Renforcer les mesures de protection et de relance des langues gravement menacées
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Texte adopté par la Commission permanente, agissant
au nom de l’Assemblée, le 12 novembre 2010 (voir Doc. 12423, rapport
de la commission de la culture, de la science et de l’éducation,
rapporteur: M. Kumcuoğlu). Voir également la Recommandation 1943 (2010).
- Thesaurus
1. Les langues sont des éléments inestimables
du patrimoine culturel et la diversité linguistique constitue une
composante essentielle de la diversité culturelle, qu’il convient
de préserver et de promouvoir. Divers instruments juridiques internationaux
contribuent à leur protection, en posant un principe général de
non-discrimination fondée sur la langue en ce qui concerne les droits
fondamentaux civils, politiques, économiques, sociaux et culturels,
mais aussi plus directement en énonçant un droit de faire vivre
et d’employer sa propre langue dans le cadre du droit de participer
à la vie culturelle.
2. Ainsi, l’article 27 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques dispose: «Dans les Etats où il existe des minorités
(…) linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne
peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres
membres de leur groupe, leur propre vie culturelle (…) ou d’employer leur
propre langue.» L’article 30 de la Convention relative aux droits
de l’enfant des Nations Unies contient une disposition similaire,
aux termes de laquelle un enfant autochtone ou appartenant à une
minorité linguistique «ne peut être privé du droit d’avoir sa propre
vie culturelle (…) ou d’employer sa propre langue en commun avec
les autres membres de son groupe».
3. La Convention de 2005 de l’UNESCO sur la protection et la
promotion de la diversité des expressions culturelles prévoit dans
son article 7 (consacré aux mesures destinées à promouvoir les expressions culturelles)
que «1. Les Parties s’efforcent de créer sur leur territoire un
environnement encourageant les individus et les groupes sociaux:
(a) à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles
et à y avoir accès, en tenant dûment compte des conditions et besoins
particuliers des femmes, ainsi que de divers groupes sociaux, y
compris les personnes appartenant aux minorités et les peuples autochtones».
En outre, en vertu de l’article 8, les Parties peuvent prendre toutes
les mesures appropriées pour protéger et préserver les expressions
culturelles qui «sont soumises à un risque d’extinction, à une grave menace,
ou nécessitent de quelque façon que ce soit une sauvegarde urgente».
4. Enfin, les langues (et leur diversité) doivent également être
protégées car elles sont des vecteurs de transmission indispensables
du «patrimoine culturel immatériel», comme l’indique l’article 2,
paragraphe 2, de la Convention de 2003 de l’UNESCO pour la sauvegarde
du patrimoine culturel immatériel.
5. Malgré les dispositions sur la protection des langues énoncées
dans plusieurs de ces instruments normatifs relatifs aux droits
de l’homme, quelque 230 langues ont disparu au cours de ces cinquante
dernières années et beaucoup d’autres sont en péril et promises
au même sort avant la fin de ce siècle. Il s’agit en particulier
des langues des petites communautés, qui ne sont employées que par
un nombre limité de personnes, généralement les aînés, et qui ne
sont plus enseignées par les parents à leurs enfants. Ces langues,
qui ne sont aujourd’hui plus transmises à la génération suivante,
ne peuvent survivre sans un appui durable des autorités compétentes
et l’adoption immédiate de mesures visant à inverser la tendance.
6. La situation est particulièrement inquiétante en Europe: la
diversité linguistique y est relativement faible par rapport à d’autres
régions du monde et la plupart des langues européennes sont en danger.
7. La protection du patrimoine culturel, y compris linguistique,
figure au nombre des objectifs fondamentaux du Conseil de l’Europe.
Le préambule de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
(STE no 148) met en avant la valeur du
plurilinguisme et souligne que la protection des langues historiques
menacées de disparition contribue à maintenir et à développer les
traditions et la richesse culturelles de l’Europe, ainsi qu’à construire
une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité
culturelle.
8. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
et son mécanisme de suivi ont entraîné des développements positifs.
Certains Etats membres ont eu recours à leur instrument de ratification
pour reconnaître officiellement le statut de certaines langues minoritaires
telles que le bas-allemand en Allemagne, le scots au Royaume-Uni,
le limbourgeois aux Pays-Bas, l’arabe chypriote à Chypre et le carélien
en Finlande. L’Assemblée parlementaire reconnaît qu’il s’agit là
d’un bon moyen de protéger et de relancer les langues gravement
menacées et encourage les autres Etats membres à suivre cette pratique.
10. L’Assemblée rappelle que chaque langue reflète un savoir historique,
social, culturel et écologique unique, ainsi qu’une expérience humaine
et une vision du monde incomparables. Elle est par conséquent très préoccupée
par les tendances négatives observées en matière de diversité et
de vitalité des langues. Seuls un nouvel élan et une mobilisation
accrue, tant au niveau européen qu’au niveau national, pourront
permettre d’inverser ces tendances et de revitaliser les langues
gravement menacées.
11. L’Assemblée estime qu’il convient d’agir immédiatement en
la matière, non seulement parce que le droit de chacun d’employer
sa propre langue est un droit inaliénable qui doit être dûment protégé,
mais aussi parce que l’uniformisation linguistique est une menace
pour l’identité culturelle de l’Europe, qui est et doit demeurer plurielle.
12. En conséquence, l’Assemblée invite les Etats membres:
12.1 à apporter un soutien permanent
à la relance des langues pratiquées traditionnellement sur leur territoire,
en particulier celles qui sont gravement menacées, afin de garantir
une jouissance des droits linguistiques sans discrimination, et
à élaborer des politiques globales et des plans d’action ciblés
visant en particulier:
12.1.1 à sensibiliser la population
à l’importance de préserver ces langues et à l’intérêt qu’elles présentent
vis-à-vis de la culture dont elles sont l’expression;
12.1.2 à encourager la transmission de ces langues aux jeunes
générations et une maîtrise accrue par les enfants de leur langue
maternelle;
12.1.3 à promouvoir l’emploi de ces langues dans la communication
au quotidien et dans des domaines très variés;
12.1.4 à soutenir l’apprentissage de ces langues à tous les niveaux
de l’éducation;
12.1.5 à rassembler et analyser des statistiques sur ces langues
tout en veillant à protéger la vie privée;
12.1.6 à réunir, préserver et rendre accessibles des documents
publics et tout type de matériel dans ces langues;
12.2 dans le cadre de la mise en œuvre de ces politiques, à
exploiter pleinement les possibilités offertes par les médias et
les nouvelles technologies de l’information, et à faciliter le travail
en réseau, les actions conjointes et les partenariats, notamment
entre institutions publiques et privées, pour élaborer des activités
et initiatives culturelles ciblées.