Logo Assembly Logo Hemicycle

Aspects juridiques concernant les «véhicules autonomes»

Rapport | Doc. 15143 | 22 septembre 2020

Commission
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
Rapporteur :
M. Ziya ALTUNYALDIZ, Turquie, NI
Origine
Renvoi en commission: Doc. 14839, Renvoi 4442 du 12 avril 2019. 2020 - Commission permanente de octobre

Résumé

La circulation de véhicules semi-autonomes devrait fortement s’intensifier en Europe dans les années à venir; d’aucuns pensent même qu’un véhicule entièrement autonome pourrait être disponible au cours des 10 prochaines années. Ces évolutions soulèvent un certain nombre de questions au sujet de la responsabilité pénale et civile, des obligations imposées aux constructeurs et assureurs et de la future réglementation du transport routier. D'importantes questions d'éthique et de respect de la vie privée se posent également.

Les systèmes modernes de conduite automatisée se distinguent par leur recours à des systèmes d'intelligence artificielle. On s'attend à ce que les véhicules automatisés soient bien plus sûrs que les véhicules conduits par l’homme. La concrétisation de cette possibilité exige l’adoption d’une réglementation adéquate. Pour commencer, cette réglementation doit garantir le plein respect du droit à la vie.

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme propose donc que les implications du développement et de la mise en circulation des véhicules autonomes sur le droit pénal, le droit civil et les droits de l’homme fassent l’objet d’une réglementation conforme aux normes du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme et d’État de droit. Elle propose également que le Comité des Ministres tienne compte de l’impact particulièrement grave que pourrait avoir sur les droits de l’homme le recours à l’intelligence artificielle dans les systèmes de conduite automatisée lorsqu’il évaluera la nécessité et la faisabilité d’un cadre juridique applicable à l’intelligence artificielle.

A Projet de résolutionNote

1. La circulation des véhicules semi-autonomes devrait fortement s’intensifier en Europe dans les années à venir; d’aucuns pensent même qu’un véhicule entièrement autonome pourrait être disponible au cours des 10 prochaines années. Ces évolutions soulèvent un certain nombre de questions au sujet de la responsabilité pénale et civile, des obligations imposées aux constructeurs et assureurs et de la future réglementation du transport routier. D'importantes questions d'éthique et de respect de la vie privée se posent également.
2. Lorsqu’il s’agit d'un véhicule semi-autonome dont le fonctionnement est contrôlé par un système de conduite automatisée (SCA) ou d'un véhicule totalement autonome, le droit pénal n'est pas conçu pour traiter le comportement d’acteurs non humains. Cette situation peut créer un «vide juridique en matière de responsabilité», dans lequel l'être humain présent à bord du véhicule – «l’utilisateur responsable», même s'il ne conduit pas réellement – ne peut être tenu responsable d'actes pénalement répréhensibles et le véhicule lui-même fonctionne conformément à la conception du constructeur et à la réglementation applicable. Il pourrait donc être nécessaire d’adopter de nouvelles approches pour répartir la responsabilité pénale ou prévoir des alternatives à la responsabilité pénale dans le cas où aucun être humain ne peut raisonnablement être tenu responsable.
3. Ces préoccupations valent également à propos de la responsabilité civile des dommages causés par un véhicule dont le fonctionnement est contrôlé par un SCA. Les régimes actuels de responsabilité pour faute peuvent exonérer l'utilisateur responsable de toute responsabilité, puisque celle-ci est transférée au SCA. Il pourrait donc être nécessaire d’adopter une nouvelle approche, comme la responsabilité objective, afin de garantir que les parties lésées soient indemnisées pour les dommages qu'elles subissent.
4. Lorsqu’un véhicule dont le fonctionnement est contrôlé par un SCA enfreint le code de la route, qu’il s’agisse de la commission d’une infraction pénale ou des dommages causés à des tiers, la responsabilité du fabricant peut soulever un certain nombre de questions de responsabilité du fait des produits. Toutefois, la complexité des véhicules autonomes peut rendre difficile la preuve de l'existence et de la nature d'une quelconque faute technique. Là encore, il importe que la future réglementation ne laisse subsister aucun vide juridique en la matière.
5. Ces préoccupations sont étroitement liées aux questions éthiques qui se posent à propos de la technologie des véhicules autonomes. Les conducteurs humains sont régulièrement amenés à prendre des décisions éthiques, et notamment contraints de prendre des décisions de vie ou de mort. Les SCA devront prendre les mêmes décisions, mais selon un cadre éthique défini par leur constructeur. Comme il est possible que les acheteurs de véhicules autonomes préfèrent donner la priorité à leur propre sécurité, la pression concurrentielle que le marché exerce sur les constructeurs risque de ne pas produire les meilleurs résultats au regard de l’utilité générale. Il est sans doute nécessaire que les pouvoirs publics adoptent une réglementation visant à normaliser les choix éthiques implicites retenus dans la conception des SCA, afin de garantir leur compatibilité avec l'intérêt public général.
6. Les SCA sont tributaires des données et génèrent des données, notamment des données personnelles sensibles relatives, par exemple, aux déplacements d'un individu. Les données provenant de véhicules autonomes sont automatiquement partagées avec d'autres véhicules autonomes et avec un système central et peuvent, dans certaines circonstances, devoir être partagées avec les organes de réglementation et les services répressifs. Il sera donc indispensable de veiller tout particulièrement à ménager un juste équilibre entre, d’une part, le traitement des données nécessaire au fonctionnement en toute sécurité des véhicules autonomes et, d’autre part, le respect et la protection de la vie privée des conducteurs, des passagers et des autres utilisateurs.
7. Les SCA modernes se distinguent par leur recours à des systèmes d'intelligence artificielle (IA); les véhicules autonomes modernes sont, en fait, bel et bien des robots. La mise en circulation de véhicules autonomes revient à ce que des robots contrôlés par l’IA soient en charge de projectiles rapides, alors que cette situation peut présenter un risque grave et avéré pour les passagers de ces véhicules et les autres usagers de la route. On s'attend à ce que les véhicules autonomes puissent être bien plus sûrs que les véhicules conduits par l’homme. La concrétisation de cette possibilité exige l’adoption d’une réglementation adéquate. Pour commencer, cette réglementation doit garantir le plein respect du droit à la vie, et notamment l’obligation positive de prévenir les menaces prévisibles et évitables.
8. L’Assemblée parlementaire estime que les normes éthiques et réglementaires applicables à l’IA en général devraient également être appliquées à son utilisation dans les véhicules autonomes. Elle considère par conséquent que les travaux menés par le Comité ad hoc sur l'intelligence artificielle (CAHAI) sur un possible cadre juridique de l’IA seront particulièrement pertinents et prend note des importantes contributions aux travaux dans ce domaine d’autres organisations internationales, dont l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Union européenne et les organes des Nations Unies.
9. Lorsque des véhicules totalement autonomes, conçus pour respecter les règles de la circulation routière et éviter toute collision, seront disponibles, le législateur devra résoudre les problèmes posés par leur coexistence avec des véhicules conduits par l’homme, qui ne respecte pas toujours ces règles. Il appartiendra au législateur démocratique de définir l'équilibre le plus adapté entre la minimisation du nombre de victimes d'accidents et la fluidité de la circulation.
10. L'Assemblée conclut que les considérations qui précèdent donnent lieu à une série de nouveaux défis pour les régimes réglementaires. Elle prend note des travaux en cours dans les organismes de réglementation spécialisés, notamment le Groupe de travail sur les véhicules autonomes et connectés (GRVA) de la Commission économique des Nations Unies pour l'Europe, qui aborde toute une série de questions techniques essentielles, ainsi que l'Union européenne et différentes autorités nationales. Elle observe également, au sein du Conseil de l'Europe, les travaux menés actuellement par le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) sur «Intelligence artificielle et responsabilité pénale dans les États membres du Conseil de l'Europe – le cas des véhicules autonomes».
11. En conséquence, l’Assemblée appelle:
11.1 les États membres du Conseil de l’Europe à veiller à ce que les implications du développement et de la mise en circulation des véhicules autonomes sur le droit pénal, le droit civil et les droits de l’homme fassent l’objet d’une réglementation conforme aux normes du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme et d’État de droit, et notamment au respect du droit à la vie, de la vie privée et du principe de sécurité juridique;
11.2 le GRVA à procéder à une évaluation de l’impact sur les droits de l’homme à l’occasion de ses travaux préparatoires sur la future réglementation des véhicules autonomes, qui s’inscrit dans un cadre général approfondi visant à garantir la meilleure sécurité possible lors de la conception et de la production à venir de véhicules autonomes;
11.3 le CDPC à veiller à recenser et à combler les éventuelles lacunes de l’applicabilité du droit pénal au fonctionnement des véhicules autonomes;
11.4 le CAHAI à accorder une attention particulière à l’application de l’IA aux SCA, particulièrement en cas de conséquences néfastes sur la jouissance des droits de l’homme fondamentaux, au cours de son recensement des risques et des opportunités de l’IA et à l’occasion de son examen de la faisabilité d’un cadre juridique.

