centre de la démocratie.
Or, ce principe a été bafoué dans un certain nombre d’Etats membres
postcommunistes, dans lesquels les observateurs électoraux internationaux
ont constaté de graves distorsions et un grave manque d’impartialité
dans la couverture des élections par les médias. Dans certains cas,
ils n’ont pu faire leur travail en raison de l’absence de coopération
des autorités nationales.
93. En Arménie, les manifestations massives ayant suivi la victoire
contestée de Serge Sarkissian à l’élection présidentielle du 19 février
2008 ont entraîné la proclamation de l’état d’urgence et de dispositions prévoyant
une censure stricte de toutes les publications pendant vingt jours.
Plusieurs médias ont fermé au cours de cette période pour ne pas
se soumettre à la censure. Selon un rapport de l’AJE du 5 décembre
2008, la majorité des principaux journaux et médias audiovisuels
avaient ouvertement choisi leur camp entre forces politiques progouvernementales
et antigouvernementales dans le cadre de la couverture de ces événements, ce
qui prouvait que l’indépendance des médias par rapport aux autorités
politiques en Arménie s’était perdue dans un climat d’extrême polarisation
politique et d’antagonisme mutuel.
94. Lors de l’élection présidentielle du 15 octobre 2008 en Azerbaïdjan,
la mission d’observation électorale de l’Assemblée parlementaire
a estimé que les candidats avaient eu la possibilité de faire passer
leur message aux électeurs sans entrave. Elle a néanmoins indiqué
qu’au cours des quatre semaines précédant le scrutin, la télévision
publique avait consacré 51 % de l’information au Président en exercice
Ilham Aliev et à ses partisans, ce qui était positif ou neutre,
alors que 12 % seulement avaient été consacrés à l’ensemble des autres
partis politiques réunis. Certains journalistes ayant critiqué les
autorités ont été inculpés d’infractions pénales ou ont fait l’objet
de poursuites civiles; certains ont été condamnés à des peines d’emprisonnement
et à des amendes.
95. En ce qui concerne les élections législatives au Bélarus en
septembre 2008, l’Assemblée parlementaire a considéré l’absence
d’informations pluralistes pour les électeurs comme un grave manquement
suscitant des doutes sur l’équité des résultats du scrutin.
96. En Russie, le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias
a estimé que de nombreuses violations avaient été commises dans
la période précédant les élections à la Douma en décembre 2007 et
l’élection présidentielle du 3 mars 2008, notamment des actes de
harcèlement contre les médias, des restrictions législatives et
une partialité médiatique qui empêchaient un accès libre et équitable
aux médias. Le parti au pouvoir, Russie unie, et son candidat Dimitri
Medvedev ont bénéficié d’une vaste couverture favorable sur les chaînes
de la télévision nationale, qui était sans commune mesure avec celle
accordée aux autres candidats.
97. Les observateurs internationaux sont arrivés à la conclusion
que les élections à la Douma n’avaient pas respecté de nombreuses
normes internationales relatives aux élections démocratiques et
que le scrutin présidentiel n’avait pas été libre et équitable,
notamment en raison de l’accès inégal des candidats aux médias.
98. L’existence avérée de listes noires officielles ou officieuses
de personnes qui ne peuvent apparaître dans les grands médias en
Russie constitue un manque d’impartialité flagrant et une violation
des normes du Conseil de l’Europe.
3.2 Les conséquences
de la législation antiterroriste et des lois sur l’extrémisme et
la sécurité nationale sur la liberté des médias, et la remise en
cause de la confidentialité des sources
99. Le principe en vigueur dans une démocratie est que
la législation protégeant les secrets d’Etat et la sécurité nationale
ou luttant contre l’incitation à la haine doit respecter le droit
à la liberté d’expression, et ne pourrait être écarté que dans des
cas exceptionnels.
100. Ce principe a été réaffirmé par le Comité des Ministres dans
sa Déclaration de 2005 sur la liberté d’expression et le terrorisme.
Ce principe appelle les Etats à ne pas introduire de nouvelles restrictions
à la liberté d’expression et d’information des médias, à moins qu’elles
ne soient strictement nécessaires et proportionnées. Cette déclaration
réaffirme également que les Etats doivent respecter le droit des
journalistes de ne pas révéler leurs sources au-delà de ce qui est
permis dans la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’ils
doivent s’abstenir d’exercer tout type de pression à leur égard.
101. Or, dans de nombreux cas, des Etats ont été accusés de poursuivre
des journalistes sans tenir dûment compte du fait que leur travail
sur telle ou telle question peut présenter un véritable intérêt
public. La question de la confidentialité des sources des journalistes
a également été contestée à maintes reprises devant les tribunaux.
