B Exposé des motifs,
par Mme Dumery, rapporteure
1 Introduction
1. Il est devenu d’usage courant
dans beaucoup de pays que certains partis politiques utilisent les
migrants et les réfugiés pendant les campagnes électorales en argumentant
qu’ils représentent une menace pour les valeurs, le mode de vie
et l’identité des peuples autochtones. Ces partis politiques s’inscrivent
ainsi dans un mouvement de radicalisation des politiques publiques
antimigratoires et, par là même, de remontée de la xénophobie, voire
du racisme, dans les politiques européennes.
2. La xénophobie est décrite, en général, comme «une peur maladive
des étrangers ou des pays étrangers». Il s’agit en fait d’une sorte
de répulsion vis-à-vis des personnes que l’on ne connaît pas ou
qui sont originaires d’un pays étranger. La xénophobie est un sentiment,
ou une vision des choses, fondé sur des stéréotypes fabriqués par
la société et non pas sur des faits rationnels.
3. Les étrangers, et en particulier les migrants, sont présentés
comme un fardeau pour la société et doivent faire face à de multiples
formes de violence et de préjugés.
4. Un certain nombre de facteurs ont ainsi contribué à un regain
de manifestations de xénophobie et de campagnes contre les immigrants
ou, tout simplement, contre les étrangers. Un des facteurs les plus importants
est celui de la crise économique et financière et de l’effondrement
du marché de l’emploi. Ce à quoi viennent s’ajouter, également,
et à la suite notamment des différents attentats terroristes, un
sentiment d’insécurité et de peur de l’avenir, mais également un
lien entre criminalité et migrants, et ce, malgré les conclusions
et les statistiques menées par la police qui montrent le caractère
artificiel de cet amalgame.
5. Nul besoin de rappeler que l’Europe a un long passé en termes
d’émigration mais n’est devenu un continent d’immigration qu’il
y a quelques dizaines d’années. Les populations européennes vieillissantes
sont partagées entre la nécessité d’accueillir les immigrants aux
fins de préserver leur Etat providence et la crainte de voir l’afflux
d’immigrants détruire l’identité culturelle des sociétés européennes.
Cet état de fait a contribué à l’émergence de ce qu’on appelle communément
la «majorité menacée» en tant que principale force politique sur
la scène européenne
6. Les inquiétudes liées à la migration sont ainsi devenues une
excuse pour masquer les peurs et les incertitudes de la population
face aux problèmes décrits ci-dessus.
7. Les campagnes électorales ont donc pu servir de plate-forme
aux mouvements et aux partis politiques extrémistes pour promouvoir
des opinions racistes, xénophobes et hostiles aux immigrants. Les
partis xénophobes qui ont émergé ou conforté de manière sensible
leur assise lors des récentes élections et qui ont fait leur entrée
au sein des parlements nationaux ou du Parlement européen se sont
servis de ces différents facteurs et ont proposé une politique très
dure à l’égard des migrants et des réfugiés.
8. Dans certains pays européens, les récentes percées électorales
des partis xénophobes ont bouleversé le paysage politique dans la
mesure où les autres partis ne sont pas parvenus à dégager des majorités
stables et ont de ce fait été incités à former des coalitions ou
à accepter de coopérer. Tous ces exemples de rapprochement ont conduit
à une légitimation de la position et du rôle des extrémistes. L’opposition
à l’immigration étant un élément central commun à l’ensemble de
ces partis, les responsables de partis traditionnels et les gouvernements
coopérant avec eux ou menant campagne en se fondant sur des idées populistes
xénophobes susceptibles de rapporter des voix ont été encouragés
à durcir leurs politiques et leurs discours sur les migrations et
les migrants, contribuant ainsi à leur tour à la diffusion de comportements xénophobes
et racistes. Dans certains pays, la résistance populaire au racisme
et à la xénophobie s’est d’ailleurs considérablement affaiblie ces
dernières années.
2 Terminologie
9. La rapporteure souhaite rappeler
que l’expression «populisme radical» constitue l’idéologie sous-jacente
des nouveaux partis racistes et xénophobes émergeant en Europe.
Les partis concernés sont en général étiquetés à droite, voire à
l’extrême droite, de l’échiquier politique et il est vrai que certains
éléments les relient aux mouvements néonazis ou néofascistes «traditionnels»
de l’Europe de l’après seconde guerre mondiale. Le terme «populisme»
est souvent employé de manière très vague et est utilisé pour opposer
le «peuple» à «l’élite», en appelant à des changements d’ordre social
ou à une mobilisation politique. La rapporteure propose d’employer,
par conséquent, les expressions «populisme xénophobe» et «partis populistes
xénophobes» afin de clairement différencier ces partis de ce que
l’on entend traditionnellement par «populisme».