B Projet de recommandationNote

1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2020) sur les Aspects juridiques concernant les véhicules «autonomes». Elle rappelle que cette résolution a été adoptée alors que des travaux pertinents étaient en cours au sein du Conseil de l’Europe, menés par le Comité ad hoc sur l'intelligence artificielle (CAHAI).
2. L’Assemblée appelle par conséquent le Comité des Ministres à tenir compte de l’impact particulièrement grave que pourrait avoir sur les droits de l’homme le recours à l’intelligence artificielle dans les systèmes de conduite automatisée lorsqu’il évaluera la nécessité et la faisabilité d’un cadre juridique applicable à l’intelligence artificielle.

C Exposé des motifs par M. Altunyaldiz, rapporteur

1 Introduction

1.1 Contexte

1. La proposition de résolution (Doc 14839) que j’ai déposée le 7 mars 2019 et sur laquelle se fonde le présent rapport a été renvoyée en commission le 12 avril 2019. La commission m’a ensuite nommé rapporteur le 29 mai 2019. La commission a procédé, lors de sa réunion des 14 et 15 novembre 2019 à Berlin, à une audition d’experts: Mme Theodora Hamsen, ministère fédéral allemand des Transports et des Infrastructures numériques; le professeur Sahin Albayrak, directeur exécutif du Distributed Artificial Intelligence Lab (DAI-Lab), Berlin; et M. Connor Champ de l’Équipe de droit public/véhicules automatisés, Commission du droit, Londres. J’aimerais remercier chacun de ces trois experts de leur contribution à l’élaboration du présent rapport. J’avais l’intention d’effectuer une visite d’étude dans un centre de recherche sur la technologie des véhicules autonomes, mais la pandémie de covid-19 a malheureusement rendu ce projet impossible.
2. Les progrès techniques sont tels que la circulation de véhicules semi-autonomes est déjà une réalité. Comme l’indique la proposition de résolution, la circulation accrue de véhicules semi-autonomes et la circulation prévue de véhicules totalement autonomes soulèvent toutes deux des questions relatives à la responsabilité pénale et civile, aux obligations des constructeurs et à la future réglementation du transport automobile qui devront être traitées par les législateurs nationaux des États membres du Conseil de l’Europe et d’autres pays. À ces questions d’ordre juridique viennent se mêler un certain nombre de considérations éthiques et de protection de la vie privée dont il faudra également tenir compte.
3. La course au développement de véhicules de plus en plus autonomes a causé son premier décès en mai 2016. Un conducteur circulant dans une Tesla en mode pilotage automatique s’est encastré dans un grand camion à 18 roues qui lui a coupé la route, car la voiture autonome n’avait pas détecté la remorque blanche du camion en raison de la forte luminosité ambiante. L’enquête menée par l’autorité américaine en charge de la sécurité routière (National Highway Traffic Safety Administration) a conclu que l’entreprise Tesla était dégagée de toute responsabilitéNote. Le premier piéton a été tué en mars 2018, lorsqu’une Volvo XC90 utilisée par Uber pour tester sa technologie de conduite autonome a percuté une passante. La voiture avait détecté la piétonne, mais son système de freinage d’urgence avait été désactivé. Le parquet a conclu que la responsabilité pénale d’Uber n’était pas engagée. Il n’est pas impossible en revanche que la conductrice de sécurité présente dans le véhicule fasse l’objet de poursuites pénalesNote.
4. Les enjeux sont de plus en plus importants et la technologie de la conduite assistée est en constante évolution. Toutefois, de nombreux progrès technologiques et réglementaires restent à faire avant que des véhicules entièrement autonomes ne soient commercialisés et autorisés à rouler sur la voie publique. Le Conseil consultatif européen chargé de la recherche sur les transports routiers (European Road Transport Research Advisory Council – ERTRAC) prévoit que des navettes et des autobus entièrement automatisés circuleront d’ici 2030 dans des conditions urbaines définies, tandis qu’il faudra attendre après 2030 pour voir des voitures particulières entièrement automatisées sur les routesNote.

1.2 Principales notions de l’automatisation des véhicules

5. Les véhicules équipés de systèmes de conduite automatique sont généralement regroupés sous le terme de «véhicules autonomes». Toutefois, pour bien appréhender l’ensemble des enjeux éthiques et juridiques, il est important de bien distinguer les différents niveaux d’autonomie de ces véhicules. SAE International (anciennement Society of Automotive Engineers) a défini six niveaux d’automatisation de la conduite dans son référentiel aux consommateurs J3016, une norme internationale désormais largement admiseNote.
6. L’échelle d’automatisation s’étend du niveau 0, où le véhicule est entièrement piloté par l’homme, au niveau 5, où le véhicule est totalement autonome en toute circonstance et où l’intervention de l’homme n’est plus nécessaire. Entre ces deux classifications se trouvent la conduite assistée, avec notamment la direction assistée ou le système antiblocage de freins (niveau 1); l’automatisation partielle, par exemple le système de freinage automatique pour détecter et éviter les collisions imminentes (niveau 2); l’automatisation conditionnelle, où le système va plus loin en appréhendant l’environnement du véhicule et en déclenchant l’intervention du conducteur (niveau 3); et l’automatisation élevée, où le système est capable de contrôler le véhicule, même en l’absence de toute intervention humaine (niveau 4). Le terme technique «véhicule semi-autonome» renvoie aux niveaux 3 et 4 d’automatisation. Mon rapport porte principalement sur les véhicules semi-autonomes, mais il évoquera aussi les questions juridiques que soulèvent les véhicules totalement autonomes (niveau 5).
7. Actuellement, le niveau maximal d’automatisation des véhicules accessible au public est le niveau 3. Ces véhicules sont capables de détecter des objets dans leur environnement, mais nécessitent encore une reprise en main par le conducteur. Le conducteur doit rester alerte et reprendre le contrôle du véhicule si le système n’est pas capable d’accomplir une tâche. Les technologies de niveau 4 existent sous forme de prototype et sont actuellement en phase de test. Certains constructeurs affirment que leurs derniers modèles intègrent déjà des technologies de niveau 4, bien que cette affirmation semble reposer sur une interprétation généreuse de la définition et ne soient pas admises par les experts indépendantsNote. Ces véhicules sont capables d’intervenir en cas de défaillance du système et ne requièrent plus d’intervention humaine dans la plupart des situations. Toutefois, le conducteur peut à tout moment reprendre la main sur le véhicule. Ce type de technologie est déjà utilisé à l’heure actuelle, mais uniquement sur des itinéraires prédéfinis et dans des conditions bien spécifiques. Par exemple, des navettes utilisant des technologies de niveau 4 circulent déjà dans certaines résidences pour retraités, campus universitaires ou aéroports. La circulation de véhicules entièrement automatisés (niveau 5) n’est pas possible actuellement.