102. Voici quelques exemples d’enquêtes judiciaires menées sur
des journalistes accusés d’infractions à la législation sur la sécurité
qui semblent contraires aux normes relatives à l’accès à l’information
et à la liberté d’expression:
- Allemagne:
en juin 2007, l’Office fédéral de renseignements a ouvert des enquêtes
pénales sur 17 journalistes de premier plan afin de rechercher des
éléments permettant de les poursuivre en justice pour avoir révélé
des secrets d’Etat, après que des responsables politiques eurent
laissé filtrer des informations sur l’aide apportée par cette agence
fédérale au programme secret américain de «restitutions extraordinaires»
de suspects terroristes. Les poursuites ont finalement été abandonnées;
- Irlande: le 4 août 2009, la Cour suprême a confirmé le
droit de la rédactrice en chef de l’Irish
Times, Geraldine Kennedy, et du reporter Colm Keena de
ne pas dévoiler l’identité de leurs sources. Tous deux avaient refusé
de révéler la source d’un article sur des fonds versés à l’ancien
Premier ministre irlandais Bertie Ahern;
- Pays-Bas: des agents des services de sécurité ont secrètement
mis sur écoute le personnel du journal De
Telegraaf pour tenter d’identifier la source d’une fuite
d’informations et ont arrêté et détenu deux journalistes. Le tribunal
a ordonné l’arrêt des poursuites judiciaires à leur encontre;
- Russie: d’après le Centre de journalisme dans des situations
extrêmes, une soixantaine de journalistes ont fait l’objet d’enquêtes
ou de poursuites pénales l’an passé en vertu de la loi contre l’extrémisme,
dont le champ d’application s’étend à toute critique à l’égard de
fonctionnaires. Récemment, toutefois, plusieurs propositions d’amendement
qui auraient eu pour effet de durcir encore les contraintes juridiques
pesant sur le travail des médias ont été rejetées par la Douma ou
la Cour suprême;
- Suisse: trois journalistes du Sonntags
Blick ont été poursuivis en justice en 2007 pour avoir
publié des informations révélant l’existence des prisons secrètes
américaines pour terroristes présumés sur le territoire de pays
de l’Union européenne. Les journalistes ont été acquittés par un
tribunal militaire;
- Turquie: le 22 août 2009, le journal Guenluk a été fermé pour avoir publié
un article considéré comme de la propagande en faveur d’une organisation
terroriste. Cet article écrit par un professeur de l’université
de Toronto, Amir Hassanpour, qualifiait de «linguicide» la politique
turque restreignant l’emploi de la langue kurde et mentionnait le
Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), interdit en Turquie et
dans l’Union européenne en tant qu’organisation terroriste;
- Royaume-Uni: la correspondante du Sunday
Tribune en Irlande du Nord, Suzanne Breen, a été mise
en examen en 2009 pour avoir refusé de divulguer la source et les
coordonnées de ses contacts avec le groupe paramilitaire IRA Véritable,
après avoir révélé que ce dernier revendiquait le meurtre de deux soldats
britanniques commis dans le courant de l’année. Le juge a relaxé
la journaliste, en invoquant l’article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme et en expliquant que sa vie serait mise en
danger si elle fournissait les informations demandées.
103. Les gouvernements d’autres Etats membres ont adopté, au nom
de la sécurité nationale ou de la protection des citoyens, toute
une série d’autres lois qui sont perçues comme des entraves à la
liberté des journalistes et des médias de rendre compte de l’actualité
et de promouvoir un débat ouvert.
104. Espagne: PEN International a indiqué en décembre 2007 qu’un
certain nombre de journalistes et d’écrivains figuraient parmi une
bonne soixantaine de personnes ayant été reconnues coupables de
terrorisme parce qu’elles auraient soutenu le groupe séparatiste
armé ETA. Certains de ces journalistes travaillaient pour le journal
basque Egin.
105. Etats de l’Union européenne: les groupes de défense des droits
civils et de la liberté des médias ont fait part de leur vive inquiétude
au sujet de la législation de l’Union européenne sur la conservation
de données personnelles relatives aux communications par téléphone,
courrier électronique et internet. Ces informations pourraient en
effet permettre aux gouvernements d’identifier facilement les contacts
confidentiels des journalistes avec leurs sources. La directive
de l’Union européenne sur la conservation de données est désormais
en vigueur. Elle oblige les opérateurs de télécommunications en
Europe à collecter et conserver pendant au moins six mois les informations
sur les activités de tous les utilisateurs. Le niveau d’accès des autorités
de l’Etat à ces données varie d’un pays à l’autre.