10. Afin de réunir le plus d’informations possible et d’analyser
au mieux les développements et les tendances sous-jacentes, la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a organisé une
audition à Corfou (Grèce), le 2 juin 2011. La rapporteure a également
effectué des visites à Copenhague et à Stockholm afin de s’entretenir
avec des parlementaires, des organisations non gouvernementales
(ONG) et des médias, et de recueillir des informations auprès d’eux
en ce qui concerne les facteurs contribuant à la montée en force
des discours de nature xénophobe ou hostiles aux migrants, ainsi
que les mécanismes et les dispositions en vigueur dans les Etats
membres du Conseil de l’Europe pour combattre l’extrémisme, la discrimination
raciale et les discours de haine, notamment lors des campagnes électorales.
11. Le présent rapport vise à essayer de proposer des recommandations
susceptibles d’aider les membres de l’Assemblée parlementaire et
les décideurs politiques sur la manière de présenter les migrants
et les demandeurs d’asile sous un angle politique plus positif mais
également plus réaliste.
3 Les
facteurs contribuant au développement de sentiments hostiles aux
migrants
3.1 La
peur de l’avenir
12. Un certain nombre de facteurs
contribuent à un regain de manifestations de xénophobie et de campagnes
contre les immigrants, ou tout bonnement contre les «étrangers».
L’un des facteurs les plus importants est celui de la peur qui est
véhiculée par un grand nombre de politiques européennes. Les conséquences
de la crise économique, les profonds changements sociaux et démographiques
et l’expansion des migrations, ainsi que, plus spécifiquement, le
rythme soutenu des changements qui font perdre le contrôle de la
vie et de la transformation de l’identité même des communautés,
sont autant de facteurs favorisant l’essor des sentiments hostiles
aux migrants. Le grand public a perdu confiance en la capacité des
gouvernements à faire face et à gérer efficacement ces changements
et constate que les Etats et les partis politiques de tous bords
n’ont pour ainsi dire aucune idée de ce que devrait être l’avenir
de l’Europe. La peur de l’immigration est ainsi devenue un élément
déterminant pas seulement dans les Etats membres mais également
au niveau de l’Union européenne.
3.2 Le
sentiment de perte de contrôle
13. Le sentiment de perte de contrôle,
initialement généré par la mondialisation et renforcé par l’effondrement
des économies et des marchés de l’emploi nationaux, se traduit dans
certains cas par un désir de frontières bien marquées et de restrictions
d’accès – souhait que les responsables politiques ne devraient pas
sous-estimer. Dans un contexte caractérisé par des millions de travailleurs
sans emploi, dont une part disproportionnée d’immigrants, les pressions
exercées par les populistes xénophobes font naître des idéologies
fondées sur la désignation de boucs émissaires.
3.3 Les
attentats terroristes
14. Au lendemain des attentats
du 11 septembre aux Etats-Unis et des actes terroristes perpétrés ultérieurement
en Europe, l’islamophobie est devenue un facteur d’unification des
parlementaires d’extrême droite et des populistes xénophobes qui
remportent aujourd’hui un plus grand succès électoral en Europe
que les partis antisémites. L’influence et la propagande politiques
de ces partis ont poussé sur une voie similaire de nombreux partis
traditionnels et de coalition au pouvoir. La discrimination envers
les musulmans fait désormais partie du climat politique, et les
demandeurs d’asile et les migrants sont pris au piège dans le discours
général d’intolérance et de rejet de «l’autre», de «l’étranger».
3.4 Les
partis populistes xénophobes
15. Dans les Etats d’Europe du
Nord et de l’Ouest, la montée des partis populistes xénophobes a
coïncidé avec le déclin des puissants partis sociaux-démocrates
et de leurs idéologies fondées sur l’égalitarisme et les droits.
Les récentes initiatives visant à «moderniser» les appels lancés
par ces partis à leur électorat ont ancré de nouvelles approches
d’exclusion orientées vers une immigration «gérée» plus restrictive,
accompagnées d’un rejet commun du multiculturalisme entraînant ainsi
une séparation des communautés plutôt qu’une intégration des individus.
16. Enfin, la nouvelle stratégie de relations publiques visant
à redorer l’image des partis populistes xénophobes a permis de conférer
à ces derniers un certain respect et de renforcer ainsi leur puissance
et leur influence. Ces groupes ont également appris à mettre à profit
les procédures démocratiques pour défendre leur propre cause. Par
l’intermédiaire de campagnes et de manifestations ambitieuses en
faveur de la liberté d’expression, l’extrême droite se pose de plus
en plus en ardent défenseur de la démocratie et cherche à jouer des
craintes des citoyens européens pour promouvoir leur «cause» en
apportant des réponses simples à des défis sociaux complexes. En
plaçant l’accent sur les problématiques et activités liées à la
famille, ils ont réussi à toucher des électeurs, et notamment un
nombre croissant de femmes.