2 Véhicules autonomes et intelligence artificielle

8. Les véhicules autonomes modernes sont entièrement dépendants des systèmes d'intelligence artificielle (IA). Les systèmes sensoriels de pointe, notamment le LiDAR (Light Detection And Ranging) et le radar, fournissent des informations détaillées à 360° sur l'environnement opérationnel du véhicule. Ces informations, ainsi que celles qui proviennent des systèmes de positionnement par satellite et des cartes numériques embarquées, doivent être traitées de manière à permettre au véhicule de définir sa position, de planifier et suivre un itinéraire et de reconnaître, en réagissant de manière appropriée, les différents types de marquages, comme les panneaux de signalisation et les lignes au sol, et les dangers qui se présentent, tels que les obstacles réels et même ceux qui peuvent survenir sur le trajet du véhicule, notamment les autres usagers de la route (véhicules motorisés, cyclistes et piétons). Ce traitement est effectué par des algorithmes d'apprentissage automatique de l’IA, formés par d'énormes ensembles de données antérieures et qui affinent constamment leurs propres résultats grâce à une expérience accrue de la réalité (y compris celle des autres véhicules qui utilisent le même système). Dans le cadre de l'automatisation de niveau 3 et au-delà, le système d'IA a un contrôle total du véhicule pendant au moins une partie du temps; les décisions qu'il prend peuvent littéralement être une question de vie ou de mort (d’êtres humains). Comme nous l’avons indiqué plus haut, des accidents mortels ont déjà eu lieu, y compris au niveau 3 d'automatisation et lors des tests (théoriquement) supervisés par l'homme des systèmes de niveau 4.
9. Le professeur Albayrak a souligné une différence importante dans la manière dont les futurs systèmes de véhicules autonomes pourraient être développés. Les projets les plus connus – Waymo de Google ou Tesla, par exemple – concernent des véhicules «intelligents» qui circulent sur des routes «stupides» et dépendent par conséquent entièrement de leurs propres capacités de détection et de traitement des données. Le professeur Albayrak élabore une approche différente, où la technologie est intégrée non seulement au véhicule, mais aussi à la route et à son infrastructure. Des caméras statiques et d'autres capteurs surveillent la route elle-même et sa circulation; cette infrastructure et les véhicules automatisés forment un système intégré unique qui échange des données avec un système informatique central. L'équipe de recherche du professeur Albayrak expérimente actuellement les éléments de ce système sur une piste d'essai en situation réelle dans le centre de Berlin. Les avantages de ce système intégré pour la gestion globale de la circulation semblent évidents, en particulier en cas de circulation urbaine dense, bien que le coût de ses infrastructures fixes et son utilité relative puissent le rendre moins pertinent sur les routes de campagne, par exemple. Cela dit, comme l'a souligné M. Champ, on peut légitimement s’interroger également sur l'adéquation des systèmes de niveau 4/5 pour la circulation sur petites routes rurales, où les conditions de circulation sont très différentes et présentent d’autres difficultés qu’en ville.
10. Les véhicules automatisés sont, en fait, des robots: une machine essentiellement autonome, contrôlée par ordinateur, conçue pour exercer une fonction particulière de manière autonome. Le fait de confier à des robots la tâche de transporter des passagers sur le réseau routier public a d'énormes conséquences en matière de sécurité. En 2018, les routes des États membres de l'Union Européenne comptaient 268 millions de voitures, plus de 33 millions de camionnettes et 6,6 millions de camionsNote; plus de 25 000 personnes ont trouvé la mort sur ces mêmes routesNote. La mise en circulation de véhicules automatisés conduit à charger l'IA du contrôle de projectiles rapides qui transportent des passagers, alors que cette situation peut présenter un risque grave pour les passagers de ces véhicules et les autres usagers de la route. On s'attend évidemment à ce que les véhicules automatisés soient plus sûrs que les véhicules conduits par l’homme. Mais de nombreuses mesures réglementaires et de précaution doivent être prises avant que cette sécurité puisse être garantie. Du point de vue des droits de l'homme, il sera donc essentiel de veiller à ce que les véhicules automatisés et les systèmes d'IA qui les contrôlent soient réglementés de manière à garantir le plein respect du droit à la vie, et notamment l’obligation positive de prévenir les menaces prévisibles.
11. Le Conseil de l'Europe a déjà commencé à travailler sur les questions de droit pénal relatives à l'application de l'IA dans les systèmes de véhicules autonomes. Nous examinerons plus loin et plus en détail ces travaux, qui se déroulent au sein de l’organe intergouvernemental qu’est le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC).
12. Parallèlement aux travaux du CDPC, en septembre 2019, le Comité des Ministres a créé le Comité ad hoc sur l'intelligence artificielle (CAHAI), autre organe intergouvernemental. Le CAHAI a été chargé d'examiner la faisabilité et les éléments possibles d'un cadre juridique applicable à la conception, au développement et à l'application de l'intelligence artificielle. Ses travaux se fondent sur les normes du Conseil de l'Europe en matière de démocratie, de droits de l'homme et d’État de droit, ainsi que sur d'autres instruments juridiques internationaux pertinents et sur les travaux en cours au sein d'autres organisations internationales et régionales. Outre les participants habituels, qui représentent les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe et d'autres organes du Conseil de l'Europe (y compris l'Assemblée), le CAHAI bénéficie d'un niveau de participation exceptionnellement élevé de représentants d'organismes du secteur privé, de la société civile et d’établissements de recherche et universitaires.
13. Le CAHAI a tenu sa première réunion du 18 au 20 novembre 2019. Il a notamment décidé que figurerait, parmi les éléments essentiels de la future étude de faisabilité, une «cartographie des risques et des opportunités découlant du développement, de la conception et de l'application de l'intelligence artificielle, y compris l'impact de cette dernière sur les droits de l'homme, l'État de droit et la démocratie». Le CAHAI prévoit actuellement d'adopter l'étude de faisabilité lors de sa troisième réunion, prévue en décembre 2020.
14. C'est dans ce contexte institutionnel que l'Assemblée débattra du présent rapport et des divers autres rapports relatifs à l’IA actuellement en préparation dans différentes commissions. L'Assemblée a choisi d'aborder le sujet de manière contextuelle, en examinant l'impact de l’IA dans divers domaines. La commission des questions juridiques et des droits de l'homme, par exemple, a également consacré des rapports à l'impact de l’IA sur la police et le système de justice pénale, sur la technologie des interfaces cerveau-machine et sur les systèmes d’armes létales autonomes (ce dernier se trouve aux premiers stades de son élaboration). Les recommandations que l'Assemblée pourrait adopter sur la base de ces rapports fourniront donc au CAHAI des éléments d’orientation importants pour la cartographie des risques et des opportunités de l’IA et de son impact sur les droits de l'homme, l'État de droit et la démocratie, ainsi que pour déterminer ensuite la nécessité d'un cadre juridique international contraignant.
15. Il convient de noter que d’autres organisations internationales réfléchissent également à la réglementation éthique et/ou juridique de l’IA, dont les priorités et les approches varient en fonction de leur point de vue institutionnel. En Europe, l’Union Européenne a par exemple élaboré une Stratégie européenne de l’intelligence artificielle, qui est mise en œuvre avec l’assistance d’un Groupe d’experts de haut niveau sur l’intelligence artificielle; l’OCDE a quant à elle adopté les Principes sur l’intelligence artificielle, qui présentent une forte composante éthique.
16. En outre, des informations générales sur l’IA, notamment une présentation et un examen des principes éthiques applicables sont disponibles en annexe au présent rapport