106. Tous ceux qui sont attachés à la liberté des médias ont salué
l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, attendu de
longue date, qui a été rendu le 27 novembre 2007. La Cour a accordé
des réparations substantielles à Hans-Martin Tillack, ancien correspondant
du magazine Stern à Bruxelles.
Elle a estimé que la police belge avait violé le droit du journaliste
à la liberté d’expression lorsque, en 2004, elle avait saisi ses documents
et instruments de travail parce qu’elle le soupçonnait d’avoir corrompu
des fonctionnaires européens afin d’obtenir des informations. Tillack
avait publié des articles faisant état d’irrégularités au sein de l’Office
européen de la lutte antifraude de l’Union européenne (OLAF).
107. L’Union européenne, en tant qu’organisation supranationale
dotée de prérogatives effectives de puissance publique, est appelée
à se montrer pleinement consciente de ses responsabilités concernant
la liberté légitime des médias de rendre compte des questions d’intérêt
public.
3.3 Internet et les
nouveaux médias
108. La diffusion rapide d’internet et des médias numériques
mobiles a eu un effet libérateur pour le paysage médiatique dans
son ensemble. Les nouvelles technologies ont remis en cause la domination
traditionnelle d’un petit nombre de journaux, de chaînes de télévision
et de stations de radio sur le marché. L’expansion illimitée du
nombre d’opérateurs audiovisuels et de sources d’information en
ligne accessibles à tous offre une extraordinaire liberté de choix
et permet un accès à l’information à la demande.
109. Cependant, d’après le rapport «La liberté sur internet» publié
en mars 2009 par Freedom House (FH), qui s’est penché sur internet
et les médias numériques dans des pays sélectionnés, les Etats européens
ont recours à divers moyens pour contrôler l’internet et les technologies
de la téléphonie mobile, notamment à la surveillance et à des lois
contraignant les fournisseurs de services à conserver les données
relatives au trafic des communications.
110. En Estonie, les sites de plusieurs médias mais aussi d’administrations
et de services publics ont été la cible de cyberattaques de grande
envergure en avril et mai 2007. Les soupçons se sont portés sur
la Russie mais aucune explication concrète n’a été fournie. Les
attaques se sont produites après qu’une partie de l’opinion en Russie
eut fermement condamné la décision de l’Estonie de transférer une
statue rendant hommage aux soldats soviétiques du centre de Tallinn
vers un autre lieu.
111. En Russie, d’après FH, le gouvernement a engagé au moins sept
procédures judiciaires contre des blogueurs et des journalistes
citoyens. Dans l’une de ces affaires, le blogueur Savva Terentiev
a été reconnu coupable d’atteinte à la dignité de la police et condamné
à un an de prison avec sursis en juillet 2008. Depuis 2000, tous
les fournisseurs de services internet sont tenus d’installer un
logiciel qui permet à la police et aux services de sécurité intérieurs
d’accéder aux données concernant le trafic internet. Les lois actuelles
autorisent le gouvernement à intercepter des données sur internet
sans ordonnance d’un juge.
112. En Turquie, internet subit souvent la censure des pouvoirs
publics. Selon FH, plus de 1 300 sites étaient bloqués par les autorités
des télécommunications turques à la date du 1er décembre 2008. Le
site de partage de vidéos YouTube est interdit depuis mai 2008 pour
avoir mis en ligne du matériel apparemment jugé insultant à l’égard
d’Atatürk, le fondateur de la République turque. D’autres sites
de réseaux sociaux comme MySpace ou Twitter ont également été touchés.
113. Les possibilités de surveiller les utilisateurs et les atteintes
à la vie privée ont incité des groupes à tirer la sonnette d’alarme
au sujet des dangers qui menacent la faculté des journalistes de
préserver la confidentialité de leurs sources. FH a indiqué que
plus de 500 000 demandes visant à obtenir des données relatives
aux communications auprès des opérateurs de téléphonie, notamment
de téléphonie mobile, et des fournisseurs de services internet avaient
été déposées en 2007 au Royaume-Uni. Le contenu des courriers électroniques
et d’autres types de données ne peuvent être obtenus qu’avec une
autorisation du ministre de l’Intérieur.
114. FH a également estimé que la liberté d’expression au Royaume-Uni
était menacée par le développement du «tourisme judiciaire», dans
le cadre duquel des parties établies dans des pays tiers ont engagé
avec succès des actions en Grande-Bretagne pour bâillonner et intimider
des journalistes et d’autres producteurs de contenu. Les lois britanniques
sur la diffamation sont considérées comme favorables aux plaignants
et toute personne peut intenter des poursuites devant un tribunal
britannique dès lors que l’objet du litige est accessible en Grande-Bretagne.
