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Droits de l’enfant liés à la maternité de substitution

Rapport | Doc. 14140 | 23 septembre 2016

Commission
Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable
Rapporteure :
Mme Petra De SUTTER, Belgique, SOC
Origine
Renvois en commission: Doc 13562, Renvoi 4071 du 3 octobre 2014. 2016 - Quatrième partie de session

Résumé

La maternité de substitution – qui consiste à porter un enfant et lui donner naissance pour autrui – n’est pas simplement une technique d’aide à la procréation parmi d’autres.

La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a examiné la question de la gestation pour autrui du point de vue des droits des enfants. Par conséquent, elle considère que l’Assemblée parlementaire devrait recommander au Comité des Ministres:

  • d’examiner l’opportunité et la faisabilité d’élaborer des lignes directrices européennes en vue de sauvegarder les droits de l’enfant liés aux conventions de maternité de substitution;
  • de collaborer avec la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH) sur les questions relevant du droit international privé qui entourent le statut des enfants, y compris les problèmes de filiation juridique résultant des conventions de maternité de substitution internationales, de manière à ce que les avis du Conseil de l’Europe (y compris ceux de l’Assemblée parlementaire et de la Cour européenne des droits de l’homme) soient entendus et pris en compte dans un éventuel instrument multilatéral auquel les travaux de la HCCH seraient à même d’aboutir.

A Projet de recommandationNote

1. L’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
1.1 d’examiner l’opportunité et la faisabilité d’élaborer des lignes directrices européennes en vue de sauvegarder les droits de l’enfant liés aux conventions de maternité de substitution;
1.2 de collaborer avec la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH) sur les questions relevant du droit international privé qui entourent le statut des enfants, y compris les problèmes de filiation juridique résultant des conventions de maternité de substitution internationales, de manière à ce que les avis du Conseil de l’Europe (y compris ceux de l’Assemblée parlementaire et de la Cour européenne des droits de l’homme) soient entendus et pris en compte dans un éventuel instrument multilatéral auquel les travaux de la HCCH seraient à même d’aboutir.

