C Exposé
des motifs, par M. Clappison, rapporteur
1 Introduction
1. Le 25 novembre 2011, l'Assemblée parlementaire a
renvoyé à la commission des questions juridiques et des droits de
l'homme, pour rapport, la proposition de recommandation intitulée
«Révision de la Convention européenne sur la télévision transfrontière»
Note. Lors de sa réunion du 13 décembre
2011, la commission m'a nommé rapporteur. Le 25 mars 2013, j’ai
effectué une visite d’information à Bruxelles. A l’occasion de la réunion
du mois d’avril 2013 de notre commission, j’ai proposé de procéder
à un échange de vues avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe,
M. Thorbjørn Jagland, sur les relations avec l’Union européenne. Comme
M. Jagland ne pouvait pas y prendre part pendant la partie de session
du mois de juin, il a désigné M. Jan Kleijssen, directeur de la
Direction de la société de l’information et de la lutte contre la
criminalité, avec lequel la commission a procédé à un échange de
vues sur les relations avec l’Union européenne à propos de la télévision
transfrontière le 27 juin 2013. Par la suite, lors de sa réunion
à Paris le 4 septembre 2013, la commission a procédé à une audition
à laquelle ont participé deux experts:
- M. Tarlach McGonagle, chercheur principal, Institut du
droit de l’information (IViR), Faculté de droit, Université d’Amsterdam,
Pays-Bas;
- M. Jean-Paul Jacqué, directeur général honoraire et conseiller
spécial au Conseil de l'Union européenne, Bruxelles, professeur
associé au Collège d’Europe, Bruges, Belgique.
2. Les auteurs de la proposition de recommandation déplorent
que les travaux du projet de deuxième protocole d’amendement à la
Convention européenne sur la télévision transfrontière du Conseil
de l’Europe (STE n° 132, «la CETT») de 1989 aient été interrompus
suite à l’intervention de la Commission européenne, qui soutenait
que seule l’Union européenne, et non ses Etats membres, avait compétence
pour conclure des accords internationaux dans le domaine traité
par la CETT. Par suite de la position adoptée par l’Union européenne,
le Conseil de l’Europe a interrompu en janvier 2011 le processus
de révision de la CETT. Les Etats membres de l’Union européenne
qui ont ratifié la CETT sont par conséquent liés par ses dispositions
et par celles de la Directive 2007/65/CE sur les services de médias
audiovisuels
Note («Directive SMAV») de l’Union européenne
de 2007, tandis que les Etats non membres de l’Union européenne
sont liés uniquement par la CETT. Les auteurs de la proposition
de recommandation soulignent que cette situation nuit aux Etats
non membres de l’Union européenne et que «les travaux de révision
de la Convention du Conseil de l'Europe sur la télévision transfrontière
doivent se poursuivre sans délai et sans ingérence de la Commission
européenne dans l'intérêt de l'Europe élargie qui n'est pas représentée
par l'Union européenne».
3. En 2009, avant l’interruption des travaux de révision de la
CETT, la question de sa modernisation avait déjà fait l’objet d’un
rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation,
qui avait débouché sur l’adoption par l’Assemblée de la
Recommandation 1855 (2009) sur
la régulation des services de médias audiovisuels
Note.
Dans cette recommandation, l’Assemblée considérait que les progrès
technologiques des médias audiovisuels électroniques imposaient
la révision de la CETT et constatait que les deux instruments juridiques
faisaient l’objet d’une approche différente: alors que l’objectif
de la Directive SMAV consistait à «garantir la liberté des services
au sein du marché intérieur de l’Union européenne, conformément
au droit communautaire», la CETT visait à «garantir la liberté de
transmission et de retransmission de services audiovisuels en Europe,
sans considération de frontières, conformément à l’article 10 de
la Convention européenne des droits de l’homme»
Note.
4. Le sujet qui nous occupe a trait à un certain nombre de points
aussi bien juridiques que politiques. Est-il encore possible de
donner une nouvelle impulsion à la CETT et d’adopter le projet de
deuxième protocole d’amendement ou sont-ils devenus tous deux obsolètes
dans un paysage médiatique en constante évolution? Quelles incidences
aurait l’éventuelle disparition de la CETT sur le rôle majeur joué
par le Conseil de l’Europe dans l’élaboration du droit et de la
politique des médias? J’ai donc décidé de rechercher, dans le présent rapport,
les raisons pour lesquelles la Commission européenne s’est retirée
du processus de révision de la CETT, d’analyser les rapports entre
la CETT et la Directive SMAV de l’Union européenne et de réfléchir
à la valeur ajoutée de la CETT. J’y propose également un certain
nombre de moyens autres que l’adoption du projet de deuxième protocole
d’amendement à la CETT, qui permettraient de sortir de l’impasse
née du refus de l’Union européenne de voir ses Etats membres l’adopter.
