B Exposé
des motifs, par Mme Pejčinović-Burić, rapporteure
1 Introduction
1. La Charte sociale européenne révisée
Note (partie I, paragraphe 1) affirme que
«toute personne doit avoir la possibilité de gagner sa vie par un
travail librement entrepris». L’article 1 garantit le droit au travail
et souligne que les Parties contractantes ont la responsabilité
d’atteindre et de maintenir un niveau d’emploi élevé et stable en
vue de la réalisation du plein emploi. Par conséquent, il appartient
aux Etats membres du Conseil de l’Europe de chercher à protéger
de façon efficace les droits socio-économiques de leur population,
en visant donc à fournir des services de l’emploi gratuits pour
tous les travailleurs ainsi qu’une orientation, une formation et
une réadaptation professionnelles appropriées.
2. La population mondiale comprend actuellement 1,2 milliard
de jeunes âgés de 15 à 24 ans. Ce groupe représente une part importante
de la population active mondiale (24,7%), et plus importante encore
de la population mondiale au chômage (43,7%)
Note. Dans les 27 pays
de l’Union européenne, le taux de chômage des jeunes est deux fois
plus élevé que pour le reste de la population active (20,9% contre
9,6% en 2010) et il n’a pas cessé d’augmenter en 2010. La situation
est analogue dans les pays non membres de l’Union européenne situés
en Europe centrale et orientale, où un jeune actif sur cinq était
au chômage en 2010
Note. Le chômage frappe donc les jeunes de manière
disproportionnée, un problème auquel le Conseil de l’Europe doit
s’efforcer de proposer des solutions.
2 Les effets
de la mondialisation
2.1 L’Europe face à
des économies émergentes de plus en plus dynamiques et les conséquences
qui en découlent
3. L’économie mondiale subit des mutations qui ne sont
pas sans affecter l’Europe. La mondialisation est en effet un phénomène
paradoxal: d’une part, elle permet de réduire la pauvreté dans certains
domaines, mais, d’autre part, elle crée de nouvelles inégalités.
C’est la mondialisation qui a révélé le manque de compétitivité de
l’Europe face à des économies émergentes pleines de dynamisme.
4. Ces économies émergentes attirent davantage les investisseurs
grâce à des coûts plus bas et aux opportunités de développement
plus conséquentes qu’elles peuvent offrir. Les technologies de l’information
et de la communication (TIC) modernes, les réseaux de transport
internationaux et une main-d’œuvre très flexible leur permettent
de multiplier les échanges commerciaux. La tendance observée au
niveau mondial montre également que les économies émergentes enregistrent
une croissance bien plus importante que celle des pays développés.
De plus, l’expérience acquise par ces économies dans le domaine
des hautes technologies leur donne aujourd’hui les moyens d’opposer
une concurrence sérieuse à l’industrie européenne. L’Europe a perdu
en compétitivité et il est désormais plus difficile pour les économies
nationales de tirer leur épingle du jeu. Les systèmes ou modèles
sociaux européens font obstacle à l’abaissement des coûts de production,
c’est pourquoi la réussite des entreprises européennes repose toujours
davantage sur des stratégies de différenciation (par la qualité
des produits).
5. Il est évident que la mondialisation a eu un impact sur le
marché du travail européen. Les entreprises européennes n’ont pas
le choix: elles sont contraintes de se spécialiser dans des activités
qui nécessitent plus de capital et de talents que de main-d’œuvre
de base, ce qui implique une réduction des effectifs. Par conséquent,
la plupart des économies européennes recherchent de plus en plus
un personnel hautement qualifié afin de rester compétitives. Dans
ce contexte, les jeunes actifs pourraient jouer un rôle déterminant pour
relever le défi de la compétitivité; c’est l’une des raisons pour
lesquelles le problème du chômage des jeunes doit être résolu.
2.2 L’impératif de
compétitivité et ses conséquences pour les jeunes Européens sur
le marché du travail
6. La nécessité d’être compétitives a contraint les
entreprises européennes à faire des choix. Or, elles n’ont pas beaucoup
d’options pour survivre dans une économie mondialisée. Elles peuvent
choisir unestratégie de différenciationconsistant à rendre les produits
compétitifs d’une manière ou d’une autre (par exemple, en insistant
sur la qualité, l’innovation et la valeur ajoutée élevée des produits
ou en exploitant des niches de marché). En même temps, mener une
politique de prix bas en réduisant les coûts de production peut
aussi être considéré comme visant le même objectif.
7. Dans le cas d’une stratégie de différenciation, les entreprises
doivent investir dans la recherche-développement et miser autant
que possible sur l’innovation. Et pour maximiser les chances de
réussite dans ce cadre, il leur faut recruter du personnel hautement
qualifié. Du côté des candidats, l’important n’est pas seulement
d’avoir des diplômes, mais surtout de posséder les qualifications
requises sur le marché du travail. Les systèmes européens d’éducation
ne dispensent pas toujours une formation adaptée aux besoins particuliers
du marché. Par ailleurs, la recherche de personnes plus qualifiées
peut avoir pour conséquence une réduction des emplois faiblement
qualifiés, car cette stratégie va généralement de pair avec une augmentation
de l’intensité capitalistiqueau
détriment du facteur travail.
8. Si les entreprises ont pour but de réduire les coûts de production,
différentes options s’offrent à elles. Elles peuvent choisir d’améliorer
la productivitéen se fondant
sur davantage de flexibilité et d’efficience, ou en réduisant la
masse salariale. Dans les
deux cas, la rigidité du marché du travail peut constituer un obstacle
de taille. Moins le marché est réglementé, plus il est facile d’être
flexible et plus les coûts sont bas. Cela étant, la recherche d’une
flexibilité toujours plus grande, d’une mobilité et d’un allégement
du droit du travail affectera sans aucun doute négativement les
conditions de travail et la stabilité de l’emploi.
9. Tout cela nuit à l’emploi des jeunes, même si les retombées
négatives varient en fonction des décisions prises par les entreprises
et les responsables politiques. Ces décisions influent en effet
soit sur les conditions de travail des jeunes, soit sur les opportunités
qu’ils ont – ou non – de trouver un travail à l’issue de leurs études.
Il faut de plus faire une distinction entre jeunes actifs peu qualifiés
et jeunes actifs hautement qualifiés: certaines politiques favorables
aux uns peuvent pénaliser les autres. La diminution des chances
de trouver un emploi officiel fait augmenter la probabilité que
des jeunes basculent dans l’économie souterraine et occupent des
emplois non déclarés.
