Besoins et droits humanitaires des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en Europe
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 25 avril 2018 (15e séance)
(voir Doc. 14527, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, rapporteur: M. Killion Munyama). Texte adopté par l’Assemblée le
25 avril 2018 (15e séance). Voir
également la Recommandation
2126 (2018).
1. À l’occasion du 20e anniversaire
des Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement
de personnes à l’intérieur de leur propre pays, l’Assemblée parlementaire
est alarmée par le fait que, en Europe, plus de 4 millions de personnes
sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays en raison des conflits
armés et de la violence. Du fait des déplacements massifs de population
dus à la guerre dans l’est de l’Ukraine et de l’annexion de la péninsule
ukrainienne de Crimée par la Fédération de Russie, la souffrance
d’environ 1,7 million de personnes déplacées à l’intérieur de leur
pays (PDI) est venue s’ajouter à la souffrance de longue date des
PDI touchées par des conflits antérieurs en Europe, en particulier
en Azerbaïdjan, à Chypre et en Géorgie.
2. L’Assemblée souligne que, en vertu du Statut de la Cour pénale
internationale, le transfert, direct ou indirect, par une puissance
occupante d’une partie de sa population civile, dans le territoire
qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur
ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population
de ce territoire constitue un crime de guerre. Aucun déplacement
de population ne doit être effectué en violation des droits à la
vie, à la dignité, à la liberté et à la sécurité des personnes concernées. Quelle
que soit leur origine ethnique, les PDI et leur famille doivent
pouvoir exercer pleinement leurs droits fondamentaux, y compris
les droits sociaux, culturels et économiques fondamentaux tels que
consacrés par le droit international. Le fait que les PDI ont le
droit de se réinstaller volontairement dans une autre partie de
leur pays n’affecte pas leurs droits en tant que PDI.
3. Se félicitant des efforts considérables en faveur des PDI
déployés par les États membres touchés par des conflits armés ou
d’autres causes de déplacement forcé, l’Assemblée invite ces États
à évaluer et à rendre public régulièrement les besoins humanitaires
de leurs PDI, éventuellement avec les Nations Unies, l’Union européenne
et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), notamment les
besoins des PDI en matière de logement, d’éducation, de soins de
santé, d’emploi et d’aide financière. Les États membres doivent respecter
les droits consacrés par la Charte sociale européenne (révisée)
(STE no 163) qui, conformément à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme sur les obligations
extraterritoriales, lie également les États membres qui exercent
un contrôle en dehors de leur propre territoire.
4. L’Assemblée déplore le fait que la situation humanitaire de
la majorité des PDI en Europe ait été affectée négativement pendant
une période excessivement longue par le fait que les conflits persistants
sont prolongés et que les déplacements forcés, souvent opérés pour
des raisons ethniques, sont maintenus par les autorités de fait
qui contrôlent les territoires des anciens foyers et lieux de résidence
habituels des PDI. Il est par conséquent essentiel que les droits
humains et les besoins humanitaires des PDI soient au centre de
tous les efforts internationaux pour suivre et arbitrer ces conflits.
5. Se référant aux Résolutions 193 (1964) et 360 (1974) du Conseil
de sécurité des Nations Unies et à sa
Résolution 1628 (2008), l’Assemblée
se félicite des progrès importants réalisés pour améliorer la situation humanitaire
des PDI à Chypre ces dernières décennies et invite les autorités
de Chypre et de la Turquie:
5.1 à
continuer à soutenir les travaux du Comité sur les personnes disparues
à Chypre, qui pourvoit aux besoins humanitaires essentiels des PDI,
et à fournir toutes les informations possibles sur le sort des personnes
qui ont été portées disparues à Chypre ou ont été transférées en
Turquie en tant que prisonniers de guerre;
5.2 à encourager les parties au problème chypriote à revenir
à la table des négociations afin de parvenir à un règlement définitif
de ce problème qui perdure, incluant toutes les questions de propriété et
de recours au profit de tous les Chypriotes;
5.3 à poursuivre le travail de déminage de la Force de maintien
de la paix des Nations Unies à Chypre, conformément à la Résolution
2398 (2018) du Conseil de sécurité des Nations Unies, et à permettre
l’accès aux champs de mines restant dans la zone tampon, de sorte
que les PDI et d’autres personnes ne soient pas exposées à des risques
mortels;
5.4 à ouvrir davantage de points de passage pour les Chypriotes
à la zone tampon et à promouvoir des contacts et des projets intercommunautaires
de part et d’autre de la zone tampon, comme le bon exemple de la
restauration du monastère d’Apostolos Andreas de 2013 à 2016, et
à veiller à ce que tous les droits religieux et culturels des PDI
soient pleinement respectés et protégés, car, même si toutes ces mesures
de confiance contribuent à créer un climat de bonne volonté, elles
ne peuvent pas contribuer de manière substantielle à remédier aux
problèmes des PDI à Chypre.