2 Le cadre
juridique européen relatif aux services audiovisuels
2.1 Le cadre juridique
du Conseil de l’Europe
5. La réglementation des médias, qui forment une subdivision
de la liberté d’expression, a été pendant longtemps une priorité
pour le Conseil de l’Europe. Le droit à la liberté d’expression,
garanti par l’article 10.1 de la Convention européenne des droits
de l’homme (STE n° 5, «la Convention»), comprend notamment le droit
«de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans
qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération
de frontière»; il peut uniquement être soumis à restriction dans
les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 10. L’article 9
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
(STE n° 157) et l’article 11 de la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires (STE n° 148) comportent des dispositions
similaires. La dimension transfrontière du droit à la liberté d’expression revêt
une importance particulière pour les minorités (linguistiques) nationales,
pour lesquelles la télévision transfrontière peut être un moyen
crucial de maintenir des liens avec leur culture et leur langue
d’origine, ainsi qu’avec leurs Etats-parents. Dans sa jurisprudence,
la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a réaffirmé
davantage encore le rôle joué par l’Etat pour garantir le pluralisme
des médias et le droit du public à accéder à un éventail d’informations
et d’idées
Note.
6. La Convention européenne sur la télévision transfrontière
a été ouverte à la signature en 1989. Elle a été ratifiée par 33
Etats membres de l’Organisation, dont 20 sont également membres
de l'Union européenne
Note. Elle a été modifiée à une seule
reprise par un protocole en 2002 (STE n° 171)
Note à la suite de la modification de
la directive CCE. Les dispositions relatives à la radiodiffusion
au-delà des frontières des Etats membres du Conseil de l'Europe
n’ont par conséquent connu aucune modification majeure pendant près
de 20 ans.
7. La CETT, qui a été ouverte à la signature peu de temps avant
l’adoption par l’Union européenne de sa Directive 89/552/CEE «Télévision
sans frontières»
Note,
est la première convention internationale à avoir créé un cadre
juridique pour la libre transmission de programmes télévisés transfrontières
en Europe. Elle vise essentiellement à mettre en œuvre des normes
communes minimales dans des domaines tels que la programmation,
la publicité, le parrainage et la protection de certains droits
individuels. Elle charge les Etats transmetteurs de veiller à la
conformité des services de programmes de télévision avec ses dispositions.
En outre, elle garantit le droit de recevoir et de retransmettre
les services de programmes conformes aux dispositions minimales
de la convention.
8. La CETT est applicable à l'ensemble des programmes transfrontières,
quels que soient les moyens techniques de transmission utilisés.
La convention ne fait aucune distinction entre les services de médias
à la demande et les services gratuits. Tout en protégeant les valeurs
essentielles consacrées par les articles 8, 10 et 14 de la Convention
européenne des droits de l'homme, ses principales dispositions portent
sur la liberté d'expression, la protection et la retransmission,
l'accès du public aux événements d'importance majeure définis par
les Parties, le droit de réponse, l'interdiction de la pornographie,
de la violence et de l'incitation à la haine raciale, la protection
de la jeunesse, les normes applicables en matière de publicité,
le temps de diffusion des publicités, les pauses publicitaires et
les dispositions relatives au parrainage des programmes. Enfin,
la CETT comporte des dispositions qui visent à améliorer la production
européenne et le cinéma européen, en leur réservant un certain temps
de diffusion.
9. Un Comité permanent sur la télévision transfrontière (T-TT)
composé des représentants de chaque Partie est chargé de contrôler
l'application de la convention. Le texte prévoit également des procédures
de conciliation et d'arbitrage. En 2007, le Comité permanent de
la CETT a lancé un processus de réflexion sur les révisions à apporter
à cet instrument, qui a abouti à l’élaboration du projet de deuxième
protocole d’amendement à la CETT
Note.
2.2 Le cadre juridique
de l'Union européenne
10. En 1989, la Communauté européenne d'alors a adopté
sa propre directive consacrée à la télévision transfrontière. Inspirée
de la CETT, mais soucieuse avant tout de considérations relatives
au marché intérieur, cette directive télévision sans frontières
a été révisée en 1997 et transformée en une nouvelle directive «services
de médias audiovisuels» 2007/65/CE (Directive SMAV) en 2007. Les
Etats membres de l'Union européenne étaient tenus de la transposer
avant la fin 2009.
11. La Directive SMAV modifie le contenu et l'intitulé de la directive
télévision sans frontières et prévoit une réglementation moins précise
et plus souple. Elle modernise également les dispositions relatives
à la publicité télévisuelle pour permettre un meilleur financement
du contenu audiovisuel. Elle englobe l'ensemble des services de
contenu audiovisuel, quelle que soit la technologie utilisée pour
la transmission de ce contenu; elle est donc neutre du point de
vue technologique. La seule distinction établie est faite entre
les services linéaires et les services à la demande. Dans ce système
de dispositions à deux vitesses, la directive tient compte d'une série
de valeurs sociétales essentielles applicables à l'ensemble des
services de médias audiovisuels et prévoit une réglementation plus
légère des services à la demande, où les usagers jouent un rôle
plus actif en amont et peuvent choisir le contenu et l’heure à laquelle
ils le visionnent.