B Exposé des motifs, par Mme Petra De Sutter, rapporteure

1 Introduction

1. La commission des affaires sociales, de la santé et du développement durable m’a désignée rapporteure sur les droits humains et les questions éthiques liées à la gestation pour autrui le 28 janvier 2015Note. Pendant les seize derniers mois, j’ai présenté à la commission plusieurs versions d’un projet de rapport à ce sujet après avoir organisé une auditionNote et réalisé deux missions d’informationNote. Cependant, la commission a rejeté (à une très courte majorité) l’avant‑projet de résolution amendé et l’avant‑projet de recommandation amendé lors de sa réunion à Paris le 15 mars 2016.
2. Au vu de cette expérience, je considère que les membres de la commission – et probablement aussi l’Assemblée parlementaire dans son ensemble – sont trop divisés sur les questions de droits humains et les questions éthiques liées à la maternité de substitution pour rassembler davantage qu’une majorité circonstancielle autour de certains des éléments en jeu. Bien qu’une large majorité existe à mon avis en faveur de l’interdiction des conventions de maternité de substitution à but lucratifNote, je ne considère plus qu’une telle majorité existe sur la question de savoir si les conventions de maternité de substitution altruistes devraient ou non être autorisées, pas plus que sur celle de savoir si nous devrions encourager les Etats qui autorisent effectivement les conventions de maternité de substitution à but lucratif à établir des normes minimales afin de protéger les mères porteuses et les enfants nés d’une mère de substitution à l’égard des abus.
3. Je souhaiterais par conséquent concentrer mon rapport sur les points autour desquels un accord est possible, conformément aux discussions de la commission lors de notre réunion à Strasbourg le 20 avril 2016, en particulier sur la nécessité d’accorder la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme je l’ai indiqué clairement dans toutes les versions de mon projet de rapport, je suis d’avis que les conventions de maternité de substitution à but lucratif devraient être interdites. La plupart des enfants nés de conventions de maternité de substitution internationales sont en fait nés de conventions à but lucratif (les estimations à ce sujet atteignent 98 % à 99 %). Par conséquent, la nécessité de donner la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant cadre parfaitement avec la proposition d’interdire les conventions de maternité de substitution à but lucratif.
4. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé de modifier le titre du rapport en «Droits de l’enfant et maternité de substitution à but lucratif»Note. Avec ce changement de titre, j’ai souhaité indiquer clairement qu’il ne s’agissait plus d’un rapport sur la maternité de substitution en tant que telle et, dans ce rapport, je ne prendrai donc pas position sur les questions éthiques concernant la maternité de substitution en général, notamment en relation avec les droits des parents d’intention ou les droits et les vulnérabilités des femmes, qui sont incontestablement des problématiques majeures. J’orienterai ce rapport sur l’impact de la maternité de substitution à but lucratif sur les droits des enfants nés de mères porteuses, en vue d’assurer la protection effective de ces droits.
5. Le 10 mars 2016, Mme Caroline Roux (Vice-présidente de l’Union Internationale pour l’abolition de la gestation pour autrui, Directrice de VITA International) a adressé au Président de l’Assemblée une pétition intitulée «No maternity traffic», qui a été signée par plus de 100 000 personnes. Cette pétitionNote, qui a été transmise à notre commission par le Bureau de l’Assemblée le 26 mai 2016 afin d’être prise en compte dans le cadre de la préparation de ce rapport, demande à l’Assemblée parlementaire «de condamner clairement toute pratique de gestation pour autrui comme contraire en soi aux droits et à la dignité des personnes».
6. Pour les raisons indiquées ci‑dessus (paragraphes 1 à 4), l’avant‑projet de résolution que j’avais proposé à la commissionNote aurait condamné en termes clairs toutes les conventions de maternité de substitution à but lucratif, mais n’aurait pas pris position sur d’autres formes de maternité de substitution. Mon avis personnel sur les formes altruistes de maternité de substitution, qui ne concernent qu’un nombre extrêmement limité d’enfants en Europe, est connu: je ne considère pas que la maternité de substitution altruiste devrait être interdite (pour de nombreuses raisons)Note, mais elle devrait être limitée à la gestation pour autrui, être étroitement réglementée et n’être légalement accessible qu’aux seuls nationaux résidant dans la juridiction concernéeNote. Une fois de plus, étant donné l’incapacité de la commission à accepter ou rejeter clairement cet avis, le présent rapport ne traitera pas des conventions de maternité de substitution altruistes.
7. Je continue à penser, cependant, que l’absence d’un instrument juridique multilatéral sur la filiation en relation avec la maternité de substitution accroît les risques de violation des droits de l’enfant. Avant que la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH) puis, ultérieurement, le Conseil de l’Europe n’aient adopté leurs conventions sur l’adoption, la situation en matière d’adoptions internationales était aussi peu réglementée que le sont aujourd’hui la maternité de substitution internationale et les questions de filiation juridique qui en résultent. Par conséquent, je considère que l’Assemblée devrait encourager à la fois les Etats membres du Conseil de l’Europe et le Comité des Ministres à collaborer avec la HCCH.