6. Rappelant les Résolutions 822 (1993), 853 (1993), 874 (1993)
et 884 (1993) du Conseil de sécurité des Nations Unies ainsi que
sa
Résolution 1416 (2005),
l’Assemblée déplore que le conflit du Haut-Karabakh se prolonge
depuis 1994, salue les efforts humanitaires immenses déployés en
faveur des PDI en Azerbaïdjan et invite les autorités de l’Arménie
et de l’Azerbaïdjan:
6.1 à donner
la priorité aux besoins et droits humanitaires des PDI dans leurs
actions et négociations bilatérales facilitées par le Groupe de
Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE), et à appliquer pleinement et sans délai les arrêts pertinents
de la Cour européenne des droits de l’homme;
6.2 à permettre au CICR d’entrer dans la zone du Haut-Karabakh
et les districts environnants pour y poursuivre ses travaux médico-légaux
relatifs aux cas de disparition de personnes, en particulier dans les
charniers de Heyvali (Drmbon), Khojaly (Ivanyan), Qazançı (Kazanchi)
et Karakend (Berdashen), et à analyser et publier les données obtenues,
en étroite coopération avec la Société du Croissant-Rouge d’Azerbaïdjan
et la Société de la Croix-Rouge arménienne;
6.3 à instaurer, conformément aux arrêts pertinents de la
Cour européenne des droits de l’homme, des commissions nationales
chargées des questions de restitution ou d’indemnisation des avoirs
et des biens des PDI qui ont été détruits ou dont l’utilisation
a été rendue impossible par le déplacement forcé, et à accepter
et à traiter les demandes individuelles ou collectives;
6.4 à charger l’OSCE de réaliser une mission d’évaluation
approfondie, faisant suite à la mission d’évaluation de 2010 et
comprenant un volet humanitaire, dans les territoires touchés par
le conflit, et à continuer de soutenir les projets de déminage dans
la zone du conflit;
6.5 à rétablir les contacts interpersonnels entre Arméniens
et Azerbaïdjanais, comme l’ont préconisé les coprésidents du Groupe
de Minsk de l’OSCE le 7 décembre 2017, y compris entre les Arméniens originaires
de la zone du Haut-Karabakh et des districts environnants et les
PDI en Azerbaïdjan;
6.6 se félicitant des informations faisant état de la restauration
de la mosquée Agha du Haut Govhar à Shusha, à étendre cette restauration
à d’autres sites d’importance culturelle pour les PDI.
7. Se référant aux Résolutions 849 (1993) et 1808 (2008) du Conseil
de sécurité des Nations Unies, aux Déclarations finales des Sommets
des chefs d’État de l’OSCE de 1994, 1996 et 1999, ainsi qu’aux
Résolutions 1633 (2008),
1647 (2009),
1664 (2009),
1683 (2009) et
1916 (2013) adoptées
par l’Assemblée, l’Assemblée déplore l’expulsion forcée de personnes
d’Abkhazie en Géorgie, et de la région de Tskhinvali (Ossétie du
Sud) en Géorgie, dans les années 1990 et à nouveau en 2008; elle
regrette que ce conflit en Géorgie ne soit toujours pas résolu et
se félicite des efforts immenses déployés en faveur des personnes
déplacées en Géorgie. À cet égard, l’Assemblée:
7.1 souligne l’importance du Mécanisme
de coordination sur les personnes disparues créé en 2010 avec l’aide
du CICR et encourage les participants à y intervenir de manière
constructive;
7.2 appelle la Fédération de Russie, en tant qu’autorité de
facto exerçant un contrôle effectif sur l’Abkhazie en Géorgie, et
sur la région de Tskhinvali (Ossétie du Sud) en Géorgie:
7.2.1 à reconnaître officiellement et effectivement le droit
au retour en toute sécurité et dans la dignité de toutes les personnes
déplacées, y compris de celles de la guerre de 2008, dans leur lieu
de résidence initial en Abkhazie en Géorgie, et dans la région de
Tskhinvali (Ossétie du Sud) en Géorgie, conformément aux paragraphes 9.9
et 9.11 de la
Résolution
1647 (2009);
7.2.2 se félicitant du déminage de l’Abkhazie en Géorgie par
HALO Trust de 1997 à 2011 et prenant acte de l’opération de déminage
menée en 2016 dans la région de Tskhinvali (Ossétie du Sud) en Géorgie
par le ministère des Situations d’urgence de la Fédération de Russie
en sa qualité d’autorité de facto exerçant un contrôle effectif,
à veiller également au retrait des munitions et des armes des zones
de conflit, qui représentent un grave danger pour les PDI et les
autres personnes, et sont susceptibles de causer d’autres déplacements;
7.2.3 à ouvrir davantage de points dits de passage et à mettre
un terme à la pratique de l’installation de clôtures de fil de fer
barbelé et autres barrières artificielles gardées par l’armée russe
le long de la ligne d’occupation, afin de ne pas entraver la liberté
de circulation;
7.2.4 à soutenir l’utilisation, dans les écoles de la zone de
conflit, de la langue et de l’alphabet géorgiens afin d’éviter toute
autre discrimination et déplacement ethniques;
7.2.5 à mettre pleinement en œuvre l'accord de cessez-le-feu
conclu grâce à la médiation de l'Union européenne, et en particulier
à accorder à la Mission de surveillance de l'Union européenne (MSUE)
un plein accès à l'intégralité du territoire internationalement
reconnu de la Géorgie et à œuvrer en faveur d'une nouvelle forme
de maintien de la paix à caractère international;
7.2.6 à ouvrir une enquête crédible sur les actes de nettoyage
ethnique des Géorgiens de ces régions et à mettre en œuvre des mesures
pour réparer ces actes, y compris en prenant des mesures de protection
efficaces des propriétés que les PDI ont quittées en raison du conflit récent
ou des conflits antérieurs afin que ces propriétés puissent leur
être restituées.