Pour FH, cela semble avoir eu un puissant effet d’inhibition sur
les journalistes d’investigation, entre autres, qui pourrait se
traduire par une autocensure généralisée.
3.4 Pressions politiques,
procédures de diffamation, favoritisme à l’égard de certains médias
et exclusion d’autres médias
115. Dans une démocratie, pour que des relations raisonnables
puissent s’instaurer entre les journalistes, les responsables politiques
et les pouvoirs publics, une ouverture politique est nécessaire.
Cependant, dans certains pays européens, les pouvoirs publics ont
au contraire créé une relation d’hostilité et d’antagonisme affichés.
Parfois, celle-ci a débouché sur l’adoption de lois répressives
à l’égard de la presse, l’accès discriminatoire à l’information
et aux conférences de presse et, dans certains cas, à un climat
d’intimidation incompatible avec les standards européens.
116. Pour l’Assemblée parlementaire, un nombre élevé de poursuites
pour diffamation à l’encontre de journalistes et d’infractions pour
attaques verbales est le signe d’un dysfonctionnement du cadre juridique.
En mars 2007, les services du représentant de l’OSCE pour la liberté
des médias ont constaté qu’au moins 36 Etats membres du Conseil
de l’Europe continuaient de considérer la diffamation comme une
infraction pénale, en dépit des appels invitant à la reconnaître
comme une infraction civile.
117. Des dispositions particulières sont également couramment prises
pour appliquer des sanctions supplémentaires en cas d’insultes visant
les responsables publics, ce qui est contraire aux arrêts de la
Cour européenne des droits de l’homme.
118. En Azerbaïdjan, les services du représentant de l’OSCE pour
la liberté des médias ont condamné l’emprisonnement de deux bloggeurs,
Emin Abdullayev et Adnan Hajizade, accusés de hooliganisme, de terrorisme
et de fraude fiscale. Jugeant qu’il s’agissait là d’accusations
inventées, lesdits services ont exhorté les autorités à cesser de
harceler les deux hommes.
119. En Italie, le Président du Conseil Silvio Berlusconi, dont
l’empire commercial s’étend à plusieurs des chaînes de télévision
les plus populaires d’Italie et à de nombreux journaux, a tiré avantage
de sa position pour renforcer son image politique, par des moyens
vivement critiqués en Italie et à l’étranger. Selon ses détracteurs,
son influence excessive sur les médias modifierait la manière dont
les difficultés de son gouvernement et les scandales touchant à
sa vie privée sont présentés aux Italiens par les médias. Par le passé,
il a menacé des journalistes qui l’avaient critiqué de leur interdire
l’accès à ses conférences de presse. En 2009, il a engagé des poursuites
contre le quotidien espagnol El Pais, à
la suite de la publication de photos embarrassantes prises lors
de l’une de ses fêtes; contre l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, concernant
un article alléguant de liens entre certains responsables politiques
italiens et la mafia russe, et contre deux journaux italiens, notamment La Repubblica, pour avoir publié
à plusieurs reprises une série de questions l’interrogeant sur sa
vie privée et sur ses responsabilités publiques. Les services du
représentant de l’OSCE pour la liberté des médias ont invité M.
Berlusconi à abandonner les actions civiles en diffamation ainsi intentées,
qu’ils considéraient comme une atteinte à la liberté des médias.
Pour ces derniers, l’interpellation permanente du gouvernement constitue
un élément essentiel de la «fonction corrective» des médias.
120. La Lituanie a adopté en 2009 une loi attentatoire à la liberté
d’expression, qui érige en infraction le fait de tourner une personne
en ridicule. La loi a été présentée comme une mesure pour protéger
les enfants contre les effets préjudiciables des informations publiques.
Cependant, elle soulève des préoccupations en ce sens qu’elle pourrait
imposer des restrictions sur les propos satiriques et empêcher la
presse d’exercer son droit à la critique et porter atteinte au droit
du public d’accéder librement à ce type de contenu.
121. En Russie, Article 19 et d’autres organisations protestent
régulièrement contre le recours par le gouvernement à des lois soumettant
la diffamation, l’extrémisme et la sécurité nationale à des sanctions pénales,
pour intimider et poursuivre les journalistes.
122. De nombreux médias et organisations internationales, qui encouragent
les échanges de tous types avec la Russie, ont été scandalisés par
la résiliation des contrats qui avaient été passés avec des radiodiffuseurs internationaux,
tels que la BBC et Radio Liberty/Radio Free Europe, en vue de rediffuser
des programmes de l’étranger sur des fréquences FM de bonne qualité,
privant ainsi les Russes d’une source d’information établie et de
contacts par-delà les frontières de la fédération.