12. Les principales dispositions de la Directive SMAV, qui concrétisent
la libre circulation des services prévue par le droit de l'Union
européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, garantissent
la diversité de réception et de transmission, défendent le pluralisme
des médias, visent à façonner l'évolution technologique, préservent
la diversité culturelle, protègent les enfants et les consommateurs,
luttent contre la haine raciale et religieuse et garantissent l'indépendance
des régulateurs nationaux des médias.
2.3 Les évolutions
récentes
13. Certains secteurs de la Commission européenne semblent
parvenir à la conclusion que les dispositions de l'Union européenne
et de la CETT du Conseil de l'Europe pourraient entrer en conflit.
Le 23 octobre 2009, Mme Viviane Reding, qui était alors commissaire
européenne chargée de la société de l'information et des médias,
a fait part des préoccupations que lui inspiraient la procédure
de révision de la convention et le champ d'application matériel
de la convention en général. Elle était particulièrement préoccupée
par l'article 23 de la convention, qui prévoit l'entrée en vigueur
des modifications apportées à cet instrument par tacite approbation. Dans
une lettre adressée au représentant permanent du Portugal auprès
de l'Union européenne, elle a indiqué que les domaines traités par
la convention relevaient pour une bonne part de la compétence de
l'Union européenne, puisque la convention traitait principalement
de questions prises en compte par la Directive SMAV. Elle a à ce
propos rappelé la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes (devenue la Cour de justice de l'Union européenne),
selon laquelle les Etats membres de l'Union européenne ne sauraient
passer de leur propre chef des accords internationaux relevant du
domaine de compétence de l'Union européenne.
14. Evoquant les arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union
européenne à propos des accords dits de «ciel ouvert» (
Open Skies)
Note, Mme Reding avait rappelé aux Etats
membres de l’Union européenne leur double obligation de ne pas contracter
d’engagements internationaux en contradiction sur le fond avec le
droit communautaire. En cas de non-respect de cette obligation,
la Commission pouvait, conformément à l'article 258 du Traite sur
le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), engager une procédure
en manquement contre les Etats membres concernés.
15. Le Comité directeur sur les médias et les nouveaux services
de communication (CDMC)
Note, son Bureau
Note et le Comité permanent
sur la télévision transfrontière
Note ont fait part de leur profonde
inquiétude face à l’arrêt de ce processus de révision. Au sein de
l’Assemblée, le blocage du projet de deuxième protocole a été évoqué
sous la forme de questions écrites par M. Andrew McIntosh (Royaume-Uni,
SOC) en mars 2010
Note et, après
son décès, par M. Markku Laukannen (Finlande, ADLE) en décembre
2010
Note, qui soulignaient
les conflits existant entre la directive modifiée et la version
actuelle de la convention
Note.
16. Plusieurs contacts ont par ailleurs été établis sur cette
question, y compris à haut niveau, entre le Secrétariat du Conseil
de l’Europe et la Commission européenne, suivi d'un échange de courrier
entre le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et la vice-présidente
de la Commission européenne, Mme Neelie Kroes. Dans une lettre du
10 décembre 2010, Mme Kroes a informé le Secrétaire Général que,
au vu de l’article 3.2 du TFUE
Note, l’Union
européenne a compétence exclusive pour conclure un accord international
dans le domaine des services de médias audiovisuels. Elle a déclaré
explicitement que «l’UE n’envisage pas de devenir partie à la Convention,
car cela risquerait de réduire la promptitude et la portée de toute
intervention politique future dans les domaines couverts». Elle
a également promis que la Commission européenne fournirait au Comité
permanent un «avis sur une liste de questions touchant à la régulation
des services de médias audiovisuels qui sont considérées comme tombant
en dehors des compétences externes exclusives de l’UE»
Note. Le Comité permanent n’a pas encore
reçu cette liste.
17. Certains Etats (notamment l’Autriche) ont critiqué l’opposition
de la Commission européenne et ont déploré le fait qu’elle l’ait
manifestée uniquement lorsque le projet de deuxième protocole d’amendement
était déjà achevé et entrait dans ses dernières phases de négociation
et d’approbation avant qu’il ne soit ouvert à la signature
Note. Le refus de la Commission a
conduit le Comité des Ministres à renoncer à renvoyer la proposition
de version révisée devant l’Assemblée, pour avis
Note.
18. Le 31 janvier 2011, M. Kleijssen, alors directeur de la Direction
des activités normatives, a informé les membres du Comité permanent
que le Comité des Ministres avait décidé d’interrompre le travail
sur la révision de la CETT, en excluant toute nouvelle allocation
de fonds en ce sens, et que le Service du conseil juridique préparait
un rapport général sur l’importance et la pertinence des conventions
du Conseil de l’Europe
Note.
Ce dernier a été publié en mai 2012 et faisait remarquer qu’«il
est apparu que la Convention européenne sur la télévision transfrontière
(…) conserve sa valeur ajoutée mais qu’une révision serait souhaitable»
et que sa révision avait été reportée
sine
die par décision du Comité des Ministres du 4 novembre
2009
Note. Il mentionnait également la CETT
sur la liste des conventions auxquelles la Cour européenne des droits
de l’homme s’était référée dans ses arrêts et décisions
Note.