17. Les événements tragiques qui se sont déroulés en Norvège le
22 juillet 2011 ont braqué les projecteurs sur les activités des
militants extrémistes. Une autre souche de militants d’extrême droite,
émergeant de la «politique de rue» et de la culture «skinhead»,
est souvent à l’origine d’attaques violentes (y compris d’agressions
physiques) contre des personnes, des mosquées, des synagogues, des
cimetières, ou des biens et commerces appartenant à des groupes
minoritaires et des migrants. Cette politique de rue est fondée
sur des campagnes recourant aux stéréotypes et à de fausses accusations
présentant les migrants et demandeurs d’asile comme des «terroristes
musulmans» ou «des criminels étrangers».
18. D’autres exemples proviennent du mouvement skinhead russe,
qui comptait, selon le Centre Sova, près de 70 000 adeptes en 2009
(71 personnes ont été tuées et 333 blessées lors d’agressions racistes
cette année-là). Le mouvement hongrois Jobbik a remporté un succès
considérable en quelques années. Lors des élections législatives
de 2010, le parti a recueilli 16,6% des voix, obtenant ainsi 47
sièges. Il dispose même d’une branche paramilitaire, la Garde hongroise,
forte réminiscence du parti des Croix fléchées des années 1940.
Jobbik a également instauré une coopération entre plusieurs partis
xénophobes d’Europe. En octobre 2009, une alliance d’extrême droite,
l’Alliance des mouvements nationaux européens (AEMN), a été formée.
19. Certains partis fondent leur idéologie sur le nationalisme
et le régionalisme ethniques ou «nativistes», cherchant à redéfinir
les droits de citoyenneté et de résidence et à les restreindre aux
populations autochtones réelles ou imaginaires. Le dénominateur
commun de tous ces partis est leur insistance, durant les campagnes, sur
la «pression culturelle» que les migrants et les demandeurs d’asile
font peser sur les pays d’accueil. Les programmes et politiques
de ces partis et de leurs représentants mettent en avant les restrictions
sévères à imposer à l’immigration. Ils sont d’avis que l’Etat providence
ne peut survivre dans les pays d’immigration et, dans leurs discours
électoraux, reprochent aux migrants et demandeurs d’asile de tirer
indûment profit des avantages sociaux, du droit au logement et des
soins de santé, auxquels seuls les «vrais» citoyens devraient pouvoir
prétendre.
4 Mécanismes
et dispositions en vigueur dans les Etats membres du Conseil de
l’Europe et au Conseil de l’Europe
20. Cette montée de la xénophobie
est en train d’affecter et d’éroder les principes démocratiques
ainsi que le respect et la dignité humaine de l’être humain. Que
ce soit au niveau international ou au niveau des Etats membres du
Conseil de l’Europe, il existe un grand nombre d’instruments juridiques
qui, bien utilisés, devraient permettre de revenir aux valeurs préconisées
par notre Organisation et de mettre en place, en conséquence, une
véritable stratégie de lutte contre la xénophobie, en particulier
au moment des campagnes électorales, période très souvent sensible
au cours de laquelle les arguments les plus forts sont utilisés
pour convaincre les citoyens.
4.1 Au
niveau national
21. Les Etats membres se sont déjà
dotés de recours juridiques pour lutter contre les campagnes électorales
racistes ainsi que de lois contre l’incitation à la haine raciale,
le déni de l’Holocauste ou les attaques manifestes contre les religions.
L’expérience récente montre que les corps législatifs disposent
encore d’une marge de manœuvre pour réviser et renforcer la législation
existante, son fonctionnement ainsi que les sanctions dont sont
passibles les hommes politiques qui méprisent ces principes juridiques.
Il existe également des commissions ou comités électoraux, des tribunaux
électoraux ou des organes de régulation qui peuvent infliger des
sanctions aux responsables politiques en cas d’inconduite avant
ou pendant les élections.
22. Les Etats membres sont liés par un certain nombre de traités
internationaux. Par exemple, l’article 4 de la Convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(CIEDR) et l’article 20 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques des Nations Unies (PIDCP) demandent que les Etats
veillent à ce que la législation nationale érige en infraction passible
de sanctions pénales l’incitation à la discrimination raciale ou
la diffusion d’idées stigmatisant tout groupe de personnes d’une
autre couleur ou d’une autre origine ethnique.
