Demande d’adhésion de la République fédérale de Yougoslavie au Conseil de l’Europe
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion par l’Assemblée le 24 septembre 2002 (26e séance) (voir Doc. 9533, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Frey, et Doc. 9539, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Lippelt). Texte adopté par l’Assemblée le 24 septembre 2002 (26e séance).
- Thesaurus
1. Le Parlement de la République fédérale de Yougoslavie a demandé le statut d’invité spécial auprès de l’Assemblée parlementaire le 7 novembre 2000 et l’a obtenu le 22 janvier 2001. Depuis, sa délégation d’invités spéciaux participe aux travaux de l’Assemblée parlementaire et de ses commissions.
2. La République fédérale de Yougoslavie a déposé une demande d’adhésion au Conseil de l’Europe le 9 novembre 2000. Par sa Résolution (2000) 15 sur la République fédérale de Yougoslavie, du 22 novembre 2000, le Comité des Ministres a invité l’Assemblée parlementaire à formuler un avis sur cette demande, conformément à la Résolution statutaire (51) 30.
3. L’Assemblée s’est penchée, en maintes occasions, sur la situation dans ce pays et a adopté, en novembre 2000, sa
Résolution 1230 et sa
Recommandation 1481 sur la situation en République fédérale de Yougoslavie. De même, une commission ad hoc a observé les élections à l’Assemblée nationale de Serbie le 23 décembre 2000 et en avril 2001 au Monténégro. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE) a, pour sa part, observé les élections dans les municipalités.
4. Au début de l’année 2001, un bureau du Conseil de l’Europe s’est ouvert en République fédérale de Yougoslavie. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a, en même temps, nommé un envoyé spécial pour la République fédérale de Yougoslavie. Ces événements ont eu un effet bénéfique sur le dialogue du Conseil de l’Europe avec les autorités de ce pays et ont permis la mise en œuvre d’un certain nombre de programmes de coopération et de projets visant à développer et à consolider la stabilité démocratique dans la République fédérale de Yougoslavie.
5. La République fédérale de Yougoslavie a adhéré à plusieurs instruments juridiques du Conseil de l’Europe, notamment la Convention culturelle européenne et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.
6. La République fédérale de Yougoslavie a révisé son Code de procédure pénale, qui relève de la compétence fédérale, et a adopté une loi fédérale sur la protection des minorités nationales. Elle a aussi adopté récemment une loi sur les procédures régissant le transfert des inculpés au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye. Cette loi, qui représente un compromis, et qui n’a été accueillie, dans certains milieux, qu’avec une satisfaction mitigée, pourrait être rendue plus efficace par une mise en application rigoureuse, fondée sur une volonté politique plus prononcée.
7. Au niveau des deux républiques constituantes, les programmes des réformes n’ont pas été poursuivis avec la même vigueur en Serbie et au Monténégro. Alors que, en Serbie, une série de réformes législatives a été entreprise à un rythme soutenu, y compris l’abolition de la peine de mort, au Monténégro, pendant une longue période, les énergies se sont concentrées sur la question du référendum sur une éventuelle indépendance.
8. L’accord qui a été signé entre la Serbie et le Monténégro le 14 mars dernier, grâce aux bons offices du haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, et qui pose les bases d’une restructuration des relations entre la Serbie et le Monténégro, ouvre de larges perspectives à un rapprochement avec l’Europe. Il encourage les deux parties à relancer et à intensifier leurs programmes de réformes.
9. La nouvelle «charte constitutionnelle» qui naîtra de cet accord pourrait constituer une chance de survie pour un Etat fédéral dont les institutions présentaient des signes de fatigue. Néanmoins, pour réussir une union fédérale véritablement opérationnelle, il faudra beaucoup de bonne volonté, de dialogue, de créativité et le soutien de la communauté internationale. La Commission de Venise du Conseil de l’Europe pourrait sans doute apporter une contribution constructive à ce processus.
10. Quant au Kosovo, il est trop tôt pour avancer des thèses sur son statut futur. A l’heure actuelle, et sans doute pour un bon moment encore, le Kosovo est régi par les Nations Unies, en vertu de la
Résolution 1244 du Conseil de sécurité. Il est important de souligner néanmoins que la République fédérale de Yougoslavie, quelle que soit la forme que pourrait prendre l’union entre la Serbie et le Monténégro, et sans préjuger des décisions qui pourraient être prises à l’avenir au sujet du Kosovo, devrait, d’ores et déjà, contribuer à l’établissement d’un climat de confiance en coopérant le plus souvent possible à la fois avec le représentant spécial des Nations Unies et avec les autorités élues du Kosovo. Le transfert au Kosovo de la quasi-totalité des prisonniers albanais constitue un signe de détente allant dans ce sens.
11. L’Assemblée considère que la République fédérale de Yougoslavie a fait des progrès considérables sur la voie de la démocratie et du pluralisme politique. La fédération reconnaît les principes de prééminence du droit et de respect des droits de l’homme, et s’est déclarée prête à poursuivre ses réformes démocratiques au sein du Conseil de l’Europe, en conformité avec les principes et les normes de celui-ci.