3 Préoccupations d’ordre éthique

17. L’introduction et la prolifération éventuelle de véhicules semi-autonomes et autonomes soulèvent un certain nombre de questions éthiques. Conduire ne se résume pas à suivre le code de la route. Les conducteurs sont régulièrement appelés à prendre, en fait, des décisions éthiques, en particulier dans des situations de «choix forcé», comme certaines collisions inévitablesNote. La capacité décisionnelle et les fonctions de la technologie augmentent avec le niveau d’automatisation. Les machines seront programmées au moyen d’algorithmes sophistiqués de choix forcé pour leur permettre de prendre des décisions éthiques, comme celle de savoir s’il est préférable de percuter deux piétons ou deux cyclistes. Les hypothèses éthiques inhérentes à de tels algorithmes peuvent être problématiques. Il existe un débat autour de la définition des critères de décision de ces algorithmes et de la question de savoir si les gouvernements doivent réglementer ces critères pour les uniformiser ou fixer une norme morale minimale. Plusieurs facteurs pourraient entrer en ligne de compte en cas d’accident inévitable, comme le nombre de personnes concernées, la gravité et la probabilité des différents types de blessures, voire, éventuellement, des caractéristiques personnelles telles que l’âge ou le handicap.
18. L’une des principales préoccupations éthiques en lien avec le développement des technologies de conduite autonome est que, d’un point de vue commercial, il peut être plus avantageux pour les constructeurs de concevoir des véhicules qui privilégient la sécurité de la voiture et de ses passagers, car les gens préféreront acheter une voiture qui les protège. Or, d’un point de vue plus généralement utilitaire, ce choix ne se traduira pas toujours par la ligne de conduite la plus éthique. Il est nécessaire de trouver le juste équilibre entre, d’une part, la liberté d’innover des constructeurs et leur désir de réaliser des bénéfices commerciaux, et d’autre part, les préoccupations générales en matière de sécurité publique.
19. D’un point de vue socioéconomique, l’accessibilité des technologies de conduite autonome pose question. L’un des principaux avantages du développement de véhicules autonomes devrait être la réduction du nombre d’accidents de la circulation, puisque plus de 90 % des accidents de la route sont imputables à une erreur humaineNote. Cette réduction devrait logiquement se traduire par une baisse des primes d’assurance pour les propriétaires de véhicules semi-autonomes et autonomes. À l’heure actuelle toutefois, ces nouvelles technologies ne sont abordables que pour les membres les plus riches de la société, ce qui signifie que les personnes issues de classes socioéconomiques défavorisées sont plus susceptibles de conduire des voitures moins sûres et de voir leur prime d’assurance augmenter, au moins relativement.
20. La pertinence et la signification des grands principes éthiques applicables aux véhicules autonomes font l’objet d’un large consensus, y compris au niveau international; mais la difficulté consistera à assurer la traduction de ce consensus en une réglementation tout aussi largement admise et mise en œuvre.

4 Les questions de responsabilité

21. En cas de dommages causés par un véhicule semi-autonome ou autonome, la question se pose inévitablement de savoir qui peut être tenu pénalement ou civilement responsable, et dans quelles circonstances. La réponse à cette question dépendra invariablement du niveau d’automatisation de la conduite. En ce qui concerne les véhicules de niveau 3 ou 4, le problème de la responsabilité est particulièrement délicat pendant les phases de transition entre le mode de conduite automatique et le mode manuel. Dans le cas des véhicules de niveau 5, la question de savoir si la décision finale de transférer ou de prendre le contrôle incombe au conducteur humain ou à la machine peut aussi être source de litige.

4.1 Responsabilité pénale

22. La difficulté de traiter le «comportement criminel» d’éléments non humains est considérée par le CDPC comme une préoccupation majeure du droit pénal moderneNote. Lorsqu’une machine, et non une personne, conduit une voiture, il existe un risque de voir émerger un «vide de responsabilité». La notion de culpabilité intentionnelle (ou mens rea) est essentielle dans les systèmes européens de droit pénal. Lorsqu’un accident implique un véhicule semi-autonome, il peut être extrêmement difficile de répartir la responsabilité entre le conducteur et le système automatisé. À l’heure actuelle, dans la plupart des États européens, si un accident se produit alors qu’une technologie de conduite assistée est utilisée, le conducteur peut toujours être poursuivi pour négligence, car il a l’obligation de contrôler le système. En l’absence de négligence de la part du conducteur, le constructeur peut être tenu pénalement responsable. Pour ce qui est des niveaux 3 et 4 d’automatisation, la législation devra définir précisément, en se fondant sur les principes énoncés au niveau international, la limite exacte entre, d’une part, l’engagement de la responsabilité du conducteur humain (et donc de son éventuelle responsabilité pénale) et, d’autre part, son absence de responsabilité.
23. À l’avenir, si les technologies de niveau 5 arrivent sur le marché, de nouveaux moyens d’établir la culpabilité (la responsabilité pénale) devront être mis au point en droit de la procédure pénale, éventuellement en même temps que la création de nouvelles infractions en droit pénal général. Cette situation peut également conduire à se demander si une entité non humaine, c’est-à-dire l’IA chargée de la conduite du véhicule, devrait voir sa responsabilité pénale engagée, peut-être au même titre qu’une entreprise dont la responsabilité est engagée en sa qualité de «personne morale». Il est clair que ce choix aurait de nouvelles conséquences théoriques et juridiques extrêmement complexes.
24. Par ailleurs, toutes les questions relatives au droit pénal et aux technologies de conduite autonome ne concernent pas uniquement les accidents causés par ce type de véhicules. L’atténuation de la responsabilité du conducteur pourrait également avoir une incidence sur l’applicabilité d’autres infractions, comme la conduite en état d’ébriété ou l’utilisation de téléphones portables au volant. À cet égard, les différents niveaux d’automatisation de la conduite rendent difficile l’élaboration d’un système complet de réglementation.
25. La Commission du droit britannique entreprend en ce moment des travaux exploratoires détaillés sur les défis juridiques posés par la mise en circulation de véhicules autonomes, et notamment sur ses implications en matière de droit pénal. Dans le cadre d'une série de consultations publiques, la Commission du droit a demandé aux parties concernées de formuler leurs observations sur un large éventail de questions et de propositions en vue d’une future réglementation des véhicules autonomes. Ces travaux révèlent le large éventail de défis nouveaux et parfois surprenants qui se posent en matière de réglementation pénale des véhicules autonomes, par exempleNote:
  • Pour les niveaux d'automatisation 3 et 4, où subsiste un «utilisateur responsable» humain (pour reprendre l'expression de la Commission du droit), le problème de la distraction des conducteurs, qui les amène par voie de conséquence à ne pas avoir conscience de la situation et à réagir avec un temps de retard, est prévisible, mais la plupart des commentateurs pensent qu'il ne devrait pas y avoir «d'assouplissement de la législation qui vise à lutter contre la distraction au volant». Les constructeurs, cependant, «sont favorables à l'idée d'autoriser [l’utilisateur responsable à pratiquer] certaines activités autres que la conduite».
  • En cas d'accident survenu alors que le système de véhicule autonome était clairement en fonction, les assureurs auraient besoin d'avoir accès aux données relatives à cet accident. En l'absence de déclaration automatique des accidents (par le système de véhicule autonome lui-même), on peut se demander si l'utilisateur responsable ou le propriétaire assuré doit être tenu de déclarer l'accident et, si tel est le cas, dans quel délai.
  • Lorsque le système d’IA était en fonction au moment de l’infraction au code de la route, la Commission du droit propose que la police saisisse de ces questions une autorité de régulation qui ait le pouvoir d'appliquer des sanctions réglementaires à «l’entité du système de conduite automatisée» (une entité qui se désignera elle-même et qui peut être, en pratique, l'organisme qui a soumis le système de conduite automatisée à une approbation administrative, par exemple le constructeur). Cette solution permettra de contourner la question de savoir si une IA peut être visée par des dispositions de droit pénal normalement applicables aux seuls êtres humains et qui dépendent des notions d'autonomie personnelle et de responsabilité morale.
  • L’opinion est divisée sur la question des exceptions autorisées aux règles de conduite normales: un véhicule automatisé ne doit-il en aucun cas être autorisé à rouler sur le trottoir (par exemple pour permettre le passage de véhicules d'urgence)? Ne doit-il en aucun cas être autorisé à dépasser la limite de vitesse (les associations de conducteurs pensent que cela pourrait être autorisé, jusqu'à un certain point)? Enfin, pourrait-il être autorisé à avancer lentement à travers une foule de piétons (la plupart des commentateurs estiment que cette faculté ne devrait quasiment pas être autorisée; d’aucuns considèrent qu’en pareil cas les véhicules autonomes seraient trop facilement bloqués).
26. Le CDPC du Conseil de l'Europe réalise un projet pluriannuel intitulé «Intelligence artificielle et responsabilité pénale dans les États membres du Conseil de l'Europe – Le cas des véhicules autonomes». Le document de réflexionNote sur lequel repose ce projet débute par des questions extrêmement pertinentes: «si un véhicule totalement autonome blesse ou tue quelqu’un, qui sera responsable? Et depuis que des algorithmes apprenants participent à la conduite, cette question s’est élargie pour devenir la suivante: comment le droit pénal doit-il aborder l’Intelligence Artificielle?». Il fait ensuite observer que «le cadre juridique qui régit aujourd’hui le développement et l’utilisation de véhicules autonomes (ou d’autres applications de l’IA) repose sur des principes normatifs d’avant l’ère du numérique. […] Il pourrait donc être important de fixer des règles déterminant à l’avance les responsabilités pénales potentielles pour veiller à ce que, lorsque par exemple des voitures entrent en collision ou un drone s’écrase, aucun État ne se trouve confronté à une situation juridique incertaine du fait de règles périmées ou inadaptées. […] Sachant que les véhicules autonomes pourraient être largement adoptés dans tous les États membres du Conseil de l’Europe et au-delà, l’Organisation a un rôle à jouer dans le développement général des principes accompagnant le déploiement de l’IA. […] Il conviendra d’aborder plusieurs points, dont la question de savoir comment les différentes approches des essais et des usages des véhicules autonomes peuvent se traduire en «risques tolérables» non pénalisés en droit interne (de même que les différents usages des technologies embarquées), ou encore si un véhicule autonome pourrait en arriver à répondre devant la loi en tant que personne électronique (à l’image des entreprises en tant que personnes morales) ou si la justice pénale doit être «réservée aux humains»».

