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La coopération entre le Conseil de l’Europe et les démocraties émergentes dans le monde arabe

Addendum au rapport | Doc. 12699 Add. | 04 novembre 2011

Commission
Commission des questions politiques et de la démocratie
Rapporteur :
M. Jean-Charles GARDETTO, Monaco, PPE/DC
Origine
Addendum approuvé par la commission le 3 octobre 2011. 2011 - Quatrième partie de session
Thesaurus

1 Introduction

1. En adoptant mon rapport en juin, la commission m’a demandé de préparer un addendum juste avant le débat prévu pour la partie de session d’octobre, afin de prendre en compte les tout derniers développements intervenus dans la région.
2. Le présent document donne un aperçu de la situation, principalement dans trois pays de la région: l’Egypte, pays déjà en phase postrévolutionnaire; la Libye, où la révolution est sur le point de remporter la victoire; et la Syrie, où la révolution est en proie à la violence sanglante du régime.
3. Le chapitre consacré à l’Egypte est bien évidemment un peu plus fourni dans la mesure où j’ai eu l’opportunité de me rendre dans le pays. J’ai également pris part à la délégation de l’Assemblée qui s’est rendue à Tunis mi-septembre, sous la présidence de M. Andreas Gross, afin d’évaluer la campagne électorale en vue des élections d’une Assemblée nationale constituante qui auront lieu le 23 octobre 2011. La délégation a noté avec satisfaction le fait qu’en dépit d’un certain nombre de difficultés techniques, les autorités du pays ont rapidement élaboré le cadre juridique pour l’organisation d'élections pluralistes et ont pris les mesures nécessaires pour garantir le caractère démocratique de l’ensemble du processus électoral et renforcer la confiance des acteurs politiques et des citoyens dans les élections.
4. La situation en Tunisie étant suivie de près par Mme Anne Brasseur, rapporteure, et M. Andreas Gross, président de la mission préélectorale et d’observation des élections, je m’abstiendrai d’analyser la situation dans le pays. Je fais référence à la déclaration publiée par la délégation préélectorale, qui figure en annexe de cet addendum.
5. Je tiens simplement à répéter que ce n’est certainement pas une coïncidence si la première étape de la révolution semble pour le moins avoir été couronnée de succès dans ces deux pays, la Tunisie et l’Egypte. Dans les deux cas, le rôle de l’armée en tant qu’arbitre, a été décisif. Dans les deux pays, plusieurs acteurs coexistaient: le premier, «la rue», est parvenu à mobiliser la jeunesse, les pauvres, mais également les classes moyennes et les intellectuels; la jeunesse a initié le mouvement mais n’a pas véritablement réussi à aller plus loin; les partis politiques et les leaders de l’opposition (bien connus au plan international) sont arrivés ensuite; enfin, l’armée, prenant rapidement ses distances d’avec l’ancien régime, a fait en sorte dans les deux pays d’acquérir une nouvelle légitimitéNote.
6. Tant la Tunisie que l’Egypte se soumettront bientôt au test majeur des élections. Il ne suffit pas que les élections soient organisées de manière à garantir leur caractère «libre et équitable». Il est surtout essentiel que le peuple se rende aux urnes et vote. En Tunisie, nous avons eu écho de nombreuses hésitations de la part de citoyens ordinaires. En Egypte, alors que sous le régime précédent la participation se situait entre 5 et 10 % (!), nous avons appris que près de la moitié de la population prévoyait de se rendre aux urnes. Tout doit être mis en œuvre pour instaurer un climat de confiance avant et pendant les prochaines élections prévues dans ces pays, afin d’inciter la population à se rendre aux urnes et à exprimer son suffrage.
7. S’agissant de la situation au Maroc, sans entrer dans les détails puisque ce dossier est suivi de près par M. Luca Volontè, rapporteur, je tiens simplement à évoquer le fait que la nouvelle Constitution marocaine a été approuvée par référendum au mois de juillet et que les élections législatives anticipées (à la Chambre des représentants) auront lieu le 25 novembre 2011. Des milliers de Marocains se sont réunis le 25 septembre à Casablanca pour protester contre le gouvernement et ont menacé de boycotter les élections.
8. L’Assemblée devrait rappeler qu’elle attend d’être pleinement accréditée à observer ces élections conformément aux termes de la Résolution 1818 (2011) accordant le statut de Partenaire pour la démocratie au Parlement du Maroc, le 21 juin 2011, bien que la législation en vigueur ne prévoit pas l’observation des élections par des organisations internationales.

2 Egypte

9. Je me suis rendu en Egypte du 23 au 27 septembre 2011 en ma capacité de rapporteur sur la coopération entre le Conseil de l’Europe et les démocraties émergentes du monde arabe. Comme l’avaient décidé la commission et le Bureau de l'Assemblée, j’étais accompagné de M. Vrettos, rapporteur sur la «Situation au Proche-Orient». Il ressortait clairement du mandat qui m’avait été confié que l’objet de ma visite était d’établir des premiers contacts et d’explorer les perspectives de coopération entre l’Egypte et l’Assemblée, mais aussi sur un plan général avec le Conseil de l’Europe. Bien évidemment, ma visite m’a permis de me faire une idée du processus de transition démocratique dans le pays et il m’a semblé utile de la partager avec mes collègues.

