L’arrivée massive de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du Sud de l’Europe
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion par l’Assemblée
le 14 avril 2011 (16e séance) (voir Doc. 12581, rapport de la commission
des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: Mme
Strik). Texte adopté par l’Assemblée le 14 avril 2011 (16e séance).
Voir également Recommandation
1967 (2011).
- Thesaurus
1. Les soulèvements qui se sont produits
cette année en Tunisie, en Egypte et en Libye ont entraîné des changements
politiques aussi importants que courageux aux frontières les plus
méridionales de l’Europe. Ces changements ont cependant déclenché
une nouvelle vague de départs de gens désespérés fuyant le danger ou
la misère économique et prêts à tout pour traverser la Méditerranée.
2. Cette année, ce sont déjà plus de 23 000 personnes qui, parties
de Tunisie sur des embarcations de fortune, ont débarqué sur la
petite île italienne de Lampedusa qui, en hiver, compte 5 000 habitants
seulement. Dans leur très grande majorité, ces nouveaux arrivants
sont des migrants en situation irrégulière fuyant pour des motifs
économiques.
3. Au cours des deux dernières semaines, les premières embarcations
ont commencé à arriver de la Libye. Plus d’un millier de personnes
ont atteint Malte et près de 900 ont débarqué en Italie. Sans vouloir
être alarmiste, il est clair qu’elles pourraient être suivies de
beaucoup d’autres, étant donné que 460 000 personnes ont déjà fui
la Libye et cherché refuge essentiellement en Tunisie (228 000 personnes)
et en Egypte (182 000).
4. Des milliers continuent à fuir chaque jour la Libye. Pour
l’instant, ce ne sont pas des Libyens, mais, pour l’essentiel, des
ressortissants de pays en proie à des conflits, qui ont été pris
au piège du conflit libyen avant de pouvoir s’enfuir. Bon nombre
d’entre eux ne peuvent être rapatriés dans leur pays d’origine et
l’Europe devra trouver une solution pour leur donner asile ou leur
procurer une autre protection internationale. La situation deviendrait
encore plus complexe si des Libyens, qui ont un besoin criant de
protection en raison soit du climat de terreur croissante imposé
par le colonel Kadhafi, soit de l’émergence d’une guerre civile,
se mettaient à fuir en masse leur pays, ou si le colonel Kadhafi
mettait à exécution sa menace d’utiliser la migration irrégulière
comme une arme contre l’Europe.
5. Dans l’intervalle, le nombre des victimes qui perdent la vie
en tentant d’atteindre les côtes européennes sur des rafiots surchargés
ne cesse d’augmenter, et on compte parmi les bateaux considérés
comme perdus en mer des embarcations transportant jusqu’à 335 personnes.
6. L’Assemblée parlementaire reconnaît que l’une des premières
priorités est de répondre aux besoins humanitaires et de mettre
en place une protection internationale pour tous ceux qui ont déjà
débarqué sur les côtes européennes, essentiellement en Italie et
à Malte. Les Etats membres du Conseil de l’Europe, l’Union européenne,
les organisations internationales, la société civile et d’autres,
tous doivent aider et doivent faire preuve de solidarité avec les
Etats en première ligne. Cette solidarité et cette volonté de prendre
sa part de responsabilité doivent être étendues à la côte d’Afrique
du Nord et aux milliers de réfugiés et personnes déplacées cherchant
encore des moyens de rentrer chez eux après avoir fui la Libye.
Elles devraient également s’étendre aux migrants et aux réfugiés
pris au piège en Libye en attendant de pouvoir fuir le pays.
7. L’Assemblée note que, s’il y a bien eu une vague d’arrivées,
pour l’instant, ce n’est pas le déferlement que l’on pouvait craindre.
Il est important de faire cette distinction, car les responsables
politiques, les médias et d’autres n’ayant pas précisé ce point,
l’opinion publique est très inquiète, ne comprend pas et exige des réponses
disproportionnées.