4.2 Responsabilité civile des dommages

27. En cas de dommages causés par un véhicule semi-autonome ou autonome, la victime peut demander à être indemnisée. En cas d’accident impliquant des véhicules classiques, les dommages ou pertes sont généralement évalués au regard de la responsabilité des usagers de la route impliqués. Il existe un régime de responsabilité pour faute en vertu duquel la partie qui a enfreint par négligence ou délibérément le code de la route est tenue d’indemniser la partie qui a subi un dommage. Ce type de système permet de prévoir une exception en cas d’absence de faute, lorsque le conducteur n’aurait pas pu éviter l’accident. Pour les véhicules semi-autonomes, les possibilités d’utilisation de cette exception sont plus nombreuses dès lors qu’on peut soutenir que le système d’automatisation est responsable des dommages. En outre, pour les véhicules totalement autonomes, le système de responsabilité pour faute aurait pour effet que l’utilisateur du véhicule ne serait jamais tenu d’indemniser la partie ayant subi un dommage, puisqu’il ne contrôle absolument pas le fonctionnement du véhicule.
28. Afin de garantir que les parties lésées puissent être indemnisées pour leurs pertes, nombreux sont les partisans d’un système de responsabilité objective. Ainsi, même en l’absence de preuve d’une faute, le propriétaire ou l’utilisateur du véhicule serait automatiquement responsable de tout dommage. Dans ce cas, l’existence d’une technologie de conduite automatisée n’affecterait pas la responsabilité du propriétaire. En vertu d’un tel système, le constructeur pourrait être tenu de payer une partie de la prime d’assurance de chaque véhicule, tout en limitant sa responsabilité du fait de ses produits. Une autre alternative serait un système d’assurance au premier tiers dans le cadre duquel les victimes de chaque véhicule seraient indemnisées directement par l’assureur de ce véhicule, tandis que les usagers de la route non motorisés (piétons, cyclistes, etc.) seraient toujours protégés par la responsabilité civile. Dans ce système, les dommages causés par la technologie de conduite assistée seraient automatiquement indemnisés par l’assureur du véhicule impliqué.
29. La pertinence de ces différents régimes dépendra du niveau d’automatisation des véhicules. Elle indiquera dans quelle mesure on peut raisonnablement s’attendre à ce que le conducteur et l’assureur assument la responsabilité des dommages causés, selon le degré de contrôle que le conducteur a exercé, ou aurait dû exercer, sur le comportement du véhicule. Au Royaume-Uni, la loi sur les véhicules automatisés et électriques (Automated and Electric Vehicles Act 2018) est un exemple de bonne pratique dans ce domaine et comprend une liste complète clarifiant la responsabilité des propriétaires de véhicules et des assureurs en cas d’accident dans un large éventail de circonstancesNote.

4.3 Responsabilité du fait des produits

30. Étant donné que le conducteur a moins de contrôle sur le comportement d’un véhicule semi-autonome que sur un véhicule classique, les dommages sont généralement imputables au constructeur, qui peut alors être poursuivi en justice sur la base de la responsabilité du fait des produits. Toutefois, la technologie de la conduite automatisée soulève un certain nombre de préoccupations spécifiques par rapport aux règles actuelles de la responsabilité du fait des produits.
31. La présentation des véhicules semi-autonomes a déjà donné lieu à des problèmes de pratiques commerciales trompeuses. Par exemple, le système de conduite assistée Pilot Assist de Volvo avait d’abord été présenté dans la partie «conduite autonome» du site internet de l’entreprise, alors que les conducteurs étaient tenus de garder leurs mains sur le volant à tout moment. De telles erreurs peuvent tromper les clients qui ne comprennent pas la complexité de cette nouvelle technologie et les constructeurs pourraient être tenus responsables de tout dommage causé par le fait que ces conducteurs s’appuient sur l’affirmation que les véhicules sont «autonomes». Les constructeurs ne sont responsables que des produits jugés défectueux dans les limites de leur usage raisonnable attendu. Par conséquent, il est nécessaire d’intégrer les facteurs humains dans la mise à l’essai des technologies de conduite assistée, car certains types de comportements négligents sont dans une certaine mesure prévisibles, même avec les nouvelles technologies. Les constructeurs peuvent être tenus responsables des dommages causés par un produit dès lors qu’il aurait dû être adapté à d’autres modèles disponibles au moment de sa commercialisation. Inversement, le moyen de défense fondé sur le «risque de développement» signifie que le constructeur ne peut être tenu responsable si le défaut ne pouvait pas être connu au moment de sa mise en circulation, compte tenu de l’état des connaissances techniques à l’époque. Au vu de la rapidité d’évolution des technologies de conduite assistée, il est donc possible que les consommateurs aient à supporter le poids d’un certain nombre de risques encore inconnus sur le plan scientifique.
32. En outre, la charge de la preuve dans les affaires de responsabilité du fait des produits incombe normalement à la partie lésée. Cependant, la complexité des technologies de conduite assistée rend incroyablement difficile pour une personne ou un assureur le fait de prouver qu’une faute technique est à l’origine d’un accident. Cela risquerait de faire peser une charge excessive sur le consommateur. De même, la mesure dans laquelle le constructeur peut être tenu pénalement ou civilement responsable à l’égard des victimes d’accidents pourrait avoir une incidence sur sa responsabilité envers le consommateur pour lui avoir vendu un produit défectueux, conformément au principe ne bis in idem.