2.1 Bref aperçu du processus de transition démocratique

10. L’Egypte semble en effet passée à une phase postrévolutionnaire où le combat ne se mène plus tant dans la rue mais au niveau politique.
11. Après le vote à environ 77,8 % des amendements constitutionnels présentés par le Conseil supérieur des forces armées (CSFA), qui exerce le pouvoir depuis le départ de l’ancien Président Hosni Moubarak, en attendant le retour au pouvoir d’un gouvernement civil, et la proclamation de nouvelles dispositions constitutionnelles, un échéancier électoral a été annoncé bien que les dates envisagées pour les scrutins n’aient pas été clairement fixées.
12. Les mouvements de masse drainant un million de personnes ou plus sur la place Tahrir et les rues des principales villes du pays semblent avoir cédé le pas à des manifestations ponctuelles de type syndical ou catégoriel revendiquant une meilleure situation économique et sociale pour telle ou telle catégorie socioprofessionnelle. La population semble affectée par une certaine «fatigue révolutionnaire», qui ne les inciterait plus à revendiquer avec autant de véhémence. En plus, plusieurs éléments qui ont été actifs au sein de la jeunesse de la révolution paraissent s’orienter vers une action politique au sein de tel ou tel parti.
13. Beaucoup de révolutionnaires avaient pour but essentiel le départ de Moubarak du pouvoir, ce qui s’est réaliséNote. A ce stade, les revendications démocratiques ou anticorruption ne paraissent plus mobiliser autant les foules. Il faut aussi noter que beaucoup de personnalités politiques de l’ancien régime (notamment des membres du parti national démocratique – PND) se sont «recyclées» dans de nouvelles formations politiques créées après la révolution et sont, compte tenu de la notoriété attachée à leurs noms, susceptibles de jouer un certain rôle auprès de sympathisants de l’ancien régime dans le prochain processus électoral.
14. Les partis politiques se regroupent en alliances, qui peuvent parfois surprendre à première vue eu égard aux tendances sensiblement divergentes de leurs composantes. Il en va ainsi, par exemple, du parti nationaliste laïc libéral Al-Wafd que l’on retrouve dans l’Alliance nationale démocratique dominée par le parti Liberté et justice des Frères musulmans et à laquelle participent 37 partis politiques.
15. Les Frères musulmans sont sans conteste le groupe politique le plus nombreux et le mieux organisé d’Egypte, un pays où la religion (musulmane ou chrétienne) joue un rôle important. En lançant leur nouveau parti, les Frères musulmans ont confirmé qu’ils ne s’opposeraient pas à la nomination de femmes ou de Coptes à une fonction ministérielle (cabinet). L’un des vice-présidents du nouveau parti est lui-même copte. Ils estiment cependant «inopportun» que la présidence soit occupée par une femme ou un Copte.
16. Nos interlocuteurs créditent globalement le parti Liberté et justice des Frères musulmans d’un score variant de 25 % à 33 %, en en faisant vraisemblablement la première force politique du pays sans toutefois que ce parti atteigne la majorité absolue lui permettant de gouverner seul. Les Frères musulmans paraissent d’ailleurs ne pas vouloir exercer effectivement le pouvoir, sans doute de crainte que les mesures qui devront être édictées au lendemain des élections ne rendent leurs promoteurs impopulaires, perdant ainsi une partie du soutien du peuple de la révolution. Ils ne présenteraient donc des candidats que dans la moitié des circonscriptions.
17. Toutefois, selon les analystes, le rôle primordial que sont appelés à jouer les Frères musulmans semble s’expliquer non seulement par le fait que le peuple égyptien a une forte imprégnation religieuse, mais aussi par le contexte social du vote en Egypte et sa nature profondément clientéliste. Le vote islamiste est également perçu comme ayant l’avantage de donner un sens et une signification à l’action publique car il est porteur d’un projetNote. Un parti comme Al-Wafd semble ainsi vouloir bénéficier du mouvement d’aspiration vers le pouvoir accompagnant les Frères pour participer au gouvernement et exercer effectivement le pouvoir, en «harmonie» avec les Frères, et par procuration. Ses représentants ont souligné qu’ils voulaient surtout éviter la division de la population entre les forces islamistes et les autres (ce qui s’est produit lors du référendum constitutionnel de mars 2011). Notons que le parti Al-Wafd a gagné toutes les élections entre 1919 et 1952. Il s’est joint à la révolution dès le 25 janvier 2011.
18. Le Bloc égyptien est une autre alliance électorale en Egypte, formée entre autres par plusieurs partis politiques et mouvements libéraux, socio-démocrates et de gauche, y compris le parti Al-Masreyeen al-Ahrar (les «Egyptiens libres»), conduit par le millionnaire copte Naguib Sawiris, le parti du Front démocratique, le parti social-démocrate égyptien, le parti socialiste égyptien, le parti communiste égyptien, l’Association nationale pour le changement et le syndicat des agriculteurs. Le bloc a été formé dans le but principal d’empêcher les Frères musulmans et son parti affilié, Liberté et justice, de remporter les prochaines élections législatives. Les groupes qui composent cette alliance partagent une vision commune de l’Egypte en tant «qu’Etat démocratique civil». D’anciens membres du parti Al-Wafd ont quitté ce dernier pour rejoindre ce bloc.
19. La multiplication des protestations sociales dès 2006, notamment par le collectif «Kifaya» (ce qui veut dire «Assez»), a également concurrencé le discours protestataire islamique.
20. Les représentants du parti libéral Al-Ghad (ce qui signifie «le parti de demain») nous ont pour leur part déclaré ne pas vouloir former d’alliance électorale et préférer se présenter sous l’étiquette de leur parti, tout en restant bien évidemment ouverts à des alliances postélectorales. Ils s’opposent également aux islamistes, sont favorables à la séparation entre religion et politique et prônent un «Etat démocratique civil». Ils ont développé d’importants programmes éducatifs aussi bien pour les enfants que pour les jeunes.
21. Beaucoup de jeunes ont formé divers partis politiques (probablement trop nombreux) rassemblés en une Coalition des jeunes de la révolution, manquant quelque peu d’homogénéité. D’autres ont rejoint des partis plus traditionnels, y compris des partis islamistes.