2 Arguments contre la maternité de substitution à but lucratif

8. Les conventions de maternité de substitution à but lucratif sont définies comme suit par la HCCH (voir le glossaire en annexe):
«Convention de maternité de substitution dans laquelle le ou les parents d’intention versent à la mère porteuse une rémunération financière qui est supérieure à ses «frais raisonnables». Cette rémunération peut être appelée «compensation» pour les «douleurs et les souffrances» ou peut être simplement le prix que la mère porteuse demande pour porter l’enfant. Il peut s’agir d’une convention de gestation pour autrui ou d’une convention de procréation pour autrui.»
9. Comme l’indique la HCCH, la caractéristique essentielle d’une convention de maternité de substitution à but lucratif est le fait que la mère porteuse reçoit des parents d’intention une rémunération financière qui est supérieure à ses «frais raisonnables». Un rapport récentNote recense les pays où la maternité de substitution à but lucratif est légale et pratiquée à grande échelle. Des dispositions juridiques autorisent le(s) parent(s) d’intention à obtenir la filiation juridique et il n’y a pas de critère de nationalité, de domicile ou de résidence habituelle à respecter pour les parents d’intention. Les pays ou Etats concernés sont: la Russie, l’Ukraine, les Etats américains comme l’Alabama, l’Arkansas, la Californie, la Caroline du Sud, le Connecticut, le Dakota du Nord, l’Illinois, l’Iowa, le Maryland, le Massachusetts, le Minnesota, le Nevada, l’Ohio, l’Oregon, la Pennsylvanie, le Tennessee, le Texas, l’Utah, la Virginie-Occidentale et le Wisconsin, ainsi que l’Inde (NB: ne s’applique plus aux couples homosexuels depuis 2013Note; un projet de loi est actuellement en cours d’examen devant le parlement afin de limiter les conventions de maternité de substitution aux couples hétérosexuels, nationaux résidant dans le pays et mariés depuis cinq ans au moins, souffrant de problèmes de santé et dans lesquels la mère porteuse est un proche parent) et l’Ouganda.
10. Combien d’enfants naissent de conventions de maternité de substitution internationales à but lucratif? La plupart des spécialistes s’accordent à reconnaître que le nombre de ces enfants augmente depuis un certain temps mais il est difficile d’obtenir des estimations fiables à ce sujet. L’organisation non gouvernementale (ONG) Service Social International (SSI) estime à plus de 20 000 le nombre d’enfants nés chaque année de mères porteusesNote; la BBC, citant des estimations officielles de l’Inde, a rapporté que 5 000 enfants naissent tous les ans de mères porteuses dans ce seul paysNote. En Ukraine, 396 cycles de FIV concernant des mères porteuses dans des cliniques privées (les cliniques publiques n’offrent pas de services de maternité de substitution) ont été signalés au ministère de la Santé sur une base volontaire en 2014. Quoi qu’il en soit, la gestation pour autrui à but lucratif revêt une dimension financière importante: en Inde seulement, celle‑ci est estimée à $US 2,3 milliardsNote – dont seulement un tiers environ parvient généralement aux mères porteusesNote, les sommes les plus substantielles étant apparemment versées à des agences spécialisées, des intermédiaires et des médecins/cliniques.