4.4 Préoccupations relatives à l’assurance

33. L’assurance automobile étant obligatoire, les assureurs sont des acteurs clés du développement des technologies de conduite assistée. Ils ont le pouvoir de décider d’assurer ou non les véhicules semi-autonomes et autonomes et de déterminer ainsi leur viabilité commerciale. Actuellement, les assureurs se trouvent dans une position difficile pour fixer le montant des primes pour les conducteurs de véhicules semi-autonomes, car bien que ces véhicules soient conçus pour être plus sûrs que les véhicules classiques, le lancement de cette technologie s’accompagne inévitablement de nouveaux risques et dangers. À long terme toutefois, les primes moyennes devraient diminuer grâce à la réduction du risque d’accident.
34. L’un des moyens dont disposent les assureurs pour régler certains des problèmes liés à la fixation des primes et à la responsabilité consiste à utiliser des systèmes PAYD (pay as you drive, que l’on peut traduire par «payez en fonction de votre conduite») et des boîtes noires. Le système PAYD est un modèle d’assurance qui utilise des systèmes télématiques pour calculer les primes en fonction du comportement de chaque conducteur, et qui pourrait être utilisé pour déterminer sa responsabilité. Cette technologie pourrait être utilisée pour surveiller l’intérieur du véhicule et s’assurer que le conducteur est toujours attentif, même lorsqu’il utilise la technologie de conduite assistée. Les systèmes PAYD sont considérés comme plus équitables, car les utilisateurs paient une prime d’assurance en fonction de leur propre mode de conduite, et des études ont montré qu’ils pouvaient avoir un effet positif sur le comportement des conducteursNote. Toutefois, ce type de surveillance accrue des consommateurs suscite par ailleurs des préoccupations en matière de sécurité et de protection de la vie privée.

5 Les questions de protection de la vie privée et de cybersécurité

35. Les véhicules semi-autonomes et autonomes fonctionnent à l’aide de communications de véhicule à véhicule et de véhicule à infrastructure, de capteurs et de cartes haute définition. Ces technologies leur permettent d’apprendre à partir des autres véhicules et de maximiser la sécurité. Cependant, toutes ces informations constituent aussi une importante collecte de données à caractère personnel, notamment des données relatives à la localisation d’un véhicule, ainsi qu’à celles de son conducteur et de ses passagers. L’insertion, dans les systèmes de sécurité et autres des véhicules, de caractéristiques biométriques comme la reconnaissance des empreintes digitales, du visage et de l’iris, suppose également le traitement et la conservation de données à caractère personnel sensibles. Plusieurs questions demeurent sans réponse au sujet des systèmes d’information utilisés dans les véhicules semi-autonomes, par exemple: quels types de renseignements sont recueillis et pourquoi; qui contrôle ces informations et qui y a accès; et pendant combien de temps sont-elles conservées? Les données enregistrées par les véhicules autonomes avant et pendant les accidents devraient-elles être automatiquement partagées, non seulement avec le système central, mais aussi avec les compagnies d'assurance, ou avec la police et d'autres organismes de régulation ou de contrôle? Au sein de l’Union Européenne (UE), le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est pertinent en la matièreNote. Cette réglementation s’applique à toutes les entreprises qui traitent des données provenant de sujets résidant dans l’UE, quel que soit l’endroit où se trouve l’entreprise. Il convient de trouver le juste équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection de la vie privée des personnes. Une réglementation effective de la protection des données, qui soit également adaptée aux véhicules autonomes ou semi-autonomes connectés, représentera une part importante et indispensable de la réglementation globale des véhicules autonomes.
36. Le fait de charger un ordinateur de la conduite d’un véhicule de passagers suscite par ailleurs des préoccupations en matière de cybersécurité. Les pirates informatiques pourraient prendre le contrôle d’un véhicule par le biais de réseaux sans fil (comme Bluetooth), de systèmes d’accès sans clé, de connexions cellulaires ou autres. Les risques de piratage informatique seraient particulièrement élevés pour un véhicule de niveau 5 où le conducteur humain – plutôt un passager dans ce cas – n’est pas tenu d’intervenir dans les tâches de conduite ni de les contrôler. En outre, les données piratées auraient une valeur financière et pourraient être vendues à des tiers. Ainsi, la sécurisation des systèmes d’information utilisés dans la technologie de la conduite assistée doit être une priorité.

