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L’arrivée massive de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du Sud de l’Europe

Résolution 1805 (2011)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 14 avril 2011 (16e séance) (voir Doc. 12581, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: Mme Strik). Texte adopté par l’Assemblée le 14 avril 2011 (16e séance). Voir également Recommandation 1967 (2011).
Thesaurus
1. Les soulèvements qui se sont produits cette année en Tunisie, en Egypte et en Libye ont entraîné des changements politiques aussi importants que courageux aux frontières les plus méridionales de l’Europe. Ces changements ont cependant déclenché une nouvelle vague de départs de gens désespérés fuyant le danger ou la misère économique et prêts à tout pour traverser la Méditerranée.
2. Cette année, ce sont déjà plus de 23 000 personnes qui, parties de Tunisie sur des embarcations de fortune, ont débarqué sur la petite île italienne de Lampedusa qui, en hiver, compte 5 000 habitants seulement. Dans leur très grande majorité, ces nouveaux arrivants sont des migrants en situation irrégulière fuyant pour des motifs économiques.
3. Au cours des deux dernières semaines, les premières embarcations ont commencé à arriver de la Libye. Plus d’un millier de personnes ont atteint Malte et près de 900 ont débarqué en Italie. Sans vouloir être alarmiste, il est clair qu’elles pourraient être suivies de beaucoup d’autres, étant donné que 460 000 personnes ont déjà fui la Libye et cherché refuge essentiellement en Tunisie (228 000 personnes) et en Egypte (182 000).
4. Des milliers continuent à fuir chaque jour la Libye. Pour l’instant, ce ne sont pas des Libyens, mais, pour l’essentiel, des ressortissants de pays en proie à des conflits, qui ont été pris au piège du conflit libyen avant de pouvoir s’enfuir. Bon nombre d’entre eux ne peuvent être rapatriés dans leur pays d’origine et l’Europe devra trouver une solution pour leur donner asile ou leur procurer une autre protection internationale. La situation deviendrait encore plus complexe si des Libyens, qui ont un besoin criant de protection en raison soit du climat de terreur croissante imposé par le colonel Kadhafi, soit de l’émergence d’une guerre civile, se mettaient à fuir en masse leur pays, ou si le colonel Kadhafi mettait à exécution sa menace d’utiliser la migration irrégulière comme une arme contre l’Europe.
5. Dans l’intervalle, le nombre des victimes qui perdent la vie en tentant d’atteindre les côtes européennes sur des rafiots surchargés ne cesse d’augmenter, et on compte parmi les bateaux considérés comme perdus en mer des embarcations transportant jusqu’à 335 personnes.
6. L’Assemblée parlementaire reconnaît que l’une des premières priorités est de répondre aux besoins humanitaires et de mettre en place une protection internationale pour tous ceux qui ont déjà débarqué sur les côtes européennes, essentiellement en Italie et à Malte. Les Etats membres du Conseil de l’Europe, l’Union européenne, les organisations internationales, la société civile et d’autres, tous doivent aider et doivent faire preuve de solidarité avec les Etats en première ligne. Cette solidarité et cette volonté de prendre sa part de responsabilité doivent être étendues à la côte d’Afrique du Nord et aux milliers de réfugiés et personnes déplacées cherchant encore des moyens de rentrer chez eux après avoir fui la Libye. Elles devraient également s’étendre aux migrants et aux réfugiés pris au piège en Libye en attendant de pouvoir fuir le pays.
7. L’Assemblée note que, s’il y a bien eu une vague d’arrivées, pour l’instant, ce n’est pas le déferlement que l’on pouvait craindre. Il est important de faire cette distinction, car les responsables politiques, les médias et d’autres n’ayant pas précisé ce point, l’opinion publique est très inquiète, ne comprend pas et exige des réponses disproportionnées.
8. L’Assemblée est consciente de la pression à laquelle sont soumis les pays membres du Conseil de l’Europe se trouvant aux avant-postes; elle salue les efforts qu’ils déploient pour assurer l’assistance humanitaire prévue par les obligations internationales et les encourage à poursuivre en ce sens. L’Assemblée rappelle les Etats à leur devoir, au plan international, de ne pas renvoyer des embarcations transportant des personnes ayant besoin d’une protection internationale.
9. L’Assemblée relève que l’impossibilité pour les autorités italiennes de renvoyer des migrants irréguliers tunisiens les a amenées à leur délivrer des permis de séjour provisoires de six mois. Elle note également que cela risque de créer des tensions supplémentaires entre la France et l’Italie, étant donné que la France a intercepté et renvoyé de nombreux Tunisiens ayant pénétré sur son territoire par sa frontière avec l’Italie.
10. L’Assemblée estime qu’il n’est jamais trop tôt pour commencer à s’attaquer aux causes premières de cette vague de réfugiés arrivés par la mer. Certaines d’entre elles peuvent être traitées relativement rapidement, d’autres sont plus compliquées et prendront plus de temps. Toutefois, pour les traiter, il faudra faire preuve de volonté politique, être prêt au compromis et mobiliser de l’argent. Les causes sont claires: les conflits, des situations économiques difficiles, l’absence de tout gouvernement démocratiquement légitimé, de stabilité ou d’autorité politiques, ainsi qu’une explosion démographique dans le sud du Bassin méditerranéen.
11. L’Europe devra investir massivement dans ces pays d’un point de vue économique et démocratique. En outre, il faudra négocier sur des questions sensibles telles que le retour des ressortissants vers leur pays et les opportunités de migration par des voies légales. Si l’Europe ne fait pas assez, elle risque d’avoir pour voisins des pays d’Afrique du Nord dont les populations vivent dans les conflits et la pauvreté, dont la jeunesse n’a aucune perspective, et cela aura des conséquences majeures en termes de migration irrégulière.