10. La
Insider-Outsider Theory of Employment
and Unemployment («la théorie Insiders/Outsiders»)
Note, apporte un éclairage intéressant
sur la question qui nous préoccupe ici. Selon cette théorie, le
marché du travail est segmenté:
on
trouve d’un côté les personnes déjà intégrées dans une entreprise,
et de l’autre celles qui cherchent un emploi. Cela s’explique principalement
par le coût élevé que représente l’intégration de nouveaux employés
pour les entreprises; celles-ci préfèrent augmenter la rémunération
de leur personnel déjà en place (les
insiders)
plutôt que d’embaucher de nouvelles recrues (les
outsiders): c’est l’option souvent
la moins coûteuse.
11. Le taux de chômage des jeunes est supérieur au taux de chômage
total et ils sont les premiers touchés par les crises économiques.
Les raisons de ce phénomène sont multiples. Il ne faut pas oublier
que les jeunes qui veulent accéder au marché du travail se trouvent
confrontés à des barrières inhérentes à ce marché. Le manque d’expérience
et le coût élevé de la formation de nouveaux venus représentent
toujours des handicaps pour les jeunes, même lorsqu’ils sont qualifiés
et qu’ils viennent de terminer leurs études.
12. Les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) montrent que l’Allemagne, l’Espagne, la France,
la Pologne, la Slovénie et la Suède comptent un nombre relativement important
de travailleurs temporaires. A l’inverse, au Danemark, en Estonie,
en Hongrie, en République slovaque et au Royaume-Uni, la proportion
de travailleurs temporaires est moindre. La fréquence des contrats temporaires
est l’une des raisons pour lesquelles le chômage des jeunes est
plus sensible à la conjoncture dans certains pays d’Europe de l’Ouest
et dans les économies en transition d’Europe centrale
Note.
3 Le chômage des
jeunes: une situation préoccupante
3.1 Un chômage en hausse
et qui touche particulièrement les jeunes
13. D’après Eurostat, le taux de chômage des jeunes est
défini comme la proportion de chômeurs âgés de 15 à 24 ans par rapport
à la population active (personnes occupant ou non un emploi) dans
la même tranche d’âge. Ce groupe d’âge représente de 10% (par exemple
en Italie) jusqu’à 17% (en Turquie) de la population totale en Europe
Note.
Les études publiées par Eurostat soulignent que le taux de chômage
des jeunes est très supérieur au taux de chômage total de la population.
Cela étant, ces données sont à manier avec prudence: en effet, nombre
de jeunes ne se trouvent pas sur le marché du travail, soit parce
qu’ils sont encore élèves ou étudiants, soit parce qu’ils ne sont
pas à la recherche d’un emploi, ce qui fausse le calcul du taux
de chômage. Elles indiquent néanmoins que les jeunes rencontrent
des difficultés spécifiques dans leur recherche d’emploi. Le chômage
des jeunes touche aujourd’hui quelque 15 millions de personnes dans
la zone OCDE et concerne presque 19% de la population active entre
15 et 24 ans. Dans les pays de l’Union européenne, le chômage des
jeunes a augmenté ces trois dernières années, de 14,9% au début
de 2008 à 20,9% à la fin de 2010. Ce pourcentage varie considérablement
selon les pays, pour atteindre par exemple 42% en Espagne, 35% en Lettonie
et Lituanie, et 34% en Slovaquie (voir aussi le tableau figurant
en annexe)
Note.
14. La forte hausse du chômage des jeunes n’est pas un problème
nouveau; c’est un fléau qui sévit en Europe depuis plusieurs années,
comme en témoignent les nombreux articles et rapports consacrés
à la question ainsi que les multiples mesures adoptées depuis dix
ans. La rapporteure souligne cependant que les améliorations apportées
aux politiques publiques de l’emploi n’ont pas suffi à résoudre
le problème. Il faut employer des remèdes plus efficaces.
15. La crise économique actuelle a, de plus, entraîné une baisse
de l’activité économique qui s’est répercutée de façon négative
sur le marché du travail dans les pays européens et a eu des conséquences catastrophiques
sur le taux de chômage et la création d’emplois dans le monde entier.
Les jeunes se trouvent dans une situation encore plus grave que
d’autres catégories de la population, car le marché du travail n’a
pas la capacité d’absorber une population active jeune de plus en
plus nombreuse. Avant de proposer des solutions, il est indispensable
de déterminer les causes principales du problème et de comprendre
pourquoi les jeunes sont plus touchés par la crise que le reste
de la population active.
16. L’effet dévastateur de la crise sur l’emploi des jeunes peut
s’expliquer par le fait que la plupart d’entre eux ont été embauchés
par le biais de contrats temporaires. Selon diverses estimations
en Europe, environ 40% des jeunes travailleurs – et parfois plus
de 60% dans certains pays, par exemple en Espagne, Pologne et Slovénie
– avaient de tels contrats en 2007, contre environ 18% pour le reste
de la main-d’œuvre. Une telle situation s’explique seulement partiellement
du fait que certains jeunes cherchent un emploi temporaire tout en
étudiant; mais une majorité de jeunes Européens sont sous contrat
temporaire parce qu’ils ne peuvent pas trouver de travail permanent.
Ce type de contrat permet aux entreprises de licencier facilement
leurs employés en cas de ralentissement de l’activité économique,
ce qui augmente le risque pour les jeunes de perdre leur emploi
en temps de crise. Les jeunes actifs sont souvent les derniers recrutés
et les premiers licenciés: c’est ce que l’on appelle le système
de licenciement last-in first-out,
ou règle du «dernier entré, premier sorti». En période de crise,
la plupart des entreprises choisissent en effet de se passer de
nouvelles recrues peu expérimentées, dont la formation aurait un
coût élevé. En cas de non-renouvellement des contrats et de gel des
embauches par les entreprises, les nouveaux venus sur le marché
du travail sont donc les premiers touchés.
17. Un autre facteur permet d’expliquer la forte hausse du chômage
des jeunes: ceux-ci travaillent souvent dans des secteurs sensibles
à la conjoncture, par exemple le bâtiment. En France, la crise a
ainsi frappé de plein fouet la main-d’œuvre masculine jeune et faiblement
qualifiée employée dans ces secteurs. En conséquence, depuis le
troisième trimestre 2008
Note,
pour la première fois en France, le taux de chômage des jeunes hommes
dépasse celui des jeunes femmes. On observe également la même tendance
dans d’autres pays européens.
18. En temps de crise économique, le nombre de départs à la retraite
anticipés diminue. En outre, l’âge de départ à la retraite a été
relevé en Europe ces dernières années en tenant compte des tendances démographiques.