123. En Slovaquie, le Premier ministre Robert Fico a catalogué
une partie des médias comme opposants politiques et a été accusé
de refuser de parler aux journalistes les plus critiques. Une loi
sur la presse accordant un droit de réponse systématique à toute
personne mentionnée dans un article de presse a été critiquée comme
étant de nature à paralyser la liberté de la presse.
124. En Slovénie, plus de 500 journalistes ont signé une pétition
fin 2007 pour protester contre le manque d’indépendance des médias,
et notamment contre la nomination de leurs dirigeants par le gouvernement
du Premier ministre Janez Jansa. Pendant plusieurs mois, le gouvernement
a refusé toute discussion à ce sujet avec les représentants des
journalistes. Par ailleurs, Magnus Berglund, journaliste à la télévision
finlandaise, qui en septembre 2008 a divulgué des informations concernant
la corruption alléguée de hauts responsables slovènes dans le cadre
d’une opération de vente d’armes avec la Finlande, a appris en juillet
de cette année qu’il était accusé de diffamation par le ministère
public slovène.
125. En Espagne, le 13 novembre 2007, le caricaturiste Guillermo
Torres et l’écrivain Manuel Fontdevila se sont vu infliger une amende
de 3 000 euros pour avoir diffamé le prince héritier Felipe dans
un dessin humoristique publié par l’hebdomadaire satirique El Jueves. Au motif qu’il insultait
la famille royale, tous les exemplaires de l’édition de la semaine
ont été retirés de la vente.
126. En Turquie, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan et les
membres de son gouvernement ont mené une campagne de harcèlement
contre le plus grand groupe médiatique du pays, le groupe Dogan,
qui a adopté une attitude d’opposition à l’égard du gouvernement
actuel. Le Premier ministre a appelé publiquement les lecteurs à
boycotter ses publications. En 2008, plusieurs journalistes travaillant
pour le Groupe Dogan, notamment le journal Milliyet, se
sont plaints de ne pas avoir reçu d’accréditation pour assister
aux conférences de presses données par le Premier ministre Erdoğan,
qui aurait ordonné leur inscription sur une liste noire.
127. En septembre 2009, le ministre des Finances turc a infligé
au groupe une amende écrasante de 1,74 milliard d’euros pour irrégularité
fiscale. Peu après, l’amende a été majorée de quelque 30 %, pour
pénalités de retard. Le Comité national de l’IPI en Turquie a fait
observer que l’ensemble des amendes exigées par le gouvernement
excédait la valeur totale du groupe lui-même et équivalait par conséquent
à une saisie et à une liquidation directe d’un organe de presse.
La Commission européenne a condamné cette amende, la jugeant excessive
et dangereuse pour le pluralisme des médias et la liberté d’expression.
128. En janvier 2009, l’IPI a critiqué les poursuites contre des
dessinateurs humoristiques turcs, qui avaient tourné en dérision
d’éminentes personnalités au pouvoir. En janvier 2008, Musa Kurt
et Zafer Temocin, deux caricaturistes du journal Cumhurryet, ont fait l’objet de
poursuites pénales, au motif que leurs caricatures étaient insultantes
pour le chef de l’Etat. Ces actes violent les arrêts de la Cour
européenne des droits de l’homme qui stipulent que les fonctionnaires
de l’Etat ne doivent pas bénéficier d’une plus grande protection contre
les critiques ou les injures que les personnes ordinaires.
3.5 La radiodiffusion
de service public
129. Le Conseil de l’Europe a réaffirmé, dans sa déclaration
politique formulée lors de la conférence ministérielle de mai 2009,
que les médias de service public constituaient un élément fondamental
du paysage médiatique dans les sociétés démocratiques européennes.
Ils étaient importants dans la mesure où leur indépendance éditoriale
et leur autonomie institutionnelle étaient garanties, assurant ainsi
une plus grande diversité des médias. Les ministres ont souligné
que, de par leur indépendance statutaire et leur rôle public, la télévision
et la radio de service public pouvaient contrebalancer les abus
de pouvoir dans les situations de forte concentration des médias.
130. Il conviendrait de souligner la nécessité de protéger la radiodiffusion
de service public (RSP) contre les ingérences politiques par des
règles statutaires et une culture interne d’équité, d’équilibre
et d’indépendance.
131. Cependant, la survie de l’ancien modèle européen de RSP, fondé
sur une indépendance encouragée par le public et financé par un
système de redevance, est menacée par la concurrence commerciale,
la perte de parts d’audience et l’ingérence politique.