23. En Europe, les partis politiques démocratiques ont exprimé
solennellement leur soutien au principe de non-discrimination et
à la lutte contre le racisme dans le discours politique par la signature,
en février 1988, de la Charte des partis politiques pour une société
non raciste, par laquelle les Etats s’engagent, entre autres, à défendre
les droits de l’homme fondamentaux (rejet de la violence raciste,
de l’incitation à la haine et de la persécution raciales ou de toute
autre forme de discrimination raciale), à refuser de publier toutes
positions susceptibles d’encourager les préjugés racistes ou autres,
à traiter de manière équitable et responsable les thèmes dits sensibles,
à refuser de coopérer avec tout parti politique incitant à la haine
raciale.
4.2 Au
niveau européen
24. Le Conseil de l’Europe a également
adopté un certain nombre de textes sur le discours de haine et sur la
nécessité de l’ériger en infraction pénale. Par la Recommandation
no R (97) 20 du Comité des Ministres
sur le discours de haine, il est rappelé que ces termes couvrent
«toutes formes d’expression qui propagent, incitent, promeuvent
ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou
d’autres formes de haines fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance
qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme,
de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des
immigrés et des personnes issues de l’immigration».
25. En 2008, le Conseil de l’Europe a lancé sa campagne antidiscrimination
2008-2010 et a publié un manuel sur le discours de haine qui fait
un état des lieux de la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme sur le sujet. Ce manuel pose certaines limites
à la liberté d’expression, notion qui peut varier selon le contexte
dans lequel sont faites les déclarations, la qualité des personnes
à l’origine de la déclaration (politiciens, journalistes, fonctionnaires),
les instruments utilisés (presse, télévision) et l’incidence potentielle de
ces déclarations. Il ne faut pas oublier en effet que bien souvent
l’extrémisme politique et le discours de haine essaient de manipuler
le droit à la liberté d’expression pour faire passer leurs arguments.
Or, la liberté d’expression, telle que consacrée par l’article 10
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), n’est
cependant pas un droit absolu. Comme cela est stipulé dans la
Résolution 1345 (2003) de l’Assemblée sur le discours raciste, xénophobe et
intolérant en politique, ce droit à la liberté d’expression «peut être
limité par des intérêts publics concurrents, notamment la prévention
des troubles à l’ordre public, la protection des principes moraux
et celle des droits d’autrui. Ces droits et libertés peuvent ainsi
être soumis à des limitations lorsqu’ils sont exercés de façon à
causer, à inciter, à promouvoir, à préconiser, à encourager ou à
justifier le racisme, la xénophobie ou l’intolérance».
26. Plus récemment, le 1er juillet 2009, le Comité des Ministres
a adopté une «Déclaration sur les droits de l’homme dans des sociétés
culturellement diverses» où il souligne, notamment, la nécessité
d’une action résolue contre toute forme de discrimination, afin
de préserver et de promouvoir une société démocratique fondée sur
le respect de la diversité. La déclaration en appelle également
aux dirigeants politiques pour qu’ils veillent à s’exprimer et à
se conduire de manière à promouvoir le dialogue et à respecter les
droits de l’homme.
27. De plus, en 2005, la Commission européenne contre le racisme
et l’intolérance (ECRI) a publié une Déclaration sur l’utilisation
d’arguments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours
politique, par laquelle elle indique expressément que ce type de
discours «contamine» de plus en plus les discours politiques traditionnels
et apparaît plus particulièrement dans les discussions concernant
l’immigration et l’asile, ainsi que dans le discours véhiculant
une image déformée de l’islam, destinée à faire percevoir cette
religion comme une menace ou à encourager les sentiments antisémites.
28. En 2011, le Conseil de l’Europe a constitué un Groupe d’éminentes
personnalités chargé de préparer un rapport sur le thème «Vivre
ensemble». Ce groupe s’est également penché sur les points traités
dans le présent rapport.
29. Le rapport du Groupe d’éminentes personnalités précise également
que ces nouveaux partis «bénéficient d’une base beaucoup plus large,
touchant pratiquement toutes les strates de la société, quels que soient
le niveau d’éducation, le sexe ou le statut. Ils peuvent attirer
pratiquement quiconque a l’impression que son revenu et son mode
de vie sont menacés par la crise économique, et par l’immigration.
En fait, certains de ces partis combinent ces positions xénophobes
avec un appel au libéralisme social, à la défense de l’Etat providence,
et, en apparence, à des politiques économiques de gauche (…). En
Europe de l’Ouest, l’hostilité à l’immigration est leur thème commun.
Dans bon nombre de pays d’Europe centrale et orientale, ce type d’anxiété
trouve son exutoire dans des boucs émissaires que sont les Roms,
et parfois d’autres minorités nationales, y compris les Juifs».