Les postes disponibles pour les jeunes sont donc moins nombreux,
ce qui contribue à faire augmenter le taux de chômage dans cette
tranche d’âge. Les statistiques de l’OCDE font état d’une augmentation
sensible de l’emploi des 55-64 ans ces deux dernières années
Note. La même tendance
est perceptible dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
Note,
avec une augmentation de 10% en moyenne du taux d’activité des 55-64 ans
pendant la même période. Une explication possible: les actifs de
cette tranche d’âge souhaitent conserver leur emploi plus longtemps
afin d’améliorer leur situation financière pour leur retraite. Dans
certains pays, en effet, nombre de salariés qui ont vu fondre leurs
économies du fait de la crise sont déterminés à les reconstituer
en travaillant quelques années de plus.
3.2 Les différentes
catégories de jeunes
19. Certaines catégories de jeunes courent un plus grand
risque de perdre le contact avec le marché du travail. Les études
de l’OCDE distinguent quatre groupes: les «performants», les «débutants
en mal d’insertion», les «laissés pour compte» et
les
«raccrocheurs».
Les «performants» sont en situation d’emploi pendant la majorité
du temps et il leur faut moins de six mois pour trouver un emploi
à l’issue de leurs études. Les «raccrocheurs» sont des jeunes qui
décident de terminer leur formation secondaire ou de faire des études supérieures
à la suite d’une expérience décevante sur le marché du travail.
Les «laissés pour compte» sont des jeunes sans diplôme, issus de
l’immigration/d’une minorité et/ou vivant dans des zones défavorisées/rurales/isolées.
Ce groupe fait référence à ceux qui ne sont
ni
au travail ni scolarisés ou en formation (NEET:
neither in employment, nor in education or
training). Les «débutants en mal d’insertion» sont souvent
qualifiés, mais ils ont des difficultés à trouver un emploi stable,
même en période de croissance économique. Ils connaissent de fréquents
allers-retours entre emplois temporaires et chômage ou inactivité
Note.
20. Les «débutants en mal d’insertion» et les «laissés pour compte»
risquent fortement de perdre le contact avec le marché du travail.
Ces deux catégories existent dans tous les pays de l’OCDE, mais
la seconde est particulièrement importante dans des pays comme l’Espagne,
la France, la Grèce, l’Italie et le Japon. L’Etat devrait aider
ces jeunes dans leur recherche d’emploi dès la fin de leurs études,
par exemple en leur offrant la possibilité de participer à des programmes
délivrant une qualification reconnue ou un diplôme. Concernant les «débutants
en mal d’insertion», les pouvoirs publics doivent veiller à ce que
ces jeunes trouvent rapidement un emploi stable qui leur offre de
meilleures perspectives de carrière.
21. La rapporteure souligne que les tendances générales de l’emploi
peuvent aussi s’appliquer aux jeunes. Par exemple, lesinégalités entre les hommes et
les femmes semblent également pénaliser les jeunes femmes. Un seul
facteur leur est favorable: dans l’ensemble, elles sont moins représentées
dans les secteurs sensibles aux variations conjoncturelles et par
conséquent moins touchées par les périodes de ralentissement économique.
Toutefois, à l’avenir, les jeunes femmes pourraient être davantage
touchées étant donné que les secteurs dans lesquels elles sont le
plus souvent employées (le secteur public, la santé, l’éducation,
les services sociaux, etc.) seront frappés par l’austérité budgétaire
dans de nombreux pays européens.
22. De même, les personnes handicapéessont
régulièrement victimes de discrimination sur le marché du travail
et la question de l’emploi des jeunes handicapés doit être spécifiquement
prise en compte.
23. Plus on s’attaque tôt aux problèmes, moins il s’en pose par
la suite. De plus, en ce qui concerne la discrimination, des mesures
plus efficaces doivent être prises pour en traiter les causes et
limiter les répercussions possibles sur toute la population. Les
pays européens doivent également adapter leurs politiques afin d’améliorer
le soutien spécifique aux groupes les plus vulnérables.
4 Les problèmes structurels
liés aux systèmes éducatifs
4.1 L’incidence du
niveau d’études sur l’emploi des jeunes
24. Il existe généralement une forte corrélation
entre le taux d’emploi et le niveau
d’études: plus celui-ci est élevé, plus grandes sont les chances
d’éviter le chômage. Dans la plupart des secteurs économiques, entre 20
et 40% des jeunes travailleurs suivent aussi un enseignement formel.
Dans les pays de l’Union européenne, la moitié des jeunes travailleurs
sont employés dans des emplois basiques ou peu qualifiés; cette
proportion se réduit à 35% pour le groupe d’âge suivant étant donné
que les jeunes à la recherche d’un emploi possèdent un diplôme et
des qualifications plus élevées. Selon les statistiques de l’OCDE,
l’Italie est le seul pays de l’OCDE où le taux d’emploi des jeunes
âgés entre 15 et 29 ans qui ont un diplôme du secondaire supérieur
est plus élevé que celui des jeunes qui ont un diplôme de l’enseignement
supérieur
Note.
Certes, l’intérêt d’un solide niveau d’études dépend des caractéristiques
économiques du pays, dans la mesure où celles-ci influent sur les
compétences demandées sur le marché du travail. Néanmoins, posséder
un diplôme d’éducation élevé confère un avantage relatif sur le
marché du travail.
25. Du point de vue de l’employeur, notamment dans le contexte
de la mondialisation, «il est essentiel de disposer d’un capital
humain bien formé, capable non seulement de s’adapter aux nouvelles
technologies et de les utiliser, mais aussi de repousser les frontières
technologiques»
Note.
Les employeurs sont réticents à l’idée d’embaucher «de jeunes travailleurs
qui n’ont pas les compétences souhaitées»
Note en
raison du coût de la formation et de l’adaptation au cadre de travail.
On rejoint ici la théorie
Insiders-Outsiders, décrite
au chapitre 2.2. Cette théorie peut aider à expliquer certaines
difficultés que rencontrent les jeunes sur le marché du travail, en
particulier ceux qui ont un faible niveau d’études et ne peuvent
de ce fait se prévaloir d’aucun avantage comparatif par rapport
aux
insiders.
26. L’un des principaux problèmes relevés dans les rapports institutionnels
sur le chômage des jeunes est la question du décrochage scolaire.