12. L’Assemblée parlementaire prend acte des lettres du Président de la République fédérale de Yougoslavie, des présidents des deux chambres du parlement et du Premier ministre, et note que la République fédérale de Yougoslavie est déterminée à honorer les engagements ci-après:
ratifier les Accords de paix de Dayton et coopérer pleinement et efficacement à leur application, ce qui exige notamment le règlement des différends internes et internationaux par des moyens pacifiques;
en matière de conventions:
a signer, au moment de son adhésion, la Convention européenne des Droits de l’Homme, telle qu’amendée par son Protocole no 11 et ses Protocoles nos 1, 4, 6, 7, 12 et 13;
b ratifier la Convention européenne des Droits de l’Homme et ses Protocoles nos 1, 4, 6, 7, 12 et 13 dans l’année suivant son adhésion;
c signer et ratifier, dans un délai d’un an suivant son adhésion, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, telle qu’amendée par ses protocoles;
d signer et ratifier, dans un délai de deux ans suivant son adhésion, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires;
e signer et ratifier, dans un délai de deux ans suivant son adhésion, la Charte européenne de l’autonomie locale;
f signer et ratifier, dans un délai de deux ans suivant son adhésion, la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, et ses protocoles additionnels, ainsi que la Convention européenne d’extradition, la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, et la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, et appliquer, entre-temps, leurs principes fondamentaux;
g signer, dans un délai de deux ans suivant son adhésion, la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe, la ratifier le plus tôt possible et, dès à présent, s’efforcer de mettre en œuvre une politique conforme aux principes qu’elle contient;
h devenir Partie à l’Accord général sur les privilèges et immunités, et à ses Protocoles nos 1 et 6;
en matière de législation interne:
a adopter une loi ou, de préférence, inclure des dispositions dans la charte constitutionnelle afin d’assurer le contrôle civil de l’armée;
b adopter, dans un délai d’unan suivant son adhésion, la loi sur la réforme de la police, comprenant une redéfinition de ses fonctions, la mise en œuvre du Code européen d’éthique de la police et des structures de formation, notamment la restructuration de la police secrète et son contrôle par le gouvernement et le parlement;
c adopter, dans un délai qui permettrait sa mise en œuvre avant les prochaines élections, le projet de loi sur la radiodiffusion en Serbie, qui a été adopté par le Gouvernement serbe, approuvé par les experts du Conseil de l’Europe et récemment transmis d’urgence au Parlement serbe, et adopter, à temps pour sa mise en œuvre avant les prochaines élections, une législation sur l’information publique en Serbie, en mettant particulièrement l’accent sur les garanties d’indépendance et de pluralisme;
d adopter, dans un délai d’un an suivant son adhésion, une législation pour permettre la mise en œuvre de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, et son protocole de 1967;
e adopter, dans un délai d’un an suivant son adhésion, une loi sur les associations de citoyens et les organisations non gouvernementales, compatible avec les normes européennes applicables aux organisations à but non lucratif;
f réviser, en coopération avec les experts du Conseil de l’Europe, les textes législatifs et réglementaires concernant le système pénitentiaire et les crimes de guerre et la torture, pour garantir la poursuite devant les cours de justice des crimes qui ne sont pas poursuivis par le TPIY, et aussi pour prévenir le mauvais traitement des citoyens par la police;
g amender la législation électorale en vue des prochaines élections présidentielles, ou, au plus tard, avant les élections du parlement fédéral, en rendant le processus plus transparent, et, surtout, en l’adaptant aux exigences de la charte constitutionnelle en élaboration;
en matière de droits de l’homme:
a poursuivre la coopération avec le TPIY et, dans ce contexte:
faire le maximum pour découvrir les seize personnes inculpées toujours en fuite et les livrer au TPIY. Les autorités ne doivent pas céder devant une personne inculpée les menaçant par n’importe quel moyen;
coopérer avec le TPIY pour garantir la protection des témoins en cas de besoin;
donner des instructions précises aux forces de l’ordre et aux procureurs afin que ceux-ci puissent procéder à des arrestations immédiates, la loi sur les extraditions comportant des lacunes quant aux délais pour passer à l’action;
réviser la loi sur la coopération avec le TPIY, conformément au statut de ce dernier et à la résolution applicable du Conseil de sécurité de l’Onu;
mettre les documents et les archives, y compris militaires, à la disposition du TPIY sans plus tarder;
b coopérer pour établir les faits concernant le sort des personnes disparues, en donnant toutes les informations concernant les fosses communes;
c informer la population deSerbie sur les crimes commis par le régime de Slobodan Miloševic, non seulement contre les autres peuples de la région, mais aussi contre les Serbes;
d poursuivre les réformes entamées en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité des juges, ainsi qu’en ce qui concerne les rapports entre les juges, les procureurs et la police;
e faire appliquer la législation concernant les objecteurs de conscience et adopter, dans un délai de trois ans, une loi sur un service de remplacement;