11. Les mères porteuses qui signent une convention à but lucratif sont pour la plupart assez pauvres et peu instruites, notamment dans les pays en développement. Elles courent tous les risques associés à une grossesse et à un accouchement déclenchés médicalementNote. Elles sont particulièrement vulnérables du fait de leur obligation de remettre l’enfant peu après la naissance – en général, leur rémunération en dépend (au moins partiellement). Cela entraîne des risques psychologiques, qui peuvent être aggravés dès lors que la mère porteuse est également la mère génétique, ne bénéficie pas d’un soutien approprié et/ou ne peut rester en contact avec l’enfant. Un autre risque réside dans le fait que les parents d’intention peuvent s’immiscer dans le déroulement de la grossesse (par exemple, limiter le pouvoir de décision de la mère porteuse concernant sa propre santé, voire concernant la poursuite de la grossesse) ou refuser d’accepter, c’est-à-dire abandonner un enfant qui n’est pas en bonne santé ou qui, pour une raison quelconque, n’est plus souhaité.
12. Ces dernières années, les scandales concernant des abus dont ont été victimes des mères porteuses dans le cadre de conventions de maternité de substitution internationales à but lucratif ont été nombreux; dans certains pays comme l’Inde ou le Népal (qui a depuis interdit les conventions de ce type), par exemple, des femmes auraient été isolées dans des «fermes à bébés» où leurs libertés personnelles seraient fortement restreintes, où elles vivraient recluses, loin de leur familleNote, où elles seraient soumises à des pratiques qui comportent des risques médicaux inutiles, et où elles recevraient une rémunération dérisoire (ou aucune en cas de fausse couche ou d’enfant mort-né)Note. Même dans des pays comme les Etats-Unis, il semblerait que certaines mères porteuses aient été victimes d’abus de la part de parents d’intention ou d’intermédiairesNote.
13. L’un des scandales qui a fait le plus de bruit, l’affaire «Baby Gammy», démontre les raisons pour lesquelles, à mon avis, les conventions de maternité de substitution à but lucratif devraient être interdites – et ceci bien que l’affaire était plus complexe que ne l’ont initialement affirmé les médias. En 2014, un couple australien, Wendy Li et David Farnell, a fait les gros titres de la presse internationale pour avoir engagé une mère porteuse thaïlandaise (semble-t-il pour une somme équivalant à moins de € 10 000) et décidé ensuite de n’emporter chez eux à la naissance que l’un des deux enfants jumeaux, Pipah, en laissant derrière eux l’autre, Gammy, qui était atteint de trisomie. La mère porteuse, Pattaramon Chanbua, a cherché à obtenir la garde légale de Pipah après avoir appris que Farnell avait été emprisonné pour des délits sexuels sur enfant près de deux décennies auparavant. Le tribunal de la famille compétent en Australie occidentale a statué en avril 2016 que les informations selon lesquelles les parents avaient «abandonné» Gammy en Thaïlande (et cherché à accéder au fonds fiduciaire du bébé) étaient inexactes et résultaient d'une «frénésie des médias»Note. Le juge a considéré que les témoignages contradictoires des Farnell et de Mme Chanbua résultaient de différences culturelles et linguistiques et qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce que de tels malentendus se produisent «lorsque le corps d’une femme est loué au profit d’autrui».
14. Comme le montre cette affaire, les conventions de maternité de substitution à but lucratif, en particulier les conventions internationales, devraient être interdites pour violation de la dignité humaine en raison de la gravité des risques inhérents:
  • de réduction des enfants au statut de marchandises à acheter et vendre, en les exposant au risque d’abandon ou d’abus;
  • d’exploitation des mères porteuses qui ne peuvent donner leur consentement «librement, sans condition, et en pleine connaissance des conséquences»Note. Ce problème est particulièrement évident lorsque la mère porteuse n’est pas de langue maternelle anglaiseNote, ou est illettrée; mais le simple fait qu’une somme d’argent «qui change la vie» soit versée suffit à remettre en question la validité du consentement donnéNote.