Il apparaît que, si trop de jeunes quittent l’école prématurément
(éducation secondaire de base), les pays sont exposés à un risque
accru de chômage de longue durée. En Espagne, par exemple, «un jeune
sur quatre quitte le système scolaire avant la fin du secondaire
supérieur, qui est considéré comme le niveau de compétences minimum
pour s’insérer aujourd’hui sur le marché du travail»
Note. Même si la situation est meilleure
dans d’autres pays de l’OCDE, la question du décrochage scolaire
doit être traitée en priorité dans une perspective de prévention
de l’exclusion sociale des jeunes. Cette question peut être mise en
relation avec le taux croissant de jeunes NEET (ni au travail ni
scolarisés ou en formation): en effet, la probabilité pour un jeune
de devenir un «NEET» est supérieure lorsqu’il quitte l’école trop
tôt sans avoir acquis des qualifications. Ces jeunes, qui présentent
un «risque élevé d’échec sur le marché du travail et d’exclusion sociale»
Note, représentaient en moyenne 11%
des 15-24 ans dans les pays membres de l’OCDE en 2007
Note, environ
15% dans l’Union européenne des 27 (mais environ 36% à Malte et
au Portugal), 28% en Islande et presque 48% en Turquie. A quelques
exceptions près, les jeunes hommes sont plus nombreux que les jeunes femmes
à abandonner l’école.
27. Pour parvenir à des emplois stables et à des contrats à long
terme,
le niveau d’études
est également un facteur déterminant. Il est indéniable que la plupart
des jeunes sont recrutés sur des contrats à durée déterminée. Cependant,
les conséquences sur la carrière future ne sont pas les mêmes selon
le niveau d’études. Il n’est pas justifié de condamner les contrats
à durée déterminée, dans la mesure où il est prouvé qu’ils peuvent
permettre à certains jeunes «de rebondir vers des emplois permanents
[plutôt que d’]entrer dans la précarité»
Note.
Pour autant, la probabilité d’obtenir un emploi permanent à l’issue
d’un contrat temporaire ou même après une période de chômage est
toujours plus grande pour les jeunes hautement qualifiés.
4.2 La transition de
l’école à l’emploi
28. Par transition de l’école à l’emploi, on entend la
période entre la fin des études et le moment où le jeune trouve
un emploi. La durée de cette transition varie selon les pays, et
certains jeunes rencontrent plus de difficultés que d’autres. De
surcroît, «de nombreux jeunes changent de statut sur le marché du
travail (…) avant de trouver un emploi qui leur offre des perspectives
de carrière et une certaine stabilité
Note.
Peu de jeunes entrent sur le marché du travail immédiatement après
avoir quitté l’école. Deux groupes de jeunes rencontrent des difficultés
particulières sur le marché du travail: les «laissés pour compte»
et les «débutants en mal d’insertion». Le premier de ces groupes
requiert une assistance spécifique pour éviter le piège du chômage
et de l’inactivité de longue durée. Etant donné que ces jeunes semblent
cumuler les handicaps, il devrait être possible de les repérer avant
que leur situation devienne irrémédiable. Le second groupe est plutôt
caractérisé par une vie professionnelle instable, alternant contrats
temporaires et périodes de chômage. De l’avis de la rapporteure,
il importe de remédier à la situation de ces deux catégories de
jeunes pour qui la transition de l’école à l’emploi est particulièrement
difficile.
29. Tout d’abord, il convient d’améliorer la transition de l’école
à l’emploi pour limiter le chômage de longue durée, lié à l’augmentation
de la proportion de NEET parmi les jeunes. Ces jeunes en difficulté
ont besoin d’aide soit pour trouver rapidement un emploi, soit pour
entreprendre un programme de formation. Par ailleurs, il faut trouver
une solution pour que les emplois temporaires deviennent réellement
un tremplin vers «des emplois plus stables et plus prometteurs»
Note.
Les pays européens doivent travailler à ces objectifs pour chercher
à résoudre le problème des «jeunes laissés pour compte» et la question
des contrats précaires qui accroissent le risque de chômage en période
de ralentissement économique.
30. D’après les études de l’OCDE, la transition de l’école au
travail se déroule mieux sur les marchés du travail moins réglementés,
car l’instabilité liée aux contrats temporaires pour les nouveaux
entrants semble y être compensée par la flexibilité du marché. En
outre, la transition est généralement plus aisée et plus rapide pour
les jeunes qui ont au moins une qualification du niveau secondaire
supérieur. Enfin, dans les pays où les programmes d’apprentissage
et les systèmes de formation en alternance sont bien développés,
les jeunes rencontrent moins de difficultés pour effectuer cette
transition. La rapporteure est néanmoins persuadée que toute situation
peut être améliorée et que la question de la transition de l’école
au travail est l’un des principaux problèmes auxquels les Etats
membres devraient s’attaquer.
5 Les conséquences
du chômage des jeunes
5.1 Les conséquences
pour les jeunes
31. Au niveau mondial, plus d’un tiers des jeunes sont
au chômage, ont complètement renoncé à chercher un emploi (chômeurs
découragés), ou ont un emploi mais vivent en dessous du seuil de
pauvreté de 2 $US par jour (travailleurs pauvres). On évalue à 152
millions le nombre de jeunes travailleurs pauvres vivant dans l’extrême
pauvreté avec moins de 1,25 $US par jour, soit 28% des jeunes ayant
un emploi (chiffres de 2008)
Note. Le rapport de l’Organisation internationale
du travail (OIT) sur les tendances générales de l’emploi des jeunes en
2010 indique que 81 sur 620 millions de jeunes économiquement actifs
étaient au chômage fin 2009 – un nombre record jamais atteint. Les
perspectives pour 2010 n’étaient guère meilleures.
32. Pour les jeunes, le chômage peut notamment avoir de sérieuses
répercussions négatives sur leurs perspectives professionnelles.
On a parlé à cet égard d’«effet de stigmatisation»
(scarring effect): la simple expérience
du chômage accroît le risque de chômage futur et/ou réduit les revenus
futurs. Plus la période de chômage est longue, plus le risque futur
de «dépendance à l’égard de la voie suivie»
(path
dependence) est important (chômage de longue durée, moindres
possibilités d’emploi et niveau de rémunération proportionnellement
plus bas). De plus, les longues périodes de chômage se soldent généralement,
à plus ou moins long terme, par une plus grande insatisfaction professionnelle
et davantage de problèmes de santé. Pour la plupart des jeunes,
être chômeur au tout début de la vie active semble n’avoir qu’un
effet temporaire sur les perspectives ultérieures de carrière. Mais
pour les jeunes défavorisés qui n’ont pas acquis les savoirs de
base, un échec lors de leur première expérience sur le marché du
travail est souvent difficile à rattraper et peut les exposer à
une «stigmatisation» durable
Note.