En outre, la CETT ne figure pas parmi les conventions du Conseil
de l’Europe examinées lors des réunions régulières des hauts représentants
de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe
Note.
3 Principaux enjeux
3.1 Les rapports entre
les deux cadres juridiques
19. Bien que la Directive SMAV mentionne la CETT
Note,
les deux instruments juridiques sont très différents l’un de l’autre.
La question présente à l'évidence des aspects techniques. La principale
différence entre les deux cadres réside dans la distinction faite
par la Directive SMAV entre les services linéaires et les services
à la demande, qui n'existe pas dans la convention. La convention
offre par conséquent un cadre juridique homogène, alors que la Directive
SMAV comporte un système à deux vitesses, qui conduit à l'application
de normes réglementaires différentes.
20. Compte tenu de l'objectif premier de marché intérieur poursuivi
par la Directive SMAV, un conflit normatif avec la convention est
presque inévitable. Cela s'explique par la similarité des dispositions
dans de nombreuses parties des deux textes. La Directive SMAV est
cependant beaucoup plus précise que la convention, qui se contente
de donner aux Parties de grandes orientations. Bien que la CETT
traite davantage de points que la Directive, cette dernière porte
sur un petit nombre de questions qui ne sont pas prises en compte
par la première (par exemple le quota de productions indépendantes).
En dehors de ce conflit normatif général, les deux instruments ne
comportent pas de dispositions conflictuelles. C'est d'autant moins
le cas qu’ils semblent complémentaires.
21. La directive prévoit un règlement «pacifique» des situations
de conflit dans son article 24, en vertu duquel la directive n'affecte
pas les droits et obligations des Etats membres qui découlent des
conventions existantes en matière de télécommunications et de radiodiffusion
dans les domaines qui ne sont pas coordonnés par elle. Comme nous
l'avons indiqué plus haut, la convention est entrée en vigueur avant
la précédente directive télévision sans frontières. Cette disposition
relative aux incompatibilités immédiates n'a pas été le moins du
monde modifiée ni précisée lors de la dernière révision de la directive
en 2007.
22. En matière de droits de l’homme, la CETT évoque les éléments
«contraires aux bonnes mœurs» («indecent») dans son article 7, en
se fondant sur l’article 10.2 de la Convention européenne des droits
de l’homme; la Directive emploie quant à elle la formule «contraire
aux bonnes mœurs» («transgress standards of public decency») dans
son article 28.4. Concernant les rapports entre les deux instruments,
la CETT comporte une clause de réserve
Note dans
son article 27.1, qui prévoit que «les Parties qui sont membres
de la Communauté européenne appliquent les règles de la Communauté
et n'appliquent donc les règles découlant de la présente Convention
que dans la mesure où il n'existe aucune règle communautaire régissant
le sujet particulier concerné». Cela signifie que, pour les Etats
membres de l’Union européenne, la Convention régit les rapports
entre l’Etat concerné et tout Etat non membre de l’Union européenne
qui l’a ratifiée
Note.
3.2 Modification du
cadre juridique de l’Union européenne à la suite de l’entrée en
vigueur du Traité de Lisbonne
23. Le principal argument de la Commission européenne,
qui se fonde pour cela sur l’article 3.2 du TFUE, a trait à la compétence
exclusive de l’Union européenne pour la conclusion d’accords internationaux
relatifs aux services audiovisuels; d’après le professeur Jacqué,
l’argumentaire juridique de la Commission européenne est recevable.
Les questions relatives au marché intérieur relèvent de la compétence
commune de l’Union européenne et de ses Etats membres, mais comme
l’Union européenne a déjà légiféré dans le domaine des services
audiovisuels, la conclusion d’un accord international portant sur
les points pris en compte par la Directive SMAV sont de sa compétence
exclusive (avant d’être codifié par le Traité de Lisbonne, ce principe
découlait de la «doctrine AETR»
Note de
la Cour de justice des Communautés européenne). En outre, la conclusion
d’accords commerciaux internationaux relatifs aux services fait
partie de la politique commerciale commune, qui relève de la compétence
exclusive de l’Union européenne (article 3.1.
e du
TFUE). Les Etats membres de l’Union européenne ne sont donc pas
autorisés à être Parties à une convention telle que la CETT et devraient
être représentés par l’Union européenne pour la révision de la CETT.
Les Etats membres n’auraient pas capacité pour prendre part directement
à la révision de la convention, la Commission européenne ayant l’initiative
et le monopole de la conduite des négociations. Cette convention
du Conseil de l’Europe serait par conséquent conclue entre l’Union
européenne et les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont
pas membres de l’Union européenne. Il serait cependant difficile
de parvenir à un tel accord contre la volonté de la Commission européenne
(à moins que le Conseil ou le Parlement européen ne l’en persuade).
24. Même si l’Union européenne avait la volonté politique de conclure
un accord international relatif à la radiodiffusion comme celui
de la version révisée de la CETT, il faudrait encore que le Conseil
de l’Union européenne accepte à l’unanimité la négociation et la
conclusion d’un accord «dans le domaine du commerce des services
culturels et audiovisuels, lorsque ces accords risquent de porter
atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union» (article
207.4.a du TFUE).