3 Protéger les droits des enfants

15. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant garantit à celui-ci, et ce depuis plus de 25 ans:
a le droit d’être enregistré aussitôt sa naissance et le droit, dès celle-ci, à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux (article 7);
b le droit de ne pas être séparé de ses parents et d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant (article 9);
c le droit à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale (article 3).
16. Il n’est évidemment pas possible d’imputer à l’enfant le fait qu’il soit issu d’une convention de maternité de substitution; aussi les droits de l’enfant ne peuvent-ils être restreints au seul motif que les parents d’intention ont enfreint la législation de leur pays interdisant le recours à la maternité de substitution. C’est ce qu’a indiqué, en essence, la Cour européenne des droits de l’homme dans les arrêts qu’elle a rendus dans les affaires Mennesson et Labassee c. France: l’intérêt supérieur de l’enfant l’emporte. Dans cet arrêt de référence rendu en juin 2014, la Cour, invoquant le principe de «l’intérêt supérieur de l’enfant», a précisé que la France avait violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) en refusant de reconnaître la filiation entre un père biologique et ses enfants nés d’une gestation pour autrui. Cependant, un certain nombre de questions demeurent. Désormais, la France ne peut plus invoquer le principe selon lequel tout certificat de naissance établi à l’étranger sur la base d’une convention internationale de maternité de substitution serait frappé de nullitéNote, avec toutes les conséquences pour les enfants concernés en matière de filiation juridique et de citoyennetéNote, mais on ignore si le fait de refuser de reconnaître (ou de rétablir) une filiation juridique établie à l’étranger entre un enfant et un parent d’intention qui ne lui est pas génétiquement apparenté porte atteinte aux droits de l’enfant au titre de l’article 8Note. La Cour européenne des droits de l’homme semble également laisser en suspens la question de savoir si le pays d’accueil de l’enfant peut appliquer sa propre procédure d’adoption plutôt que de reconnaître la filiation juridique établie à l’étrangerNote.
17. A la suite de ces décisions, la Cour de cassation française a statué que les actes de naissance étrangers d’enfants nés de conventions de gestation pour autrui en Russie dans deux cas distincts de pères (génétiques) d’intention pouvaient être transcrits dans les registres de l’état‑civil. Le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant l’emporte a été réitéré dans une autre affaire, Paradiso et Campanelli c. Italie, où il n’y avait pas de lien génétique entre les parents d’intention et l’enfant; dans son arrêt du 27 janvier 2015, la Cour a également indiqué qu’il est nécessaire qu’un enfant ne soit pas désavantagé du fait qu’il a été mis au monde par une mère porteuseNote. Toutefois, le gouvernement italien a fait appel de cet arrêt, qui est en cours d’examen par la Grande ChambreNote.
18. Le 21 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt dans les affaires Foulon c. France et Bouvet c. France, qui portaient sur la non-reconnaissance en France de la paternité de pères (biologiques) d’intention d’enfants nés de mères porteuses en Inde. Malgré l’évolution de la jurisprudence française depuis les arrêts Mennesson et Labassee, la filiation juridique n’a pas été établie (M. Foulon ayant épuisé tous les recours et voies légales à sa disposition). La Cour est ainsi parvenue à la même conclusion que dans les affaires Mennesson et Labassee, à savoir que la France avait violé le droit au respect de la vie privée de l’enfant, et a accordé à chaque enfant € 5 000 au titre du préjudice moral. Il est important de noter que tous ces arrêts contre la France ont conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée et familiale) à l’égard des parents requérants, et uniquement à l’égard des enfants nés d’une mère porteuse. Une autre affaire contre la France est toujours en instance devant la Cour européenne des droits de l’homme: Laborie c. France, qui porte sur la non-reconnaissance en France d’actes de naissance ukrainiens concernant deux enfants nés d’une mère porteuse.