22. Il semble que pour les jeunes qui «ont fait la révolution», il est désormais plus difficile de «faire de la politique» car ils manquent de l’expérience nécessaire dans ce domaine. La plupart de nos interlocuteurs ont insisté sur le fait que ce à quoi nous assistions ne devait pas être perçu comme une «confiscation de la révolution», mais comme un processus normal de transition par lequel les partis politiques traditionnels pouvaient par la suite être appelés à mettre en œuvre les objectifs de la révolution que les jeunes avaient lancée. Il est bien sûr très important de savoir si ceux qui arrivent au pouvoir satisferont en fin de compte à la finalité de la révolution: la démocratie, la transparence et la justice. Or il est impossible à ce stade de répondre à cette interrogation!
23. Il convient de noter également que, dans la réalité, la nature de la révolution égyptienne semble être moins politique au sens étroit du terme qu’elle n’est civile. En renversant le Président Moubarak, les Egyptiens ont pour la première fois de leur histoire fait l’expérience pratique de la souveraineté populaire et, à ce titre, leur révolution est bien politique. Néanmoins, ceux qui l’ont menée n’ont pas de leadership politique et idéologique. Il s’agit d’une révolution sans recherche de prise du pouvoir par les révolutionnaires. Les mouvements sociaux ne cherchent «ni la prise du pouvoir ni son exercice. Ils visent à influencer les politiques et les décisions publiques»Note.
24. La révolution égyptienne semble ainsi être principalement une révolution civile, une révolution de la société civile de ce pays réalisée par un peuple-surveillant, un peuple-veto et un peuple-juge comme compléments ou correctifs du peuple électeurNote. Un de ses impacts les plus importants sera peut être la participation du plus grand nombre à l’espace public, autrefois circonscrit aux élites cultivées de la capitale, proches du pouvoir. Cette participation se fera par la parole, la manifestation dans la rue et le mouvement social, et elle portera sur les grandes questions de l’avenir de l’Egypte. «Si ce pronostic se confirme, la révolution égyptienne aurait eu comme impact de faire émerger la société civile comme une sorte de recours aux désenchantements de la démocratie électorale.»Note Cela assurerait son succès.
25. Le CSFA indique vouloir rendre le pouvoir aux civils. Mais le délai initialement prévu de six mois est désormais dépassé et il est possible que le processus de transition ne sera pas achevé avant début 2013.
26. Du fait, notamment, que le corps des juges avait obtenu de pouvoir seul superviser les élections (la Haute Commission électorale étant uniquement composée de juges)Note, et que ce corps jouit d’une bonne réputation d’indépendance dans le pays, l’organisation des prochaines élections en Egypte ne saurait se concevoir dans le pays sans la participation des magistrats comme organe de contrôle. Toutefois le pays ne dispose pas d’assez de juges pour couvrir tous les bureaux de vote du pays en même temps. Les élections à l’Assemblée du peuple se feront donc en trois tiers, avec deux tours chacun: on votera d’abord dans un tiers des circonscriptions, puis dans le deuxième puis dans le troisième, chaque fois à quelques semaines d’intervalle. De plus, il y aura deux tours par zone.
27. Les élections à l’Assemblée du peuple devraient commencer fin novembre 2011 (la date du 28 novembre a été annoncée) et s’achever en janvier 2012. Les élections à la Choura devraient démarrer fin janvier et s’achever en mars 2012.
28. Les deux chambres du parlement disposeront ensuite de six mois pour élire l’Assemblée constituante composée de 100 membres qui ne sont pas obligatoirement des parlementaires. Mais il est à espérer que cette élection intervienne dans un délai beaucoup plus rapide. Quoi qu’il en soit, l’Assemblée constituante, une fois élue, aura six mois pour élaborer une nouvelle Constitution, qui devra ensuite être approuvée par référendum national.
29. Les élections présidentielles se tiendront normalement après adoption de la nouvelle Constitution car celle-ci devra inter alia fixer les nouveaux pouvoirs de la présidence et la répartition d’ensemble des compétences.
30. Les principaux candidats déclarés sont Mohamed El Baradei, Amr Moussa, Abulmonem Abou al-Fotoh, Sélim al-Awa, et Ayman Nour. Le major général Morad Mouafi, chef (avec rang de ministre) des services de renseignement, négociateur des accords de Camp David, et réconciliateur du Hamas avec le Fatah, a déclaré que le CSFA n’avait pas l’intention de présenter un candidat de l’armée à la présidence du pays. Les Frères musulmans ne proposent pas de candidat non plus, et ont radié de leur parti le dirigeant de leur jeunesse, Abou al-Fotoh, justement parce qu’il a déclaré sa candidature contre leur avis.
31. Bien que nous ayons été informés de plusieurs dates possibles pour l’organisation des élections présidentielles, compte tenu des éléments susmentionnés, il est difficile d’imaginer qu’elles puissent se tenir avant l’automne 2012 ou même début 2013.
32. Le système électoral a fait l’objet de controverses entre le CSFA et les partis politiques, et a été évoqué lors de nos discussions avec les représentants des partis. Au départ, les projets d’amendement à la loi sur les élections législatives proposés par le CSFA prévoyaient que la moitié des sièges du Parlement soit attribuée au scrutin proportionnel sur la base de listes des partis et que l’autre moitié le serait au scrutin uninominal à partir d’une liste de candidats individuels. Les représentants de l’ensemble des partis politiques que nous avons rencontrés ont souligné leur préférence pour des élections fondées exclusivement sur des listes de partis, craignant que des listes de candidats individuels favorisent les anciens membres du Parti national démocratique d’Hosni Moubarak.
33. Nous étions au Caire le jour même, le dimanche 25 septembre, de l’approbation par le cabinet égyptien des amendements à la loi électorale, à l’occasion d’une réunion présidée par le Premier ministre Essam Sharaf. Les amendements ainsi approuvés prévoient que l'élection des deux tiers des députés des deux chambres se fera au scrutin de liste fermée à la proportionnelle, et le dernier tiers par scrutin uninominal, réservé aux indépendants. Le parlement, dont les membres sont élus au suffrage universel, doit être composé pour moitié «d'ouvriers et de paysans». Ces amendements imposent également la présence d’une candidature féminine au moins sur chaque liste.