30. Comme on peut le constater au vu de ce qui précède, les Etats
membres du Conseil de l’Europe, et notamment les gouvernements,
ne sont pas restés sans réaction face à ce phénomène. Malgré cela
et malgré les textes en vigueur, il y a encore un facteur très important,
à savoir l’attitude du public, qui a évolué au fil des ans, mais
également l’attitude des gouvernements eux-mêmes.
31. L’on pourrait citer, à titre d’exemple, celui de l’Autriche
où la participation du Parti autrichien de la liberté (FPÖ) à la
coalition gouvernementale de centre droit en 1999 avait entraîné
la suspension temporaire de l’Autriche des programmes de l’Union
européenne et des délibérations des Etats membres. Mais cette situation a
évolué et l’Europe s’est, de nos jours, habituée à la présence de
partis racistes au sein de son système parlementaire. Au Danemark,
la coalition gouvernementale minoritaire a coopté le Parti populaire
danois (PPD), xénophobe, au cours des dix dernières années. Les
Pays-Bas ont suivi la même voie et l’entrée d’anciens néo-fascistes
au sein du Gouvernement italien n’a guère suscité de réaction.
4.3 Les
stratégies de lutte contre l’extrémisme et la xénophobie
32. Il n’y a pas de réponse simple
à la question de savoir jusqu’où aller dans l’interaction politique
avec les partis populistes xénophobes radicaux. Les expériences
européennes sont diverses et variées, allant de l’ignorance ou de
l’exclusion délibérée de ces partis des affaires politiques (comme
en Suède) à la mise en place d’un «cordon sanitaire» (comme en Belgique
ou en France), de la coopération partielle (au Danemark et aux Pays-Bas)
à la coopération pleine et entière (comme avec le FPÖ en Autriche,
qui fait partie du gouvernement, ou les partis radicaux d’extrême
droite qui ont été intégrés au gouvernement). Malheureusement, nous
ne disposons pas d’assez de recul pour analyser l’impact de ces
stratégies sur la situation des migrants, des demandeurs d’asile
et des réfugiés ainsi que la perception que peut avoir le public de
ces personnes. Votre rapporteure estime en conséquence qu’il est
nécessaire de procéder très rapidement à une analyse objective de
cet impact.
33. En revanche, la stratégie visant à discréditer les partis
extrémistes en leur confiant des responsabilités politiques s’est
en fait soldée par des concessions à leur égard et aux idéologies
qu’ils prônent. Ainsi, au Danemark, le Parti populaire danois, antimusulman
et anti-européen, a joué un rôle décisif et forcé l’adoption de
dizaines de nouvelles lois restreignant l’immigration.
34. La stratégie mise en œuvre par des acteurs plus centristes
pour contrôler l’ordre du jour des partis populistes xénophobes
en promouvant eux-mêmes un programme similaire (ce que les politologues
appellent la «triangulation»), notamment sur des questions telles
que le renforcement du contrôle de l’immigration et la criminalisation
des migrations irrégulières, ne s’est pas révélée plus payante.
Cette stratégie transparaît dans les récents discours politiques
et gouvernementaux rejetant l’idée d’une population multiculturelle
et diversifiée, notamment en période électorale.
35. Les stratégies d’exclusion politique ou de «cordon sanitaire»
n’ont fait la preuve de leur efficacité que dans quelques rares
circonstances, lorsqu’elles ciblaient de petits partis. Dès que
ces derniers prennent une certaine envergure se pose la question
de leur participation, et les partis démocratiques sont amenés à travailler
avec les partis xénophobes. Cette forme de collaboration pourrait
aboutir à minimiser les discours xénophobes ou racistes que ces
partis pourraient diffuser.
36. Dans d’autres pays d’Europe, des mesures exemplaires ont été
prises pour informer l’opinion publique de l’ordre du jour haineux
des partis racistes. Ainsi, en Suède, lors de la campagne pour les
élections législatives de 2010, tous les partis traditionnels se
sont engagés à ne pas chercher le soutien du Parti des démocrates
suédois. Les deux principaux blocs politiques considéraient les
démocrates comme xénophobes, prônant des idées incompatibles avec
les notions habituelles d’égalité des personnes quelle que soit
leur origine nationale ou ethnique ou leur religion. Au cours de
la campagne électorale, les partis déjà représentés au Parlement
suédois, tout comme les chaînes suédoises de télévision, ont exclu
les démocrates suédois des débats politiques télévisés. Cela n’a
pas empêché ces derniers de remporter 20 sièges (5,7 % des voix)
au parlement. Ils ont toutefois été marginalisés et n’ont aucun
droit de regard sur les décisions politiques. Après les élections,
les partis de la coalition et de l’opposition ont signé un accord
par lequel ils s’engagent à mener une politique d’immigration encore
plus ouverte et accueillante pour les migrants.
