Logo Assembly Logo Hemicycle

Don anonyme de sperme et d’ovocytes: trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants

Réponse à Recommandation | Doc. 14995 | 14 octobre 2019

Auteur(s) :
Comité des Ministres
Origine
Adoptée lors de la 1356e réunion des Délégués des Ministres (9 octobre 2019). 2019 - Commission permanente de novembre
Réponse à Recommandation
: Recommandation 2156 (2019)
1. Le Comité des Ministres a examiné avec attention la Recommandation 2156 (2019) de l’Assemblée parlementaire intitulée «Don anonyme de sperme et d’ovocytes: trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants». Il l’a communiquée au Comité de bioéthique (DH-BIO), au Comité ad hoc pour les droits de l’enfant (CAHENF), au Comité européen sur la transplantation d’organes (CD-P-TO) et au Comité européen de coopération juridique (CDCJ) pour information et commentaires éventuels.
2. Dans sa recommandation, l’Assemblée parlementaire «recommande au Comité des Ministres de faire des recommandations aux États membres afin d’améliorer la protection des droits de toutes les parties concernées, tout en mettant l’accent sur les droits de la personne conçue, qui se trouve dans la position la plus vulnérable et pour laquelle les enjeux semblent être plus importants».
3. Le Comité des Ministres reconnaît les complexités et la nature pluridisciplinaire de cette question importante. Il reconnaît qu’il importe d’examiner la meilleure façon de protéger et promouvoir les droits des enfants conçus par donneur, en tenant compte de l’évolution de la législation et de la diversité des pratiques dans les États membres. Il convient aussi avec l’Assemblée que le droit des personnes conçues par don de connaître leurs origines «n’est pas absolu et doit donc être contrebalancé par les intérêts des autres parties impliquées dans le don de spermatozoïdes et d’ovocytes: principalement les intérêts du ou des donneurs et du ou des parents légaux, mais aussi ceux des cliniques et des prestataires de services, ainsi que ceux de la société et les obligations de l’État».
4. Tout comme l’Assemblée, le Comité des Ministres constate une évolution en faveur de la reconnaissance du droit à connaître ses origines dans le droit international des droits de l’homme. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ont tous deux examiné le droit d’accès aux origines génétiques. Dans plusieurs de ses Observations finales, le Comité des droits de l’enfant a fait des déclarations spécifiques concernant l’application à la procréation assistée des articles 7 et 8 de la Convention relative aux droits de l’enfant, soulignant l’importance de reconnaître le droit des enfants conçus par donneur d’accéder à des informations sur leurs origines génétiques. Ce comité a également exprimé sa préoccupation concernant le fait que les enfants nés grâce à la procréation médicalement assistée ne sont pas en droit de connaître l’identité de leurs parents biologiques. Les arrêts de la CEDH contiennent des orientations quant à l’importance d’équilibrer tous les droits, sans donner la priorité absolue à aucun d’entre eux. Toutefois, une difficulté supplémentaire est de vérifier l’intérêt supérieur de l’enfant dans une situation donnée et, une fois celui-ci établi, de savoir comment s’assurer qu’il est pris en considération prioritairement, tout en tenant compte des droits et des intérêts de tous les autres acteurs concernés.
5. Gardant à l’esprit le fait qu’il existe actuellement une grande diversité de législations et de pratiques dans les États membres du Conseil de l’Europe en matière de procréation médicalement assistée, comme le fait remarquer l’Assemblée parlementaire, le Comité des Ministres estime que toute proposition de réglementation dans ce domaine particulièrement sensible devrait reposer sur un examen attentif de toutes les implications des dons anonymes de gamètes sur les plans éthique, juridique et sociétal, qu’elle devrait prendre dûment en compte les conséquences d’une évolution des pratiques nationales et ne devrait pas être juridiquement contraignante. Ces conséquences peuvent concerner notamment les répercussions potentielles sur l’offre et la disponibilité de gamètes et d’embryons, la destinée des gamètes et embryons cryoconservés issus d’un don antérieur à une éventuelle évolution législative et l’impact potentiel de ces révélations sur les donneurs, mais également sur leur famille et leurs enfants.
6. Le Comité souhaite également attirer l’attention de l’Assemblée sur les préoccupations et commentaires correspondants des comités consultés sur cette question, en particulier au sujet des principes énoncés au paragraphe 7 de la recommandation, tels qu’ils figurent en annexe à la présente réponse.
7. Enfin, étant donné l’importance de cette question et l’évolution des législations et pratiques des États membres en la matière, le Comité des Ministres invite le CDCJ à examiner, dans le cadre de ses futures activités et en consultation avec le DH-BIO, le CD-P-TO et le CAHENF, s’il est faisable et souhaitable d’élaborer un projet de recommandation ou un autre instrument non contraignant pour aider les États membres à protéger les droits des personnes conçues par don à connaître leurs origines, tout en assurant un équilibre avec les intérêts et les droits des autres parties impliquées dans le don de sperme et d’ovocytes, ainsi qu’avec les intérêts de la société et les obligations de l’État.