33. La rapporteure insiste sur les conséquences psychologiques
dont peuvent souffrir les jeunes qui sont exclus pendant un certain
temps du marché du travail. Dans notre société européenne, la reconnaissance sociale
est étroitement liée à la situation professionnelle; les sociologues
ont montré que le chômage, parce qu’il va de pair avec de bas revenus
et une déconsidération sociale, pouvait conduire à l’exclusion sociale
ou à la marginalisation. C’est pourquoi les périodes de chômage
peuvent avoir des effets extrêmement négatifs sur des jeunes qui
n’ont jamais eu l’occasion de faire la preuve de leur capacité à
travailler et qui, se sentant inutiles ou inaptes au travail, risquent
de perdre confiance en eux-mêmes.
5.2 Les conséquences
pour la société
34. La rapporteure n’ignore pas que la situation de surendettement
des pays européens les conduit à réduire les dépenses publiques.
Il ne faut cependant pas oublier que le chômage des jeunes est un
problème qui, si rien n’est fait maintenant, pèsera sur l’avenir
de notre société tout entière. Un défi majeur pour les autorités
publiques est donc d’assurer une action cohérente qui prenne en
compte les contraintes actuelles sur les dépenses publiques à court
ou à moyen terme, les tendances structurelles sur le marché du travail
et l’intérêt public à tous égards et sur le long terme. Or, au vu
des tendances et des évolutions globales en Europe, le chômage des
jeunes est bien un problème structurel et pas simplement une conséquence
de la crise économique actuelle. En vue d’améliorer les conditions
de vie en Europe, l’accroissement du chômage des jeunes doit être
traité en priorité.
35. Tout d’abord, un fort taux de chômage crée un important manque
à gagner pour les économies européennes, car il réduit la demande
et les dépenses d’investissement
Note, alors qu’un faible taux
de chômage stimule la consommation et l’investissement, c’est-à-dire
la croissance économique et les revenus fiscaux dans la plupart
des cas. Il faudrait articuler la lutte contre le chômage avec la
lutte contre la pauvreté et les situations précaires, deux fléaux
préjudiciables aux économies européennes, spécialement en temps
de crise lorsque la première priorité est la reprise de l’économie.
36. La situation actuelle menace demarginaliser
de nombreux jeunes, dont les possibilités d’emploi futures risquent
de se tarir par suite d’une restructuration du marché du travail.
En «sacrifiant» ainsi une génération d’actifs, on risque non seulement
de ruiner les projets et les attentes des individus, mais aussi
de diminuer leur contribution à l’économie, à la démocratie et au
retour sur investissement social pour le pays.
37. Les pays où le taux de chômage des jeunes est élevé s’exposent
à une autre conséquence: l’émigration de ces derniers vers des pays
à même de leur offrir un avenir professionnel plus prometteur. Pour
les pays concernés, cette forme d’émigration peut se traduire par
une baisse de productivité et une perte de jeunes actifs (aussi
bien non qualifiés que très qualifiés) et, par voie de conséquence,
compromettre leur développement économique futur. En aidant les
jeunes à accéder à l’emploi et à trouver leur premier emploi, les
Etats atténueraient les tensions sociales dans la société et diminueraient
la dépendance de certains secteurs économiques à l’égard de la main-d’œuvre
immigrée.
38. En outre, compte tenu de la situation démographique en Europe
et du fonctionnement des systèmes de protection sociale, il est
impératif que les jeunes travaillent pour financer les retraites.
Dans un contexte de vieillissement de la population, les pays européens
doivent préparer l’avenir: la jeune génération représente une chance
de pérenniser la solidarité intergénérationnelle et le développement
national. Alors que les baby-boomers partent à la retraite, les
économies européennes ont besoin que davantage de jeunes travaillent
Note. Ces départs devraient faire
mécaniquement baisser le chômage des jeunes, mais une action des
pouvoirs publics est toujours nécessaire pour améliorer les qualifications
des jeunes et leur donner accès à des possibilités d’emploi satisfaisantes.
39. Une conséquence possible et très inquiétante de l’absence
de perspectives sur le marché du travail est la montée de la violence
ou de la délinquance parmi les jeunes, qui risque à son tour d’entraîner
une augmentation des coûts sociaux. Cette question pourrait s’inscrire
dans un débat élargi sur l’inégalité des chances, qui a récemment
provoqué des réactions de violence dans certains pays européens
et dans le voisinage méditerranéen de l’Europe, où les populations
réclament leurs droits fondamentaux de vivre et de travailler dans
la dignité.
6 Des solutions
6.1 Mesures pour améliorer
les perspectives d’emploi des jeunes
40. Il importe que tous les coûts sociaux induits par
le chômage des jeunes soient pris en considération et que les pouvoirs
publics trouvent le moyen de les réduire, et si possible de les
supprimer. Les institutions européennes, notamment l’Union européenne
et le Conseil de l’Europe, peuvent et doivent consentir des efforts
supplémentaires pour aider leurs Etats membres à multiplier et améliorer
les emplois offerts à la jeune génération. Les autres partenaires,
dont la Banque européenne pour la reconstruction et le développement,
la Banque de développement du Conseil de l’Europe, le Centre Nord-Sud,
le Fonds social européen (FSE) et la Banque européenne d’investissement,
pourraient apporter une valeur ajoutée aux programmes d’action existants
au niveau européen et national.
41. Le FSE est en fait le principal instrument financier de l’Union
européenne pour promouvoir l’emploi des jeunes, l’esprit d’entreprise
et la mobilité à des fins d’apprentissage des jeunes travailleurs,
ainsi que les mesures pour prévenir le décrochage scolaire et améliorer
les niveaux de compétence. Environ un tiers des 10 millions de personnes
qui bénéficient chaque année du soutien du FSE sont des jeunes.
Par ailleurs, environ 60% du budget total du FSE (75 milliards d’euros
pour 2007-2013) viennent s’ajouter au cofinancement national en
faveur des jeunes
Note.
Notons également qu’en septembre 2010 la Commission européenne a
lancé une consultation publique sur les futurs programmes d’enseignement
et d’apprentissage en vue de présenter de nouvelles propositions
en 2011, à temps pour la prochaine période de programmation du FSE.
La rapporteure encourage toutes les personnes intéressées par les
projets pour la jeunesse et l’emploi bénéficiant d’un soutien du
FSE dans les Etats membres de l’Union européenne à consulter le
site internet du fonds
Note.
42. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont défini leurs
propositions stratégiques sur l’emploi des jeunes dans la déclaration
adoptée lors de la 8e Conférence des ministres responsables de la
jeunesse (octobre 2008), parallèlement à la «Résolution du Conseil
sur un cadre renouvelé pour la coopération européenne dans le domaine
de la jeunesse 2010-2018» de l’Union européenne et à sa stratégie
économique «UE 2020», notamment l’initiative phare «Jeunesse en
mouvement». La rapporteure observe qu’un programme conjoint entre
le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sur «l’accord de partenariat
cadre dans le domaine de la jeunesse 2010-2013» a notamment pour
objectif l’inclusion sociale des jeunes grâce à l’accès aux droits
et à la création d’opportunités dans le domaine de l’emploi, de
l’éducation et de la formation. Dans ce contexte, il pourrait être
utile de créer davantage de synergies entre les travaux du Centre
de la jeunesse du Conseil de l’Europe et du Fonds social européen
pour aboutir à des projets concrets destinés à faire reculer le
chômage des jeunes.
43. Alors que le vent d’un changement démocratique souffle au
sud de la Méditerranée, les «vieilles» démocraties d’Europe ne peuvent
pas se contenter d’observer passivement les événements. Dans le
cadre d’un débat plus large sur la politique de voisinage du Conseil
de l’Europe, l’Organisation devrait envisager de mieux exploiter
le potentiel de son Centre Nord-Sud pour des projets communs en
faveur des jeunes, de l’emploi et du développement humain dans les
pays situés au sud de la Méditerranée.
44. Le secteur privé a un rôle majeur à jouer pour favoriser la
création d’emplois en général et le développement de l’emploi des
jeunes en particulier. A cet égard, les pouvoirs publics doivent
encourager les entreprises à recruter de jeunes travailleurs peu
qualifiés par des contrats d’apprentissage qui leur permettent d’associer
les études à une première expérience sur le marché du travail. L’apprentissage
offre aussi l’occasion à ces travailleurs peu qualifiés d’acquérir
les compétences nécessaires pour exercer un métier et d’accumuler
suffisamment d’expérience pour devenir des atouts pour leur entreprise.
C’est en outre un excellent moyen de faire concorder les compétences
acquises par les apprentis avec celles qui sont recherchées sur
le marché du travail. Pour assurer une formation dans le cadre de
l’apprentissage, les entreprises doivent pouvoir se faire aider
en matière de pédagogie et d’encadrement, en particulier dans le
cas d’apprentis sans qualifications.
45. Selon les données disponibles, un système d’enseignement en
alternance, associant les études à une formation en apprentissage
ou dans le cadre d’autres programmes de formation professionnelle,
est une voie efficace pour entrer sur le marché du travail et facilite
par conséquent la transition de l’école à l’emploi. Il est également
démontré que, dans les pays dotés de solides systèmes d’apprentissage,
on relève une plus forte proportion de jeunes «performants». Des
pays comme l’Allemagne et l’Autriche utilisent la formation en alternance
en complément d’un marché du travail réglementé. L’Allemagne et
l’Autriche enregistrent les plus faibles taux de chômage des jeunes
en Europe grâce à un système d’apprentissage efficace qui, pour
la plupart des jeunes, permet une transition relativement fluide
de l’école au monde du travail.
46. Même si certains experts sont convaincus que la clé du problème
est l’élimination des rigidités du marché du travail qui pénalisent
l’emploi des jeunes, beaucoup estiment que même des marchés du travail
très réglementés fonctionnent bien lorsque de solides systèmes d’enseignement
et de formation professionnels sont en place. En effet, il n’est
pas nécessaire de déréglementer le marché du travail du moment que
les pays sont en mesure de gérer un système éducatif efficace. De
plus, nous devrions prendre en considération que plus le marché
est flexible, plus les jeunes occupent des emplois précaires. Vu
le taux élevé de chômage cyclique chez les jeunes dans certains
pays comme l’Espagne, il importe, pour réduire le risque de débauchage
lors des phases de ralentissement économique, d’éviter la généralisation
des contrats temporaires dans cette catégorie de la population.
47. Le développement d’un système d’apprentissage efficace profite
à la fois aux entreprises et aux jeunes salariés. Cette approche
nécessite le soutien adéquat de l’Etat et une programmation. Selon
la rapporteure, les gouvernements devraient s’attacher à promouvoir
ces dispositifs en accordant aux entreprises, en particulier aux
petites et moyennes entreprises (PME) et aux «start-up», des aides
publiques (octroyées par les municipalités, les régions ou l’Etat)
ou des allégements fiscaux. Ils pourraient aussi prévoir des mesures ciblées
d’accompagnement pour empêcher que les apprentis ne soient licenciés
avant qu’ils aient achevé leur formation. Les gouvernements pourraient
enfin encourager financièrement les entreprises à recruter leurs apprentis
sur des contrats de plus longue durée à l’issue de l’apprentissage.
Toutefois, dans certains pays où le système d’apprentissage est
bien établi, les entreprises sont aujourd’hui moins disposées à
proposer des contrats de ce type, surtout à des jeunes ayant un
faible niveau d’études ou issus de l’immigration. Pour remédier
à cette situation, la rapporteure estime que les avantages fiscaux
devraient être accordés de préférence aux entreprises qui recrutent
des apprentis non qualifiés.
48. Il est à noter que les contrats d’apprentissage peuvent devenir
contre-productifs si les entreprises n’en font pas un usage approprié.
Le souci constant d’abaisser les coûts de main-d’œuvre risque de
conduire les entreprises à exploiter le travail d’apprentis faiblement
rémunérés. Le recours abusif à ces contrats peut engendrer une situation
précaire pour les apprentis puisque, au lieu de se former, ceux-ci
sont appelés à faire le même travail que des salariés ordinaires
mais ne reçoivent pas la rémunération correspondante. Les gouvernements
devraient par conséquent veiller à ce que les apprentis reçoivent
un salaire minimal et ils devraient les protéger contre tout abus.
Le droit international et les législations nationales pourraient
limiter la prolongation des contrats d’apprentissage lorsque les
travailleurs dépassent un certain âge. En outre, les aides accordées
devraient être conçues de manière à réduire au minimum les effets
d’«aubaine» ou de substitution et n’être octroyées que pour des
jeunes sans qualifications ou des apprentis dont le contrat a été
rompu afin de les aider à obtenir une qualification.
