B Exposé des motifs,
par M. Hendrik Daems, rapporteur
1 Introduction
1. Le Conseil de l'Europe et la
Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) coopèrent
de façon formelle depuis la signature, en 1992, de l'Accord entre
le Conseil de l'Europe et la BERD – soit depuis environ 27 ans.
En 1992, un accord complémentaire conclu par échange de lettres
entre le Président de l’Assemblée parlementaire et le Président
de la BERD a désigné l’Assemblée pour assurer un suivi parlementaire
des activités de la BERD. En 1999, la BERD a également conclu un
Mémorandum d’accord avec la Banque de développement du Conseil de
l'Europe, qui a été renouvelé en 2013.
2. Le mandat de la commission des questions politiques et de
la démocratie stipule que celle-ci «établit des rapports sur les
activités de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(BERD). En vue de la préparation des rapports et des débats à l’Assemblée,
la commission entretient des relations avec l’OCDE et la BERD».
3. Le 2 octobre 2014, l'Assemblée a tenu un débat sur les activités
de la BERD en 2013-2014, présenté par Dame Cheryl Gillan (Royaume-Uni,
CE) et a adopté la
Résolution
2017 (2014). Le 15 décembre 2016, la commission m’a nommé rapporteur
pour un nouveau rapport.
4. Le présent rapport retrace l'histoire de la coopération entre
la BERD et l’Assemblée et décrit sa situation actuelle; il traite
également de l'évolution des attributions de la BERD ces 27 dernières
années, des progrès démocratiques réalisés dans les pays d’opérations
de la BERD et des événements politiques récents qui touchent les
régions où elle intervient.
5. Il accorde une attention particulière au rapport entre la
promotion de l’économie de marché et le développement de la démocratie,
une relation indirecte qui est de plus en plus souvent remise en
question dans les déclarations politiques. Cet aspect est essentiel
pour les activités de la BERD, dont la mission première, telle qu’énoncée
à l’article 1 de l’Accord de 1990 portant création de cette banque,
est de «faciliter la transition vers des économies ouvertes fonctionnant
selon les lois du marché, et promouvoir l’initiative privée et l’esprit
d’entreprise dans (...) les pays qui s'engagent à respecter et mettent
en pratique les principes de la démocratie pluraliste, du pluralisme
et de l'économie de marché
Note».
6. Il est donc indispensable de comprendre les implications politiques
d’une promotion des économies ouvertes pour comprendre l’efficacité
de la BERD dans la réalisation de ses objectifs déclarés. À cet
égard, la commission a accepté ma proposition de modifier le titre
du rapport comme suit: «Promouvoir la démocratie en développant
l’économie de marché: le modèle de la BERD fonctionne-t-il?»
7. Pour préparer le présent document, j’ai participé à la réunion
que la sous-commission des relations avec l'OCDE et la BERD a tenue
au siège de la BERD, à Londres, le 26 octobre 2017. Ceci lui a permis
de réunir des informations sur les activités de la BERD et les liens
qui existent entre la promotion des économies de marché et la démocratisation
en général.
8. Par ailleurs, lors de sa réunion du 11 septembre 2018 à Paris,
la commission des questions politiques et de la démocratie a tenu
un échange de vues avec M. Marek Dabrowski, Professeur non-résident
à Bruegel, Bruxelles, Professeur à l’École supérieure d’économie
de Moscou et Chercheur au Centre pour la recherche économique et
sociale (Center for Social and Economic Research – CASE), à Varsovie.
Le 11 décembre 2018, j'ai rencontré un représentant de la Banque
de développement du Conseil de l'Europe.
2 Contexte
9. La BERD a été fondée en 1991
en réponse à la chute du rideau de fer pour favoriser la transition
vers l’ouverture des marchés et la gouvernance démocratique en Europe
centrale et orientale (ECO). Depuis sa création, elle est considérée
comme une institution financière unique en son genre en raison de
son engagement explicite en faveur de la démocratie et de l’ouverture
des marchés dans les économies où elle investit.
10. Ces 28 dernières années, les investissements de la BERD ont
connu un grand succès dans les économies en transition, et la demande
relative à son expertise a de loin dépassé les frontières de l’ECO.
