Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 10 avril 2014 (16e séance)
(voir Doc. 13483, rapport de la commission pour le respect des obligations
et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission
de suivi), rapporteur: M. Stefan Schennach; et Doc. 13488, avis de la commission du Règlement, des immunités et
des affaires institutionnelles, rapporteur: M. Hans Franken). Texte adopté par l’Assemblée le
10 avril 2014 (16e séance).
1. Le 21 mars 2014, deux propositions
de résolution sur les pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de
la Fédération de Russie ont été soumises à l’Assemblée parlementaire.
La première, signée par 74 membres, appelle au réexamen, en vertu
de l’article 9.1.
a du Règlement
de l’Assemblée, des pouvoirs ratifiés de la délégation russe pour
des raisons substantielles (
Doc. 13457 sur
les pouvoirs de la délégation russe). Condamnant «sans réserve la
violation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine
par les forces armées de la Fédération de Russie au début du mois
de mars 2014», et se déclarant «extrêmement préoccupé[s] par le
fait que les membres de la Chambre haute du Parlement russe ont
autorisé par avance à l’unanimité une telle action», les signataires
expriment leur conviction qu’il y a eu «une grave violation des principes
fondamentaux du Conseil de l’Europe mentionnés à l’article 3 et
dans le préambule du Statut».
2. La deuxième proposition, sur la suspension des droits de vote
de la délégation russe (article 9 du Règlement de l’Assemblée) (
Doc. 13459), a été
signée par 53 membres. En particulier, les signataires s’y disent
«très préoccupés par le manque de respect persistant, par la Fédération
de Russie, de ses obligations et engagements», comme le prouvent
«les actions menées par les forces militaires russes dans la péninsule de
Crimée, ainsi que les menaces explicites d’actions militaires dans
le reste du territoire ukrainien». Ils soulignent de plus que «l’intervention
des forces armées sur le territoire de l’Ukraine a été autorisée
par le Conseil de la Fédération de Russie le 1er mars
2014».
3. L’Assemblée considère que les actions de la Fédération de
Russie ayant abouti à l’annexion de la Crimée, et en particulier
l’occupation militaire du territoire ukrainien et la menace d’une
intervention des forces militaires, la reconnaissance des résultats
du prétendu référendum illégal et le rattachement, consécutif à
cette consultation, de la Crimée à la Fédération de Russie, constituent
incontestablement une grave violation du droit international et
notamment de la Charte des Nations Unies et de l’Acte final d’Helsinki
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Le lancement d’une action militaire par la Russie a constitué une
violation d’un mémorandum signé, d’une part, par la Russie, les
Etats-Unis et le Royaume-Uni et, d’autre part, par l’Ukraine, le
Bélarus et le Kazakhstan en 1994, qui sape la confiance dans d’autres instruments
internationaux, en particulier les accords sur le désarmement et
la non-prolifération d’armes nucléaires.
4. Ces actions sont aussi clairement contraires au Statut du
Conseil de l’Europe, en particulier à son préambule, et aux obligations
découlant de l’article 3, ainsi qu’aux engagements pris par la Fédération
de Russie lors de son adhésion, énoncés dans l’
Avis 193 (1996) de l’Assemblée sur
la demande d’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée regrette que la Fédération de Russie ait constamment
rejeté les efforts diplomatiques de la communauté internationale
pour décrisper la situation, en déclinant les propositions de médiation internationale
et la mise en place d’une mission d’observation internationale en
Crimée, en refusant d’engager un dialogue direct avec les autorités
ukrainiennes et en choisissant de ne pas avoir recours aux mécanismes internationaux
– dont ceux du Conseil de l’Europe – pour un règlement pacifique
du conflit.
6. L’Assemblée considère que, en violant la souveraineté et l’intégrité
territoriale de l’Ukraine, la Russie a fait naître une menace pour
la stabilité et la paix en Europe. L’annexion de la Crimée et les
mesures qui l’ont précédée ont ouvert une brèche dans laquelle s’engouffrent
désormais d’autres régions de l’Ukraine, comme le montrent les développements
intervenus depuis la première semaine d’avril à Donetsk, Kharkiv
et Lougansk.