34. La nouvelle loi divise l’Egypte en 129 circonscriptions – 46 dont les membres seront élus au scrutin de liste et 83 dont les membres seront élus par scrutin uninominal. Le nombre de sièges au parlement a par ailleurs été réduit de 504 à 498.
35. Si ces amendements, tels qu’approuvés, sont une amélioration par rapport à la proposition précédente, tous les partis politiques ont réagi violemment contre la décision du cabinet et appelé à une modification des dispositions concernées afin que l’ensemble des sièges du parlement soient attribués sur la base du scrutin de liste. Certains partis en sont arrivés à menacer de boycotter les élections si la loi n’était pas changée.
36. Une autre requête apparemment partagée par l’ensemble des partis politiques a trait à l’interdiction faite aux anciens membres du PND de se présenter aux élections durant les dix prochaines années. Le champ d’application de cette interdiction semble faire débat parmi les différents partis politiques, certains partis demandant son extension à l’ensemble des responsables impliqués dans les abus de pouvoir perpétrés sous l’ancien Président Moubarak. En tout état de cause, aucune interdiction n’a pour l’heure été décidée.
37. S’agissant de la couverture médiatique de la campagne, les représentants des partis politiques semblent satisfaits des mesures prises pour assurer à tous les partis des temps d’antenne identiques sur les chaînes de télévision nationales.
38. Les élections, tant législatives que présidentielles, ainsi que la préparation de la nouvelle Constitution, qui mènera à un transfert en douceur du pouvoir à un gouvernement civil, sont les défis principaux auxquels l’Egypte est confrontée aujourd’hui.
39. Nos interlocuteurs ont toutefois évoqué d’autres problèmes, dont les questions de sécurité, le statut de l’armée et l’équilibre des pouvoirs dans la future Constitution, le choix entre un Etat religieux ou laïc, le statut et le rôle des femmes et le statut des Coptes.
40. Il convient de rappeler que les femmes et les Coptes ont joué un rôle important durant la révolution. Dans la situation actuelle, les défenseurs des droits des femmes avec lesquels nous nous sommes entretenus nous ont fait savoir que la situation des femmes se détériorait. Le quota de 64 sièges réservés aux femmes, prévu dans l’ancienne législation électorale, a été supprimé. Les nouveaux amendements prévoient simplement une candidate sur chaque liste de parti.
41. S’agissant des préoccupations de sécurité, certains de nos interlocuteurs nous ont indiqué que la criminalité de rue, en plein essor, constitue l’un des problèmes majeurs auxquels l’Egypte doit aujourd’hui faire face. D’autres par contre nous ont affirmé que les problèmes de sécurité avaient été exagérés pour justifier l’extension de la loi d’urgence, annoncée par le CSFA après les heurts entre des manifestants et les forces de sécurité devant l’ambassade israélienne le 9 septembre. La loi d’urgence, antérieurement restreinte aux affaires de terrorisme et de stupéfiants, couvre désormais des faits comprenant les perturbations de la circulation, le blocage de routes, la diffusion de rumeurs, la détention et le commerce d’armes, etc. Il nous a été rapporté que quelque 12 000 civils avaient été déférés devant des tribunaux militaires en application de la loi militaire au cours des six derniers mois.
42. Cela étant, le CSFA semble toujours bénéficier d’une certaine légitimité et du soutien de la population, en sa qualité de garant de l’ordre public. La décision de l’armée de juger l’ancien Président Moubarak et ses fils, notamment sous l’accusation de «meurtre avec préméditation» de certains manifestants, ainsi que ses proches collaborateurs pour abus de fonds publics et autres inculpations connexes, a été considérée comme un test majeur par la population. Il y a quelques jours, l’ancien ministre de l’Information a été condamné à sept ans d’emprisonnement. L’ancien président et ses deux fils sont en prison dans l’attente de la fin de leur procès.
43. S’agissant de l’attaque contre l’ambassade israélienne, permettez-moi de rappeler que dans mon rapport de juin, je m’étais félicité du fait que les révolutions du Printemps arabe «ont une ampleur nationale et, d’une manière générale, les populations se sont tournées vers l’Europe et vers les Etats-Unis pour demander de l’aide, non pour les critiquer». J’aurais pu ajouter que nulle part les manifestants n’avaient été vus brûlant des drapeaux israéliens ou proférant des slogans antisémites, ce qui était un aspect très positif de ces révoltes: ils étaient pour quelque chose et non contre quelque chose. L’attaque contre l’ambassade israélienne au Caire le 9 septembre, bien qu’elle soit sans relation avec la révolution, est cependant un événement regrettable et les autorités devraient veiller à prévenir la récidive de tels actes.
44. Les questions de politique étrangère ont également été brièvement évoquées au cours de mes discussions avec les représentants des partis politiques et le major général Mouafi. Ce dernier a confirmé en particulier que l’Egypte souhaitait rester en bons termes avec Israël et les Etats-Unis. Il est intéressant de noter qu’immédiatement après le retrait du Président Moubarak, le CSFA a renouvelé l’engagement de l’Egypte en faveur de tous les traités internationaux et régionaux, y compris le traité de paix avec Israël. Après l’épisode du 9 septembre, Israël et l’Egypte ont tous deux réaffirmé leur engagement en faveur du traité de paix. Le major général Mouafi m’a cependant déclaré qu’Israël devrait présenter des excuses pour la mort de soldats égyptiens au cours des opérations nocturnes menées le long de la frontière israélo-égyptienne en août.
45. La demande de reconnaissance de l’Etat palestinien devant l’Assemblée générale des Nations Unies a été inévitablement soulevée dans quasiment toutes les réunions auxquelles j’ai assisté au Caire. Il convient de rappeler que c’est au Caire qu’a été signé le 4 mai 2011 l’accord de réconciliation entre le Fatah et le Hamas, avec la participation active du ministre des Affaires étrangères de l’époque Nabil El-Araby – désormais Secrétaire général de la Ligue arabe – et du major général Mouafi.