Au fil des ans, la BERD a progressivement étendu la région de ses
opérations aux économies d’Asie centrale, à la Mongolie, la Turquie,
la région du Sud et de l’Est de la Méditerranée (SEMED), Chypre,
la Grèce et, tout récemment, la Cisjordanie et Gaza. Même si le
contexte et l’évolution historique de ces économies diffèrent de ceux
de l’ECO, l’expansion de la BERD a été saluée par de nombreux acteurs,
qui voient dans l’élargissement de son champ d’action une preuve
de sa réussite et de sa pertinence.
3 Coopération
avec le Conseil de l’Europe
11. Le 14 avril 1992, l'accord
signé entre le Conseil de l'Europe et la BERD a relevé les intérêts
que les deux organisations ont en commun en matière de promotion
de la démocratie pluraliste, de respect des droits de l’homme et
de primauté du droit. Il a dès lors prévu des dispositions assez
larges pour la coopération entre les deux organisations, celle-ci
passant par un échange de documents d’intérêt commun, des consultations mutuelles,
des invitations à des réunions à Londres et à Strasbourg et une
coopération technique entre leurs experts respectifs. Cet accord
n'a pratiquement jamais débouché sur une action concrète au niveau intergouvernemental.
12. Le 3 octobre 1992, une coopération spéciale avec l’Assemblée
parlementaire dans plusieurs domaines a été prévue par le biais
d’un échange de lettres entre les présidents de l’Assemblée et de
la BERD. Il a ainsi été décidé que le Président de l’Assemblée parlementaire
et les présidents de ses commissions seraient invités à l’assemblée
annuelle de la BERD, que le Président de la BERD participerait à
un débat annuel à l’Assemblée, que les informations relatives au
suivi et à l’évaluation des pays d’opérations seraient échangées et
que les deux institutions coopéreraient dans le cadre de missions
d’observation des élections. Pour résumer, il a été convenu que
l’Assemblée assurerait un suivi parlementaire de l’exécutif de la
BERD.
13. En juin 1993, sur la base d’un rapport préparé par la commission
des questions économiques et du développement, l’Assemblée a tenu
un premier débat sur «La Banque européenne pour la reconstruction
et le développement: réalisations, activités et priorités», auquel
le Président de la BERD a participé. Depuis, l’Assemblée a tenu
18 autres débats sur la BERD, dont 14 se sont déroulés en présidence
de son Président, et 4, d’un Vice-Président. Réciproquement, la
commission ou sous-commission de l’Assemblée en charge des relations
avec la BERD, se sont régulièrement réunies à son siège à Londres,
ce qui a donné bien plus de visibilité à la coopération menée au
niveau parlementaire qu’à celle menée au niveau intergouvernemental. Cela
étant, il faut également reconnaître que la BERD n’a que très rarement,
voire jamais, donné suite aux recommandations de l’Assemblée, ni
même répondu à celles-ci.
14. Depuis les années 1990, la BERD et la Banque de développement
du Conseil de l’Europe mènent une collaboration fructueuse en échangeant
des informations sur les défis politiques et opérationnels communs
et en assurant une coopération opérationnelle et un co-financement
dans les secteurs où leurs mandats se recoupent. En 1999, les deux
banques ont signé un Mémorandum d’accord, renouvelé et mis à jour
en 2013, dont l’objectif est d’encourager la coopération et de la
rendre plus efficace. Bien que les deux institutions aient des mandats
différents, elles donnent priorité aux opérations contribuant de
façon significative au développement local et à l’inclusion sociale.
Ainsi, elles coopèrent directement sur un projet de conduite d’eau en
Bosnie-Herzégovine, et indirectement dans les contextes du Cadre
d’investissement pour les Balkans occidentaux (CIBO), du Partenariat
pour la promotion de l’efficacité énergétique et de l’environnement
en Europe orientale (E5P) et de la plateforme de financement mixte
de l'Union européenne pour la coopération extérieure (EUBEC), par
exemple.
