Logo Assembly Logo Hemicycle

Extrême pauvreté et exclusion sociale: vers des ressources minimales garanties

Recommandation 1196 (1992)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l'Assemblée le 7 octobre 1992 (20e séance) (voir Doc. 6592, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur : Mme Håvik ; et Doc. 6623, avis de la commission des questions économiques et du développement, rapporteur : M. Svensson). Texte adopté par l'Assemblée le 7 octobre 1992 (20e séance).
Thesaurus
1. L'Assemblée note avec préoccupation qu'un nombre croissant d'individus et de familles se trouve, du fait d'une pauvreté extrême, persistante et étendue, exclu de la vie sociale normale :
1.1 cette situation comporte le défi lancé aux gouvernements et aux parlements de reconsidérer les principes qui sont à la base du fonctionnement des systèmes de protection sociale et les valeurs qui en sont dérivées et inscrites dans un certain nombre de textes fondamentaux du Conseil de l'Europe, notamment sa Charte sociale ;
1.2 la marginalisation et l'exclusion des plus vulnérables économiquement sont les symptômes d'une érosion des fondements culturels et éthiques de nos sociétés : elles sont contraires aux principes d'une démocratie saine et risquent de faire peser des menaces sur celle-ci.
2. Les manifestations de la pauvreté extrême, et la dynamique de la marginalisation et de l'exclusion sociale en fonction de leur persistance, diffèrent considérablement :
2.1 d'un pays à l'autre - et, dans le cas de certains pays voisins, suffisamment pour avoir des conséquences sur les migrations transfrontalières ;
2.2 d'une région à l'autre à l'intérieur d'un même pays ;
2.3 selon que l'environnement est urbain ou rural ;
2.4 selon l'âge des intéressés ;
2.5 selon les causes originaires, qu'elles soient plutôt dues au chômage à court ou à long terme, ou qu'elles proviennent des changements dans les structures familiales et des modes de vie de plus en plus individualisés, auxquels les dispositions des systèmes de protection sociale ne sont plus adaptées ;
2.6 en raison des différences essentielles dans le fonctionnement de l'économie entre les pays de l'Ouest et ceux de l'Europe centrale et de l'Est, différences qui résultent des perturbations importantes dues au passage au système du marché libre.
3. L'Assemblée reconnaît que le meilleur moyen de maîtriser le problème général de la pauvreté consiste à recourir à des politiques de croissance économique, prévoyant des possibilités étendues et variées de formation et de recyclage pour ceux qui n'ont pas d'emploi - selon le principe que le chômage est aussi une occasion d'« investir » dans les aptitudes et les capacités des individus.
4. Aujourd'hui, il apparaît, toutefois, dans la plupart des pays européens, qu'indépendamment de la mise en œuvre de politiques de ce type et de leurs résultats d'autres mesures, énergiques et précises, s'imposent pour lutter contre la pauvreté extrême et persistante.
5. L'extrême pauvreté - dont parle la présente recommandation - recouvre les cas où les intéressés n'ont pas la possibilité de vivre et d'élever des enfants dans des conditions considérées comme décentes.
6. L'atténuation de l'extrême pauvreté doit, par conséquent, souvent précéder la possibilité pour les personnes touchées d'être intégrées dans la communauté et d'accéder normalement à l'éducation, aux soins médicaux, à la sécurité sociale ainsi qu'à d'autres services.
7. L'extrême pauvreté est reconnaissable dans chaque communauté, en fonction des normes en vigueur dans ces communautés, pour ceux qui sont en contact direct avec les individus et les familles touchées. Il est donc inutile d'élaborer des définitions ou des critères concernant les « seuils » et les « minima » en Europe pour donner une impulsion notable, au niveau européen, à la mise en œuvre de politiques nationales plus énergiques - conformément à l'objectifde la présente recommandation, du colloque duConseil de l'Europe sur la marginalisation et la pauvreté (Strasbourg, 3-5 décembre 1991), comportant la présentation appréciée des projets et des programmes de la Communauté européenne, et de la Déclaration de Charleroi de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe du Conseil de l'Europe (7 février 1992).
8. Il s'agit, par conséquent, de déterminer au niveau gouvernemental :
8.1 les moyens d'accroître et de mieux répartir l'aide apportée à ceux qui mènent une action efficace pour lutter contre l'extrême pauvreté, le plus souvent par l'intermédiaire d'associations et d'œuvres de bienfaisance ;
8.2 si les systèmes de protection sociale doivent être adaptés ou réformés, afin de donner priorité à cet objectif.
9. Dans la plupart des systèmes de protection sociale existants, la conception prévaut que seul un droit à des ressources limitées et en diminution est attribué à ceux qui n'ont pas d'emploi rémunéré ou qui ont un emploi à temps partiel. Le principe fondamental est d'inciter au travail ; il intègre un jugement de valeur négatif implicite porté sur ceux qui ne trouvent pas d'emploi rémunéré et qui ne profitent pas non plus des possibilités de formation.