2.2 Perspectives de coopération entre l’Egypte et le Conseil de l’Europe

46. Comme évoqué précédemment, l’objet de ma visite en Egypte était d’établir des premiers contacts et d’explorer les perspectives de coopération entre l’Egypte et l’Assemblée parlementaire, mais aussi sur un plan plus général avec le Conseil de l’Europe. J’ai insisté sur le fait que nous n’avions nullement l’intention d’imposer une quelconque assistance, mais simplement de proposer de partager notre expérience et nos bonnes pratiques avec nos partenaires égyptiens.
47. Plus spécifiquement, nous avons discuté des perspectives de coopération avec des représentants des partis politiques, des médias, des organisations de défense des droits de l’homme et des femmes, ainsi qu’avec ceux des ministères des Affaires étrangères et de la Justice et le major général Mouafi.
48. Lors de toutes les réunions, nous avons présenté les opportunités offertes par le statut de Partenaire pour la démocratie, récemment créé par l’Assemblée parlementaire pour les parlements des régions voisines, un statut qui pourrait être accessible au Parlement égyptien après les élections, s’il en exprime la demande. Nous avons également présenté les opportunités de coopération offertes par les organes du Conseil de l’Europe ouverts aux Etats non membres, tels que la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de VeniseNote), l’organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles et électorales, qui pourrait être d’un intérêt particulier dans le contexte de la préparation de la nouvelle Constitution. Nous avons souligné le fait que le Maroc, la Tunisie et l’Algérie étaient déjà membres à part entière de la Commission de Venise. Nous avons notamment proposé l’organisation d’une conférence au Caire après les élections législatives, avec la participation de membres de notre Assemblée et de la Commission de Venise, afin de procéder à un échange de vues et un partage d’expériences et de bonnes pratiques dans le contexte de la préparation de la nouvelle Constitution. Une telle conférence pourrait être accueillie par le nouveau parlement ou un centre de recherche comme le célèbre Centre Al-Ahram pour les études politiques et stratégiques.
49. Nous avons également évoqué les travaux d’autres organes et d’accords partiels du Conseil de l’Europe ouverts aux Etats non membres, dont le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud)Note, le Groupe PompidouNote, le Groupe des Etats contre la corruption (GRECO)Note et MONEYVALNote, les programmes de coopération parlementaire et intergouvernementaux, notamment dans le cadre de la nouvelle politique du Conseil de l’Europe à l’égard de régions voisines, basée sur la demandeNote.
50. Les représentants de l’ensemble des partis politiques que nous avons été amenés à rencontrer ont fait preuve d’enthousiasme à l’idée d’une coopération future avec l’Assemblée parlementaire, s’agissant notamment du statut de Partenaire pour la démocratie, et avec le Conseil de l’Europe sur un plan général. Bien que le discours prononcé précédemment cette année par le Président Obama ait suscité de grandes attentes dans la région, la position américaine sur la question de la reconnaissance d’un Etat palestinien a créé de grandes désillusions et entraîné une perte de confiance en les Américains, et nous avons appris que les Egyptiens se tournaient désormais plus que jamais vers l’Europe. Les responsables politiques que nous avons rencontrés semblent également accueillir avec satisfaction le fait que nous ne sommes pas là pour donner des leçons ou imposer quoi que ce soit, mais pour un partage d’expériences et de bonnes pratiques.
51. A ce stade, le statut ne pouvant être accordé qu’à l’issue des élections, nous avons eu le sentiment que les responsables politiques égyptiens étaient désireux d’engager dès à présent le dialogue avec nous. Il nous a de ce fait semblé naturel de les inviter à suivre les débats de la quatrième partie de session de notre Assemblée, notamment celui consacré à mon rapport, mais aussi à la présentation de la demande de statut de Partenaire pour la démocratie par le Conseil national palestinien ainsi qu’à l’allocution du Président Mahmoud Abbas. Je suis très heureux de constater qu’en dépit de cette invitation de dernière heure, les représentants des partis politiques égyptiens soient disposés à venir. Nous devrions, je l’espère, être en mesure de procéder à un échange de vues avec eux cette semaine.
52. Je crois que l’Egypte, à ce moment crucial de son histoire, a besoin de soutien plus que jamais. Si le fait d’initier un dialogue avec les représentants politiques de ce pays pouvait contribuer ne serait-ce qu’un peu à soutenir la transition démocratique de ce pays, cela vaudrait la peine de le faire.

3 Développements récents dans d’autres pays arabes

3.1 La Libye

53. N’ayant pas eu l’opportunité de me rendre en Libye jusqu’à présent, je me contenterai de dresser un bref aperçu des développements intervenus depuis juin 2011 dans l’espoir qu’un rapport distinct sur ce pays puisse être préparé une fois que les conditions de sécurité permettront une telle visite.
54. Après six mois de conflit armé, les troupes du Conseil national de transition (CNT) sont finalement parvenues fin août à prendre le contrôle de Tripoli, l’ancien dictateur prenant la fuite en laissant derrière lui de nombreuses preuves de violations des droits de l’homme. Il n’a à ce jour pas encore été localisé. Le CNT contrôle désormais l’ensemble du pays à l’exception de petites poches de résistance à Bani Walid et à Sirte.
55. Le 23 août, Catherine Ashton, haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a identifié quatre principaux domaines d’aide: la fourniture de produits médicaux et de carburant; la sécurité et le fonctionnement des forces de police, tout en plaçant sous contrôle les armes actuellement aux mains des civils; l’économie, avec le déblocage des avoirs et la levée des sanctions; et, enfin, le soutien à la démocratie.
56. Le Premier ministre britannique et le Président français se sont rendus à Tripoli et à Benghazi le 15 septembre, où ils se sont entretenus avec les membres du CNT.
57. Le 16 septembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l’unanimité la Résolution 2009 pour épauler et soutenir les efforts faits par la Libye afin de rétablir l’ordre et la sécurité publics, et promouvoir l’Etat de droit, entamer une concertation politique sans exclusive, encourager la réconciliation nationale et lancer la rédaction de la Constitution et le processus électoral.
58. Human Rights Watch a exprimé ses préoccupations devant l’éventuel détournement d’armes de l’important arsenal constitué par le colonel Kadhafi. La secrétaire d'Etat américaine, Mme Hillary Clinton, a évoqué la possibilité que les armes manquantes puissent être vendues au marché noir à des terroristes tandis que d’autres observateurs disent craindre une guerre civile en Libye. Certains de nos interlocuteurs au Caire ont indiqué que certaines des armes, y compris des missiles SAM, avaient été acheminées en Egypte.
59. Lors de son premier discours prononcé à Tripoli après la fuite de Kadhafi, Mustafa Abdul Jalil, chef du CNT, a exposé ses plans pour créer un Etat moderne démocratique fondé sur un islam modéré.
60. Amnesty International a appelé le CNT à prendre des mesures afin de prévenir les atteintes aux droits de l’homme par les forces anti-Kadhafi. Dans son dernier rapport, l’ONG révèle que, si les forces loyalistes du colonel Kadhafi ont perpétré la majorité des violations, celles qui les ont combattues ont elles aussi été impliquées dans des actes de torture et des meurtres de vengeanceNoteNote.
61. Dans une déclaration du 13 septembre, le CNT a condamné tous les abus commis pendant la guerre, et a déclaré qu’il allait rapidement agir sur base des informations fournies par Amnesty International, afin de s’assurer que des abus similaires seront évités dans des zones de conflit permanent telles que Bani Walid et Sirte.
62. Le 20 septembre, le Conseil national de transition a été reconnu par l’Union africaine comme étant le gouvernement de facto du pays. Le même jour, Mustafa Abdul Jalil a, pour la première fois, pris la parole aux Nations Unies, lors d’une réunion à laquelle participaient le Président des Etats-Unis Barack Obama, le Président français Nicolas Sarkozy et d’autres dirigeants du monde.
63. Plusieurs partis politiques ont été créés au cours des derniers mois (des islamistes aux libéraux), dont notamment l’Alliance nationale démocratique libyenne présidée par Mme Souhila Sherif, mais aucun calendrier électoral n’a pour l’heure été convenu. Il est à craindre que les dissensions internes au sein du CNT, en particulier celles opposant les laïques aux islamistes, ne retardent la constitution d’un gouvernement de transition. Les libéraux et les conservateurs semblent dans les faits se livrer à une véritable confrontation. Les femmes quant à elles manifestent chaque vendredi et revendiquent la reconnaissance de leur place au sein de la société.
64. Les Libyens sont connus pour être des gens pieux, mais ils appartiennent à l’école malikite, la branche la plus modérée de l’islam. Dans un même temps, certaines «katibas» (brigades) combattant les troupes de Kadhafi seraient dirigées par d’anciens membres du Groupe islamique combattant en Libye, un mouvement islamique clandestin qui luttait contre le colonel Kadhafi et qui est récemment réapparu sous une autre dénomination. Le général Abdel Fattah Younes, chef d’état-major du CNT, souhaitait placer toutes les katibas sous son autorité. Il a été assassiné. L’enquête sur les circonstances de sa mort n’est pas encore achevée et les responsables n’ont toujours pas été officiellement identifiésNote.
65. Une réunion rassemblant plus de 300 juristes libyens est prévue le 3 octobre à Misrata aux fins de discuter de la future constitution.