19. En effet, il n’est pas toujours facile d’appliquer concrètement tant la Convention relative aux droits de l’enfant que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme: par exemple, c’est la législation nationale qui définit le parent d’un enfant, et il peut y avoir en la matière des différences selon les pays concernés. En théorie, l’article 7 pourrait faire l’objet d’une interprétation qui le rendrait applicable à jusqu’à trois «mères» et trois «pères»: la mère qui a mis l’enfant au monde (la mère porteuse), la mère génétique (la donneuse d’ovocytes), la mère d’intention, le père génétique (le donneur de sperme), le père d’intention et le mari de la mère porteuse. On pourrait considérer que l’enfant issu d’une telle convention de maternité de substitution est en droit de connaître et d’être élevé par chacune de ces six personnes – ce qui est bien entendu rarement le cas dans les faits, en particulier dans le cadre des conventions de maternité de substitution internationales à but lucratif.
20. Comme l’a indiqué la HCCHNote, «les approches que suivent les Etats en matière d’établissement et de contestation de la filiation juridique, en particulier eu égard aux enfants nés au moyen de technologies de procréation assistée (TPA) et de conventions de maternité de substitution internationales, sont très variables. Lorsque les enfants sont liés à plusieurs Etats ou traversent des frontières, l’application des différentes normes de compétence, le droit applicable et la transmission internationale de documents publics étrangers (par ex. actes de naissance, documents d’état‑civil) et les décisions judiciaires (en particulier les règles de reconnaissance) conduisent à des situations de filiation juridique incertaine ou “boiteuse”»Note.
21. En pratique, lorsque la filiation juridique d’un enfant doit être décidée dans une affaire de maternité de substitution transfrontière, la HCCH note que «la tendance au niveau national et régional semble être de chercher à assurer la continuité de l’état‑civil de l’enfant»Note. La raison en est que le statut des enfants met en jeu une dimension importante des droits humains: «L’unité, la stabilité et la continuité du statut personnel d’un individu présentent un intérêt social. La certitude de l’état‑civil est un élément constitutif de l’identité personnelle d’un enfant»Note. En outre, la maternité de substitution transfrontière peut être cause d’apatridie pour les enfants, ce qui est contraire à l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
22. Toutefois, si la plupart des pays (y compris ceux qui interdisent les conventions de maternité de substitution à but lucratif) parviennent finalement à trouver en pratique une solution pour les enfants nés à l’étranger de telles conventions, cette solution n’est pas toujours idéale – et pas nécessairement conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. Quant à savoir en quoi consiste exactement l’intérêt supérieur de l’enfant, il s’agit là aussi d’une question qui est sujette à controverse: est-il, par exemple, dans l’intérêt supérieur de l’enfant de renvoyer ce dernier à une mère porteuse étrangère qui ne souhaite pas s’occuper de lui dans un pays favorable à la maternité de substitution, ou de le confier à ses parents d’intention qui sont certes désireux de s’occuper de lui mais vivent dans un pays opposé à cette pratique, ou d’être pris en charge par l’Etat dans une de ces juridictions? En tout état de cause, le fait d’être abandonné par des parents d’intention (en particulier si la mère porteuse refuse elle aussi de s’occuper de l’enfant) parce que l’enfant n’est pas en bonne santé ou n’est plus souhaité pour une raison quelconque (par exemple, la séparation des parents d’intention) ne répond en aucun cas à l’intérêt supérieur de l’enfantNote.
23. On voit bien ici à quel point l’enfant est vulnérable. La question de savoir si les enfants nés d’une mère porteuse courraient des risques psychologiques dus au fait que celle-ci ne s’attacherait pas à l’enfant durant la grossesse et l’«abandonnerait» juste après la naissance est contestée: les études scientifiques sur le sujet sont rares et souvent partialesNote. Or, dans les affaires relatives à des conventions internationales, il nest pas rare que les tribunaux perdent la trace de la mère porteuse quelques mois seulement après la naissance de lenfant. Il est donc très improbable que tous les enfants nés dans le cadre de conventions internationales soient en mesure de connaître leurs origines génétiques et natales plus tard dans la vie; cela est une violation du droit de lenfant de connaître ses origines, et peut en outre avoir des conséquences psychologiques (et même physiques)Note néfastes pour lenfant.

