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Intégration des femmes immigrées en Europe

Résolution 1478 (2006)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 24 janvier 2006 (3e séance) (voir Doc. 10758, rapport de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, rapporteuse: Mme Bilgehan). Texte adopté par l’Assemblée le 24 janvier 2006 (3e séance).
Thesaurus
1. Les femmes représentent aujourd’hui plus de 45 % des migrants dans les pays développés, selon l’Organisation internationale pour les migrations. Celles qui furent longtemps des «figures invisibles» de l’immigration, ignorées des autorités publiques, assument pourtant des responsabilités et un rôle qui les placent au cœur du processus d’intégration. L’Assemblée parlementaire observe toutefois que l’accès des femmes immigrées à la vie publique, politique et économique reste encore limité. Elle dénonce la double discrimination dont elles sont victimes, en raison de leur sexe et de leur origine, et déplore que cette discrimination s’opère à un double niveau: dans la société d’accueil et dans les communautés immigrées elles-mêmes.
2. L’Assemblée a estimé, dans sa Recommandation 1261 (1995) relative à la situation des femmes immigrées en Europe, que «les Etats membres du Conseil de l’Europe ont le devoir de tout mettre en œuvre pour éliminer les injustices et les discriminations dont sont victimes les femmes immigrées, et d’adopter des mesures qui visent leur intégration harmonieuse dans la société». Dix ans plus tard, les femmes immigrées sont toujours confrontées à des difficultés spécifiques, dans un contexte européen caractérisé par une crise économique persistante et par la montée de l’intolérance et de l’islamophobie depuis les événements du 11 septembre 2001.
3. L’Assemblée réaffirme sa conviction que les migrants apportent une contribution considérable à la diversité culturelle et au développement économique et social des pays d’accueil. Elle constate par ailleurs que la nature des flux migratoires a changé ces dernières années et qu’il y a un accroissement du nombre des femmes immigrées: alors que la majorité des femmes étaient arrivées dans le passé au titre du regroupement familial pour rejoindre leur conjoint en Europe, aujourd’hui, des femmes seules, souvent qualifiées, décident d’émigrer individuellement.
4. L’Assemblée déplore l’apparition d’un danger de «choc de civilisations» dans les sociétés européennes, la ghettoïsation des étrangers, la remise en question du concept de «multiculturalisme» et la flambée de violence en 2005 dans les banlieues du Royaume-Uni, de la France et de quelques pays voisins, où vivent en majorité des populations immigrées ou d’origine immigrée. L’Assemblée souligne que ces tensions sociales traduisent le malaise social de parties de populations privées d’une égalité des chances et de perspectives d’insertion dans la société d’accueil. Ce malaise s’est aussi traduit par la dégradation des rapports entre les filles et les garçons, et les difficultés rencontrées par les jeunes filles immigrées pour affirmer et exercer leurs droits individuels. Aussi l’Assemblée exhorte-t-elle les Etats membres à promouvoir des mesures positives dans le cadre de politiques d’intégration économique, sociale, culturelle et politique – qui cibleront également les femmes et les filles immigrées – pour contribuer à renforcer la cohésion sociale dans les sociétés européennes multiculturelles.
5. L’Assemblée parlementaire est particulièrement attachée à la protection des droits fondamentaux des femmes immigrées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle rappelle qu’il incombe aux Etats membres du Conseil de l’Europe de protéger les femmes contre les violations de leurs droits, de promouvoir et pleinement mettre en œuvre l’égalité entre les sexes, et de n’accepter aucun relativisme culturel ou religieux en matière de droits fondamentaux des femmes. L’Assemblée exprime sa préoccupation quant aux carences juridiques identifiées en matière de protection des droits de la personne humaine des femmes immigrées et de respect du principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans les communautés immigrées: l’existence de conventions bilatérales, l’application du droit personnel aux femmes immigrées ou d’origine immigrée, ou l’absence de statut juridique indépendant de celui du regroupant peuvent atténuer cette protection.
6. Dans ce contexte, l’Assemblée est convaincue que les mesures favorisant la protection des droits fondamentaux des femmes immigrées, leur accès à l’éducation, à la formation, à l’emploi, aux droits sociaux et culturels, et aux services de santé contribuent à l’intégration des femmes immigrées et au renforcement de la cohésion sociale des pays d’accueil.