8. Rappelant sa
Résolution
2198 (2018) sur les conséquences humanitaires de la guerre
de la Russie contre l’Ukraine, l’Assemblée invite en outre les autorités
de la Fédération de Russie et de l’Ukraine:
8.1 à soutenir les projets de rétablissement des liens familiaux
de la Croix-Rouge ukrainienne et de la Croix-Rouge russe, et à permettre
au CICR d’entrer dans les zones touchées par le conflit, avec la protection
et la sécurité requises, pour y mener des travaux médico-légaux
relatifs aux cas de disparition de personnes;
8.2 à créer une commission pour l’indemnisation ou la restitution
des avoirs et des biens des PDI, conformément à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article
1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 9);
8.3 à soutenir et à accompagner les opérations de déminage
dans toutes les zones touchées par le conflit, notamment les actions
menées par le Groupe danois de déminage du Conseil danois pour les réfugiés,
le Gouvernement japonais et le Bureau des Nations Unies pour les
services d’appui aux projets, le programme de l'Organisation du
Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pour la science au service de
la paix et de la sécurité sur le déminage humanitaire en Ukraine,
le Centre international de déminage humanitaire de Genève ainsi
que HALO Trust;
8.4 à s’abstenir de toute action qui prolongerait les déplacements
internes de personnes ou en entraînerait de nouveaux et aggraverait
la situation humanitaire des PDI, en violation du droit international
humanitaire.
9. Déplorant que la «région militaire Sud» des forces armées
de la Fédération de Russie s’étende au-delà de ses frontières, l’Assemblée
appelle le Gouvernement russe à respecter les droits des PDI, notamment:
9.1 en s’abstenant de toute fourniture
d’armes, de munitions et de personnel militaire conduisant à des
violations répétées du droit international humanitaire et des droits
humains des PDI dans les zones de conflit concernées;
9.2 en permettant aux missions internationales d’observation
humanitaire d’entrer dans les zones de conflit concernées afin d’analyser
les besoins humanitaires des PDI et de leur fournir une assistance humanitaire.
10. Se référant au rapport sur la situation des droits de l’homme
dans le sud-est de la Turquie, préparé par le Haut-Commissaire des
Nations Unies aux droits de l’homme en février 2017, l’Assemblée
invite les autorités turques à organiser une mission internationale
d’évaluation humanitaire dans les zones touchées par les opérations
antiterroristes en Turquie.
11. Rappelant les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
relatifs aux droits humains des PDI, l’Assemblée appelle tous les
États membres à garantir que ces arrêts seront appliqués pleinement
et sans délai, et à agir de manière appropriée dans les cas où un
État défendeur refuse d’exécuter un arrêt et de verser une compensation
financière aux PDI ou aux membres de leur famille survivants.
12. Rappelant sa
Résolution
1613 (2008) «Exploiter l’expérience acquise dans le cadre
des “commissions vérité”», l’Assemblée recommande aux États membres
d’instaurer des commissions nationales, bilatérales ou internationales
chargées de consigner et de publier les histoires et les souffrances
des PDI, d’analyser la vie interethnique avant les déplacements
internes et de promouvoir de futurs projets de coopération interethnique, afin
de parvenir à une réconciliation durable.
13. L’Assemblée invite la Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe à coopérer avec les États membres et le Comité
des Ministres dans le cadre de leurs activités en faveur des PDI,
et à assurer une suite au Carnet des droits de l’homme de 2012 intitulé
«Personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en Europe:
une autre génération perdue?».