49. Les experts de l’OCDE préconisent plusieurs autres mesures
susceptibles de faciliter la transition de l’école à l’emploi. Ils
recommandent aux pays européens de «proposer de façon précoce des
conseils aux jeunes qui ont quitté l’école et cherchent un emploi»,
d’«étendre les mesures d’aide à la recherche d’emploi à ceux qui
sont prêts pour l’emploi», d’«assurer une meilleure coopération
entre les services de l’emploi et le système d’enseignement de façon
à intervenir auprès des jeunes dès que possible lorsqu’un risque
de désengagement est détecté» et de «maintenir ceux qui ne sont
pas directement aptes à travailler en contact avec le marché du
travail»
Note. La rapporteure partage cette
opinion. En outre, dans ce contexte, elle rappelle la proposition
du Forum européen de la jeunesse d’introduire «des garanties pour
les jeunes» – des mesures politiques qui viseraient à garantir qu’aucun
jeune ne reste sans emploi, éducation ou stage pendant plus de quatre
mois, excepté si c’est le libre choix de l’intéressé.
50. Etant donné qu’il semble utopique de vouloir atteindre le
plein emploi, il faut se préoccuper d’aide au revenu en cas de chômage.
Il s’agit de protéger les jeunes chômeurs contre l’exclusion sociale
tout en empêchant qu’ils ne deviennent dépendants des prestations
sociales. Autrement dit, l’indemnité de chômage doit être subordonnée
à un certain nombre de conditions permettant de garantir que le
chômeur fait des efforts pour trouver du travail ou participe à
des programmes de formation. Les pratiques de certains pays encouragent
malheureusement la dépendance aux allocations. En Belgique, par
exemple, les jeunes peuvent bénéficier sans condition d’une indemnité
de chômage non limitée dans le temps dès la fin de leurs études
Note. A l’inverse,
au Danemark, l’octroi d’une indemnité est soumis à des conditions
très strictes: les jeunes bénéficiant de prestations sociales doivent
passer un entretien la première semaine, participer à un stage de formation
à la recherche d’emploi la deuxième semaine et entamer une formation
ou trouver un emploi la troisième semaine
Note.
51. Selon la rapporteure, un dispositif intermédiaire pourrait
être mis en œuvre dans le double but de protéger les jeunes contre
le risque d’exclusion sociale et de prévenir leur dépendance aux
indemnités de chômage. Les pays européens devraient aider les jeunes
chômeurs non seulement en leur octroyant une allocation, mais aussi
en leur offrant de nouvelles perspectives. En d’autres termes, les
politiques publiques doivent tenir compte du fait que, pour les
nouveaux venus sur le marché du travail, le chômage risque de peser sur
la suite de leur vie professionnelle. Il faut prendre un certain
nombre de mesures pour accroître les chances des jeunes chômeurs
de se remettre en selle après une période sans emploi. En même temps,
il est évident que les pays européens ne peuvent se permettre de
financer des prestations sociales sans mener une politique vigoureuse
en faveur de l’emploi.
52. L’octroi de prestations sociales devrait être soumis à certaines
conditions, afin d’encourager les chômeurs à rechercher activement
un emploi. Afin de réduire l’écart entre les jeunes chômeurs et
les autres, la rapporteure préconise l’adoption de mesures spécifiques
en faveur des 15-24 ans qui n’ont pas accès à l’indemnité de chômage
ordinaire parce qu’ils n’ont pas travaillé le minimum de temps requis.
Il faudrait proposer à ces jeunes de participer à un entretien pour
leur apporter une aide plus personnalisée dans leur recherche d’emploi
ou de formation; il faudrait aussi leur demander de suivre une formation
à la recherche d’emploi. Les agences publiques de l’emploi pourraient
proposer aux allocataires des postes correspondant à leur profil
pendant une période limitée. Les allocataires ne devraient être
autorisés à refuser une offre que s’ils prouvent qu’elle ne correspond
pas à leurs compétences et à leur expérience professionnelle. Un
nombre déterminé de refus non fondés peut être autorisé mais, au-delà,
les allocataires devraient être tenus d’accepter les emplois qui
leur sont proposés ou renoncer à leur droit à l’indemnité de chômage.
La rapporteure note que le succès de ces mesures dépend de la qualité
des agences publiques de l’emploi ainsi que de leur capacité à faire
coïncider les offres et les demandes d’emploi et à tenir compte
des profils des chômeurs.
6.2 Mesures en matière
d’éducation
53. Comme cela a déjà été souligné, les systèmes éducatifs
ont un impact important sur le taux d’emploi des jeunes. La rapporteure
est convaincue que les pays européens devraient investir dans des
réformes radicales pour remédier au manque de cohérence, préjudiciable
aux jeunes, entre ces systèmes et le marché du travail. Plusieurs
améliorations pourraient être apportées afin de garantir aux jeunes
les compétences requises par le marché du travail lorsqu’ils sortent
du système éducatif.
54. Des mesures spécifiques et novatrices s’imposent pour intégrer
les jeunes défavorisés. Premièrement, les pays européens doivent
s’attacher à doter les immigrants des compétences linguistiques
nécessaires afin de faciliter leur insertion sur leur marché du
travail. Deuxièmement, pour limiter le problème des jeunes qui ne sont
«ni au travail ni scolarisés ou en formation» (NEET), ils doivent
réduire le nombre de décrochages scolaires et aider les jeunes concernés
à prendre un nouveau départ. La rapporteure note que les «écoles
de la deuxième chance» créées dans plusieurs pays (par exemple en
Hongrie)
Note peuvent
être un exemple à suivre. L’Union européenne a lancé un projet pilote
afin de «mett[re] en place de nouvelles voies personnalisées pour
ramener (…) vers le monde du travail et la citoyenneté active»
Note des jeunes ayant quitté le
système scolaire avant d’avoir acquis un bagage correspondant aux
besoins du marché du travail.
55. En règle générale, les systèmes éducatifs devraient préparer
les jeunes à travailler dans un monde globalisé en leur enseignant,
dans la mesure du possible, trois langues étrangères, dont l’anglais
Note. Cette possibilité existe
déjà dans certains pays, mais le niveau des élèves varie considérablement
d’un pays à l’autre; il convient par conséquent d’améliorer les
systèmes moins efficaces. La connaissance de langues étrangères
est en effet un atout économique pour les entreprises internationales
et les jeunes à la recherche d’un emploi. Etant donné que les pays
européens n’ont pas d’autre choix que de prendre part à la mondialisation,
il semble indispensable d’assurer un enseignement linguistique de
qualité dans le cadre scolaire afin de faciliter la communication
et la mobilité dans une Europe multilingue et au-delà. En effet, comme
les économies européennes ne sont pas toutes spécialisées dans les
mêmes domaines, le multilinguisme pourrait être un facteur d’équilibrage
de l’offre et de la demande sur le marché du travail européen.