6 La réglementation actuelle en Europe

37. Les États membres du Conseil de l’Europe ont chacun leur propre régime de réglementation des véhicules autonomes et semi-autonomes. De nombreux pays, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont établi une législation particulière pour les technologies de conduite assistée, tandis que d’autres appliquent aux véhicules semi-autonomes la même législation que pour les véhicules classiques. Néanmoins, il existe un certain nombre d’instruments internationaux et régionaux pertinents en la matière. Concernant la spécification des exigences de sécurité des véhicules, on peut faire valoir que l’importance relative des législations nationales spécifiques diminue rapidement, en particulier dans les États membres de l’UE.
38. Comme l'a souligné M. Champ, il existe déjà «une abondante législation» applicable aux véhicules routiers qui émane de différents niveaux de compétence. Cette législation vise une foule de questions, notamment les assurances, la responsabilité du fait des produits, les normes internationales applicables aux véhicules, la responsabilité pénale pour les infractions au code de la route, les sanctions civiles pour les infractions au code de la route, les normes et procédures de contrôle technique, les normes d'information des consommateurs et de commercialisation, les permis de conduire, les procédures d'enquête sur les accidents, la réglementation en matière de protection des données, la réglementation des marchés des taxis et de la location privée, la réglementation des véhicules de service public, les règles générales de circulation (code de la route), etc. Cette législation a été élaborée pour des véhicules non autonomes, ou tout au plus pour les véhicules dotés de certaines fonctions d'assistance au conducteur, mais dont un être humain responsable conserve constamment la maîtrise. Cette distinction entre le conducteur et le véhicule est en train de disparaître et les nouvelles législations et réglementations devront définir si la garantie de la sécurité de la conduite automatisée doit privilégier le conducteur ou le véhicule. Dans certains cas, la technologie résoudra elle-même en grande partie ce dilemme, notamment lorsqu'il s'agira de véhicules totalement autonomes, sans utilisateur responsable (ou tout au plus suivis à distance par un superviseur capable de prendre des décisions dans des circonstances exceptionnelles).
39. Au niveau international, la Convention de Vienne sur la circulation routière de 1968 traite des règles générales de circulation routière. Elle a été signée et ratifiée par 38 États membres du Conseil de l’EuropeNote. L’article 8.5 et l’article 13 prévoient que tous les conducteurs doivent être constamment en mesure de contrôler leur véhicule. En 2016, un nouveau paragraphe a été ajouté à l’article 8 de cette convention pour les véhicules automatisésNote. En conséquence, les véhicules autonomes et semi-autonomes seront considérés comme conformes à la Convention à condition que le système puisse être neutralisé par le conducteur ou qu’il satisfasse aux prescriptions de l’Accord de 1958 de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies (CEE-ONU) et de l’Accord de 1998 sur les Règlements techniques mondiaux (RTM).
40. L’Accord de 1958 de la CEE-ONU a été établi pour faciliter l’adoption de conditions uniformes d’homologation des équipements et pièces automobiles en Europe. L’Accord de 1998 sur les RTM a été conçu pour créer un processus mondial pour ce type d’homologation applicable à tous les pays dans toutes les régions du monde. Une directive a été adoptée au niveau de l’UE pour garantir qu’une fois les véhicules ou les composants de véhicules homologués dans un État membre, ils ne puissent être exclus des marchés des autres États, à moins qu’il soit suffisamment démontré qu’ils constitueraient une menace sérieuse pour la sécurité routièreNote. Cette Directive s’appuie largement sur la réglementation de la CEE-ONU pour les règles de sécurité des véhicules.
41. En 2018, la CEE-ONU a mis en place un Groupe de travail des véhicules automatisés, autonomes et connectés (GRVA). Ce groupe de travail contribue à mobiliser l’expertise d’industries clés et de la société civile pour concrétiser la vision d’une nouvelle mobilité durable et favoriser l’introduction massive de véhicules autonomes sur les routes. Il existe également un certain nombre de groupes de travail informels sur des questions spécifiques de sécurité des véhicules. Le groupe de travail informel sur la fonction de direction à commande automatique (ACSF) a proposé des amendements au Règlement no 79 de la CEE-ONU, afin d’y insérer des dispositions sur la technologie ACSFNote. Les amendements adoptés prévoient notamment qu’en cas d’intervention de l’ACSF, le conducteur doit pouvoir prendre le contrôle du véhicule en moins de quatre secondes; la prise de contrôle manuel doit être immédiate et le véhicule doit être en mesure de rester sur sa voie, maintenir une certaine distance et gérer les situations de choc arrière sur autoroute.
42. L’UE a également adopté des instruments qui réglementent l’appropriation des risques liés à l’utilisation des véhicules à moteur. Les deux principaux textes législatifs qui régissent la responsabilité sont la Directive sur l’assurance automobile et la Directive sur la responsabilité du fait des produitsNote. Les règles matérielles en matière de responsabilité pour les dommages résultant d’accidents impliquant des véhicules à moteur ne sont pas harmonisées au niveau de l’UE. La Directive sur l’assurance automobile ne prescrit qu’une assurance responsabilité civile minimale. Les véhicules autonomes répondent à la définition de «véhicule» énoncée à l’article 1 de cette directive et sont donc automatiquement visés par ses dispositionsNote. La Directive sur la responsabilité du fait des produits établit des règles relatives à la responsabilité des producteurs et aux droits des consommateurs. Elle est fondée sur un régime de responsabilité sans faute, ce qui signifie que le fabricant d’un produit défectueux doit indemniser les dommages corporels causés par son produit, indépendamment de la négligence d’une personneNote. La présentation du produit, son usage raisonnablement attendu et le moment où il a été mis sur le marché sont autant d’éléments décisifs pour déterminer s’il est «défectueux»Note. Il existe une liste limitée de dérogations permettant l’exonération de la responsabilité du fait des produitsNote. Toutefois, cette directive prend uniquement en compte la responsabilité des producteurs de produits défectueux, ce qui peut ne pas être suffisant pour aborder la responsabilité d’un fabricant pour les dommages causés par des véhicules autonomes et semi-autonomes. En outre, dans le cadre de ce régime, le coût des risques scientifiquement inconnus serait pris en charge par la partie lésée.
43. Mme Hamsen nous a expliqué l'approche de la réglementation des véhicules autonomes adoptée par les autorités en Allemagne, le pays européen qui possède le plus grand secteur de construction automobile. Depuis 2017, la législation en matière de sécurité routière autorise l’automatisation jusqu'au niveau 3, qui, dans certains cas, ne nécessite pas l'intervention du conducteur. Cette législation a été bénéfique pour l'industrie automobile, car elle a apporté clarté et sécurité aux investissements. Elle indique clairement quand le conducteur humain peut être soumis à l’obligation «adaptée» de faire attention à la circulation et à quelles conditions préalables. Si les conditions ne sont pas remplies, le conducteur reste responsable en cas d'accident. Parmi ces conditions techniques préalables figure l’existence d’un système capable de respecter les règles et la réglementation habituelle en matière de circulation qu'un conducteur humain est tenu d’observer. Ce système doit être décrit dans la réglementation internationale applicable en Allemagne ou une demande d'exemption de la législation européenne doit être déposée. Il n'existe pas encore de réglementation internationale relative aux systèmes de véhicule autonome; le GRVA (voir ci-dessus) devrait faire des propositions mais, selon Mme Hamsen, il n'achèvera probablement pas ses travaux avant l'année prochaine. Si la description technique du système par le constructeur indique que le véhicule est équipé d'un système d'automatisation de niveau 3 et qu'il est en mesure de respecter le code de la route, son conducteur est autorisé à céder le contrôle de la voiture au système de véhicule autonome, bien que le conducteur doive toujours être en mesure de surveiller la situation et de reprendre le contrôle si les conditions préalables qui permettent de faire confiance au système de véhicule autonome ne sont plus remplies.

7 Conclusions et recommandations

44. La circulation des véhicules semi-autonomes devrait fortement s’intensifier dans les années à venir, à mesure que la technologie deviendra plus avancée et plus fiable. D’aucuns pensent même qu’un véhicule entièrement autonome pourrait être élaboré au cours de la prochaine décennie. Ces véhicules ont la capacité de transformer la mobilité individuelle et d’améliorer radicalement la sécurité routière. À ce stade, il sera techniquement possible de créer des véhicules autonomes qui ne seront jamais «responsables» en cas d’accident (sauf en cas de dysfonctionnement) et qui seront même capables d’éviter la plupart, voire la totalité, des collisions dont la «faute» reviendrait à un autre véhicule (ou à son conducteur), à un piéton ou à un cycliste. Dans un monde où toutes les voitures ne seront pas autonomes, les véhicules autonomes programmés pour éviter toute collision ne pourront pas se déplacer très vite. En effet, leur trajet sera régulièrement interrompu par des véhicules non autonomes, sous le contrôle de conducteurs humains moins prudents. Afin de donner des orientations et d’assurer une certaine sécurité juridique aux ingénieurs, le législateur devra définir où «placer le curseur»: les voitures autonomes devront-elles être programmées en partant de l’hypothèse que les autres usagers de la route respecteront aussi le code de la route? Qu’en est-il des enfants? Enfin et surtout, lorsque les voitures autonomes seront beaucoup plus sûres que le meilleur, le plus attentif et le plus irréprochable des conducteurs humains, le législateur devra-t-il interdire les véhicules non autonomes? Aura-t-il même l’obligation positive de le faire, afin de protéger le droit à la vie en vertu de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)?
45. Comme les véhicules franchissent régulièrement les frontières, la future réglementation des véhicules autonomes devrait être élaborée dans une perspective globale. Il importe que celle-ci tienne compte des points de vue de l’ensemble des régions et des travaux entrepris à ce sujet dans le monde entier, en fonction de contextes différents. Les divers organes internationaux, qui travaillent chacun dans leur domaine de spécialisation, devraient tenir compte de leurs activités réciproques, de manière à garantir l’obtention d’un résultat global harmonieux et complet. Les organes qui se consacrent tout spécialement à la réglementation des véhicules autonomes devraient accorder une attention particulière aux principes réglementaires généraux et aux cadres juridiques élaborés pour l’IA; il importe par ailleurs qu’ils procèdent à une évaluation spécifique de l’impact sur les droits de l’homme de la technologie des véhicules autonomes, afin d’anticiper les problèmes qui pourraient survenir.
46. Le Conseil de l'Europe est déjà attentif aux aspects de la conduite autonome qui relèvent de son mandat institutionnel. En privilégiant les aspects de droit pénal des véhicules autonomes en particulier et l'impact de l’IA sur les droits de l'homme en général, l'Organisation fait valoir ses atouts et peut apporter une contribution importante au débat en cours. L'un des objectifs de mon rapport est d'alimenter ce processus. Je propose donc que l'Assemblée souligne que le développement et la mise en œuvre de véhicules autonomes sont autant de domaines dans lesquels les systèmes d’IA peuvent avoir un impact particulier sur les droits de l'homme et les sociétés démocratiques. Le CAHAI devrait en tenir compte lorsqu’il recensera les risques et les opportunités de l’IA et se prononcera sur la nécessité d'un cadre juridique contraignant pour réglementer son développement et son fonctionnement.
47. Les projets de résolution et de recommandation ci-joints comportent des recommandations supplémentaires.