3.2 La Syrie

66. Depuis le mois de juin, les autorités syriennes ont intensifié leur répression sanglante. Selon la Fédération internationale des Ligues des droits de l'hommeNote, le Centre de Damas d’étude des droits de l’homme a reçu, quasi quotidiennement, de nombreuses informations fiables faisant état de graves violations des droits de l’homme commises à l’encontre de civils syriens. Ces crimes incluent des homicides extrajudiciaires et un usage accru et systématique de la violence de la part des forces gouvernementales; des arrestations massives, enlèvements, disparitions forcées et détentions de civils; des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants; la répression de la liberté de réunion pacifique et des violations de la liberté d’information, visant plus particulièrement les médias et les défenseurs des droits de l’homme; des opérations militaires et des actions entreprises aux fins d’assiéger des villes, et des pratiques relevant de sanctions collectives et de la privation de nourriture, d’eau et de fournitures médicales, ainsi que la restriction et le refus d’accès aux hôpitaux.
67. Au 24 septembre 2011, plus de 2 830 personnes avaient perdu la vieNote. D’après les estimations, les arrestations se chiffrent en dizaines de milliers. Près de 20 000 personnes ont fui le pays, pour la plupart pour la Turquie.
68. Le 22 août, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a décidé de dépêcher en Syrie une Commission internationale indépendante d’enquête sur toutes les allégations de violations du droit international relatif aux droits de l’homme perpétrées depuis mars 2011 dans la République arabe syrienne. Le 12 septembre, le président du Conseil des droits de l’homme a annoncé la nomination de trois experts de haut niveau au sein de la commission d’enquête.
69. Le 14 septembre, le Premier ministre turc, M. Recep Tayyip Erdoğan, a déclaré ne plus avoir confiance en M. Bashar El-Assad et a mis en garde contre le risque de déclenchement d’une guerre civile en Syrie.
70. Le même jour, l’Union européenne a considérablement durci ses sanctions à l’égard de la Syrie. L’Union européenne avait déjà ciblé plus de 50 syriens et une dizaine d’entreprises du paysNote.
71. En dépit de la condamnation prononcée par le Conseil de sécurité des Nations Unies (le 3 août) à l’égard de la Syrie pour des violations généralisées des droits de l’homme et l’usage de la force contre des civils lors de la répression meurtrière des protestataires (le 3 août), le ministre syrien des Affaires étrangères a pris la parole le 26 septembre devant l’Assemblée générale des Nations Unies, qualifiant les diverses manifestations «d’interventions étrangères».
72. Une résolution sur la Syrie est en cours de discussion au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies mais ses membres demeurent partagés quant à l’adoption de sanctions: le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Portugal et les Etats-Unis y sont favorables mais la Russie, la Chine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud se sont prononcés contre. Le mot «sanctions» devrait éventuellement être remplacé par l’expression «mesures ciblées» afin de vaincre l’opposition de la Russie et des autres pays susmentionnés.
73. Parallèlement, des personnalités syriennes d’opposition ont annoncé à Istanbul, le 13 août, la formation d’un Conseil national syrien (CNS) pour coordonner les diverses composantes de l’opposition au régime El-Assad. Le 1er octobre, le CNS a mené à Istanbul des négociations à huis clos avec d’autres opposants syriens en vue d’obtenir leur ralliement. Des discussions ont lieu depuis plusieurs jours avec Burhan Ghalioun, universitaire à Paris et opposant de longue date, ainsi qu'avec des Kurdes et des représentants des tribus. La composition définitive du CNS doit être annoncée dans les deux prochains jours.
74. Selon des sources diplomatiques à Damas, la montée en puissance du CNS pourrait découler d'un accord entre Américains, Turcs et Frères musulmans basé sur les trois principales tendances: nationalistes, libéraux et islamistes.
75. En même temps, les minorités religieuses, particulièrement les chrétiens, redoutent un avenir inconnu après la chute du Président El-Assad.

3.3 Autres développements récents dans la région

76. Au Yémen, durant l’été, les forces de sécurité ont continué d’ouvrir le feu sur les opposants au gouvernement qui manifestaient dans la capitale. Le 25 septembre, il a été rapporté qu’une centaine de personnes avaient été tuées durant la semaine.
77. Un groupe d’experts des Nations Unies a tiré la sonnette d’alarme quant au danger imminent de guerre civile au Yémen et le Conseil de sécurité a exhorté l’ensemble des parties à mettre un terme à la violence et à permettre un accès plus large à l’aide humanitaire.
78. Le Président Ali Abdullah Saleh, qui a passé trois mois en Arabie saoudite après avoir été blessé lors de l’attaque contre son palais présidentiel, est rentré le 23 septembre au Yémen. Lors de sa première allocution, M. Saleh a appelé au dialogue et à un scrutin anticipé. Depuis lors, il a clairement affirmé qu’il ne démissionnera pas.
79. En Jordanie, le groupe d’experts nommé en avril 2011 afin d’élaborer les réformes a présenté, mi-août, 42 propositions au roi Abdullah. Ce dernier a salué les propositions tandis que les militants se sont plaints, estimant qu’elles n’étaient pas suffisantes.
80. Le 28 septembre, un tribunal du Bahreïn a condamné à cinq à quinze ans d’emprisonnement 20 médecins et autre personnel médical qui avaient prodigué des soins aux manifestants, après les avoir déclarés coupables d’incitation au renversement du régime.
81. Le 25 septembre, le roi Abdullah d’Arabie saoudite a pris l’engagement de protéger les droits des femmes, déclarant que ces dernières seraient habilitées à participer aux élections municipales de 2015. Il a également fait la promesse de nommer des femmes au Majlis al-Choura, le Conseil consultatif auprès du roi, pour l’heure exclusivement masculin.