15. Ces 27 dernières années, le rôle et le mandat de la BERD ont
évolué. Incontestablement, la BERD d’aujourd’hui est très différente
de la BERD avec laquelle l’Assemblée a décidé de coopérer en 1992,
comme le révèle clairement une analyse, même rapide, de l’histoire
de cette coopération, qui n’a pas toujours permis de réaliser les
hautes ambitions de ceux qui l’avaient instaurée au départ. Une
coopération de grande envergure avait certes été officiellement
décidée à l’époque, mais les échanges d’informations, la coopération commune
dans les missions d’observation des élections et la participation
aux réunions initialement prévus n’ont jamais été pleinement concrétisés.
4 Gouvernance
et structure
4.1 Transparence
16. Le rapport précédent («Les
activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(BERD) en 2013-2014»,
Doc
13594) relevait que la BERD avait été critiquée pour un manque de
transparence dans ses opérations. La
Résolution
2017 (2014) de l’Assemblée, adoptée sur la base de ce rapport, y
voyait une source de préoccupation et encourageait la BERD à publier
davantage d’informations.
17. En 2013, la BERD a été notée comme «médiocre» par le Aid Transparency
Index (ATI, Indice de transparence de l’aide), qui l’a classée au
niveau le plus bas parmi 67 institutions financières internationales et
organisations multilatérales du point de vue de la transparence.
Cette note médiocre, maintenue en 2014 et en 2015, est devenue «passable»
en 2016. En 2017 et en 2018, la BERD a conservé sa note de «passable» et
elle occupe désormais la 24e place sur
un total de 45 institutions financières internationales
Note. Cette meilleure note s’explique
par l’augmentation de la fréquence de ses publications, et par leur
caractère plus complet. Ces améliorations méritent d’être saluées,
mais des progrès restent à faire: la BERD continue de ne pas publier certaines
informations, notamment celles relatives à la performance, et elle
devrait s’efforcer de promouvoir plus largement l’utilisation des
données qu’elle publie. Ces informations permettraient de mener
des recherches sur les éventuels liens entre les investissements
de la Banque et l’évolution de la démocratie dans ses pays d’opérations.
4.2 Mise
à jour des mesures de transition
18. En 2016, la BERD a mis à jour
ses mesures de transition, qui précisent comment elle s’acquittera
de sa mission de développement des économies de marché. Étant donné
que ces règles constituent les normes selon lesquelles la BERD mesure
son propre succès et les lignes directrices qui orientent ses décisions d’investissement
et ses engagements en matière de dialogue politique, leur effet
sur le mandat politique de la BERD intéresse évidemment l’Assemblée.
19. Selon cette nouvelle vision de la transition, une économie
de marché saine doit être compétitive, inclusive, bien gouvernée,
respectueuse de l’environnement, résiliente et intégrée. Ce changement
vise à prendre en compte l’évolution observée au niveau mondial
depuis la création de la BERD de ce qu’est une économie de marché
réussie et des différences de besoins entre les diverses économies
bénéficiaires. Il résulte notamment de la prise de conscience, au
lendemain de la crise financière de 2008, des risques de remise
en cause des réformes dans la région visée par les opérations
Note.
20. Même si ces valeurs sont implicitement énoncées dans le statut
de la BERD et transparaissent dans une certaine mesure dans les
activités menées au fil des ans, il convient de saluer l’initiative
de la BERD de les mentionner et de les définir comme sa politique
officielle
Note.
21. La nouvelle vision mérite d’être saluée pour son approche
globale de la transition, qui ne doit pas être conçue comme une
simple question de construction des marchés et du secteur privé.
Le nouvel indicateur «bien gouvernée» est très intéressant de ce
point de vue. Selon la BERD, il comprend deux piliers: la notion de
gouvernance économique nationale ou infranationale, c’est-à-dire
les institutions et les processus qui soutiennent l’activité économique
au niveau d’un État ou des entités territoriales, et la gouvernance d’entreprise,
c’est-à-dire le dispositif de règles, de pratiques et de processus
qui régit et contrôle les entreprises. Le premier pilier est le
plus pertinent pour le présent rapport.