37. Dans ce contexte, il y a un facteur qui est encore plus déterminant
que d’autres, c’est celui du rôle joué par les médias. Ce rôle se
révèle crucial, notamment au moment des campagnes électorales car
l’image des migrants et des demandeurs d’asile qui sera donnée aux
citoyens et aux électeurs dépendra en grande partie de la manière
dont elle sera présentée dans les médias.
5 Le
rôle des médias, des sondages d’opinion et des référendums dans
la construction de l’image des migrants et des demandeurs d’asile
5.1 Les
médias, internet et les réseaux sociaux
38. Les médias ont une grande responsabilité
dans la construction de l’image des migrants et de leurs descendants.
La presse, la télévision et désormais internet amplifient les messages
des responsables politiques en période électorale. Ces derniers
citent fréquemment des messages véhiculés par les médias et les
présentent comme des opinions populaires avérées, minimisant le
fait que les médias ont leurs propres ordres du jour, guidés par
leurs propriétaires ou le soutien accordé à certains partis politiques.
39. A l’évidence, les représentants des partis démocratiques ne
sont pas les seuls à jouer du puissant impact des médias sur l’opinion
publique et le débat politique. Des acteurs de l’extrême droite
sont apparus comme de véritables professionnels des médias dans
beaucoup de pays. Certains spécialistes avancent que la rhétorique
d’extrême droite véhicule davantage de passion et d’émotion, et
qu’elle est plus facilement reprise par les médias toujours avides
de drame et de conflit, alors que les hommes politiques modérés
se contentent souvent de réagir aux messages de leurs opposants
plutôt que de délivrer efficacement le leur. Les médias pèsent fortement
sur les différentes tendances politiques, notamment dans les pays
où des acteurs politiques individuels exercent une influence sur
la presse et les chaînes de télévision, comme c’est le cas en Italie
et en Bulgarie.
40. Les responsables des partis traditionnels eux-mêmes cèdent
souvent aux stéréotypes et au racisme «de bon sens» dans les propos
qu’ils tiennent dans les médias lors des campagnes électorales,
créant ainsi un climat de peur et rendant le débat plus grossier.
D’une certaine manière cependant, les médias agissent en tant qu’acteurs
sociaux indépendants et non en qualité de simples organes de diffusion
reflétant les préoccupations de notre temps, et doivent être considérés
comme tels. Ils fixent et font progresser l’ordre du jour sur les
questions d’immigration, mais sont aussi le miroir des débats engagés
dans l’opinion publique et les cercles politiques. Ils se sont crus
autorisés à diaboliser les immigrés et autres minorités, non seulement en
se faisant l’écho des anxiétés et des mythes circulant sur ces groupes
au sein de la population, mais en contribuant activement à les accentuer
en mettant en valeur des «scandales» réels ou supposés en matière de
criminalité et de fraude à la sécurité sociale, tout en accusant
les autorités de couvrir ces scandales ainsi que d’autoriser beaucoup
trop d’étrangers dans le pays.
41. Certains Etats européens ont fixé des limites au langage et
aux messages que les médias peuvent employer, dans le but de protéger
les minorités et les migrants. La plupart disposent d’organes de
régulation ou de procédures de recours, qui se sont malheureusement
souvent révélés inefficaces pour défendre les droits des migrants
et des demandeurs d’asile et qu’il convient à l’évidence de revoir.
42. Les nouveaux médias, et notamment internet et les réseaux
sociaux, jouent un rôle grandissant dans la dissémination d’attitudes
xénophobes et anti-immigrants. Un large éventail de médias d’extrême
droite hautement professionnels s’est développé à cette fin. En
l’absence de régulation, il est difficile de limiter ou d’éviter
leur présence et leurs activités. A titre d’exemple, un clip vidéo
particulièrement antimusulman a été diffusé par les démocrates suédois
avant les élections de 2010. Rejeté par les chaînes de télévision traditionnelles,
il a bénéficié d’une audience record sur YouTube. D’un autre côté,
internet et notamment les réseaux sociaux pourraient être davantage
utilisés comme «contre-plate-forme» ou vecteur plus efficace d’échange
et de communication dans les actions de lutte contre le racisme.
43. Dans ce contexte, il est bon de rappeler que le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe, le 22 février 2012, a appelé le
Gouvernement néerlandais à clarifier sa position au sujet d’un site
web qui a été largement jugé xénophobe car il sollicitait et diffusait
des informations négatives au sujet des citoyens des pays d’Europe centrale
et orientale qui travaillent aux Pays-Bas. Dans sa lettre au gouvernement,
le Secrétaire Général, tout en soulignant le droit à la liberté
d’expression, avait émis des doutes au sujet de ce site et avait
exprimé sa préoccupation quant au fait que ce site était hébergé
par un parti politique lié à la coalition au gouvernement.