3.3 La portée géographique
25. L’un des principaux arguments en faveur de la révision
de la CETT est celui de la portée paneuropéenne de la convention,
alors que la Directive de l’Union européenne concerne uniquement
les 28 Etats membres de l’Union européenne. En outre, un certain
nombre de pays du sud de la Méditerranée, qui ne sont pas membres du
Conseil de l’Europe, ont montré leur intérêt pour adhésion à une
convention modifiée.
26. Toutefois, l’application de l’acquis de l’Union européenne
est étendu à certains Etats non membres de l’Union européenne, en
particulier les Etats candidats ou les autres Etats qui souhaitent
adhérer à l’Union européenne en temps utile, au moyen d’accords
bilatéraux, y compris sous la forme d’accords de stabilité et d’association.
Certains de ces accords pourraient conduire, surtout dans le cadre
de la «Politique de voisinage» de l’Union européenne, à «une extension
du multilatéralisme asymétrique dirigé par l’UE»
Note.
27. Cela limite de fait le nombre d’Etats non membres de l’Union
européenne qui ont ratifié la CETT et ne sont pas liés par les dispositions
de l’Union européenne en matière de services audiovisuels. La Commission européenne
n’a donc aucun intérêt à se lier aux Etats non membres de l’Union
européenne par une convention, alors qu’elle est parvenue à étendre
l’application de sa Directive au moyen d’accords bilatéraux de coopération
passés avec les Etats voisins, qui visent à établir une zone de
libre-échange applicable aux services et aux médias.
3.4 L’élaboration des
politiques relatives aux médias en Europe
28. Lorsque la Communauté économique européenne (CEE)
a adopté la Directive 89/552/CEE en 1989, le Conseil de l’Europe
représentait la principale référence en matière de droit et de politique
des médias, notamment grâce à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme et à ses groupes d’experts, comme le Comité
directeur sur les moyens de communication de masse (CDMM). Le fondement
juridique de la Directive était la liberté d’établissement et de
prestation de services, et non la culture, qui n’a pas été prise en
compte par l’Union européenne jusqu’au Traité de Maastricht de 1992
Note. A l’époque, les deux instruments juridiques,
la Directive et la CETT, pouvaient être appliquées en parallèle.
Mais la Communauté économique européenne, devenue ensuite l’Union
européenne, a depuis étendu son influence dans le domaine de la radiodiffusion
grâce à ses directives du marché intérieur
Note. En outre, les rapports entre l’Union
européenne et le Conseil de l’Europe ont également évolué, puisque
l’Union européenne a commencé à s’étendre dans des domaines autrefois
exclusivement couverts par le Conseil de l’Europe, surtout après
l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne
Note.
4 Ma mission d’enquête
à Bruxelles
29. Afin d’éclaircir les différents points présentés
ci-dessus, j’ai effectué une mission d’enquête à Bruxelles le 25 mars
2013
Note. J’y ai rencontré des fonctionnaires
de la Commission européenne, du Conseil de l’Union européenne et
de la commission de la culture et de l’éducation du Parlement européen.
Je me suis également entretenu avec des représentants des radiodiffuseurs
européens, notamment l’Association des télévisions commerciales
européennes (ACT) et l’Union européenne de radio‑télévision (UER).
30. J’ai rencontré tout spécialement des fonctionnaires du service
juridique de la Commission européenne, de la DG CNECT (Direction
générale des réseaux de communications, du contenu et des technologies),
du Service européen pour l’action extérieure et du Conseil de l’Union
européenne. Les représentants de la Commission européenne ont réaffirmé
le point de vue formulé précédemment par les commissaires Reding
et Kroes, pour qui la révision de la CETT relève du champ de compétence
exclusive de l’Union européenne, ce qui explique pourquoi les travaux
sur cette dernière avaient dû être interrompus. Ils ont également
souligné que l’Union européenne n’est pas intéressée à adhérer à
la CETT, car celle-ci doit être révisée régulièrement afin de tenir
compte des changements technologiques constants de l’environnement
médiatique. L’argument de la valeur ajoutée liée à la plus grande
portée géographique de la CETT n’est plus valable puisque l’Union européenne
a conclu des accords bilatéraux avec plusieurs Etats non membres
de l’Union européenne qui font partie du Conseil de l’Europe. L’adhésion
de l’Union européenne à une version révisée de la CETT – comme proposé
dans le projet de deuxième protocole d’amendement – est exclue.
L’Union européenne et ses Etats membres pourraient éventuellement
envisager d’adhérer au moyen d’un accord mixte à une nouvelle convention
du Conseil de l’Europe. Cependant, une telle convention devrait
porter uniquement sur les aspects liés aux droits de l’homme de
l’utilisation des services de médias audiovisuels et ne pas aborder
de questions spécifiques comme celle des normes applicables en matière
de publicité.
31. Le Parlement européen me semble avoir une position plus ouverte
à ce sujet, mais celle-ci a besoin d’être précisée. C’est pourquoi
j’ai écrit en août 2013 à la présidente de la commission de la culture
et de l’éducation du Parlement européen, Mme Doris
Pack, pour lui demander des informations supplémentaires; je n’ai
cependant reçu aucune réponse de sa part jusqu’ici.
32. Les représentants des associations de radiodiffuseurs ont
soutenu vigoureusement l’idée de réviser la CETT et se sont déclarés
en général favorables au projet de deuxième protocole d’amendement
à la CETT (bien qu’avec certaines réserves). Ils considèrent que
la portée géographique plus étendue de la CETT en constitue l’atout
principal. Bien que certains Etats membres du Conseil de l’Europe
non membres de l’Union européenne aient signé des accords bilatéraux
avec l’Union européenne, l’application de ces accords n’a pas conduit
à l’établissement d’un mécanisme de règlement des litiges. Il serait
donc souhaitable de «réanimer» la CETT et son Comité permanent.
5 La position actuelle
du Conseil de l’Europe
33. Lors de l’échange de vues avec la commission de juin
2013, M. Kleijssen a déclaré que les arguments technologiques avancés
par l’Union européenne pour interrompre les négociations sur la
révision de la CETT étaient fondés, car le paysage médiatique évoluait
rapidement. Les principales difficultés sont, néanmoins, d’ordre
politique
Note. L’Union européenne ne veut pas
mettre en place de nouvelles dispositions sur la publicité, ni négocier
aucune disposition dans un cadre multilatéral, car elle préfère
imposer ses propres règles. M. Kleijssen a rappelé que des représentants
de la Commission européenne avaient pris part aux négociations sur
la révision de la CETT, avant qu’elles ne soient interrompues suite
à l’envoi d’une lettre de la commissaire Reding. Les négociations
pourraient reprendre s’il existait une volonté politique en ce sens,
comme cela a été le cas pour la Convention pour la protection des
personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère
personnel (STE n° 108). En l’espèce, la Commission européenne avait
obtenu mandat du Conseil de l’Union européenne pour négocier la
modernisation de la convention
Note. En outre, l’argument de la portée géographique
plus vaste de la CETT est toujours d’actualité, car les Etats membres
du Conseil de l’Europe n’ont pas tous signé d’accord bilatéral avec
l’Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée montrent un
grand intérêt pour une adhésion à la CETT.
34. A la suite de l’interruption des travaux sur la révision de
la CETT, cette dernière est devenue obsolète (car, par exemple,
elle ne traite pas de domaines tels que les services à la demande
et les diverses formes de contenus audiovisuels en ligne). M. Kleijssen
a indiqué que, pour sortir de l’impasse, on pourrait imaginer de rédiger
une convention plus générale (par exemple une convention-cadre),
qui définirait les principes directeurs en matière de droits de
l’homme en se référant à la jurisprudence établie par la Cour européenne des
droits de l’homme à l’égard de l’article 10 de la Convention et
porterait sur des questions telles que la liberté d’expression,
le pluralisme, la diversité et le flux transfrontière des contenus.
Cette convention pourrait également tenir compte des récentes évolutions
du monde des médias, en intégrant une nouvelle notion des médias
Note, être neutre du point de vue technologique
et succéder à la CETT. Pour ce faire, le soutien de l’Union européenne
serait sans doute nécessaire; elle pourrait être disposée à envisager
un accord portant sur l’article 10 de la Convention européenne des
droits de l’homme, s’il excluait toute question relative à la publicité.
Une nouvelle convention permettrait également aux pays du sud de
la Méditerranée d’y adhérer. Dans l’intervalle, avant l’adoption
d’une convention révisée/nouvelle, le Comité des Ministres pourrait
adopter une forme de «lignes directrices» sur la question.
6 Solutions envisageables
6.1 L’adoption du projet
de deuxième protocole d’amendement
35. Comme les questions prises en compte par le projet
de deuxième protocole d’amendement relèvent de la «compétence exclusive»
de l’Union européenne, la révision de la CETT exigerait la participation
de la Commission européenne, qui se substituerait aux Etats membres
de l’Union européenne. Toutefois, l’Union européenne, ou du moins
la Commission européenne (qui mènerait les négociations en la matière),
n’a pas la volonté politique de conclure un tel accord. Les principales
raisons invoquées sont le fait que l’Union européenne n’aurait plus
la même souplesse pour modifier par la suite la Directive SMAV dans
un paysage médiatique en constante évolution et que la portée géographique
de la CETT présente une valeur ajoutée limitée.
36. L’exemple de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection
des données montre que la révision des conventions du Conseil de
l’Europe peut présenter un intérêt pour l’Union européenne, et pour
la Commission européenne en particulier. Toutefois, comme l’a souligné
le professeur Jacqué lors de l’audition de septembre 2013, cette
situation est différente de celle de la CETT, car la réglementation
relative à la protection des données de l’Union européenne ne prend
pas en compte l’ensemble des questions pertinentes. La modernisation
de la Convention sur la protection des données permettrait également
à l’Union européenne d’exporter ses normes plus exigeantes en la
matière vers les Etats non membres de l’Union européenne
Note.
6.2 L’adoption d’une
nouvelle convention(-cadre)
37. S’il s’avère impossible de relancer le processus
de révision de la CETT, on pourrait envisager d’adopter une nouvelle
convention (ou un amendement à la CETT) portant exclusivement sur
les questions relatives aux principales compétences du Conseil de
l’Europe: démocratie, droits de l’homme et Etat de droit. Le Conseil
de l’Europe pourrait également prendre en compte d’autres domaines
du droit et de la politique des médias extérieurs à l’Union européenne,
comme «le rôle de la radiodiffusion de service public pour une société démocratique»,
«le pluralisme des médias et la télévision» et «le rôle des autorités
réglementaires indépendantes»
Note. Au moment où la révision de la CETT se
trouve dans l’impasse, les éléments suivants ont été proposés: liberté
d’expression, pluralisme, diversité, flux transfrontalier des contenus.
La nouvelle convention pourrait notamment consolider la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article
10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais le Comité
permanent sur la télévision frontalière et le CDMC avaient déjà
examiné cette idée en 2004 et n’y avaient pas été favorables
Note. On
peut également douter de la valeur ajoutée d’une synthèse ou d’une
réaffirmation des normes existantes, car selon la doctrine de «l’instrument
vivant» de la Cour
Note,
l’interprétation de la Convention, y compris de son article 10,
peut évoluer au fil du temps.
38. D’après le professeur Jacqué, la possibilité d’adopter une
convention portant sur les normes applicables à la liberté d’expression
pourrait reposer sur le fait que l’Union européenne n’est pas compétente
pour légiférer sur les droits fondamentaux, malgré l’existence de
la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La question
devrait être abordée sous l’angle de la démocratie et des droits
de l’homme et pourrait déboucher sur un accord mixte (par exemple
une convention-cadre) entre l’Union européenne et les Etats membres
du Conseil de l’Europe. Mais, comme l’a souligné M. McGonagle lors
de l’audition de septembre 2013, le fait d’asseoir la convention(-cadre)
sur une série de points approuvés par l’Union européenne constitue
un point de départ hasardeux, parce que les projets de l’Union européenne
peuvent évoluer et évolueront sans doute avec le temps. L’Union
européenne a notamment fait montre dernièrement d’un intérêt politique
ostensible pour le développement du pluralisme des médias. L’article
11.2 de la Charte des droits fondamentaux, par exemple, précise
que «la liberté des médias et leur pluralisme sont respectés». La
Commission européenne a financé une importante étude pour concevoir
des indicateurs du pluralisme des médias et, début 2013, le Groupe
de haut niveau sur la liberté et le pluralisme des médias a publié
son rapport, qui a été suivi par une consultation publique sur les
conclusions du rapport
Note. Ces évolutions soulignent l’intérêt
croissant de l’Union européenne pour un domaine d’activité traditionnelle
du Conseil de l’Europe.
39. L’élaboration d’une nouvelle convention(-cadre), assortie
d’un système de rapports et de suivi des Etats, pourrait faciliter
l’étude en profondeur et systématique de toute une série de points,
mais la portée de cet exercice pourrait également être limitée par
le caractère politiquement sensible des questions en cause; elle risquerait
par ailleurs de faire double emploi avec les activités de la Cour
européenne des droits de l’homme et des organes de suivi spécialisés
du Conseil de l’Europe.
40. Il est difficile à ce stade d’indiquer quelle pourrait être
la teneur souhaitable d’une convention-cadre, car les précédents
en la matière sont rares (ils se limitent principalement à la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales). Ces conventions sont
uniquement «programmatiques»; elles définissent des objectifs que
les Etats s’engagent à réaliser et sont habituellement mises en
œuvre par des mesures nationales ou des accords bilatéraux
Note.
6.3 La synthèse des
lignes directrices existantes
41. Selon nos experts, avant de tenter de trouver une
solution normative, le Conseil de l’Europe pourrait codifier les
normes juridiques en vigueur sous la forme d’une série de lignes
directrices politiques. Comme l’a souligné M. McGonagle, il serait
également utile de réfléchir à la possibilité de donner une nouvelle
impulsion à des normes politiquement contraignantes pour remédier
aux nouveaux problèmes posés par les médias, qui ont été laissés
de côté à cause de l’interruption de la révision de la CETT. Il
est inutile d’adopter de nouvelles normes, mais il pourrait être
utile de faire l’inventaire des normes déjà existantes, par exemple
au moyen d’une recommandation du Comité des Ministres.
7 Conclusion
42. L’importance de la Convention européenne sur la télévision
transfrontière s’explique pour deux raisons: il s’agit d’une convention
juridiquement contraignante, qui porte sur un domaine très spécifique.
Comme l’a souligné M. McGonagle, l’interruption de la révision de
la CETT, qui visait à l’adapter aux récentes évolutions technologiques,
a entraîné un vide normatif dans l’espace juridique du Conseil de
l’Europe. Cette lacune ne peut être comblée par des recommandations
politiques, comme la Recommandation CM/Rec(2011)7 du Comité des
Ministres sur une nouvelle conception des médias (qui d’ailleurs
ne mentionne pas la CETT)
Note;
de plus, «un instrument extérieur au Conseil de l’Europe exerce
une force gravitationnelle»: la Directive SMAV.
43. Les Etats membres de l’Union européenne qui sont Parties à
la CETT ont réellement intérêt à achever la révision de la convention,
afin de minimiser le conflit avec le cadre juridique de l’Union
européenne. A l’heure actuelle, il existe, d’une part, une convention
non révisée qui date de 1998 (légèrement modifiée en 2002) et, d’autre
part, une directive qui a été adaptée aux normes techniques les
plus récentes en 2007, mais qui devient aussi à présent peu à peu
obsolète dans un paysage médiatique en constante évolution. Cette
situation pourrait aboutir à un conflit normatif si des réglementations
différentes étaient appliquées. Comme elle est toujours en vigueur,
la convention lie les Parties, comme le ferait n’importe quel autre
instrument international. Le risque de conflit normatif est donc
bien plus élevé aujourd’hui qu’il ne le serait une fois le processus
de révision achevé.
44. En outre, comme les contenus de la télévision et des multimédias
peuvent être diffusés très facilement sur internet, la Commission
européenne aurait tout intérêt à ce que la convention soit adaptée
aux nouvelles dispositions de la Directive SMAV. La convention,
dont la portée paneuropéenne dépasse les limites de l’Union européenne,
pourrait en définitive permettre de garantir que les Etats non membres
de l’Union européenne ne portent pas atteinte aux dispositions de
la Directive SMAV.
45. A la suite des contacts établis avec plusieurs parties prenantes,
je considère que, puisque les changements technologiques intervenus
pendant les deux dernières décennies ont remis en cause la pertinence
de la convention, il est aujourd’hui absolument indispensable d’adapter
cet instrument au nouveau paysage audiovisuel dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe et de l’harmoniser avec la Directive de l’Union
européenne sur les services de médias audiovisuels. La révision
de la CETT aurait un impact positif sur la liberté de l’information
dans l’aire géographique du Conseil de l’Europe et dans les pays
voisins. Que l’Union européenne bloque cette révision pour des raisons
de pure forme (apparemment légales, ou de compétence) est inacceptable
et constituerait un précédent négatif qui pourrait être invoqué
à l’avenir par l’Union européenne à l’égard d’autres conventions
du Conseil de l’Europe ayant besoin d’être révisées ou modernisées.
Je considère par ailleurs que la manière dont l’Union européenne
impose unilatéralement ses règles applicables aux services audiovisuels
à certains Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres
de l’Union européenne, sans chercher à parvenir à un compromis paneuropéen
sur la mise à jour de la CETT pour tenir compte des évolutions technologiques,
est inadmissible.
46. Il est clair que l’Union européenne, ou tout au moins la Commission
européenne, ne souhaite pas réviser la CETT. La question de la «compétence
exclusive» de l’Union européenne pour la conclusion d’un accord international
dans le domaine des services de médias audiovisuels semble plus
ou moins devoir se régler, malgré l’absence de réponse de la Commission
européenne à la demande d’éclaircissements du Comité permanent sur
les questions relatives à la régulation des services de médias audiovisuels
qui ne relèvent pas du domaine de compétence externe exclusive de
l’Union européenne. Le recensement de ces questions est absolument
essentiel avant de commencer à examiner d’autres moyens possibles
d’actualiser la CETT comme, par exemple, la conclusion d’un «accord
mixte» avec l’Union européenne et ses Etats membres ou l’élaboration
d’une nouvelle convention à caractère plus général («convention-cadre»
ou «convention sur les principes»).
47. La position de la Commission européenne a donc de profondes
implications sur les activités d’élaboration des traités du Conseil
de l’Europe en général, si l’on considère que le Traité de Lisbonne
a, une fois de plus, élargi les compétences de l’Union européenne
aux dépens des Etats membres. Mais malgré cette évolution, le Conseil
de l’Europe reste bien placé pour l’élaboration de projets d’instruments
juridiques contraignants relatifs au droit et à la politique des
médias, compte tenu de son expérience dans ce domaine. Il importe
que les organes décisionnels du Conseil de l’Europe reconsidèrent
la question de la révision de la CETT, qui devient de fait obsolète
au vu de l’évolution constante des technologies des médias. On devrait permettre
au Comité permanent sur la télévision transfrontière de reprendre
ses travaux et d’examiner les solutions envisageables pour combler
les lacunes précitées. S’il s’avère impossible d’adopter le projet
de deuxième protocole d’amendement à la CETT en raison de la résistance
politique de l’Union européenne, d’autres moyens devraient être
envisagés dans l’intervalle, comme l’élaboration d’une convention(-cadre) consacrée
aux questions relatives à la liberté d’expression. Mais comme l’adoption
d’un nouveau traité exigerait beaucoup de temps, le Comité des Ministres
devrait envisager d’élaborer des lignes directrices (sous forme
de recommandation), qui synthétiseraient les normes en vigueur du
Conseil de l’Europe en matière de liberté des médias et les adapteraient
au nouveau paysage médiatique actuel.