Annexe à la réponse (avec extraits des commentaires des comités)

Commentaires du Comité européen sur la transplantation d’organes (Accord partiel) (CD-P-TO)

[…]

Le CD-P-TO pense qu’il est nécessaire d’encourager un débat public éclairé et de grande envergure sur les conséquences du don anonyme de gamètes du point de vue médical, sociétal et éthique et, surtout, sur celles de l’évolution des pratiques nationales. Ces dernières comprennent notamment les potentielles répercussions sur l’approvisionnement en gamètes et en embryons et sur leur disponibilité, la destinée des gamètes et embryons cryoconservés issus d’un don antérieur à une éventuelle évolution législative et l’impact potentiel de ces révélations sur les donneurs, mais également sur leurs familles et enfants.

Comme le signale à juste titre l’Assemblée, «[i]l existe actuellement une grande diversité des législations et des pratiques des États membres du Conseil de l’Europe en matière de procréation médicalement assistée». Le CD-P-TO souligne à quel point il est important d’améliorer les pratiques pour garantir la mise en place de normes très exigeantes pour la protection des donneurs, des bénéficiaires d’un traitement de procréation médicalement assistée et des personnes conçues par don. Dans ce sens, la marge de progression est grande, en particulier en ce qui concerne l’indemnisation des donneurs – qui ne devrait pas faire office d’incitation au don -, la protection des donneurs via un suivi médical à long terme et la création de registres nationaux, voire internationaux, des donneurs de gamètes. Ces registres devraient contenir notamment des informations sur la ou les cliniques dans lesquelles le donneur a fait un ou des dons et sur le nombre d’enfants conçus à partir de son ou d’un de ses dons. Ils permettraient également, si nécessaire, de retrouver la trace des personnes conçues à partir de son ou d’un de ses dons dans les différentes cliniques et aideraient ainsi les États, cliniques et prestataires de services à remplir leurs obligations, notamment le besoin de transparence, la traçabilité et le plafonnement du nombre de dons par donneur. Parallèlement, le CD-P-TO invite à la prudence à l’égard de la recommandation de création de registres nationaux des personnes conçues par don, dans lesquels seraient inscrites des personnes n’y ayant pas consenti, et qui risquerait d’interférer avec leurs droits au respect de la vie privée et familiale et à la protection des données. En outre, ces registres s’avéreraient superflus si les registres des donneurs de gamètes susmentionnés étaient créés.

Le CD-P-TO est préoccupé par la recommandation selon laquelle les enfants conçus par don de cellules reproductives devraient être informés, de préférence par l’État, des circonstances de leur naissance, car ceci constituerait une ingérence de l’État dans leur vie privée et familiale. On peut, par ailleurs, se demander si les données personnelles d’éventuels (demi-)frères et sœurs et la possibilité de les contacter devraient être communiquées aux personnes conçues par don, étant donné qu’une règle exigeant la divulgation de leurs données personnelles porterait atteinte à leur droit au respect de la vie privée.

Le CD-P-TO souligne que des analyses d’impact approfondies devraient être menées sur les initiatives susceptibles d’avoir d’importantes répercussions économiques, sociales ou sur la santé, en particulier des propositions législatives. Dans ce cas précis, en raison de la nature très sensible du sujet, une analyse d’impact portant sur la nécessité de mettre en place des mesures et sur les conséquences possibles des solutions disponibles devrait être réalisée avant que le Comité des Ministres finalise toute proposition de nouvelle loi. Cette analyse d’impact, qui devrait être tout particulièrement axée sur les questions de qualité et d’innocuité relatives au don et à la disponibilité des gamètes et embryons issus d’un don, apporterait des éléments permettant d’asseoir et de soutenir le processus de prise de décisions.

Le CD-P-TO s’est engagé à continuer à travailler sur les droits de l’homme et sur les questions médicales soulevées par les techniques de procréation médicalement assistée et rappelle, à ce propos, qu’il met régulièrement à jour son guide sur la qualité et la sécurité des cellules et tissus destinés à des applications chez l’homme. En outre, le CD-P-TO observe l’évolution des pratiques en Europe, examine les questions d’intérêt et contribue à sensibiliser le grand public au don et à l’utilisation de substances d’origine humaine. La publication récente d’une brochure sur le don d’ovocytes résulte de ces travaux.