22. Comme le déclare la BERD elle-même, il peut être plus facile
de reconnaître qu’une gouvernance déficiente peut freiner la transition
d’un pays que de trouver comment définir les enjeux et promouvoir
un assemblage de projets et de dialogue politique susceptibles de
réorienter les pays vers la voie de la réussite
Note. Par conséquent,
pour évaluer la gouvernance nationale et infranationale, la BERD
s’appuie sur une série d’indicateurs relatifs à la qualité des institutions
des secteurs publics et privés, aux normes d’intégrité et à la lutte
contre la corruption, ainsi qu’à la primauté du droit. Elle analyse
ensuite ces indicateurs à la lumière des stratégies individuelles
de chaque pays.
5 Progrès
démocratique: crise de confiance et transition
5.1 Lien
entre la réforme des marchés et la transition démocratique
23. Dans les pays en transition,
la réforme des marchés est souvent associée à la construction et
à la consolidation des institutions démocratiques. Ces dernières
années, ce postulat est toutefois souvent remis en question par
la défiance de certains pays qui, un peu partout dans le monde,
ont, dans une certaine mesure, réussi l’ouverture de leurs marchés
tout en maintenant des régimes politiques centralisés et autoritaires.
Lors de la réunion que la sous-commission des relations avec l’OCDE
et la BERD a tenue à Londres le 26 octobre 2017, son Président,
M. Suma Chakrabarti, a cité l’Ukraine comme exemple de pays où cette réforme
n’a pas produit les résultats escomptés: malgré les investissements
colossaux effectués ces vint dernières années, la démocratie a régressé
dans ce pays.
24. Comme nous l’avons vu précédemment, les opérations de la BERD
visent essentiellement à faciliter le développement du secteur privé
et la transition économique, et non à promouvoir directement la
transition démocratique. L’article 1 de l’Accord portant création
de la BERD réaffirme son mandat d’œuvrer dans les pays «qui s'engagent
à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie
pluraliste, du pluralisme et de l'économie de marché», sans prendre
de responsabilité directe pour la mise en œuvre de ces principes.
La BERD pourrait toutefois être tenue de rendre des comptes concernant
la conduite d'activités dans des pays où ces principes ne sont ni
reconnus, ni appliqués.
25. Comme la BERD a pour mandat de promouvoir la transition vers
une économie de marché – et non une transition politique –, le lien
entre l’ouverture des marchés et les réformes démocratiques est
de toute évidence crucial. S’il n’existe pas de lien entre les deux,
ou seulement une corrélation mais pas de lien de cause à effet, l’on
pourrait attendre de la BERD qu’elle travaille exclusivement dans
les pays qui s’engagent explicitement et manifestement en faveur
des principes de la démocratie pluraliste. Si les réformes économiques
engendrent naturellement et nécessairement des réformes politiques,
même de manière indirecte, la BERD serait raisonnablement fondée
à investir aussi dans des pays non démocratiques. Dans l’état actuel
des choses, elle investit dans les économies d’un large spectre
de régimes politiques de toute la région des pays en transition, qui
vont des autocraties aux démocraties complètes.
26. Dans la présentation qu’il a effectuée devant la commission
le 11 septembre 2018, M. Dabrowski s’est attardé sur l’interdépendance
entre économie de marché et démocratie. S’il y a des exemples d’économies
de marché sans démocratie, il n’y en a pas de démocratie sans économie
de marché. Il existe un certain degré de corrélation entre liberté
économique et liberté politique dans le monde. Le marché peut aider
la démocratie de bien des façons, de même que la démocratie peut
aider le système de marché. L’expérience des pays post-communistes
montre que la transition vers une économie de marché n’a pu s’amorcer
qu’après la chute du système politique communiste. Dans les premiers
stades de la transition, l’autoritarisme renforce le rôle des anciennes
élites et des anciens groupes d’intérêt; plus tard, il contribue
à créer des postes privilégiés pour les oligarques et les bureaucrates
de la fonction publique. Entre 2005 et 2018, les pays en transition
qui ont vu leur note de performance démocratique baisser ont été
plus nombreux que ceux dont la démocratie s’est renforcée. On distingue
de nombreuses variantes de l’économie de marché. La Chine, par exemple,
est dotée d’une sorte d’économie de marché, mais elle ne respecte
pas le principe de la prééminence du droit, contrairement à Hong
Kong ou à Singapour.