4 La politique du Conseil de l’Europe à l’égard de son voisinage immédiat

82. Dans mon rapport de juin, j’avais évoqué les propositions formulées par le Secrétaire Général de l’Organisation lors de la session ministérielle d’Istanbul en mai 2011 pour une nouvelle politique du Conseil de l’Europe à l’égard de son voisinage immédiat. A la suite de la décision des ministres prenant note des propositions du Secrétaire Général et l’invitant à développer des plans d’action pour la mise en œuvre de cette politique, en vue de leur approbation par le Comité des Ministres, les contacts entre le Secrétaire Général et les autorités d’un certain nombre de pays se sont poursuivis afin d’identifier les domaines de coopération où le Conseil de l’Europe est susceptible d’apporter une assistance significative. Il convient de noter que le statut de Partenaire pour la démocratie proposé par notre Assemblée aux parlements des régions voisines est l’un des principaux éléments de cette nouvelle politique du Conseil de l’Europe et qu’il semble intéresser au plus haut point l’Union européenne, notamment du fait des mécanismes de fixation de critères de référence et de suivi qu’il impliqueNote.
83. Un «Rapport sur l'état d'avancement de la politique du Conseil de l'Europe à l’égard de son voisinage immédiat» a été discuté dans le cadre du Groupe de rapporteurs sur les relations extérieures des Délégués des Ministres (GR-EXT) le 29 septembre 2011Note. Il fait le point sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la politique en ce qui concerne le dialogue politique entre le Conseil de l’Europe et les pays concernés, ainsi que les préparatifs des futurs plans d’action pour une coopération basée sur la demande. Selon ce document, la priorité immédiate est de finaliser les accords sur la coopération ciblée avec le Maroc et la Tunisie dans le cadre d’une «facilité conjointe» avec l’Union européenne pour le sud de la Méditerranée.
84. Le Secrétaire général de l’Assemblée a participé aux discussions du GR-EXT au cours desquelles l’idée de développer davantage de synergies entre le secteur intergouvernemental et l’Assemblée dans la poursuite d’une politique du Conseil de l’Europe à l’égard des pays ou régions voisins a été saluée par plusieurs délégations. Un accord de principe a été conclu pour inviter les rapporteurs de l’Assemblée sur les questions relatives à cette politique à l’une des prochaines réunions du GR-EXT. Je pense que, de notre côté, nous pourrions également inviter le président du GR-EXT pour un échange de vues sur la politique du Conseil de l’Europe à l’égard de son voisinage immédiat lors d’une de nos prochaines réunions. D’autres acteurs importants dans ce domaine, par exemple le président de la Commission de Venise, pourraient également participer à cet échange de vues afin d’assurer les meilleurs synergie et dialogue possibles et d’adresser aux pays concernés un message global au nom de l’Organisation.

5 Remarques conclusives et propositions d’amendement

85. Le présent document ne se veut pas un rapport exhaustif sur le «Printemps arabe» ou sur la situation dans tous les pays arabes, mais sur une éventuelle coopération entre le Conseil de l’Europe et les démocraties émergentes du monde arabe. Les possibilités varient bien entendu d’un pays à l’autre: nous avons noué de bonnes relations avec la Tunisie et le Maroc et initié des contacts avec l’Egypte et l’Algérie, et espérons faire de même très prochainement avec la Libye. D’autres n’ont pas encore suffisamment progressé sur la voie de la démocratie. Nous sommes au demeurant ouverts à la coopération avec tous, s’ils en expriment le souhait.
86. Dans son approche, le Conseil de l’Europe ne cherche pas à imposer un modèle ou à donner des leçons. L’Organisation a pour objectif de mettre à disposition l’expérience qu’elle a accumulée et ses mécanismes pertinents afin d’épauler les nouvelles démocraties pour mettre en place les institutions démocratiques, protéger les droits de l’homme et garantir l’Etat de droit. C’est de cette même manière que nous avons approché les nouvelles démocraties d’Europe du Sud dans les années 1970 et celles d’Europe centrale et de l’Est dans les années 1990.
87. Cette démarche similaire prévalait déjà en 2009 lorsque l’Assemblée a créé le statut de Partenaire pour la démocratie, juste avant le début du «Printemps arabe».

Aux fins de mettre à jour le projet de résolution que nous avons adopté en juin 2011, je propose les amendements suivants:

Amendement A

Dans le paragraphe 1, remplacer la dernière phrase par le texte suivant:

«Se référant également à ses Résolutions 1791 (2011) et 1819 (2011) sur la situation en Tunisie, l’Assemblée se félicite en particulier de l’évolution encourageante en Tunisie et en Egypte, et soutient pleinement le processus de transition démocratique dans ces pays.»
Amendement B

Après le paragraphe 2, ajouter le nouveau paragraphe suivant:

«L’Assemblée salue le succès des forces démocratiques en Libye. Elle soutient la Résolution 2009 du Conseil de sécurité des Nations Unies visant à épauler les autorités de transition en Libye et se déclare prête à assister ces dernières si elles le souhaitent. Elle appelle le Conseil national de transition à faire tout ce qui est en son pouvoir pour prévenir les violations des droits de l’homme par les forces placées sous son contrôle et demander des comptes aux responsables des exactions alléguées.»
Amendement C

Au paragraphe 3, première ligne, supprimer les mots: «en Libye et».