7. L’Assemblée s’inquiète en particulier de la position adoptée
par les membres des deux chambres du Parlement russe à différents
stades du processus d’annexion, y compris le vote à l’unanimité
du Conseil de la Fédération autorisant le recours à la force militaire
en Ukraine, l’approbation des amendements constitutionnels permettant
l’annexion de la Crimée et la ratification du traité illégal de
rattachement.
8. L’Assemblée regrette que de nombreux hauts responsables et
parlementaires de la Fédération de Russie aient utilisé à des fins
politiques, dans leurs déclarations publiques, des informations
d’allégations non confirmées de violations contre la minorité russophone
et des accusations infondées sur le caractère d’extrême droite des
autorités de Kiev.
9. L’Assemblée s’inquiète vivement de la situation de la liberté
des médias et de la liberté d’expression en Russie, en particulier
de la partialité avec laquelle les événements d’Ukraine ont été
présentés, et même des manipulations qui ont largement contribué
à l’instabilité interethnique du pays, ainsi que des efforts visant
à étouffer le débat public et toute forme de critique. La répression
contre les médias indépendants, y compris les médias en ligne, et
les journalistes est extrêmement préoccupante.
10. L’Assemblée est vivement préoccupée par l’absence de mise
en œuvre par la Fédération de Russie des Résolutions
1633 (2008) sur
les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie,
1647 (2009) sur
la mise en œuvre de la Résolution 1633 et
1683 (2009) sur la guerre entre
la Géorgie et la Russie: un an après, par l’occupation des provinces
géorgiennes de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par des troupes
russes et par le refus de la Fédération de Russie d’autoriser la
venue d’observateurs de l’Union européenne et de revenir sur le
nettoyage ethnique.
11. La situation actuelle des minorités en Crimée, en particulier
celle des Tatars et des Ukrainiens, suscite une vive inquiétude.
L’Assemblée appelle instamment la Russie, qui contrôle illégalement
ce territoire, à veiller à ce que leurs droits ne soient pas violés.
12. L’Assemblée exprime son anxiété quant aux intentions des autorités
russes, compte tenu du regroupement constant et observable de forces
militaires russes le long de leur frontière avec l’Ukraine. En outre,
elle s’inquiète des déclarations publiques de responsables russes
au sujet de la situation des minorités russes dans un certain nombre
d’Etats membres du Conseil de l’Europe. Dans le contexte actuel,
ces déclarations font naître des craintes compréhensibles dans les
pays concernés.
13. L’Assemblée condamne fermement la violation de la souveraineté
et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Fédération de
Russie, et considère qu’une violation aussi manifeste, par un Etat
membre du Conseil de l’Europe, de ses obligations et engagements
appelle un message fort de désapprobation.
14. Cependant, l’Assemblée est convaincue que le dialogue politique
doit rester la voie privilégiée pour trouver un compromis et qu’il
ne faut pas revenir à l’exemple de la guerre froide. La suspension
des pouvoirs de la délégation russe rendrait ce dialogue impossible,
alors que l’Assemblée constitue une enceinte adéquate pour continuer
à obliger la délégation russe à rendre des comptes sur la base des
valeurs et des principes du Conseil de l’Europe. Dans cette crise
réelle, l’Assemblée parlementaire a le pouvoir et la possibilité
de confronter l’un de ses Etats membres – la Fédération de Russie
– aux questions et aux faits, et d’exiger des réponses et des comptes.
15. En conséquence, afin de marquer sa condamnation et sa désapprobation
face aux agissements de la Fédération de Russie à l’égard de l’Ukraine,
l’Assemblée décide de suspendre les droits suivants de la délégation
de la Fédération de Russie jusqu’à la fin de la session de 2014:
15.1 le droit de vote;
15.2 le droit d’être représenté au Bureau de l’Assemblée, au
Comité des présidents et à la Commission permanente;
15.3 le droit de participer à des missions d’observation des
élections.
16. L’Assemblée se réserve le droit d'annuler les pouvoirs de
la délégation russe, si la Fédération de Russie n’amorce pas une
désescalade de la situation et ne fait pas marche arrière sur l’annexion
de la Crimée.
17. L’Assemblée invite la commission de suivi à envisager la création
d’une sous-commission d’enquête chargée d’examiner et de suivre
les développements, depuis août 2013, liés au conflit.