27. Auparavant, quand on interrogeait la BERD à propos de ses
investissements dans des pays peu mobilisés en faveur des principes
de la démocratie pluraliste et du pluralisme, elle affirmait sa
conviction qu’à long terme, une convergence entre les réformes économiques
et les réformes politiques était inévitable, et qu’en laissant de
côté les pays montrant peu de signes d’une démocratisation à court
terme, on ne les aidait pas à progresser. C’est sur la véracité
de ces postulats que l’on peut déterminer si la BERD remplit son
mandat ou non.
28. Le précédent rapport sur «Les activités de la Banque européenne
pour la reconstruction et le développement (BERD) en 2013-2014»
proposait une étude approfondie et très pertinente sur les liens
entre les marchés et la démocratie, qui intéresse encore directement
le présent rapport. Elle tirait les conclusions suivantes:
- les statistiques suggèrent que
la prospérité, l'industrialisation, l'urbanisation et l'éducation
sont associées au renforcement des systèmes démocratiques;
- le développement démocratique est fortement lié à la croissance
économique;
- les pays dotés de ressources naturelles importantes ont
moins de chance d'arriver à un système démocratique, même après
avoir réussi leur développement économique;
- les effets concrets du développement économique sur le
processus de démocratisation se font parfois sentir au bout de 10
à 20 ans seulement.
29. Si l’on tient compte des conclusions ci-dessus, les investissements
de la BERD dans des pays qui ne sont pas démocratiques ne posent
pas de problème, à condition que ces derniers soient au moins désireux d’engager
des réformes politiques à long terme. Près de 30 ans après la création
de la BERD, nous avons accumulé sur les pays concernés beaucoup
d’expérience et d’informations, sans toutefois parvenir à des conclusions
sur leurs véritables intentions.
30. La BERD a elle-même lancé une étude approfondie sur la relation
entre les réformes économiques et politiques, notamment dans son
rapport de 2013 sur la transition intitulé «Stuck in Transition?»
(«Bloqué dans la transition?»). Elle conclut qu’une augmentation
du produit intérieur brut (PIB) par habitant induit une amélioration
de la démocratie, hormis dans les pays disposant de ressources naturelles
abondantes, ces derniers étant en moyenne moins démocratiques que
ne le suggère leur PIB par habitant. Outre son impact sur la croissance,
la réforme de l’économie de marché présente également l’avantage
d’empêcher les élites économiques et politiques antidémocratiques
de prendre racine. Ce même rapport ajoute toutefois une mise en
garde importante: la communauté internationale du développement
devra faire preuve de patience et de persévérance dans son soutien
aux objectifs de transition à long terme ainsi qu’aux institutions
qui ont le plus de chances d’y contribuer. Deux questions restent
ouvertes cependant: de combien de patience la communauté internationale
doit-elle faire preuve exactement, et à quelle durée correspond
le «long terme», au juste?
31. La question de savoir si l’ouverture des marchés implique
(ou non) des réformes politiques correspondantes est devenue particulièrement
pertinente ces dix dernières années, depuis la crise financière de
2008. Il a été souligné, dans un document de travail commandé en
février 2018 par la BERD sur le thème de la crise de confiance en
Europe et la montée du populisme, que la perte de confiance dans
les institutions politiques et dans le fonctionnement de la démocratie,
que l’on observe partout en Europe, pas uniquement dans les pays
en transition, constitue une grave menace pour les activités de
la BERD, qui s’appuie depuis longtemps sur le consensus quasi universel
autour de l’idée que la démocratie est souhaitable
Note.
Il a été estimé que la crise financière de 2008 et les récessions
qui l’ont suivie ont grandement contribué à saper la confiance des
citoyens dans leurs institutions politiques et même judiciaires,
et que la restauration de cette confiance est très lente. Dans de
nombreux cas, cela résulte d’une hausse du chômage entraînant des
retombées politiques amenant à prendre des mesures hostiles aux
marchés, compromettant ainsi la croissance économique à long terme.
32. La crise de confiance constatée en Europe menace particulièrement
les pays en transition, qui sont davantage exposés au risque de
la remise en cause des réformes. Pour certaines des économies les
plus développées de la BERD, le problème est d’autant plus grave
qu’elles n’ont plus la perspective d’une adhésion à l’Union européenne
pour se prémunir contre de telles remises en cause. Notons, à cet
égard, que c’est en Europe du Sud-Est, où plusieurs pays sont candidats
à l’adhésion à l’Union européenne, que les réformes ont le moins
stagné
Note.