8. L’Assemblée est consciente de la pression à laquelle sont
soumis les pays membres du Conseil de l’Europe se trouvant aux avant-postes;
elle salue les efforts qu’ils déploient pour assurer l’assistance humanitaire
prévue par les obligations internationales et les encourage à poursuivre
en ce sens. L’Assemblée rappelle les Etats à leur devoir, au plan
international, de ne pas renvoyer des embarcations transportant
des personnes ayant besoin d’une protection internationale.
9. L’Assemblée relève que l’impossibilité pour les autorités
italiennes de renvoyer des migrants irréguliers tunisiens les a
amenées à leur délivrer des permis de séjour provisoires de six
mois. Elle note également que cela risque de créer des tensions
supplémentaires entre la France et l’Italie, étant donné que la
France a intercepté et renvoyé de nombreux Tunisiens ayant pénétré
sur son territoire par sa frontière avec l’Italie.
10. L’Assemblée estime qu’il n’est jamais trop tôt pour commencer
à s’attaquer aux causes premières de cette vague de réfugiés arrivés
par la mer. Certaines d’entre elles peuvent être traitées relativement rapidement,
d’autres sont plus compliquées et prendront plus de temps. Toutefois,
pour les traiter, il faudra faire preuve de volonté politique, être
prêt au compromis et mobiliser de l’argent. Les causes sont claires:
les conflits, des situations économiques difficiles, l’absence de
tout gouvernement démocratiquement légitimé, de stabilité ou d’autorité
politiques, ainsi qu’une explosion démographique dans le sud du
Bassin méditerranéen.
11. L’Europe devra investir massivement dans ces pays d’un point
de vue économique et démocratique. En outre, il faudra négocier
sur des questions sensibles telles que le retour des ressortissants
vers leur pays et les opportunités de migration par des voies légales.
Si l’Europe ne fait pas assez, elle risque d’avoir pour voisins
des pays d’Afrique du Nord dont les populations vivent dans les
conflits et la pauvreté, dont la jeunesse n’a aucune perspective,
et cela aura des conséquences majeures en termes de migration irrégulière.
12. L’Assemblée, reconnaissant que les événements en Afrique du
Nord concernent tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, invite
donc ceux-ci:
12.1 à prendre conscience
que l’arrivée sur les rivages du sud de l’Europe d’un grand nombre
de migrants en situation irrégulière relève de la responsabilité
de tous les Etats européens et exige une solution qui tienne compte
de la nécessité de partager cette responsabilité collectivement;
l’Assemblée rappelle aux Etats membres les appels répétés qu’a lancés
le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe pour
qu’ils prennent effectivement leur part de responsabilité;
12.2 à apporter d’urgence une aide et une assistance humanitaires
à tous ceux qui arrivent sur les côtes méridionales de l’Europe
et se présentent à d’autres frontières, notamment par la mise à disposition
de logements, d’un accueil et de soins de santé adéquats, comme
l’Assemblée l’avait déjà rappelé dans sa
Résolution 1637 (2008) sur les
boat people de l’Europe: arrivée
par mer de flux migratoires mixtes en Europe du Sud;
12.3 à éviter la rétention administrative automatique qui ne
doit être utilisée que lorsqu’il n’existe pas d’autre alternative
raisonnable et en veillant à ce qu’elle soit exercée dans des conditions
respectant les normes minimales des droits de l’homme, comme l’Assemblée
l’indiquait dans sa
Résolution
1707 (2010) sur la rétention administrative des demandeurs
d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe;
12.4 à veiller à ce que les personnes vulnérables, notamment
les femmes et les enfants, les victimes de torture, les victimes
de la traite et les personnes âgées, ne soient pas détenues et à
ce qu’elles reçoivent des soins et une assistance appropriés;
12.5 à garantir le droit d’asile et le droit à ne pas être
refoulé, notamment:
12.5.1 en veillant à ce que les Etats
acceptent sur leur territoire les personnes nécessitant une protection
internationale;
12.5.2 en assurant la qualité et la cohérence des décisions concernant
les demandes d’asile, conformément à la
Résolution 1695 (2009) de l’Assemblée
intitulée «Améliorer la qualité et la cohérence des décisions en
matière d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe»;
12.6 à veiller à ce que le tri des arrivées et le traitement