4 Conclusions et recommandations

24. La grande majorité des conventions de maternité de substitution à but lucratif sont établies de part et d’autre des frontières d’un Etat (par exemple aux Etats‑Unis) ou de frontières nationales, et impliquent généralement un ou des parents d’intention appartenant à une juridiction où la maternité de substitution à but lucratif est interdite et une mère porteuse relevant d’une juridiction où celle‑ci est légale et où des dispositions légales permettant au(x) parent(s) d’intention d’obtenir la filiation juridique sont prévues. Les raisons pour lesquelles les parents d’intention font un tel choix sont multiples: la plus fréquente semble être la stérilitéNote. La solution de l’adoption n’est pas toujours accessible à ces parents d’intention, du fait par exemple de textes législatifs et réglementaires nationaux qui posent des exigences auxquelles ils ne peuvent satisfaire (conditions de nationalité, limite d’âge, obligation d’être mariés ou d’avoir une relation hétérosexuelle stable, etc.). Certains parents d’intention choisissent cependant la maternité de substitution plutôt que l’adoption car ils souhaitent avoir leur «propre» enfant qui sera génétiquement lié à au moins l’un des deux membres du couple, car il leur semble illusoire d’espérer adopter un enfant dans un délai relativement court, ou encore car ils craignent, peut-être avec raison, de ne pas réussir les tests de sélection pour l’adoption.
25. Mais quelles sont en pratique les conséquences pour les enfants nés de telles conventions de substitution de maternité transfrontières? Ces enfants sont confrontés à divers risques de la part de multiples acteurs (parents d’intention, mères porteuses, tiers, Etats dans lesquels sont nés les enfants, Etats auxquels les enfants sont liés via les parents d’intention), et notamment:
  • la traite des enfants;
  • l’abandon et/ou les traitements abusifs;
  • l’apatridie ou une filiation «boiteuse»;
  • le non‑respect de leur droit de connaître leurs origines, avec les conséquences néfastes qui peuvent en résulter sur le plan psychologique (et même physique).
26. L’application du principe de l’«intérêt supérieur de l’enfant» par les Etats confrontés à des enfants nés de conventions de maternité de substitution internationales à but lucratif conduit en général, même dans les Etats dont le droit interne interdit certaines ou toutes les formes de maternité de substitution, à des solutions acceptables, mais pas toujours rapides cependant: adoptions, «décisions parentales» ou autorisations de rester dans le pays pour des raisons humanitaires, par exemple. Cependant, il n’existe aucune sécurité juridique à ce sujet car les Etats ne veulent pas que ces solutions au cas par cas soient perçues comme une forme d’approbation des conventions de maternité de substitution internationales, ce qui pourrait contribuer à leur multiplication.
27. Comme je l’ai déjà souligné dans les versions antérieures de ce projet de rapport, il n’existe pas à mon sens de «droit à un enfant»; en revanche, les enfants ont des droits et ceux‑ci doivent être respectésNote par tous les acteurs, y compris les Etats. Je comprends parfaitement pourquoi il est si difficile d’harmoniser les législations nationales de manière à respecter le droit des enfants à une filiation juridique sans légitimer de fait les conventions de maternité de substitution transfrontières à but lucratif, ce qui en définitive ne serait pas non plus conforme à l’intérêt supérieur des enfantsNote.
28. Le moyen idéal de résoudre ce problème serait évidemment que tous les pays interdisent la maternité de substitution à but lucratif, qui représente environ 98 % à 99 % de l’ensemble des conventions de maternité de substitution. C’est en effet la solution que j’ai proposée dès le début. Le Parlement européen a inclus dans sa résolution de décembre 2015Note un paragraphe appelant à l’interdiction de la pratique de gestation pour autrui à but lucratif. On peut s’étonner, cependant, que le Parlement européen appelle uniquement à l’interdiction de la gestation pour autrui à but lucratif et non de la procréation pour autrui à but lucratif (que je considère personnellement comme la pire forme de maternité de substitution). C’est la raison pour laquelle je considère que les Etats membres devraient interdire toutes les formes de maternité de substitution à but lucratif, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
29. Néanmoins, le fait est qu’en l’absence d’un instrument juridique contraignant à ce sujet, chaque pays est libre de décider pour lui‑même de la position qu’il souhaite adopter au niveau national. Autrement dit, il est peu probable que les pays qui autorisent actuellement la maternité de substitution à but lucratif et la pratiquent à grande échelle (notamment deux Etats membres du Conseil de l’Europe, l’Ukraine et la Russie), ou ceux où elle est pratiquée illégalement mais tolérée (comme en GrèceNote) décident de l’interdire uniquement parce que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe recommande de le faire. Il semble encore plus improbable que ces pays acceptent d’être liés par un instrument juridique interdisant la maternité de substitution à but lucratif, indépendamment du fait de savoir si cet instrument est développé au niveau européen ou international. Comme il existe peu – sinon aucun – mouvement d’enfants nés de mères porteuses entre les pays qui interdisent la maternité de substitution à but lucratif, un instrument juridique interdisant celle‑ci serait sans effet sur les droits des enfants.
30. Dans ces conditions, je pense qu’au minimum, les juridictions qui continuent d’autoriser la maternité de substitution à but lucratif devraient être tenues d’accepter uniquement les conventions de maternité de substitution entre des nationaux résidant dans leur propre Etat et pays. On observe déjà une tendance intéressante en ce sens, comme l’a noté la HCCHNote. Si cette obligation était introduite dans un instrument juridique international liant à la fois les pays qui interdisent et les pays qui autorisent la maternité de substitution à but lucratif, une telle norme aurait pour effet de réduire les conventions de maternité de substitution à moins de 1 % ou 2 % de leur nombre actuel et d’empêcher complètement les mouvements transfrontières d’enfants nés de conventions à but lucratif, en protégeant effectivement ces enfants des atteintes à leurs droits en matière de filiation et de nationalité.
31. En conclusion, je propose que l’Assemblée recommande que:
  • les Etats membres interdisent toutes les formes de maternité de substitution à but lucratif dans l’intérêt supérieur de l’enfant;
  • les Etats membres et le Comité des Ministres collaborent avec la HCCH en vue, au minimum, de restreindre le recours aux conventions de maternité de substitution aux nationaux résidant dans leur propre Etat et pays dans un éventuel instrument multilatéral auquel les travaux de la HCCH sur la filiation et la maternité de substitution seraient à même d’aboutir;
  • les Etats membres veillent à ne pas porter atteinte aux droits de l’enfant lorsqu’ils prennent des mesures visant à maintenir l’ordre public et à dissuader le recours à des conventions de maternité de substitution;
  • le Comité des Ministres examine l’opportunité et la faisabilité de l’élaboration de lignes directrices européennes sur la protection des droits de l’enfant en relation avec les conventions de maternité de substitution à but lucratif.
32. Enfin, la plupart de nos Etats membres disposent d’un éventail de possibilités pour faire en sorte que l’adoption devienne l’alternative la plus viable à la gestation pour autrui, offrant ainsi des parents attentionnés à un enfant dans le besoin, et réalisant ainsi le désir d’enfant des couples stériles – la meilleure solution pour tous.