5.2 Les
sondages d’opinion
44. Dans toute l’Europe, devant
les contestations que soulève leur traitement des questions relatives
aux migrants et aux demandeurs d’asile dans leurs campagnes électorales,
les hommes politiques mettent en avant les sondages d’opinion, qu’ils
présentent comme l’écho du point de vue de leurs électeurs, et prétendent se
contenter de refléter et non de créer l’intolérance en période électorale.
Votre rapporteure souhaite cependant attirer l’attention sur le
fait que le résultat des sondages d’opinion varie souvent selon
le panel qui a été contacté et de l’âge des personnes qui ont été
interrogées ainsi que de leur niveau d’instruction et de leur milieu
social.
45. L’influence politique des discours et de la rhétorique racistes
visant les migrants et les minorités est probablement la plus visible
dans les campagnes des partis populistes xénophobes menées à l’occasion
de référendums, de plébiscites, d’initiatives citoyennes ou de pétitions,
une autre façon officielle de faire entendre la «voix» du peuple.
Les recherches menées par le parlement en Irlande, soumis à un devoir
constitutionnel de tenir des référendums, ont démontré que les campagnes
référendaires ont un impact plus fort sur les résultats que les
campagnes électorales.
46. En Suisse, en 2009, il a été avancé que la consultation nationale
sur les minarets avait révélé la «véritable voix» du peuple. Les
faits montrent qu’en Suisse les partis et groupes d’extrême droite
qui parrainent les référendums fédéraux et locaux entretiennent
depuis de nombreuses années la question de la surpopulation étrangère
(Uberfremdung) dans leur discours politique. Les référendums ont
été le principal vecteur permettant aux groupes d’extrême droite
de développer leur organisation et leurs méthodes de propagande.
A ce titre, la Suisse est un véritable cas d’école, démontrant comment
les partis populistes xénophobes construisent et politisent ce qu’ils
appellent un «problème d’immigration» aux fins d’augmenter leur
pouvoir et d’exercer une influence décisive sur la politique en
matière de migration, de citoyenneté et d’intégration. Le cas de
la Suisse laisse entrevoir que l’action des responsables politiques
œuvrant à l’instauration d’un climat politique hostile à l’immigration
grâce aux campagnes électorales et référendaires a souvent plus
de poids que la présence effective de migrants dans un pays ou la
vision réelle qu’a la population de l’immigration et des migrants.
47. Les plébiscites et référendums récents soulèvent des questions
importantes quant à l’exercice, à bon ou mauvais escient, de la
démocratie directe. Dans les 27 pays de l’Union européenne, le règlement
relatif à l’Initiative citoyenne européenne (ICE), présenté comme
le «premier instrument transnational de démocratie participative
dans l’histoire mondiale», est entré en vigueur le 1er avril 2012.
L’ICE a pour objet d’encourager les citoyens européens à formuler
des requêtes à propos de politiques les concernant. L’expérience
récente a fait naître le risque de voir des responsables et des
partis politiques de pays membres continuer d’autoriser ou d’encourager
les décisions de «démocratie directe» contrevenant aux obligations
conventionnelles des Etats et aux droits de l’homme fondamentaux
des migrants et des minorités. La mise en œuvre de l’ICE s’accompagnera
de lignes directrices claires pour empêcher ce détournement de l’initiative.
6 Conclusions
et recommandations
48. Les réactions négatives des
opinions publiques face à l’immigration et aux immigrants prennent
de l’ampleur partout en Europe, tout comme le manque de confiance
dans la capacité des gouvernements à gérer correctement le flux
des personnes et l’incidence des immigrants sur l’emploi, les services
publics et l’espace civique. Une bonne partie de la population européenne
souhaite que les gouvernements parviennent à mettre en place des
flux plus stables, prévisibles et généralement plus restreints de
migrants en situation régulière, et qu’ils réduisent significativement
les entrées irrégulières. Par ailleurs, elle souhaite que les employeurs
sans scrupule soient empêchés de mettre à mal les normes de rémunération
et de travail, et que les gouvernements fassent en sorte que les
immigrants apprennent la langue locale, obéissent à la loi, payent
leurs impôts et respectent la culture civique et les institutions
du pays hôte.
49. C’est pourquoi le premier défi posé aux responsables et décideurs
politiques est de combler le déficit de confiance du public et de
l’assurer que ses préoccupations sont entendues et traitées. Trop
souvent les responsables des partis traditionnels jugent plus facile
d’éluder ces questions, qu’ils estiment délicates ou controversées,
notamment à l’approche des élections, au lieu de les aborder de
front. Ce manque de courage pour traiter des questions controversées
ne fait cependant qu’alimenter le mécontentement de la population
et la pousse dans les bras des partis xénophobes et populistes qui
promettent de répondre à leurs préoccupations au moyen de slogans
trompeusement simplistes et émotionnels.