des dossiers de demande d’asile se fassent rapidement, mais sans
sacrifier l’équité à la rapidité;
12.7 à donner son plein appui au Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR), à l’Organisation internationale pour
les migrations (OIM), au Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
et à d’autres organisations internationales et nationales assurant
une assistance humanitaire et autre, tant en Afrique du Nord que
dans les pays d’arrivée en Europe, et à participer généreusement
aux programmes de réinstallation des réfugiés bloqués dans les pays
d’Afrique du Nord;
12.8 à faire preuve de solidarité dans les difficultés qui
se posent, et notamment à prendre leur part de responsabilité avec
les Etats exposés en première ligne, en particulier:
12.8.1 en
accordant davantage de soutien à l’Agence pour la gestion de la
coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union
européenne (Frontex) et au Bureau européen d’appui en matière d’asile
(BEA) récemment établi, et en encourageant l’utilisation accrue
de financement de l’Union européenne disponible par le biais du
Fonds européen pour les frontières extérieures, du Fonds européen
pour le retour, du Fonds européen pour les réfugiés et du Fonds européen
d’intégration;
12.8.2 en examinant la possibilité de prendre des engagements
pour la réinstallation de ceux, arrivés dans des pays européens,
qui ont besoin d’une protection internationale, et la possibilité de
suspendre l’application des Règlements de Dublin ou en envisageant
les autres modalités de partage des responsabilités prévues par
les mécanismes existants, comme la clause de solidarité de l’article
3.2 du Règlement de Dublin et la clause humanitaire de son article
15;
12.8.3 en travaillant de manière concertée, notamment avec l’Union
européenne, sur la question des retours volontaires et forcés, en
prenant en compte les nécessaires protections des droits de l’homme
lorsque des accords de réadmission sont invoqués, conformément à
la
Résolution 1741 (2010) de
l’Assemblée sur les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi des
migrants en situation irrégulière;
12.8.4 en prenant conscience de la situation particulièrement
difficile dans laquelle se trouve Malte, compte tenu de la taille
de son territoire, de sa forte densité de population et de ses moyens
humains et matériels limités, pour s’engager à réinstaller ceux
qui ont besoin d’une protection internationale.
13. L’Assemblée, prenant en compte le fait qu’il est nécessaire
de s’attaquer aussitôt que possible aux causes premières de ces
arrivées massives de migrants irréguliers, de demandeurs d’asile
et de réfugiés, invite instamment les Etats membres:
13.1 à soutenir les réformes économique,
sociale, démocratique et juridique, et le développement en Tunisie
et en Egypte, et, le cas échéant, en Libye;
13.2 à mettre en place des voies légales de migration (par
exemple pour des travaux saisonniers, pour la migration circulaire
et d’autres formes de migration) pour les gens en provenance des
pays concernés, afin de réduire la pression de la migration irrégulière
et d’apporter leur soutien à ces pays;
13.3 à se tenir prêts à apporter une assistance substantielle
à la Libye pour stabiliser le pays dès que ce dernier sera sorti
du conflit qu’il traverse actuellement.
14. En cas d’exode massif de réfugiés libyens dû à un climat de
terreur croissante imposé par le colonel Kadhafi ou à l’émergence
d’une guerre civile, l’Assemblée encourage les Etats membres de
l’Union européenne à envisager d’appliquer la directive temporaire
de protection (Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001
relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire
en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant
à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats
membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences
de cet accueil). A ce stade, il est important de garantir qu’aucun
Etat n’envisage le rapatriement de Libyens et qu’au moins une certaine
forme de protection temporaire soit offerte à ces derniers.
15. L’Assemblée rappelle aux Etats membres les possibilités de
financement qu’offre la Banque de développement du Conseil de l’Europe
et les encourage à présenter des projets pour l’obtention de prêts
afin de contribuer à la création de structures d’accueil et d’infrastructures
adéquates pour répondre aux besoins de ces personnes vulnérables.