Annexe : Glossaire (révisé) préparé par la Conférence de La Haye de droit international privéNote

Convention de maternité de substitution internationale

Convention de maternité de substitution conclue par le ou les parents d’intention résidantNote dans un Etat et une mère porteuse qui réside (ou qui parfois n’est que présente) dans un autre Etat.

Ce type de convention peut impliquer des donneurs de gamètes dans l’Etat de résidence de la mère porteuse (ou dans l’Etat où elle est présente) ou même dans un troisième Etat.

Cette convention peut être une convention de procréation pour autrui ou de gestation pour autrui et peut être altruiste ou à but lucratifNote (voir ci-dessous).

Convention de procréation pour autrui

Convention de maternité de substitution dans laquelle la mère porteuse fournit son propre matériel génétique (ovocyte); lenfant lui est donc génétiquement apparenté.

Cette convention peut faire appel à la conception naturelle ou à des procédures dinsémination artificielle.

Cette convention peut être altruiste ou à but lucratif (voir ci-dessous).

Convention de gestation pour autrui

Convention de maternité de substitution dans laquelle la mère porteuse ne fournit pas son propre matériel génétique; lenfant ne lui est donc pas génétiquement apparenté.

Ce type de convention fait généralement suite à un traitement par FIV. Les gamètes peuvent être ceux dun seul ou des deux parents dintention ou ne provenir daucun des deux.

Cette convention peut être altruiste ou à but lucratif (voir ci-dessous).

Convention de maternité de substitution à but lucratif

Convention de maternité de substitution dans laquelle le ou les parents dintention versent à la mère porteuse une rémunération financière qui est supérieure à ses «frais raisonnables». Cette rémunération peut être appelée «compensation» pour les «douleurs et les souffrances» ou peut être simplement le prix que la mère porteuse demande pour porter lenfant. Il peut sagir dune convention de gestation pour autrui ou dune convention de procréation pour autrui.

N.B.: Il est souvent difficile de distinguer les conventions de maternité de substitution altruistes des conventions de maternité à but lucratif. Ainsi, si une mère porteuse est sans emploi avant la conception mais peut demander des «frais raisonnables», y compris la perte de revenus liée à la convention, cette convention est-elle encore «altruiste»?

Convention de maternité de substitution altruiste

Convention de maternité de substitution dans laquelle le ou les parents dintention ne paient rien à la mère porteuse ou, le plus souvent, seulement ses «frais raisonnables» associés à la maternité de substitution. La mère porteuse ne perçoit aucune autre rémunération financière.

Il peut sagir dune convention de gestation pour autrui ou dune convention de procréation pour autrui.

N.B.: Cette convention est souvent (mais pas toujours) conclue entre le ou les parents dintention et une personne de leur connaissance (une parente ou une amie par exemple).

Etat daccueil

Etat de résidence des parents dintention dans lequel ils souhaitent retourner avec lenfant après la naissance.

Etat de naissance de lenfant

Etat dans lequel la mère porteuse donne naissance à lenfant, où la question de la filiation juridique de lenfant se pose initialement.

Il sagit généralement de lEtat de résidence de la mère porteuse. Dans certains cas cependant, la mère porteuse peut se rendre dans un Etat expressément pour la naissanceNote.

Mère porteuse

Femme qui accepte de porter un ou des enfants pour le ou les parents dintention et renonce à ses droits parentaux après la naissance.

Dans ce rapport, ce terme désigne aussi une femme qui na pas fourni son matériel génétique à lenfant. Dans ces circonstances, la mère porteuse est appelée «mère gestatrice» ou «mère gestationnelle» dans certains Etats francophones ou «gestational carrier» ou «gestational host» dans les Etats anglophones.

Parent(s) dintention

Personne ou personnes qui demandent à une autre personne de porter un enfant pour elles dans lintention den assumer la garde après la naissance et de lélever comme le leur. Ces personnes peuvent être ou non génétiquement apparentées avec lenfant né par suite de la convention.

Donneuse de gamètes (ovocytes)

Femme qui fournit ses ovocytes à utiliser par une ou plusieurs autres personnes pour concevoir un enfant.

Dans certains Etats, ces «donneuses» peuvent recevoir une rémunération supérieure aux frais quelles encourent. La question de lanonymat des «donneuses» est diversement abordée dun Etat à lautre.

Donneur de gamètes (spermatozoïdes)

Homme qui fournit ses spermatozoïdes à utiliser par dautres personnes pour concevoir un enfant.

Dans certains Etats, ces «donneurs» peuvent recevoir une rémunération supérieure aux frais quils encourent. La question de lanonymat des «donneurs» est diversement abordée dun Etat à lautre.

«Filiation juridique» ou parent(s) juridique(s)

Dans les situations de maternité de substitution, la filiation juridique ne coïncide pas nécessairement (et coïncide rarement) à la filiation génétique (celle qui unit lenfant aux parents qui ont fourni leur matériel génétique).

Lien de parenté unissant lenfant à une ou des personnes que la loi applicable reconnaît comme ses «parents» et qui acquerront tous les droits et obligations légaux qui découlent de ce statut en vertu de cette loi.

«Filiation génétique» ou parents génétiques

Lien de parenté unissant lenfant à une ou des personnes ayant fourni leur matériel génétique pour sa conception. Dans certains pays, on parle de «filiation biologique».

Dans les situations de maternité de substitution, les parents génétiques de lenfant ne sont pas nécessairement (et sont rarement) ses parents juridiques.