Commentaires du Comité de Bioéthique (DH-BIO)

[…]

Le DH-BIO apprécie l’initiative prise par l’APCE visant à analyser les problèmes associés à la reproduction assistée avec tiers donneurs, qu’il considère comme particulièrement importants. Il convient avec l’APCE de l’attention particulière qui devrait être apportée aux droits de tout enfant né suite à un recours à une technique de procréation assistée avec un tiers donneur, tout en considérant en même temps les droits et intérêts des autres parties prenantes. Dans ce contexte, il souhaite appeler l’attention sur les réponses à son questionnaire sur l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) et le droit de connaitre ses origines pour les enfants nés après une procédure de PMA, qui sont régulièrement actualisées (doc DH-BIO/INF(2016)4).

Gardant à l’esprit que «[i]l existe actuellement une grande diversité des législations et des pratiques des États membres du Conseil de l’Europe en matière de procréation médicalement assistée», comme le fait observer l’APCE, le DH-BIO estime que toute proposition visant à réglementer ce domaine particulièrement sensible devrait s’appuyer sur un examen attentif de ses implications éthiques, juridiques, sociétales et pratiques, et ne devrait pas être juridiquement contraignante.

Tenant compte de ces considérations, le DH-BIO souhaite appeler l’attention du Comité des Ministres sur les points spécifiques suivants qui devraient faire l’objet d’en examen complémentaire:

Concernant la proposition de lever l’anonymat «pour tous les dons futurs de gamètes dans les États membres du Conseil de l'Europe» et d’«interdire l'utilisation de spermatozoïdes et d'ovocytes donnés anonymement», les considérations qui guident les États membres dans leur approche respective de ces questions devraient être prises dûment en compte.

Le DH-BIO estime nécessaire que des clarifications soient apportées à la proposition de l’APCE prévoyant que l’enfant conçu par don de gamète(s) soit «informé au moment» de ses 16 ans ou 18 ans «de l’existence d’informations complémentaires sur les circonstances de sa naissance» et que ces informations devraient être données «de préférence par l’État». Le DH-BIO souhaite souligner la nécessité de distinguer clairement les informations relatives à la conception de l’enfant de celles relatives à l’identité du donneur, qui peuvent répondre à différentes modalités d’accès par l’enfant conçu par don de gamètes. Le DH-BIO convient que les enfants devraient recevoir dès que possible des informations relatives à leur conception. Les parents sont les mieux placés pour fournir cette information et devraient y être encouragés et le cas échéant soutenus dans ce processus. Toutefois, l’expérience montrant que ce n’est pas toujours le cas, d’autres mécanismes peuvent être envisagés pour assurer l’accès à cette information à la majorité de l’enfant.

Le DH-BIO convient avec l’APCE qu’une éventuelle levée de l’anonymat ne devrait pas avoir de conséquences sur la filiation et que le donneur devrait bénéficier d’indications appropriées et de conseil avant de donner son accord pour un don et que ses gamètes soient utilisées.

Le DH-BIO s’accorde pour considérer que, dans les pays qui décident de la levée de l’anonymat des donneurs, une attention particulière soit portée à la mise en place d’un système de soutien pour accompagner et conseiller les personnes tout au long du processus, y compris l’offre d’une médiation par un personnel qualifié pour des contacts éventuels entre les personnes concernées.

Concernant la proposition faites aux États membres de créer et tenir un registre national des donneurs et des personnes conçues par don, le DH-BIO souhaite appeler l’attention du Comité des Ministres sur le caractère particulièrement sensible des données à caractère personnel relatives à la conception et à l’origine génétique, à l’égard des personnes nées suite à un recours à des techniques de reproduction assistée avec tiers donneur, des(du) donneur(s) concerné(s), ainsi que des personnes de la même famille biologique, et de la famille sociale. Parmi les questions qui devraient faire l’objet d’un examen plus approfondi figurent celle de la sécurité de l’information, y compris dans le cas de flux transfrontière et celle du caractère approprié ou non de l’inclusion dans un registre des enfants conçus grâce à un don, sachant qu’ils n’ont pu y consentir. Ces considérations devraient être étendues aux registres tenus par des établissements privés.

Le DH-BIO est tout à fait en accord avec l’APCE pour considérer que toute réglementation dans ce domaine doit être «sans préjudice de la priorité absolue, qui est que le don de gamètes doit rester un acte volontaire et altruiste commis dans le seul but d'aider les autres, et donc sans aucun gain financier ou avantage comparable pour le donneur». Il souhaite rappeler que cette exigence est établie à l’article 21 de la Convention sur les droits de l’Homme et la biomédecine (STE n° 164, Convention d’Oviedo), qui précise que «Le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit». Dans ce contexte, il souhaite appeler l’attention sur son Guide sur l’interdiction du profit, également adopté par le Comité européen sur la transplantation (CD-P-TO), qui vise à faciliter la mise en œuvre de cet article de la Convention d’Oviedo.