132. L’Open Society Institute (OSI), dans son étude de 2008 («La
télévision en Europe: plus de chaînes, moins d’indépendance») a
constaté que la politisation des instances de réglementation avait
pris des proportions inquiétantes dans toute l’Europe.
133. Selon cette étude, la politisation de la radiodiffusion publique
peut être clairement observée en Pologne, en Roumanie et en Slovaquie.
La nouvelle loi polonaise sur les médias prévoit par exemple de
supprimer la redevance télévisuelle et la redevance radiophonique
en 2010 et de les remplacer par des aides financières. Les services
du représentant de l’OSCE pour la liberté des médias redoutaient,
en juillet 2007, que de telles réformes nuisent à l’indépendance
financière et éditoriale de la RSP et accélèrent sa transformation
en entités commerciales.
134. L’OSI a critiqué le caractère politique des nominations des
membres des Conseils de la radiodiffusion bulgare, tchèque et roumain,
ainsi que leur manque de compétences. En Lituanie, selon l’OSI,
l’hostilité de la population à la redevance et les coupes budgétaires
planifiées laissent prévoir le déclin à long terme de la RSP. Il
a été demandé à l’Ukraine de modifier sa loi sur la télévision et
la radio, de façon à limiter les pouvoirs dont dispose actuellement
le Président en matière de nomination des membres du Conseil de
la radiodiffusion.
135. En Italie, le Premier ministre, Silvio Berlusconi, dont les
intérêts économiques s’étendent aussi à une bonne partie des chaînes
de radiodiffusion privées du pays, a bloqué l’adoption de dispositions
tendant à strictement interdire le conflit d’intérêts. Un projet
de loi visant à garantir l’indépendance du radiodiffuseur public
RAI vis-à-vis de l’influence politique n’a pas été adopté.
136. En Allemagne et en Autriche, on peut reprocher au système
actuel, dans lequel la nomination des cadres dirigeants et des rédacteurs
en chef dans sa radiodiffusion publique doit refléter les forces
politiques en présence, de nuire à l’indépendance journalistique
en tenant compte ouvertement des affiliations politiques. En Autriche,
des journalistes de la télévision et de la radio ont remis en question
certaines consignes relatives à la couverture des actualités, qui
les invitaient à choisir les informations présentées et leur ordre
de passage en fonction de considérations politiques.
137. En France, selon Article 19, l’indépendance de la RSP est
menacée par un nouveau système imposé en 2009 par le Président Sarkozy,
qui peut désormais nommer lui-même les présidents des réseaux de radiodiffusion
publics français. Les changements introduits ont entraîné une très
longue grève du personnel de Radio France international en mars
2009, qui protestait contre la suppression programmée de 200 emplois.
138. En Russie, la structure de radiodiffusion contrôlée par l’Etat
est très éloignée du concept de RSP, à savoir un système fondé sur
des règles d’impartialité claires et jouissant d’une véritable indépendance statutaire.
139. Les Etats arménien, azerbaïdjanais et bélarussien continuent
d’exercer un strict contrôle sur la gestion et les activités de
leurs réseaux de télévision nationaux. Des pressions sont toutefois
exercées sur ces Etats pour qu’ils desserrent peu à peu leur étau.
A titre d’exemple, l’Arménie a été instamment invitée par un arrêt de
la Cour européenne des droits de l’homme à autoriser la délivrance
d’une nouvelle licence de radiodiffusion à la chaîne de télévision
indépendante et populaire A1+, à qui elle avait été retirée en 2002.
4 Catégorie C: journalistes,
société civile et déontologie professionnelle
140. La liberté et l’intégrité des médias sont également
menacées de l’intérieur par d’intenses pressions économiques, par
des comportements contraires à la déontologie professionnelle et
par la perte de confiance du public qui en résulte.
4.1 Les pressions de
l’économie et des propriétaires
141. Les technologies numériques et mobiles ont radicalement
transformé le paysage médiatique, avec le développement de nouveaux
formats et de nouvelles plates-formes de diffusion sur l’internet
et la généralisation du concept d’«actualités gratuites» pour l’ensemble
des consommateurs. Il en résulte une faillite des anciens modèles
économiques. Avec les nouveaux médias, la distinction entre radiodiffusion traditionnelle,
presse écrite et communications personnelles tend à s’estomper et
on assiste à une «convergence» des différents modes de communication.
De même, la frontière séparant le journalisme professionnel du «journalisme
citoyen» ou des réseaux sociaux est de plus en plus floue. Cette
évolution représente un immense défi pour la liberté et l’indépendance
des médias, ainsi que pour la qualité du journalisme.