Annexe

Intelligence artificielle – Description et principes éthiques

On a tenté à plusieurs reprises de définir le terme «intelligence artificielle» depuis sa première utilisation en 1955. Ces initiatives s’intensifient aujourd’hui, car les organes normatifs, notamment le Conseil de l’Europe, réagissent aux capacités et à l’omniprésence croissantes de l’intelligence artificielle en œuvrant en faveur de son encadrement juridique. Il n’existe cependant toujours pas de définition «technique» ou «juridique» unique qui soit universellement admiseNote. Aux fins du présent rapport, il est toutefois indispensable de décrire cette notion.

À l’heure actuelle, le terme «intelligence artificielle» (IA) désigne en général les systèmes informatiques capables de percevoir et d’extraire des données de leur environnement, puis d’utiliser des algorithmes statistiques pour traiter ces données, afin d’obtenir des résultats qui correspondent à des objectifs prédéterminés. Les algorithmes se composent de règles définies par l'homme ou par l'ordinateur lui-même, qui «forme» l'algorithme en analysant des ensembles de données considérables et continue à affiner ces règles à mesure qu’il reçoit de nouvelles données. Cette méthode, connue sous le nom «d’apprentissage automatique» ou «d’apprentissage statistique», est actuellement la technique la plus utilisée pour les applications complexes; elle est uniquement devenue possible ces dernières années grâce à l'augmentation de la puissance de traitement des ordinateurs et à la disponibilité de données suffisantes. «L’apprentissage en profondeur» représente une forme particulièrement avancée d'apprentissage automatique, qui utilise plusieurs couches de «réseaux neuronaux artificiels» pour traiter les données. L’analyse ou la compréhension intégrale par l’homme des algorithmes développés par ces systèmes n’est pas toujours possible; aussi sont-ils parfois qualifiés de «boîtes noires» (il arrive que ce terme désigne également, mais pour une raison différente, les systèmes d’IA propriétaires protégés par les droits de propriété intellectuelle).

Les formes actuelles d’IA sont toutes «restreintes», c’est-à-dire affectées à une tâche unique définie. L’IA «restreinte» est également qualifiée parfois de «faible», même si les systèmes modernes de reconnaissance faciale, de traitement du langage naturel, de conduite autonome et de diagnostic médical, par exemple, sont incroyablement sophistiqués et effectuent certaines tâches complexes avec une rapidité et une précision étonnantes. «L’intelligence artificielle générale», parfois qualifiée d’IA «forte», qui est capable d'exécuter toutes les fonctions du cerveau humain, est encore à réaliser. La «super-intelligence artificielle» désigne un système dont les capacités dépassent celles du cerveau humain.

Comme le nombre de domaines dans lesquels les systèmes d’intelligence artificielle sont appliqués est en augmentation, puisqu’ils se propagent dans des domaines qui peuvent avoir un impact important sur les droits individuels et les libertés, ainsi que sur les systèmes démocratiques et l’État de droit, la dimension éthique de ce phénomène a fait l’objet d’une attention croissante et de plus en plus urgente.

Un large éventail d’acteurs a formulé de nombreuses propositions d’ensemble de principes éthiques qui devraient être appliqués aux systèmes d’IA. Ces propositions sont rarement identiques et diffèrent à la fois dans les principes qu’elles énoncent et par la manière dont elles définissent ces principes. Les études montrent que la teneur essentielle des principes éthiques qui devraient être appliqués aux systèmes d’IA fait néanmoins l’objet d’un large consensus; c’est notamment le cas des principes suivantsNote:

  • Transparence. Le principe de transparence peut faire l’objet d’une interprétation élargie, de manière à englober l’accessibilité et l'explicabilité d’un système d’IA, en d’autres termes la possibilité donnée à un individu de comprendre le fonctionnement de ce système et le mode de production de ses résultats.
  • Justice et équité. Ce principe englobe la non-discrimination, l’impartialité, la cohérence et le respect de la diversité et du pluralisme. Il suppose également que la personne à laquelle est appliqué un système d’IA puisse en contester les résultats, disposer d’une voie de recours et obtenir réparation.
  • Responsabilité. Ce principe englobe le fait d’exiger qu’un être humain soit responsable de toute décision qui a des conséquences sur les droits et libertés individuels, et que l’obligation de rendre des comptes et la responsabilité juridique de ces décisions soient définies. Il est donc étroitement lié au principe de justice et d’équité.
  • Sûreté et sécurité. Ce principe suppose que les systèmes d’IA fassent preuve de solidité, de sécurité contre toute ingérence extérieure et de sûreté contre la commission d’actes involontaires, conformément au principe de précaution.
  • Respect de la vie privée. Si le respect des droits de l’homme en général peut être considéré comme inhérent aux principes de justice et d’équité, de sûreté et de sécurité, le droit au respect de la vie privée est particulièrement important chaque fois qu’un système d’IA procède au traitement de données à caractère personnel ou privé. Les systèmes d’IA doivent par conséquent respecter les normes contraignantes du Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union Européenne et de la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe (STE no 108, et sa version actualisée, la Convention 108+, STCE no 223), le cas échéant.

La mise en œuvre effective des principes éthiques applicables aux systèmes d’IA exige une approche intégrée de l’éthique, notamment une évaluation de leur impact sur les droits de l’homme, de manière à garantir le respect des normes établies. Il ne suffit pas que ces systèmes soient conçus uniquement sur la base de normes techniques et que des éléments soient ajoutés à un stade ultérieur pour tenter de faire respecter les principes éthiques.

Dans quelle mesure le respect de ces principes doit-il être intégré dans des systèmes particuliers d’IA? Cela dépend des utilisations prévues et prévisibles de ces systèmes: plus leur impact sur l’intérêt général et les droits et libertés individuels est important, plus les garanties doivent être strictes. La réglementation éthique peut donc être mise en œuvre de différentes manières, depuis les chartes internes volontaires pour les domaines les moins sensibles jusqu'aux normes juridiques contraignantes pour les plus délicats. Dans tous les cas, il importe qu’elle prévoie des mécanismes de contrôle indépendants selon le niveau de réglementation.

Ces principes essentiels portent sur les systèmes d’IA et leur environnement immédiat. Ils n'ont pas vocation à être exhaustifs ni à exclure des préoccupations éthiques plus générales, telles que la démocratie (participation pluraliste des citoyens à l'élaboration de normes éthiques et réglementaires), la solidarité (qui admet les différences de point de vue des divers groupes) ou la durabilité (préservation de l'environnement de la planète).