7. L’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
7.1 à assurer la garantie et le respect des droits fondamentaux des femmes immigrées en veillant, entre autres:
7.1.1 à accorder un statut juridique à la femme immigrée, arrivée au titre du regroupement familial, indépendant de celui de son conjoint, si possible dans un délai n’excédant pas une année suivant la date de son arrivée;
7.1.2 à établir un cadre juridique garantissant aux femmes immigrées le droit à la détention de leur passeport et de leur titre de séjour, et permettant de poursuivre pénalement la soustraction de ces documents;
7.1.3 à rejeter l’application de toute disposition d’une loi étrangère applicable aux immigrés qui s’avère contraire à la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE n° 5), au Protocole no 7 à la Convention (STE n° 117) ou au principe fondamental de l’égalité entre les femmes et les hommes, et/ou à renégocier, rejeter ou dénoncer les chapitres des accords bilatéraux et les règles de droit privé international qui violent les principes fondamentaux des droits de la personne humaine, en particulier en matière de statut personnel;
7.1.4 à prévoir la transcription et la validation, par les autorités compétentes, des jugements en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants prononcés par les juridictions des Etats non membres du Conseil de l’Europe et des Etats n’ayant pas ratifié le Protocole n° 7 à la Convention, afin de vérifier la conformité de ces jugements avec les dispositions de la Convention et de son Protocole n° 7;
7.1.5 à assurer la protection des femmes immigrées en situation irrégulière contre toutes les formes d’exploitation, notamment la traite;
7.2 à prendre pleinement en compte les formes de persécution liées au sexe lors de l’examen des demandes d’asile introduites par des femmes;
7.3 à accorder une attention particulière aux femmes seules vivant à l’écart des principaux centres où sont installés les réfugiés, dans la mesure où elles rencontrent un grand nombre de problèmes, tels que l’isolement et l’insécurité;
7.4 à lutter de manière ferme contre toutes les formes de violences subies par les femmes immigrées et à s’assurer que toutes les mesures administratives soient prises pour les protéger, ce qui inclut un accès effectif à des dispositifs d’assistance et de protection, et l’octroi accéléré d’un statut juridique et d’un titre de séjour indépendants, notamment de celui de leur conjoint ou de leur employeur, en cas de violences;
7.5 à mettre en œuvre les recommandations de l’Assemblée parlementaire et du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe afin de favoriser l’intégration des immigrés, en particulier celle des femmes immigrées, et à assurer un suivi de cette mise en œuvre;
7.6 à organiser à l’intention des femmes et des hommes immigrés, particulièrement au niveau local, l’apprentissage, gratuit dans la mesure du possible, de la langue du pays d’accueil, au moyen de cours sur mesure, pratiques et axés sur les principaux centres d’intérêt de leur vie, ainsi que l’initiation aux règles de droit, aux valeurs démocratiques, aux droits fondamentaux de la personne humaine dans les pays d’accueil, aux principes démocratiques fondamentaux, incluant l’égalité entre les hommes et les femmes, adaptée aux besoins spécifiques des femmes immigrées, en veillant à assurer l’évaluation de ces dispositifs;
7.7 à recueillir des données statistiques relatives aux flux migratoires qui soient ventilées par sexe, afin de mieux évaluer la nature des flux migratoires féminins, les besoins des femmes immigrées et les actions spécifiques qui pourront accélérer leur intégration dans la société d’accueil;
7.8 à assurer une formation professionnelle adéquate pour les femmes immigrées, qui visera à ne pas les confiner dans des emplois subalternes et à leur permettre de choisir des métiers dans des secteurs d’activité autres que ceux qui leur sont traditionnellement réservés (services, santé, restauration, par exemple);
7.9 à promouvoir l’accès des femmes immigrées à l’emploi, à adopter des mesures positives pour combattre la double discrimination subie par les femmes immigrées sur le marché du travail et à créer les conditions favorisant leur accès au marché du travail et la conciliation de la vie professionnelle et de la privée des femmes immigrées (en particulier par la mise en place de structures de garde d’enfants accessibles, en prenant en compte la diversité et les différentes langues des enfants et des parents);
7.10 à poursuivre des politiques énergiques de lutte contre la discrimination raciale, qui porte préjudice aux femmes et aux hommes immigrés;
7.11 à promouvoir des campagnes d’information et de sensibilisation dans les médias et les écoles pour valoriser la place et le rôle des femmes immigrées dans les sociétés d’accueil et surmonter les stéréotypes confinant les femmes immigrées dans des rôles subalternes et passifs;
7.12 à encourager les médias à répondre aux besoins des femmes immigrées et à ne pas en donner une image stéréotypée de victimes de traditions religieuses ou culturelles rigides;
7.13 à mettre en place des programmes visant l’intégration des femmes immigrées qui incluent la participation des conjoints, notamment dans le domaine de la parentalité ou de l’accès aux services de santé, et à promouvoir et mettre en œuvre le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les communautés immigrées comme principe fondamental et intangible des droits de la personne humaine;
7.14 à entreprendre toutes les actions nécessaires pour protéger les droits des femmes immigrées et combattre les discriminations qu’elles subissent au sein de leur communauté d’origine, en refusant toute forme de relativisme culturel ou religieux qui pourrait violer les droits fondamentaux des femmes;
7.15 à garantir les droits fondamentaux des jeunes filles et à prévoir des mesures visant à promouvoir et mettre en œuvre le principe de l’égalité entre les filles et les garçons;
7.16 à renforcer les compétences des autorités locales, notamment dans le domaine des services sociaux et de la citoyenneté active, et à allouer les ressources nécessaires à la mise en œuvre des actions qui favoriseront l’intégration des femmes immigrées au niveau local;
7.17 à s’appuyer sur l’action des organisations non gouvernementales capables d’identifier les besoins et les difficultés spécifiques des femmes immigrées, qui, grâce à une action de proximité, contribuent à renforcer les capacités des femmes immigrées et à faciliter leur insertion dans la vie socio-économique;
7.18 à signer et ratifier, si ce n’est pas déjà fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE n° 144), la Convention européenne relative au statut du travailleur migrant (STE n° 93), le Protocole n° 12 à la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE n° 177), la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ainsi que la Convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants (STE n° 105).
8. L’Assemblée invite Andorre et le Royaume-Uni à signer et ratifier, et l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas et la Turquie à ratifier, le Protocole no 7 à la Convention européenne des Droits de l’Homme, dans les meilleurs délais, en évitant dans la mesure du possible de formuler des réserves à l’article 5 qui garantit l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre époux.
9. L’Assemblée décide d’engager le dialogue avec des représentants parlementaires et gouvernementaux des Etats d’origine sur les questions concernant le respect du principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans les codes de la famille pour évaluer le statut juridique des femmes dans les pays d’origine et en analyser les conséquences dans les pays d’accueil.