f adopter, dans un délai d’un an suivant son adhésion, la loi portant sur l’institution d’un médiateur (ombudsman);
en ce qui concerne le fonctionnement des institutions:
a résoudre dans les meilleurs délais la question constitutionnelle fondamentale, à savoir la forme de l’Etat entre la Serbie et le Monténégro, dont dépendra toute une série de questions, entre autres celle concernant les droits hérités de la fédération existante et celle concernant la représentation du nouvel Etat dans les organisations internationales;
b élaborer la charte constitutionnelle selon des principes démocratiques, transparents et sains et, dans ce contexte, constituer le nouveau parlement fédéral, qui aura pour tâche d’adopter la charte, par la voie d’élections;
c assurer, si à la fin de la période d’essai de trois ans prévue par l’accord signé entre la Serbie et le Monténégro un référendum devait avoir lieu sur l’indépendance, que celui-ci soit organisé dans les conditions les plus transparentes, en pleine conformité avec la loi, après un recensement de population et sous observation internationale;
d modifier, une fois la charte constitutionnelle adoptée, les Constitutions de la Serbie et du Monténégro en fonction de cette nouvelle réalité et harmoniser l’ensemble de l’édifice juridique afin d’éviter les chevauchements des compétences entre la fédération et les républiques, en s’inspirant largement des normes du Conseil de l’Europe en la matière;
e améliorer les dispositions constitutionnelles et législativesen ce qui concerne la décentralisation et l’organisation des pouvoirs locaux et des régions autonomes;
en ce qui concerne le Kosovo:
a continuer à respecter la
Résolution 1244, du 10 juin 1999, du Conseil de sécurité des Nations Unies, et les arrangements découlant de celle-ci, notamment l’administration internationale du Kosovo;
b s’engager à régler les différends concernant le statut futur du Kosovo par des moyens pacifiques et renoncer solennellement à tout recours à la force;
c contribuer aux efforts visant à construire une entité démocratique et multiethnique au Kosovo, dans le but d’instaurer un climat politique qui favoriserait la réflexion et le dialogue sur son futur statut;
en matière de suivi des engagements:
coopérer pleinement à la mise en œuvre de la Résolution 1115 (1997) de l’Assemblée parlementaire sur la création d’une commission de l’Assemblée pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) ainsi que du processus de contrôle établi en vertu de la déclaration du Comité des Ministres du 10 novembre 1994.
13. L’Assemblée n’ignore pas que si certains de ces engagements relèvent directement de la compétence fédérale, d’autres exigeraient des mesures spécifiques d’application en Serbie et au Monténégro. Elle n’en considère pas moins que la République fédérale de Yougoslavie s’engage à l’égard du Conseil de l’Europe à mettre en œuvre les accords acceptés, y compris les dispositions des conventions ratifiées sur tout le territoire sous la juridiction effective des autorités de la République fédérale de Yougoslavie.
14. L’Assemblée estime en outre que, quelle que soit l’issue de la répartition des compétences entre la fédération et les républiques après l’adoption de la charte constitutionnelle, aussi longtemps que subsistera un Etat commun, la fédération restera liée par son obligation internationale d’honorer la liste d’engagements susmentionnés.
15. En vue d’assurer le respect de ces engagements, l’Assemblée décide de suivre de près, dès son adhésion, la situation dans la République fédérale de Yougoslavie, dans le cadre de sa
Résolution 1115.
16. L’Assemblée souhaite en outre que la responsabilité de la protection des droits de l’homme et des droits des minorités nationales reste au niveau fédéral, que le degré existant de protection de ces droits soit maintenu et que la loi fédérale sur la protection des minorités nationales soit dûment mise en œuvre. Dans le cadre de la procédure de suivi postadhésion, il conviendrait d’accorder une attention particulière à la lutte contre la discrimination – et à la promotion de l’égalité de traitement – à l’égard des Roms.
17. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres, sur la base des engagements exposés ci-dessus:
d’inviter la République fédérale de Yougoslavie à devenir membre du Conseil de l’Europe dès que la charte constitutionnelle aura été adoptée par les Parlements de Serbie et du Monténégro;
d’attribuer à la République fédérale de Yougoslavie sept sièges à l’Assemblée parlementaire;
de renforcer, à la lumière de cet avis, son soutien à la République fédérale de Yougoslavie, notamment dans le cadre des programmes de coopération du Conseil de l’Europe, et de les doter des ressources financières nécessaires.
18. L’Assemblée estime que la population du Kosovo doit bénéficier de la pleine protection de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des autres conventions du Conseil de l’Europe, y compris de leurs mécanismes de contrôle, et recommande en conséquence au Comité des Ministres d’inviter le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à explorer, avec les autorités de Belgrade et de la Mission des Nations Unies au Kosovo (Minuk), les moyens de garantir l’applicabilité au Kosovo des normes fondamentales contenues dans les conventions du Conseil de l’Europe et leurs mécanismes de contrôle, y compris l’accès à la Cour européenne des Droits de l’Homme, en tenant compte de la situation juridique spéciale qui résulte de la
Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies.