C Exposé des motifs, par Sir Roger Gale,
rapporteur pour avis
1 Commentaires généraux
1. La régulation des médias a subi de fréquents changements
au cours de la dernière décennie du fait de la convergence technique
de la presse et la radiodiffusion avec internet et les autres médias
électroniques. La durée moyenne d’utilisation per
capita des médias a augmenté, et la concurrence économique
pour gagner des clients et des recettes publicitaires est devenue
plus féroce. Dans la foulée, les opérateurs internet en particulier
sont devenus des acteurs mondiaux dotés de pouvoirs économiques
et politiques considérables. Ils ont eu une incidence notable sur
les politiques de l’Union européenne et la réglementation en général, s’attachant
de ce fait davantage aux aspects économiques globaux qu’aux politiques
traditionnelles concernant les médias, fondées sur des valeurs culturelles
et démocratiques et tenant compte des diversités régionales.
2. La
Recommandation
1855 (2009) de l’Assemblée sur la régulation des services de médias
audiovisuels a réaffirmé que la directive SMAV (directive de l’Union
européenne sur les services de médias audiovisuels) a pour principal
objectif de garantir la liberté des services au sein du marché intérieur
de l’Union européenne, conformément au droit communautaire primaire.
Cette approche diffère de celle de la CETT (Convention européenne
sur la télévision transfrontière) qui vise à garantir la liberté
de transmission et de retransmission de services audiovisuels en
Europe, sans considération de frontières, conformément à l’article
10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
3. La Convention européenne sur la télévision transfrontière
est un traité existant et valide en vertu du droit international.
Cependant, dans un courrier adressé le 10 décembre 2010 au Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe, Mme Neelie
Kroes, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la
stratégie numérique, a déclaré que, selon elle, l’Union européenne
avait seule compétence sur les questions couvertes par la Convention
révisée et que les Etats membres de l’Union européenne n’étaient
pas autorisés à devenir Partie à cette convention révisée. Elle
a par ailleurs indiqué que l’Union européenne n’envisageait pas
de devenir Partie à la convention en raison des contraintes que
cela poserait à l’action de l’Union.
4. L’article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
ne confère à cette dernière une compétence exclusive que dans les
domaines suivants: a) l’union douanière; b) l’établissement des
règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur;
c) la politique monétaire pour les Etats membres dont la monnaie
est l’euro; d) la conservation des ressources halieutiques dans
le cadre de la politique commune de la pêche; et e) la politique
commerciale commune. Si l’Union européenne partage ses compétences
avec ses Etats membres dans les domaines du marché intérieur et
de l’espace de liberté, de sécurité et de justice en vertu de l’article
4, l’article 6 de ce traité stipule clairement que l’Union européenne dispose
d’une compétence uniquement pour mener des actions pour appuyer,
coordonner ou compléter l’action des Etats membres dans des domaines
tels que la culture et l’industrie. La radiodiffusion relève de cette
dernière. Ceci ressort également de l’article 24 de la Directive
89/552/CEE de l’Union européenne qui a trait à la CETT. Les ministres
européens responsables de la politique des médias ont convenu de
la CETT en 1989, avant que certains d’entre eux ne s’accordent ultérieurement
sur la Directive 89/552/CEE sur la télévision sans frontières.
5. Cette situation est troublante et nécessite la tenue d’un
débat adéquat en Europe, car elle concerne le pouvoir des Etats
membres de l’Union européenne de légiférer et d’adhérer à des traités
internationaux dans un domaine de la plus haute importance nationale,
mais affecte également beaucoup d’Etats membres du Conseil de l’Europe
qui ne sont pas membres de l’Union européenne.
6. A l’évidence, les radiodiffuseurs et autres médias audio-visuels
bénéficieraient grandement d’une révision de la CETT actuelle, conforme
à la Directive 2007/65/CE sur les services de médias audiovisuels (SMAV)
de l’Union européenne, qui permettrait à l’Europe d’être unie dans
un domaine où les frontières nationales des 28 Etats membres de
l’Union européenne n’entrent pas et ne devraient pas entrer en ligne
de compte, et au-delà desquelles les directives de l’Union européenne
ne s’appliquent pas.
2 Explications spécifiques
7. Amendement A: en dépit des demandes répétées du Conseil
de l’Europe, la Commission européenne n’a pas clarifié la position
juridique exprimée par la vice-présidente de la Commission européenne
et commissaire chargée de la stratégie numérique, Mme Neelie
Kroes, dans son courrier du 10 décembre 2010 au Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe dans lequel elle affirmait que l’Union européenne
avait compétence exclusive pour les questions couvertes par la CETT
et que les Etats membres de l’Union européenne n’étaient pas autorisés
à devenir partie à cette convention du Conseil de l’Europe. L'article
24 de la Directive 89/552/CEE telle que modifiée par la Directive
2007/65/CE contredit cette position.
8. Amendement B: la situation actuelle découle du blocage par
la Commission européenne, dans la mesure où cette dernière a menacé
ses Etats membres de sanctions s’ils signent la CETT révisée. Néanmoins, la
Commission européenne a constamment refusé d’expliquer sa position
juridique aux Etats membres qui ont signé la CETT actuelle. Il est
judicieux de préciser les choses plutôt que de parler d’une «situation».
9. Amendement C: cet amendement ne concerne en fait que deux
expressions dans la seconde phrase du paragraphe 4: l’expression
«est par conséquent convaincue qu’il convient que le Conseil de
l’Europe» est remplacée par «partage pleinement l’intention légitime
exprimée par les hautes parties contractantes à la CETT de». En
droit public international, les Parties à la CETT sont les maîtres
ou propriétaires de la convention. Elles ont travaillé sur un projet
de révision depuis plusieurs années et ont finalement exprimé leur intention
de réviser et de moderniser la CETT. La résolution devrait en faire
clairement état.
10. Amendement D: les compétences de l’Union européenne sont déterminées
par les Etats membres de l’Union européenne en vertu du droit des
traités, c’est-à-dire conformément au droit communautaire primaire. L’Union
européenne devrait de ce fait être invitée à exprimer ses vues sur
ce qui relève de sa compétence exclusive, et non sur ce qui n’en
relève pas.
11. Amendement E: ce rapport porte sur la Convention européenne
sur la télévision transfrontière et concerne
donc aussi la radiodiffusion ou les médias audiovisuels. L’idée
selon laquelle l’Union européenne devrait «examiner les autres moyens
envisageables visant à l’adoption d’un cadre juridique moderne qui régisse
les questions relatives à la liberté des médias à l’échelon paneuropéen»
n’est pas convaincante.
12. D’abord, la liberté des médias est garantie par l’article
10 de la Convention européenne des droits de l’homme à l’échelon
paneuropéen, interprétée et actualisée grâce à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme. Il ne semble pas souhaitable
ou faisable d’élaborer un nouvel instrument juridique qui concurrencerait,
voire affaiblirait probablement l’article 10. Deuxièmement, même
en supposant qu’un nouvel instrument juridique sur la liberté des
médias serait justifié, la normalisation dans ce domaine devrait
relever du Conseil de l’Europe et de ses Etats membres, étant entendu
également que l’Union européenne n’aurait aucun mandat pour produire
ou fournir les moyens d’un cadre juridique en dehors de ses limites géographiques.
Enfin, tout éventuel «cadre juridique moderne» de substitution serait
probablement censé remplacer la CETT, ce qui ne va bien sûr pas
dans le sens de nos propositions.
13. Amendement F: sur le plan juridique, il n’est ni faisable
ni souhaitable pour les Etats membres de l’Union européenne d’œuvrer
à un cadre juridique paneuropéen sans tous les Etats membres du
Conseil d’Europe dans son ensemble. La liberté d’expression et la
liberté des médias sont protégées par l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme et celle-ci ne doit en aucun cas
être affaiblie par l’élaboration d’un autre cadre juridique transeuropéen.
14. Amendement G: il peut s’avérer utile pour le Comité des Ministres
d’engager des travaux sur des lignes directrices relatives à la
liberté des médias et destinées à ses Etats membres. A l’évidence,
de telles lignes directrices devront être basées sur la jurisprudence
pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme au titre
de l’article 10 de la Convention. Par ailleurs, il convient de rappeler
au Comité des Ministres la
Résolution
1636 (2008) de l’Assemblée sur les indicateurs pour les médias dans
une démocratie, d’une pertinence directe et qui contient une liste
de principes élémentaires en matière de liberté des médias.