12. L’Assemblée, reconnaissant que les événements en Afrique du Nord concernent tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, invite donc ceux-ci:
12.1 à prendre conscience que l’arrivée sur les rivages du sud de l’Europe d’un grand nombre de migrants en situation irrégulière relève de la responsabilité de tous les Etats européens et exige une solution qui tienne compte de la nécessité de partager cette responsabilité collectivement; l’Assemblée rappelle aux Etats membres les appels répétés qu’a lancés le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe pour qu’ils prennent effectivement leur part de responsabilité;
12.2 à apporter d’urgence une aide et une assistance humanitaires à tous ceux qui arrivent sur les côtes méridionales de l’Europe et se présentent à d’autres frontières, notamment par la mise à disposition de logements, d’un accueil et de soins de santé adéquats, comme l’Assemblée l’avait déjà rappelé dans sa Résolution 1637 (2008) sur les boat people de l’Europe: arrivée par mer de flux migratoires mixtes en Europe du Sud;
12.3 à éviter la rétention administrative automatique qui ne doit être utilisée que lorsqu’il n’existe pas d’autre alternative raisonnable et en veillant à ce qu’elle soit exercée dans des conditions respectant les normes minimales des droits de l’homme, comme l’Assemblée l’indiquait dans sa Résolution 1707 (2010) sur la rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe;
12.4 à veiller à ce que les personnes vulnérables, notamment les femmes et les enfants, les victimes de torture, les victimes de la traite et les personnes âgées, ne soient pas détenues et à ce qu’elles reçoivent des soins et une assistance appropriés;
12.5 à garantir le droit d’asile et le droit à ne pas être refoulé, notamment:
12.5.1 en veillant à ce que les Etats acceptent sur leur territoire les personnes nécessitant une protection internationale;
12.5.2 en assurant la qualité et la cohérence des décisions concernant les demandes d’asile, conformément à la Résolution 1695 (2009) de l’Assemblée intitulée «Améliorer la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe»;
12.6 à veiller à ce que le tri des arrivées et le traitement des dossiers de demande d’asile se fassent rapidement, mais sans sacrifier l’équité à la rapidité;
12.7 à donner son plein appui au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et à d’autres organisations internationales et nationales assurant une assistance humanitaire et autre, tant en Afrique du Nord que dans les pays d’arrivée en Europe, et à participer généreusement aux programmes de réinstallation des réfugiés bloqués dans les pays d’Afrique du Nord;
12.8 à faire preuve de solidarité dans les difficultés qui se posent, et notamment à prendre leur part de responsabilité avec les Etats exposés en première ligne, en particulier:
12.8.1 en accordant davantage de soutien à l’Agence pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union européenne (Frontex) et au Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEA) récemment établi, et en encourageant l’utilisation accrue de financement de l’Union européenne disponible par le biais du Fonds européen pour les frontières extérieures, du Fonds européen pour le retour, du Fonds européen pour les réfugiés et du Fonds européen d’intégration;
12.8.2 en examinant la possibilité de prendre des engagements pour la réinstallation de ceux, arrivés dans des pays européens, qui ont besoin d’une protection internationale, et la possibilité de suspendre l’application des Règlements de Dublin ou en envisageant les autres modalités de partage des responsabilités prévues par les mécanismes existants, comme la clause de solidarité de l’article 3.2 du Règlement de Dublin et la clause humanitaire de son article 15;
12.8.3 en travaillant de manière concertée, notamment avec l’Union européenne, sur la question des retours volontaires et forcés, en prenant en compte les nécessaires protections des droits de l’homme lorsque des accords de réadmission sont invoqués, conformément à la Résolution 1741 (2010) de l’Assemblée sur les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi des migrants en situation irrégulière;
12.8.4 en prenant conscience de la situation particulièrement difficile dans laquelle se trouve Malte, compte tenu de la taille de son territoire, de sa forte densité de population et de ses moyens humains et matériels limités, pour s’engager à réinstaller ceux qui ont besoin d’une protection internationale.
13. L’Assemblée, prenant en compte le fait qu’il est nécessaire de s’attaquer aussitôt que possible aux causes premières de ces arrivées massives de migrants irréguliers, de demandeurs d’asile et de réfugiés, invite instamment les Etats membres:
13.1 à soutenir les réformes économique, sociale, démocratique et juridique, et le développement en Tunisie et en Egypte, et, le cas échéant, en Libye;
13.2 à mettre en place des voies légales de migration (par exemple pour des travaux saisonniers, pour la migration circulaire et d’autres formes de migration) pour les gens en provenance des pays concernés, afin de réduire la pression de la migration irrégulière et d’apporter leur soutien à ces pays;
13.3 à se tenir prêts à apporter une assistance substantielle à la Libye pour stabiliser le pays dès que ce dernier sera sorti du conflit qu’il traverse actuellement.
14. En cas d’exode massif de réfugiés libyens dû à un climat de terreur croissante imposé par le colonel Kadhafi ou à l’émergence d’une guerre civile, l’Assemblée encourage les Etats membres de l’Union européenne à envisager d’appliquer la directive temporaire de protection (Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil). A ce stade, il est important de garantir qu’aucun Etat n’envisage le rapatriement de Libyens et qu’au moins une certaine forme de protection temporaire soit offerte à ces derniers.
15. L’Assemblée rappelle aux Etats membres les possibilités de financement qu’offre la Banque de développement du Conseil de l’Europe et les encourage à présenter des projets pour l’obtention de prêts afin de contribuer à la création de structures d’accueil et d’infrastructures adéquates pour répondre aux besoins de ces personnes vulnérables.