142. La baisse spectaculaire des recettes issues de la publicité
et des ventes des médias traditionnels a encore été aggravée par
la crise financière survenue à la fin 2008.
143. La liberté des médias est directement remise en cause lorsque
des propriétaires, moins préoccupés par la prospérité et la réputation
d’une organisation et de ses salariés que par leurs intérêts politiques
et les profits économiques, prennent le contrôle d’organes de presse.
144. En France, plusieurs journaux nationaux de premier plan sont
récemment passés aux mains de grands groupes, dont les liens avec
le gouvernement sont de notoriété publique. En juin 2007, les trois
principaux syndicats de la presse ont fait par de leurs inquiétudes
quant au risque d’une manipulation des médias par les milieux d’affaires
et ont demandé de nouvelles garanties pour assurer l’indépendance
éditoriale.
145. Partout ailleurs, notamment en Italie et en Russie, les observateurs
des médias font état d’un phénomène de «concentration des pouvoirs
politique et médiatique» entre les mains de forces politiques ou d’individus
particuliers, qui tend à entraver le pluralisme et l’indépendance
des médias.
146. La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a attiré
l’attention sur la précarité croissante du métier de journaliste
et sur l’augmentation considérable du nombre de journalistes obligés
de travailler à titre indépendant ou dans le cadre de contrats à
durée déterminée: plus vulnérables aux pressions, ils sont davantage
tentés d’adapter leur travail pour faire plaisir aux rédacteurs
en chef ou à leurs sources d’information.
147. Dans de nombreux Etats, les syndicats continuent de déplorer
les traitements injustes ou le manque de reconnaissance dont ils
font l’objet lorsqu’ils exigent que les contrats de travail ou les
garanties d’indépendance éditoriale soient respectés. En Turquie,
en juin 2009, les membres du syndicat de journalistes Haber-Sen
ont publié une déclaration protestant contre le contrôle exercé
par le gouvernement sur le radiodiffuseur public TNT.
4.2 Non-respect de
la déontologie professionnelle, confiance du public dans les médias
et examens au niveau national des lois restreignant la liberté d’expression
148. La liberté des médias dans une démocratie dépend
en partie du maintien de normes professionnelles satisfaisantes,
qui à leur tour favorisent la confiance du public. Dans les Etats
qui jouissent d’une presse libre, l’autorégulation est généralement
mieux acceptée que les contrôles et l’intervention de l’Etat.
149. Cependant, seulement une moitié environ des Etats membres
du Conseil de l’Europe possèdent des conseils de la presse ou d’autres
instances d’autorégulation jouissant d’une réelle autorité et ayant
mis en place des normes éthiques et juridiques claires pour encadrer
la pratique du journalisme. Bien souvent, les règles de protection
de la vie privée sont insuffisantes et inadaptées.
150. Dans toute l’Europe, de grands organes de presse, y compris
des radiodiffuseurs publics ont été critiqués pour leurs manquements
à la déontologie journalistique: informations mensongères, manipulation d’émissions
de jeux télévisés dans le but de générer de l’audience ou des profits,
place excessive donnée à la célébrité et aux affaires à sensation,
non-respect des règles de bon goût et de décence.
151. Consciente de ces dérives, la FIJ a lancé en 2008 l’Initiative
pour un journalisme éthique, visant à ramener le journalisme vers
des valeurs de vérité, d’impartialité, d’indépendance et de responsabilité
sociale. Selon la FIJ, de nombreux médias n’ont pas été à la hauteur
des principaux enjeux. En effet, plutôt que de sensibiliser l’opinion
publique et de lutter contre l’ignorance à l’égard des personnes
d’origine ou de confession différentes, les médias ont alimenté
le feu de l’intolérance et du racisme. De tels comportements contribuent
à jeter le discrédit sur le journalisme, surtout lorsque – comme
c’est malheureusement souvent le cas – ils relèvent de pratiques
illégales.
152. Dans une étude de 2008, l’Association des journalistes européens
imputait la baisse de confiance dans les médias en Europe à la croyance
populaire selon laquelle les journalistes ne diraient pas la vérité
et ne seraient pas indépendants. L’AJE a souligné que huit journalistes
de la télévision nationale russe ont démissionné pour protester
contre une nouvelle politique visant à exclure des ondes des personnalités
de l’opposition figurant dans une «liste noire» officielle.