Amendement D

Au paragraphe 7, remplacer l’alinéa 7.4 par l'alinéa suivant:

«de réviser, et au besoin, réformer la législation nationale, y compris le droit de la famille, afin de la rendre conforme au droit international sur l’égalité des genres assurant aux femmes les mêmes droits et chances que les hommes, et pour garantir aux femmes l’exercice de ces droits et leur participation pleine et entière, sur un pied d’égalité, à la vie sociale et politique, notamment aux processus démocratiques de transition, en votant et se présentant aux élections et en créant des entreprises.»
Amendement E

Au paragraphe 9, remplacer la fin du paragraphe à partir de l’expression «21 juin 2011» par le texte suivant:

«(…) et attend d’être pleinement accréditée pour observer les élections législatives prévues au Maroc le 25 novembre 2011, conformément aux termes de cette résolution. Elle note également que le Conseil national palestinien s’est vu accorder le statut de Partenaire pour la démocratie le 4 octobre 2011.»
Amendement F

Après le paragraphe 10, ajouter le nouveau paragraphe suivant:

«L’Assemblée appelle les autorités tunisiennes et égyptiennes à instaurer un climat de confiance avant et durant les prochaines élections dans ces pays, afin que la population se rende aux urnes et vote, et à prendre les mesures adéquates pour garantir le caractère libre et équitable de ces élections afin de conférer aux nouvelles institutions la légitimité qu’il convient.»
Amendement G

A la fin du paragraphe 12, ajouter le nouvel alinéa suivant:

«à établir des contacts avec la Ligue des Etats arabes et explorer les possibilités de partager avec les pays arabes l’expérience du Conseil de l’Europe dans les domaines de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit.»
Amendement H

Après le paragraphe 15, ajouter le nouveau paragraphe suivant:

«Il est également impératif de créer "des solidarités de fait" entre les deux rives de la Méditerranée et de répondre aux besoins de la jeunesse du Sud en matière de communication avec l’extérieur et d’appartenance à la communauté en favorisant la multiplication des échanges entre jeunes du Nord et du Sud, ainsi que la mobilité, par l’octroi de visas et la facilitation de l’acquisition d’expérience par les étudiants qui auront démontré leurs capacités; de valoriser les réseaux de la diaspora des pays de la rive sud de la Méditerranée qui ont réussi à l’étranger en permettant aux jeunes du Sud de prendre appui sur eux; de permettre aux jeunes du Sud de bénéficier des institutions et programmes européens et les aider à réaliser des projets; d’établir des connexions entre les universités et les ONG des deux rives de la Méditerranée; de développer des réseaux d’entrepreneurs; d’aider la société civile; de faciliter l’accès à l’information, notamment à travers un accès ouvert à l'internet et en donnant aux journalistes et bloggeurs la possibilité d’être entendus.»

Annexe -Tunisie: déclaration de la mission préélectorale de l’APCE

Strasbourg, 16.09.2011 – Une délégation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a effectué une mission préélectorale à Tunis afin d’évaluer la campagne électorale en vue des élections d’une Assemblée nationale constituante qui auront lieu le 23 octobre 2011. La délégation a rencontré Mouldi Kefi, ministre des Affaires étrangères, Ridha Bellhadj, ministre délégué auprès du Premier ministre, et Yadh Ben Achour, président de la Commission supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, ainsi que les dirigeants des principaux partis politiques participant aux élections, le secrétaire général de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) et les représentants de la communauté internationale et des organisations non gouvernementales.

La délégation préélectorale a noté avec satisfaction le fait que les autorités du pays ont rapidement élaboré le cadre juridique pour l’organisation des élections pluralistes et, à cet égard, elle les encourage à renforcer leur coopération avec la Commission de Venise du Conseil de l’Europe. Le fonctionnement efficace et transparent de l’administration électorale est un élément décisif pour assurer le caractère démocratique de tout le processus électoral et renforcer la confiance des acteurs politiques et des citoyens dans les élections.

Des élections démocratiques ne se limitent pas uniquement au bon déroulement du scrutin lui-même. La délégation a été informée du retard pris pour établir les listes électorales, des inquiétudes concernant l’organisation du scrutin pour les citoyens tunisiens résidant à l’étranger et de l’éventuel risque de tensions pendant la campagne électorale. A cet égard, la délégation de l’Assemblée parlementaire appelle les responsables politiques du pays à s’abstenir de toute rhétorique agressive, de pressions ou toutes actions qui soient contraires aux normes européennes pour des élections justes et démocratiques, et à respecter le Code de bonne conduite des partis politiques.

La délégation préélectorale se félicite de la diversité des médias et souhaite que la couverture de la campagne électorale soit équilibrée, indépendamment des sensibilités politiques. Concernant le financement des partis politiques, la délégation considère que la législation en vigueur doit être mise en œuvre de bonne foi.

La délégation préélectorale salue la volonté des autorités tunisiennes d’offrir la possibilité à un grand nombre d’observateurs nationaux et internationaux d’observer les élections de l’Assemblée nationale constituante. A cet égard, elle déclare que le rôle des observateurs internationaux est de mettre à la disposition de la société tunisienne l’expérience de la communauté internationale en la matière, d’observer le bon déroulement des élections, mais en aucun cas d’interférer dans le processus électoral ou de donner des leçons sur la façon dont les élections devraient être tenues.

Les élections du 23 octobre seront les premières élections libres depuis l’indépendance de la Tunisie en 1956. A cet égard, la délégation préélectorale tient à souligner l’importance capitale de l’élection démocratique d’une Assemblée nationale constituante pour assurer la légitimité des pouvoirs. Cette légitimé est lacondition sine qua non afin de former les institutions d’un Etat démocratique et fonctionnel et de concentrer ainsi les efforts des pouvoirs publics sur la solution des problèmes urgents des citoyens de la Tunisie.

La délégation préélectorale salue les efforts considérables de la Commission présidé par Yadh Ben Achour et l’accord signé le 15 septembre par des dirigeants de 11 partis politiques afin de garantir la transition démocratique des pouvoirs après les élections du 23 octobre 2011.

L’Assemblée parlementaire enverra une délégation de 20 membres pour observer les élections d’une Assemblée constituante nationale du 23 octobre 2011.

Membres de la mission préélectorale: 

Andreas Gross (Suisse, SOC), chef de la délégation

Jean-Charles Gardetto (Monaco, PPE/DC)

Christopher Chope (Royaume-Uni, GDE)

Anne Brasseur (Luxembourg, ADLE)

Jean-Paul Lecoq (France, GUE)