56. De plus, les pays européens devraient s’efforcer de bâtir
des systèmes éducatifs alliant de manière équilibrée études théoriques
et formation professionnelle. Même si cela semble évident, certains
pays n’ont pas suffisamment encouragé certaines qualifications professionnelles
qui sont fortement exigées sur le marché mais ont perdu du prestige
auprès du public. En France, par exemple, faire des études universitaires est
devenu l’objectif numéro un pour les jeunes, malgré les besoins
réels du marché du travail et le manque de spécialistes dans certaines
professions (surtout dans les métiers manuels et l’artisanat). Une
meilleure communication entre tous les acteurs de l’emploi impliqués
dans la procédure est nécessaire pour identifier des secteurs dynamiques
ou prometteurs et guider les étudiants dans leur choix. On aurait
ainsi une meilleure adéquation entre l’offre et la demande sur le
marché du travail.
57. Uneautre possibilité
consisterait à établirune
meilleure réglementation des admissions dans les universités. Cette
mesure pourrait aider à parvenir à un équilibre entre les offres
d’emplois et les personnes à la recherche d’un emploi en orientant
les jeunes étudiants vers des études qui offrent de meilleures perspectives
d’emploi. Limiter l’accès aux études dans certains secteurs considérés
comme offrant peu de débouchés pourrait être une bonne mesure à
court terme pour éviter une désillusion aux futurs diplômés contraints
de travailler dans un secteur pour lequel ils ne sont pas qualifiés.
Cette mesure devrait toutefois être accompagnée d’une promotion
des secteurs les plus dynamiques sur le plan de l’emploi ou des
tendances de développement économique du pays concerné.
58. Enfin, et ce n’est pas le moins important, la rapporteure
préconise de développer l’association entre les études et le travail,
y compris au niveau universitaire, car «allier des bases théoriques
solides et une expérience professionnelle peut faciliter l’intégration
à long terme des jeunes sur le marché du travail»
Note.
Cette idée part du constat que de nombreux parcours universitaires
imposent aux étudiants un stage en entreprise. La rapporteure préconise
d’intégrer davantage de matières pratiques dans les études universitaires
et de prévoir dans les emplois du temps une journée de stage hebdomadaire
pour permettre aux étudiants d’acquérir les connaissances pratiques
nécessaires sur le marché du travail. Autrement dit, il s’agit de
mettre en place un système d’alternance non seulement pour la formation
professionnelle, mais aussi pour les études supérieures. Une telle
mesure permettrait d’associer les entreprises au processus de formation
et réduirait ainsi le décalage qui existe actuellement entre les
systèmes éducatifs et les besoins du marché du travail.
7 Remarques finales
59. S’il est vrai que le chômage et les emplois précaires
portent atteinte à la dignité humaine de chaque individu concerné
et nuisent au progrès humain de l’ensemble de la société, les jeunes
sont toutefois tout particulièrement vulnérables. Comme l’attestent
les chiffres, ils sont plus durement touchés par le chômage et rencontrent
plus de difficultés pour s’insérer ou se réinsérer sur le marché
du travail que le reste de la population. Et ce, en dépit du meilleur
niveau d’études qu’ont les jeunes aujourd’hui par rapport à leurs
parents et de la pénurie de personnel à laquelle de nombreux pays
européens sont confrontés dans de plus en plus de secteurs. Au vu
des défis que pose la mondialisation et des effets persistants de
la crise économique, l’Europe ne peut se permettre de gâcher les
talents, l’énergie, la mobilité et la créativité de ses jeunes.
60. Le déséquilibre entre les qualifications des jeunes et les
besoins du marché du travail, l’évolution rapide des conditions
du marché du travail et l’érosion des dépenses publiques consacrées
aux stratégies intégrées en faveur de l’emploi semblent être les
principales causes de cette situation. Il importe de remanier les politiques
publiques, au niveau tant européen que national, en vue de promouvoir
l’acquisition de meilleures qualifications et compétences, une plus
grande mobilité, un meilleur accès aux offres d’emploi et une plus grande
interaction entre employeurs, agences nationales pour l’emploi et
jeunes demandeurs d’emploi. Les responsables politiques sont soumis
à l’impératif moral de favoriser l’intégration des jeunes à la recherche
d’un emploi avant de faire venir des travailleurs hautement qualifiés
de pays non européens. Il s’agit là d’une question d’intérêt public
capital si les Européens veulent remporter la course mondiale à
la concurrence et éviter des problèmes de société majeurs à moyen
et long terme.
61. Les pays européens ont expérimenté diverses solutions au problème
du chômage des jeunes et certaines semblent donner d’assez bons
résultats. Les choix politiques les plus concluants font partie
d’un cadre intégré pour le développement économique et humain, qui
tient compte des spécificités nationales. Un enseignement de qualité,
une formation professionnelle ou des études supérieures ainsi que
l’expérience du «premier emploi» ou de la période de stage restent
de bons tremplins vers la vie active. Un meilleur accompagnement
des jeunes dans le choix d’une filière d’études débouchant sur un
emploi est nécessaire pour retrouver un équilibre entre la demande
réelle sur le marché du travail et un vivier de demandeurs d’emploi
suffisamment qualifiés et motivés.
62. Les stratégies mises en place par les pays devraient faire
le point sur les atouts et les faiblesses au niveau national afin
que tous les acteurs des secteurs privé et public disposent d’informations
fiables concernant les priorités stratégiques nationales, la formation/le
recyclage/l’apprentissage tout au long de la vie et les opportunités
d’emploi dans les secteurs économiques en expansion, les possibilités
de requalification prises en charge par l’Etat et toute mesure fiscale
en faveur de l’emploi. Les pouvoirs publics pourraient devoir consentir
un effort supplémentaire pour obliger les entreprises à recruter
des jeunes sur la base d’un contrat décent, pour créer les conditions
encourageant l’esprit d’entreprise des jeunes, pour favoriser l’emploi
des jeunes les plus vulnérables et pour recourir à des partenariats
public-privé pour le développement des zones défavorisées.
63. Les Nations Unies ont lancé une Année internationale de la
jeunesse qui a démarré en août 2010. Les pays européens pourraient
défendre la cause des jeunes en exploitant plus efficacement le
potentiel des jeunes par le biais du travail et progresser ainsi
de manière significative sur la voie d’une société plus juste, plus
prospère, plus inclusive et plus démocratique.