Commentaires du Comité européen de coopération juridique (CDCJ)

[...]

Gardant à l’esprit le fait qu’il existe actuellement une grande diversité des législations et des pratiques des États membres du Conseil de l’Europe en matière de procréation médicalement assistée, comme l’a fait remarquer l’Assemblée parlementaire, le CDCJ estime que toute proposition de réglementation dans ce domaine particulièrement sensible devrait reposer sur un examen attentif de toutes ses implications éthiques, juridiques, sociétales et pratiques et ne devrait pas être juridiquement contraignante.

Plus généralement, le CDCJ note que son projet de Recommandation CM/Rec(2012)… du Comité des Ministres aux Etats membres sur les droits et le statut juridique des enfants et les responsabilités parentales (document CM(2011)158-add1prov) comprend diverses dispositions relatives aux situations dans lesquelles les États permettent la procréation médicalement assistée, en particulier l’accès des enfants aux informations enregistrées concernant leurs origines (principe 4) et les règles en matière de filiation et de contestation du lien de filiation (principes 17 et 18).

Le CDCJ rappelle que lors de leur 1156e réunion (28 novembre 2012), les Délégués du Comité des Ministres ont décidé de reporter l’examen du projet de recommandation en l’absence de consensus au sein du Comité des Ministres, principalement en ce qui concerne l’inclusion dans le projet de recommandation des dispositions susmentionnées sur la procréation médicalement assistée.

[…]

Commentaires du Comité ad hoc des droits de l'enfant (CAHENF)

[…]

En ce qui concerne le principe de la renonciation de l'anonymat pour tous les dons futurs de gamètes dans les États membres du Conseil de l'Europe, et de l'information de l'enfant (à son 16e ou 18e anniversaire), et de tout autre droit et services de soutien dans ce contexte (filiation, droit de contacter le donneur et éventuels demi-frères et sœurs), certains membres du CAHENF ont mis en avant les approches juridiques très différentes qui sont actuellement en vigueur et que toute discussion ultérieure devrait impliquer toutes les parties concernées.

Dans ce contexte, on a fait valoir que, même si des modifications législatives visant à lever l'anonymat du donneur peuvent contribuer à faciliter la divulgation par les parents, il serait difficile de réglementer et d'appliquer la décision des parents de révéler ou pas la vérité à un enfant conçu par donneur. Ces divulgations peuvent concerner des informations que l’enfant a été conçu par donation de gamètes, des informations génétiques et médicales et/ou des informations sur l’identité du donneur. Dans tous les cas, la proposition de l’Assemblée concernant les modalités d’information à fournir (idéalement par l’État) à l’enfant conçu par donneur devrait être clarifiée, y compris les propositions concernant les seuils d’âge pertinents. Il a également été souligné que, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, toute information donnée à l’enfant devrait tenir compte de l’évolution des capacités et du niveau de maturité de l’enfant.

D'autres membres ont souligné l'importance pour l'enfant d'avoir accès à des informations génétiques et médicales, par opposition à l'information sur l'identité des donneurs, en tenant compte notamment de toutes les implications liées à la santé, et ont signalé de nombreux défis dans la pratique concernant le dépistage génétique et la tenue des dossiers médicaux. Le risque d'abus de données des donneurs, des parents et des enfants dans le contexte des méthodes de procréation assistée a également été évoqué, ce qui exige un examen attentif du point de vue de la protection des données, et en particulier des données des enfants conçus par donneur.

Les membres du CAHENF s'entendent sur «l'importance du don de gamètes pour rester un geste volontaire et altruiste» et sur la nécessité de limiter le nombre de dons possibles par un même donneur.

Le CAHENF a estimé que toute proposition de travaux futurs ou de recommandations sur ce sujet devrait faire l'objet d'une évaluation minutieuse de toutes les questions pertinentes, tout en tenant compte de la nécessité de sauvegarder tous les droits de l’enfant (y compris le bien-être émotionnel de l’enfant), de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant et de le promouvoir comme une considération primordiale, tout en accordant un poids adéquat aux droits de toutes les autres parties concernées. Compte tenu des implications interdisciplinaires et la complexité de cette question, le CAHENF s’est déclaré disposé, si nécessaire et requis, à contribuer aux activités futures sur ce sujet, en mettant à disposition son expertise dans le domaine des droits de l’enfant.