Il est temps d’agir: la réponse politique de l’Europe pour combattre la manipulation des compétitions sportives
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Texte
adopté par la Commission permanente, agissant au nom
de l’Assemblée, le 12 octobre 2020 (voir Doc. 15116, rapport de la commission de la culture, de la science,
de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Roland Rino Büchel). Voir
également la Recommandation
2178 (2020).
1. L’intégrité du sport est à un moment
décisif de son histoire, avec l’entrée en vigueur récente de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives
(STCE no 215, Convention de Macolin)
et la mise en place imminente de son comité de suivi en automne
2020.
2. Les États membres du Conseil de l’Europe doivent adopter des
législations et des sanctions appropriées pour protéger l’intégrité
des compétitions sportives contre les manipulations, et mettre en
place des programmes de sensibilisation et des formations à l’éthique
et à l’intégrité dans le milieu du sport, afin de s’assurer que
chaque sportif, ou entraîneur et acteur de la compétition, comprend
les principes du fair-play et sait déceler les manipulations de
compétitions sportives, s’y opposer et les signaler. Cependant,
l’Assemblée parlementaire rappelle que la manipulation de compétitions
sportives est un phénomène mondial qui relève de la criminalité
organisée, impliquant souvent le blanchiment d'argent, la corruption,
les pots-de-vin ou les paris illégaux, et seules une volonté politique
commune et une coopération internationale juridiquement contraignante
dans les domaines de l’échange d’informations, de la protection
des données, des services répressifs et de la justice pénale permettront
de s’y attaquer efficacement.
3. L’Assemblée déplore le fait qu’en cinq ans seuls 7 États membres
du Conseil de l’Europe ont ratifié la convention, 31 autres États
l’ont signée mais pas ratifiée et 19 des signataires, enlisés dans
les procédures décisionnelles internes de l’Union européenne, ont
repoussé le processus de ratification. Par ailleurs, Andorre, la
Bosnie-Herzégovine, la République tchèque, l’Irlande, Malte, Monaco,
la Macédoine du Nord, la Roumanie, la Suède et la Turquie n’ont
pas signé la convention.
4. Plusieurs gouvernements ont pris des mesures concrètes et
déploient des efforts importants, qui méritent d’être salués. À
ce jour, 32 plateformes nationales sont opérationnelles, même si
nombre d’entre elles ne disposent pas d’un cadre formel. De nombreux
pays ont révisé leur législation pour se conformer à la convention
et la coopération est active au sein de réseaux informels. Toutefois,
l’Assemblée estime que, sur un plan général, les questions liées
à l’intégrité du sport ne figurent toujours pas au rang des priorités politiques;
cette situation ne contribue pas à mettre fin au blocage institutionnel
imposé par Malte au sujet de la définition du «pari sportif illégal»
énoncée dans la convention. L’Assemblée ne voit rien qui puisse
justifier la position de Malte, si ce n’est une volonté délibérée
de faire obstruction à l’entrée en vigueur de la convention, que
ce soit par des manœuvres juridiques, des tentatives de modification
de la convention ou tout simplement en retardant la mise en œuvre
des réformes nécessaires dans le pays proprement dit.
5. Cette impasse continue de générer un certain malaise au sein
des institutions européennes et des États membres de l’Union européenne.
L’Assemblée salue la récente conclusion de la réunion du Conseil
des ministres des Sports de l’Union européenne, selon laquelle ces
derniers sont convenus «[d’]examiner, avec la Commission, les moyens
de sortir de l’impasse en ce qui concerne la Convention du Conseil
de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives […] afin
de permettre à l’Union européenne et à tous ses États membres d’achever
leurs processus de ratification respectifs et d’adhérer à la convention
dans les meilleurs délais».
6. L’Assemblée dénonce la nouvelle tentative de Malte visant
à modifier la définition de «pari sportif illégal» figurant dans
la convention en vertu des dispositions de son article 38, y voyant
là une nouvelle tentative d’obtenir gain de cause et de neutraliser
la définition existante, affaiblissant ainsi considérablement le
système établi par la convention. L’Assemblée fait part de son opposition
à toute démarche visant à modifier la convention peu après son entrée
en vigueur. Elle souligne que, le cas échéant, les amendements à
une convention devraient s’appuyer sur l’expérience acquise lors
de sa mise en œuvre, et tendre à renforcer le système et à assurer
sa cohérence avec l’évolution de la situation, mais certainement
pas à l’affaiblir. Or, toute demande d’amendement paralyserait la
mise en œuvre effective de la convention. De surcroît, cela remettrait en
cause le processus d’élaboration des traités du Conseil de l’Europe
et créerait un précédent malheureux, susceptible d’ouvrir la voie
à d’autres contestations éventuelles de nouvelles conventions du
Conseil de l’Europe après leur adoption.
7. L’Assemblée craint que le blocage persistant de la situation
entrave sérieusement les avancées sur de nombreuses questions nécessitant
de toute urgence une attention à l’échelle internationale, notamment l’introduction
d’une réglementation responsable plus stricte des paris sportifs.