50. Les leaders politiques démocratiques d’Europe devraient assumer
davantage leur responsabilité politique, à la fois en prenant la
tête du débat sur les questions de migration et en combattant la
rhétorique et les idéologies xénophobes, populistes et d’extrême
droite. C’est à eux qu’il appartient d’énoncer clairement que discrimination
et racisme n’ont pas leur place dans les sociétés européennes diversifiées
et que l’expression publique d’idées xénophobes doit être sanctionnée
conformément à la loi.
51. Les responsables politiques en lice lors des scrutins sont
des organes publics et devraient, tout comme leurs représentants,
être soumis aux mêmes contraintes juridiques que les organisations
de la société civile. Ils devraient par ailleurs faire l’objet de
sanctions en cas de discrimination fondée sur l’ethnicité ou la
religion dans la composition de leurs partis ou parmi leurs membres,
ou en cas de promotion, par leurs actions ou leurs campagnes électorales,
de la haine raciale et du harcèlement des minorités et des migrants.
52. Comme cela a été évoqué ci-dessus, le leadership est un facteur
essentiel pour délivrer à propos de l’immigration un message fort,
susceptible de recueillir le soutien du public. Votre rapporteure
est d’avis que la réponse la plus efficace consiste à reconnaître
la peur de la population face au changement, au lieu de tenter d’y
répondre par la simple évocation de faits ou de statistiques.
53. Les dirigeants politiques devraient prouver à leur public
qu’ils contrôlent à la fois la composition et l’ampleur de l’immigration.
Ils devraient s’efforcer de trouver le juste équilibre entre les
anxiétés locales, liées notamment au chômage et à la crise économique,
et les intérêts et priorités nationaux à long terme, par exemple
en recrutant des immigrants tout en veillant à préserver la compétitivité
économique. Dans ce contexte, votre rapporteure souhaite également
rappeler que le Conseil transatlantique sur les migrations qui s’est
tenu à Bellagio (Italie) en mai 2009 – a notamment rappelé lors
de sa conférence que «la citoyenneté devait être accessible aux
immigrés» et qu’il fallait «inciter les Etats à une plus grande
intégration», et que «dès le début du processus, les immigrés devaient
être considérés comme des citoyens potentiels».
54. Les mots employés pour parler de l’immigration et de l’intégration
des immigrants ont leur importance: une formulation juste forge
l’opinion publique, favorise le soutien aux initiatives politiques
et écarte les critiques; à l’inverse, des expressions mal choisies
peuvent enflammer et polariser l’opinion publique, amplifier les anxiétés
existantes et mobiliser l’opposition. Le langage utilisé devrait
donc être honnête, sans ambiguïté et souligner non seulement les
côtés négatifs mais également les points positifs. Les euphémismes
se retournent contre leurs auteurs, apparaissent comme peu sincères
et donnent à l’opinion publique le sentiment d’être manipulée.
55. Votre rapporteure est d’avis que ce qui manque le plus dans
le discours public et l’évocation des migrants, en particulier dans
le contexte électoral, est un message positif, fondé sur des valeurs,
expliquant pourquoi les sociétés européennes ont besoin d’immigrants
et bénéficient largement de leur présence. Trouver un juste équilibre
entre valeurs et pragmatisme permettrait de désamorcer bon nombre
de tensions sociales et faciliterait une intégration à double sens.
56. Compte tenu de ce qui précède et de par sa vocation, le Conseil
de l’Europe a plus que jamais un rôle prépondérant à jouer dans
la lutte contre l’extrémisme et la xénophobie. Votre rapporteure
se félicite que l’Assemblée ait récemment, et à plusieurs reprises,
fait part de ses préoccupations devant la montée des mouvements
et partis extrémistes propageant des idéologies incompatibles avec
la démocratie et les droits de l’homme et menaçant les valeurs fondamentales
du Conseil de l’Europe. Sa récente
Recommandation 1975 (2011) «Vivre ensemble dans l’Europe du XXIe siècle: suites
à donner au rapport du Groupe d’éminentes personnalités du Conseil
de l’Europe» souligne en particulier qu’il convient de promouvoir
le renforcement de valeurs et d’une identité européennes communes
de manière à ne pas éliminer les différentes cultures des groupes
spécifiques, mais en préservant et en intégrant leurs spécificités
au sein du cadre européen commun. Elle poursuit en précisant que
ce processus peut être mis en péril par une politique de plus en
plus populiste, xénophobe et anti-immigration, et en appelle aux
Etats membres pour élaborer des politiques prévenant ce type de
pratiques négatives.