33. Nous n’avons aucun moyen d’évaluer directement l’impact sur
les progrès démocratiques d’un projet ou d’un investissement spécifique
de la BERD, quels qu’ils soient, parce qu’il n’existe qu’un lien
indirect entre les deux. L’on dispose néanmoins de plusieurs outils
pour évaluer l’amélioration de la gouvernance démocratique dans
les divers pays, comme le Polity scores (Note de l’organisation
politique) ou le Democracy Index (Index de la démocratie). Une fois
de plus, il est difficile d’établir un lien direct avec les montants
investis dans les économies, car le total des investissements dépend
de diverses autres variables, comme la taille du pays, sa capacité
d’absorption des investissements et ses principaux secteurs industriels.
5.2 Gradation
34. Compte tenu de l'objectif déclaré
de la BERD consistant à soutenir les économies en transition, il
est essentiel pour son existence-même de déterminer comment procéder
quand la transition est achevée. La «gradation» d’un pays bénéficiaire,
c’est-à-dire son accès au statut de donateur-actionnaire, donne
une image positive du travail de la BERD et constitue une véritable
consécration pour le pays ainsi «diplômé» et un processus indispensable
pour libérer des ressources au bénéfice de pays qui ont de plus
grands besoins. Il semble toutefois que la plupart des économies
bénéficiaires les plus avancées hésitent à franchir ce cap, vraisemblablement
pour continuer à obtenir des investissements de la BERD. Le fait
qu’un seul pays d’opérations (la République tchèque) ait accédé
à la «gradation» dans l’histoire de la BERD illustre clairement le
manque de progrès, de motivations ou de définition claire du parcours
vers une telle «gradation» pour les pays en transition.
35. La gradation des pays d’opération de la BERD est clairement
une question politique qui intéresse directement l’Assemblée, car
la transition n’est considérée comme achevée qu’à l’issue d’une
consolidation tant économique que politique. La gradation est d’autant
plus importante qu’elle dégagera des ressources que la BERD pourra
réinvestir dans les pays qui ont des besoins plus importants.
36. Le Troisième Examen des ressources en capital (2006-2010)
de la BERD prévoyait que les huit pays qui ont adhéré à l’Union
européenne en 2004 atteindraient le stade de la gradation à l’horizon
2010. Seule la République tchèque y est parvenue, en 2008, mais
l’impact de la crise financière de cette année-là sur les autres
allait les contraindre à dépendre des fonds de la BERD pendant plusieurs
années, et l’échéance a par conséquent été reportée à 2015.
37. L’échéance de 2015 n’a pas davantage pu être respectée, et
le dernier rapport sur la transition (2017-2018) ne mentionne plus
la gradation. Le Strategic and Capital Framework (Cadre stratégique
et capitalistique) 2016-2020 déclare que dans la prise de décision
sur la gradation, le principal instrument décisionnel résidera dans
les stratégies respectives de chaque État, conjointement validées
par la Banque et par les autorités nationales. Il est donc difficile
de discerner quels sont les critères économiques ou politiques précis
pour la gradation, s’ils existent, et ce qui empêche actuellement
les pays de les remplir. Jusqu’à présent, la BERD n’a hélas pas
souhaité préciser sa politique en la matière.
38. Même si la BERD n’a pas clairement défini comment se déroulerait
la gradation, elle a élaboré un cadre opérationnel post-gradation
(Post-Graduation Operational Approach – PGOA) afin de mieux stimuler
cette dernière, dans lequel elle énonce les activités que la BERD
peut mener dans les économies qui auront franchi ce cap. Elle a
aussi créé un fonds spécial post-gradation (Post-Graduation Special
Fund – PGSF) pour financer ces activités. Comme la République tchèque
est le seul pays bénéficiant de ces instruments, ils restent relativement
sous-utilisés et peu testés.