10. Les systèmes de protection sociale fondés exclusivement sur ces conceptions et ces principes, même s'ils sont adaptés et s'ils répondent correctement aux modifications des structures familiales et des modes de vie, ne satisfont plus aux besoins fondamentaux des sociétés connaissant un chômage massif. De surcroît, d'une manière plus générale, les définitions actuelles du « travail » désavantagent ceux qui contribuent le plus efficacement - en dehors du système économique - à la vie des communautés locales.
11. L'Assemblée est consciente qu'il est sans doute impossible de concevoir un système de protection sociale sans abus ni exploitation contestable et que la marginalisation et l'exclusion ne sont pas forcément liées à des circonstances matérielles.
12. L'Assemblée considère que ces questions sont mieux abordées au niveau local, dans le contexte et le cadre des systèmes nationaux, et que cette idée d'incitation - pour autant qu'elle puisse être conservée dans les systèmes de protection sociale pour certaines prestations et différentes formes d'aide - ne peut plus s'appliquer aux dispositions sur l'aide à accorder aux individus et à leur famille, dont le niveau de vie est en dessous d'un minimum considéré comme décent.
13. La Charte sociale du Conseil de l'Europe prévoit déjà que toute personne démunie de ressources adéquates doit bénéficier d'une assistance appropriée (article 13) :
13.1 dix-neuf des vingt Parties contractantes à la Charte sociale, y compris les douze Etats membres de la Communauté européenne, ont accepté les dispositions de cet article ;
13.2 l'article 13 - appliqué dans un contexte de pauvreté extrême, persistante et étendue, de chômage massif et en augmentation, de modification des structures familiales et d'individualisation des modes de vie - traduit d'ores et déjà, pour les Etats qui l'ont accepté, l'engagement de garantir, comme objectif et principe de leur politique, un niveau minimal décent de ressources pour ceux qui sont dans le besoin ;
13.3 les systèmes de protection sociale en Europe doivent être adaptés pour assurer cette garantie et pour prévoir, en faveur des intéressés, ou en leur nom, un droit d'appel devant un organe indépendant en cas de différend relatif à leur mise en application.
14. L'Assemblée demande aux gouvernements des Etats membres du Conseil de l'Europe, qui sont membres de la Communauté européenne, aux fins de progrès vers un « espace social européen » :
14.1 d'assurer, dans l'application de la recommandation du Conseil des ministres de la Communauté européenne, portant sur des critères communs relatifs à des ressources suffisantes et à l'assistance sociale dans les systèmes de protection sociale (92/441/CEE), qu'il est tenu compte des obligations nées en droit international du fait de l'acceptation de la Charte sociale du Conseil de l'Europe ;
14.2 d'assurer, dans l'application de la recommandation du Conseil des ministres de la Communauté européenne, sur la convergence des objectifs et des politiques de protection sociale (92/442/CEE), que les normes définies par le Code européen de sécurité sociale (révisé) du Conseil de l'Europe et les dispositions pour l'adhésion de la Communauté à ce traité sont prises en considération.
15. L'Assemblée recommande que le Comité des Ministres, dans l'esprit de sa récente et très appréciée Recommandation no R (92) 4 sur la coordination des services d'emploi, sociaux et d'éducation pour l'insertion ou la réinsertion professionnelles des personnes en difficulté :
15.1 charge le Comité ad hoc d'experts pour l'amélioration de la Charte sociale de réviser et de mettre à jour le libellé de l'article 13, en vue d'une meilleure protection de ceux privés d'un niveau de vie décent minimal, et d'étudier l'opportunité d'un article spécifique relatif au logement ;
15.2 charge le Comité directeur pour la sécurité sociale, à la suite des recommandations de la 5e Conférence des ministres européens responsables de la sécurité sociale (Limerick, Irlande, 20-21 mai 1992), de faire rapport sur la valeur du Code européen de sécurité sociale en tant qu'instrument normatif pour les pays de l'Europe centrale et orientale, et sur l'action du Conseil de l'Europe pour aider ces pays à s'approcher de ces normes ;
15.3 charge les Comités directeurs sur la politique sociale et pour le travail et l'emploi de poursuivre et d'allier, si besoin est, leurs efforts :
a pour aider les pays de l'Europe centrale et orientale à définir et à introduire des systèmes de protection sociale - et, pour ce faire, à parvenir à des niveaux efficaces de financement dans le cadre des programmes internationaux d'assistance, surtout ceux de la Communauté européenne, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), et du groupe de pays industrialisés G 24, dans le contexte des sévères difficultés économiques et financières, et devant les taux dramatiquement élevés et jamais connus de chômage ;
b pour aider les pays à élaborer des stratégies nationales de réduction de l'extrême pauvreté, à la fois pour l'ensemble de la population et pour des groupes cibles à risques, sur la base de mesuresconcertées d'aide au niveau local, non seulement par des systèmes de protection sociale et des prestations de chômage en espèces, mais également via l'accès au logement (et une protection contre sa perte), aux soins médicaux, à l'éducation et à la formation, ainsi qu'aux activités culturelles et de loisirs ;
c pour favoriser la mise en place de contrats personnalisés incitant les pauvres et les marginalisés à entrer, selon leurs besoins, dans des cycles d'alphabétisation, d'acquisition ou de mise à niveau desconnaissances, ou à obtenir une formation professionnelle ou permanente, permettant ainsi de leur donner une chance de retour vers une vie meilleure.