Cette situation compromet également la mise en place de mécanismes
efficaces de partage de données, de coopération judiciaire et d’échange
de renseignements, et réduit les possibilités de traiter effectivement
des questions essentielles liées, entre autres, à la transparence
et aux conflits d’intérêts, et d’empêcher d’abuser d’une position
de sponsor, de fournisseur de données, de prestataire de services
en matière d’intégrité, de détenteur de parts dans une organisation
ou dans un club sportifs, ou d’acteur d’une compétition, pour faciliter
la manipulation d’une compétition sportive ou pour utiliser abusivement
des informations d’initié.
8. Les pouvoirs publics ont encore de nombreux défis à long terme
à relever en termes de lutte contre la manipulation de compétitions
sportives, afin d’appréhender la nature complexe des problèmes et
de trouver des approches efficaces pour combattre la criminalité,
la corruption et le blanchiment d’argent qui y sont associés, en
travaillant en étroite collaboration avec d’autres acteurs. Il convient
pour ce faire de rapprocher les milieux sportifs, les opérateurs
de paris sportifs et les instances nationales judiciaires et répressives
dans un effort collectif, cohérent et coordonné de lutte contre
la corruption et autres pratiques répréhensibles dans le domaine
du sport. Par ailleurs, les opérateurs et les régulateurs de paris
sportifs devraient élaborer et mettre en œuvre des actions concrètes
pour prévenir et dissuader les éventuelles pratiques criminelles.
Il est temps d’agir. Tout nouveau retard ne fera que profiter aux
réseaux criminels et compromettre les valeurs du sport, et par là
même mettre en péril les valeurs de la démocratie, de l’État de
droit et des droits humains. Cela est particulièrement dangereux
dans le contexte actuel, étant donné l'impact drastique de la pandémie
de covid-19 sur la viabilité financière du sport, qui entraîne un
risque élevé de poursuite de l'expansion du blanchiment d'argent,
des paris illégaux et de la manipulation des compétitions sportives.
9. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les États membres
et observateurs du Conseil de l’Europe,
9.1 en ce qui concerne la ratification de la Convention de
Macolin:
9.1.1 à signer et à ratifier sans plus tarder
la convention, s’ils ne l’ont pas encore fait;
9.1.2 à s’abstenir de toute action susceptible d’affaiblir les
dispositions de la convention et la coopération intergouvernementale
qu’elle encourage;
9.1.3 s’agissant en particulier de Malte, à cesser de chercher
de nouvelles possibilités de modifier la définition de «pari sportif
illégal» inscrite dans la convention et à s’employer sincèrement
à y adhérer pour en défendre les positions en tant que membre à
part entière du comité de suivi;
9.2 en ce qui concerne la mise en œuvre des dispositions de
la Convention de Macolin, avant ou après sa ratification:
9.2.1 en s’appuyant sur la feuille de route de Macolin, à poursuivre
l’examen ou à effectuer une évaluation des principales menaces découlant
des différents types de manipulation sportive afin de définir les
principaux domaines prioritaires et une feuille de route stratégique
pour soutenir la mise en œuvre et le fonctionnement officiels des
plateformes nationales;
9.2.2 à allouer des ressources suffisantes afin de garantir
l’application effective de la législation nationale sur la manipulation
de compétitions sportives, en prenant des mesures actives et significatives
pour retirer tout ou partie du soutien financier public à toute
organisation sportive qui ne met pas en œuvre efficacement les programmes
de prévention et de formation ou qui ne respecte pas effectivement
les règles relatives à la lutte contre la manipulation de compétitions
sportives;
9.2.3 à étendre les interventions sur le terrain et l’assistance
fournie aux instances dirigeantes du sport en vue de développer
la sensibilisation, la prévention, l’éducation et la formation d’un large
éventail de participants et d’acteurs de la compétition, depuis
le sport de base jusqu’au sport de haut niveau;
9.2.4 à collaborer avec le Secrétariat du Conseil de l’Europe
et le comité de suivi de la convention pour veiller au partage des
stratégies et des plans d’action nationaux en matière d’intégrité
des sports et des paris sportifs, à leur conformité avec la convention
et à leur contribution aux activités qui soutiennent la mise en
œuvre de la Convention de Macolin.
10. L’Assemblée invite instamment les institutions de l’Union
européenne à rechercher une solution rapide afin de lever les obstacles
qui empêchent les États membres de l’Union européenne de ratifier
la convention, de sorte que son comité de suivi commence à fonctionner
avec un maximum d’États parties. À cette fin, elle espère que la
présidence de l’Union européenne inscrira la question de la ratification
de la Convention de Macolin à l’ordre du jour d’une prochaine réunion
du Comité des représentants permanents des gouvernements des États
membres de l’Union européenne (Coreper I), et que le Parlement européen
œuvrera activement en faveur d’une issue positive.
11. L’Assemblée rappelle que les parlements nationaux ont un rôle
fondamental à jouer dans l’adoption de la législation et le contrôle
de l’action gouvernementale, notamment dans les domaines des politiques transfrontalières
et intersectorielles. Par conséquent, elle demande aux membres des
commissions concernées des parlements nationaux:
11.1 en particulier à ceux des 31
États dont les gouvernements ont signé la convention, d’encourager sa
ratification rapide;
11.2 à ceux des pays qui n’ont pas signé la convention, de
s’enquérir des raisons des retards ou des obstacles empêchant leurs
gouvernements de signer la convention et de les inciter à le faire.