153. Dans la plupart des Etats, les médias sont au cœur de vifs
débats: conflits opposant les grands médias aux responsables politiques,
basculement vers le numérique, etc. De véritables études sur la
situation de la liberté des médias et les causes de violations majeures
pourraient avoir des effets positifs, à condition qu’elles soient
menées en toute impartialité et avec la pleine participation de
médias réellement indépendants, de responsables politiques et des
pouvoirs publics. Pour qu’elles soient crédibles, ces études devront
conduire à l’abrogation ou à la modification des lois et des pratiques
dont il apparaît qu’elles violent les engagements des Etats en matière
de liberté d’expression.
154. Il importe que les Etats respectent spontanément et sans tarder
leur engagement de procéder à un examen transparent et approfondi
de leurs législations nationales, afin de veiller à ce que tout
impact des mesures de lutte contre le terrorisme sur le droit à
la liberté d’expression et d’information soit conforme aux normes
du Conseil de l’Europe, comme convenu dans la résolution adoptée
lors de la Conférence ministérielle de Reykjavík en mai 2009 (document
MCM (2009) 011).
155. Pour renforcer la liberté des médias, il est, entre autres,
essentiel de reconnaître que les radiodiffuseurs de service public
ont un rôle important à jouer dans le paysage médiatique, tant sur
les plates-formes existantes que sur les nouvelles, à condition
qu’ils assument leurs responsabilités et qu’ils soient dotés de moyens
suffisants. Ils doivent donc être développés dans certains Etats
européens et protégés dans d’autres.
***
Commission chargée du rapport: commission
de la culture, de la science et de l’éducation
Renvois en commission:Doc. 11505, Renvoi
3419 du 14 avril 2008
Projet de recommandation adopté
à l’unanimité par la commission le 8 décembre 2009
Membres de la commission: Mme
Anne Brasseur (Présidente),
M. Detlef Dzembritzki (1er Vice-Président), M. Mehmet Tekelioğlu (2e Vice-Président),
Mme Miroslava Němcová (3e
Vice-Présidente), M. Florin Serghei Anghel, M. Lokman Ayva, M. Walter Bartoš, Mme Deborah Bergamini,
Mme Oksana Bilozir, Mme Guðfinna S. Bjarnadóttir, Mme Rossana Boldi,
M. Petru Călian (remplaçante: Mme Mihaela Stoica),
M. Joan Cartes Ivern, Lord Chidgey,
M. Miklós Csapody, Mme Lena Dąbkowska-Cichocka,
M. Joseph Debono Grech, M. Daniel Ducarme, Mme Anke Eymer, M. Gianni Farina, Mme Blanca Fernández-Capel Baños (remplaçant: M. Gabino PucheRodríguez-Acosta),
Mme Emelina FernándezSoriano, M. Axel Fischer, M. Gvozden Srećko Flego, M. Dario Franceschini, M. José Freire Antunes
(remplaçant: M. José Luís Arnaut),
M. Martin Graf, Mme Sylvi Graham, M. Oliver Heald, M. Rafael Huseynov,
M. Fazail İbrahimli, M. Mogens Jensen, M. Morgan Johansson, Mme
Francine John-Calame, M. Jón Jónsson, Mme Flora Kadriu, Mme Liana
Kanelli, M. Jan Kaźmierczak,
Mme Cecilia Keaveney, Mme Svetlana Khorkina, M. Serhii Kivalov,
M. Anatoliy Korobeynikov,
Mme Elvira Kovács, M. József Kozma, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Ertuğrul Kumcuoğlu, Mme Dalia Kuodytė, M.
Markku Laukkanen, M. René
van der Linden, Mme Milica Marković,
Mme Muriel Marland-Militello, M. Andrew McIntosh,
Mme Maria Manuela de Melo, Mme Assunta Meloni, M. Paskal Milo, Mme
Christine Muttonen, M. Tomislav
Nikolić, Mme Anna Ntalara, M. Edward O’Hara,
M. Kent Olsson, Mme Antigoni Papadopoulos, M. Petar Petrov, Mme
Zaruhi Postanjyan, Mme Adoración
Quesada Bravo, M. Frédéric Reiss, Mme Mailis Reps, Mme Andreja Rihter, M. Nicolae Robu, Mme Tatiana
Rosová, Mme Anta Rugāte, M. Leander Schädler, M. André Schneider,
M. Predrag Sekulić, M. Yury Solonin, M. Christophe Steiner, Mme Doris
Stump, M. Valeriy Sudarenkov,
M. Petro Symonenko, M. Guiorgui Targamadzé, M. Latchezar Toshev, M. Hugo Vandenberghe, M.
Klaas De Vries, M. Piotr Wach,
M. Wolfgang Wodarg
N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont
indiqués en gras
Secrétariat de la commission: M. Ary, M. Dossow, M. Fuchs