6 Évolution
de la situation politique et économique (2015-2018)
6.1 Examen
de l'extension vers les pays du SEMED
39. En 2012, la BERD a étendu son
périmètre d'action géographique à la région SEMED, qui bénéficie désormais
de plus d'investissements que tout autre secteur d'intervention
de la BERD. Il est particulièrement important de comprendre les
effets des activités de la BERD dans cette région et la manière
dont l'Assemblée peut coopérer avec elle étant donné que les parlements
du Maroc, de la Jordanie, et de la Palestine ont le statut de partenaire
pour la démocratie auprès de l'Assemblée.
40. En mai 2017, la BERD a étendu ses activités à la Cisjordanie
et à Gaza. En juillet 2017, le Liban est devenu actionnaire. Aucun
investissement n'a été réalisé dans ces économies en 2017, mais
les implications politiques qui en découlent présentent néanmoins
un intérêt pour l'Assemblée. La BERD met actuellement en place une
facilité de financement d’un montant maximum de $US 15 millions
en Cisjordanie et à Gaza pour soutenir les petites et moyennes entreprises
dans la région.
6.2 Tensions
géopolitiques
41. Depuis le début de la crise
en Ukraine, la BERD a complètement retiré ses investissements en
Russie, les relations économiques entre la Fédération de Russie
et l'Europe n'ayant cessé de se détériorer. Lors de la réunion qu’elle
a tenue à Londres le 26 octobre 2017, la sous-commission des relations
avec l’OCDE et la BERD a été informée que cinq des sept bureaux
de la BERD en Russie avaient été fermés et que seuls ceux de Moscou
et Saint Pétersbourg restaient en activité. Un nouveau rapport devrait
donc évaluer les répercussions politiques de ce désinvestissement
et les retombées économiques de l'aggravation des relations commerciales
non seulement pour l'Ukraine, mais aussi pour d’autres économies
de la région.
6.3 Crise
des réfugiés
42. La crise des réfugiés, causée
entre autres par la guerre en Syrie, est l'une des évolutions politiques
les plus significatives de ces dernières années et constitue une
préoccupation directe pour les actionnaires de la BERD. Celle-ci
a par conséquent engagé des sommes importantes (jusqu'à 900 millions
d’euros) pour soutenir financièrement des projets du secteur privé
et d'infrastructures en Turquie et en Jordanie, deux économies bénéficiaires
des activités de la BERD qui font partie des plus grands pays d'accueil
pour les personnes déplacées par ce conflit.
43. Cette approche visant à atténuer l’impact de la crise des
réfugiés est louable et s’inscrit dans la droite ligne des travaux
de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
de l’Assemblée, en particulier le rapport de 2013 intitulé «Les
réfugiés syriens: comment organiser et soutenir l'aide internationale?»
(
Doc. 13372).
7 Conclusion
44. Il existe trois accords de
coopération entre le Conseil de l’Europe et la BERD: le Mémorandum
d’accord entre la BERD et la Banque de développement du Conseil
de l’Europe, socle de la coopération fructueuse entre les deux Banques;
l’accord conclu par échange de lettres entre le Président de la
Banque et le Président de l’Assemblée parlementaire, fondement du
suivi parlementaire qu’exerce l’Assemblée sur la BERD, et l’accord
formel passé entre cette dernière et le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe, qui n’a jamais débouché sur aucune action concrète
au niveau intergouvernemental, peut-être parce qu’il ne répondait
à aucune préoccupation réelle, ni de la BERD, ni du Conseil de l'Europe.
Je suis cependant d’avis qu’une révision des accords de coopération
n’est pas nécessaire.
45. Nous manquons d’informations pour répondre concrètement à
la question posée dans le titre du présent rapport, à savoir si
le développement de l’économie de marché dans les pays d’opérations
de la BERD contribue de façon positive à la promotion de la démocratie
dans la région, et donc, si le «modèle de la BERD» fonctionne ou
non. Il serait utile que la BERD publie, par exemple, des informations
sur les performances; ceci permettrait de mieux évaluer l’impact
des investissements sur les progrès en termes de démocratie.
46. L’Assemblée parlementaire décide de poursuivre son suivi des
activités de la BERD d’un point de vue politique et de procéder
à une nouvelle évaluation politique de ses activités lorsque cela
s’avérera approprié.