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Les démocraties face à la pandémie de covid-19

Résolution 2337 (2020)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 13 octobre 2020 (voir Doc. 15157, rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur: M. Ian Liddell-Grainger; et Doc. 15164, avis de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), rapporteure: Mme Yuliya Lovochkina).Voir également la Recommandation 2179 (2020).
1. La pandémie de covid-19 est la plus importante crise de santé publique que le monde ait connue dans l’histoire récente Elle a déjà fait plus d’un million de victimes sur tous les continents et a eu des conséquences sans précédent, multiples, profondes et peut-être durables sur la vie sociale, économique et politique de nos sociétés. Elle a également permis de tester la résistance des systèmes et des institutions de gouvernance aux niveaux national et international.
2. Compte tenu du caractère exceptionnel de cette crise de santé publique, les gouvernements européens ont adopté, dans des délais très courts, une variété de mesures immédiates et exceptionnelles en vue d’enrayer, de retarder ou de limiter la propagation du virus. Ces mesures, qu’elles aient été ou non mises en place dans le cadre d’un état d'urgence ou d'autres situations particulières, ont eu un impact significatif sur la vie quotidienne, professionnelle et sociale des populations, sur la jouissance de leurs droits fondamentaux, ainsi que sur le fonctionnement et l'équilibre des institutions et processus démocratiques.
3. L'Assemblée parlementaire, tout en soutenant le choix fait par les États et les pouvoirs publics de donner la priorité à la sauvegarde des vies et à la protection des populations, souligne qu’on ne saurait permettre que la démocratie, les droits humains et l’État de droit deviennent les dommages collatéraux de la pandémie. Aucune urgence de santé publique ne peut servir de prétexte à la destruction de l'acquis démocratique.
4. L'Assemblée note que les situations d'urgence, en particulier lorsque l'état d'urgence est officiellement proclamé, ont généralement un effet préjudiciable sur le système d’équilibre démocratique des pouvoirs. Elle met en garde contre le risque d'abus des pouvoirs d’exception par les gouvernements, entre autres, pour faire taire l'opposition et restreindre les droits humains. Dans ce contexte, l'Assemblée souligne que toutes les mesures d'urgence prises pour faire face à la pandémie doivent être limitées dans le temps et ne pas excéder la durée de la situation d'urgence qui les justifie.
5. L'Assemblée souligne que les parlements, institutions fondamentales de la démocratie, doivent continuer à jouer leur triple rôle en matière de représentation, de législation et de contrôle, ce dernier étant encore plus essentiel en situation d'urgence, quand l'exécutif acquiert des pouvoirs supplémentaires. La continuité et la couverture médiatique des travaux du parlement en cas d'urgence sanitaire sont également essentielles, dans la mesure où elles permettent à toutes les grandes forces politiques d'être représentées et de participer à la prise de décision démocratique, ce qui garantit également la légitimité du gouvernement. Au-delà des clivages entre les partis, les acteurs politiques doivent agir de la façon la plus responsable qui soit, de manière à minimiser le préjudice causé à la population, à l'économie, aux structures sociales et aux institutions publiques, s'attaquer aux causes de la crise et travailler de concert à un plan de relance post-pandémie qui anticipe également les crises futures.
6. L’Assemblée est consciente qu’on ne peut apprécier la conformité des mesures d’urgence avec les normes démocratiques sans tenir compte du cadre constitutionnel et de l’ordre juridique ainsi que de la pratique démocratique propres à chaque pays. Si aucun contexte interne ne peut justifier de déroger au processus et aux principes démocratiques, il conviendrait de prendre en considération la situation nationale spécifique dans le cadre de l’évaluation du respect des engagements et obligations qui incombent au pays concerné.
7. La confiance des citoyens dans les autorités publiques et les institutions et processus démocratiques est essentielle en temps de crise. Le fait de réduire le débat public et de restreindre le fonctionnement des éléments clés du système démocratique risque non seulement de compromettre la démocratie en tant que telle, mais aussi de nuire, d’une part, à l'adhésion des citoyens à toute politique et mesure d'urgence visant à traiter les causes premières de la crise et à protéger la population, et, d’autre part, à leur efficacité.
8. Compte tenu de ces éléments et conformément aux principes applicables aux états d'urgence énoncés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), l’Assemblée invite les États membres et observateurs, ainsi que les États dont les parlements jouissent du statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie, à respecter le système d’équilibre démocratique des pouvoirs et, en particulier, à appliquer les principes suivants lorsqu'ils sont confrontés à une urgence de santé publique:
8.1 limiter, dans le temps et dans la portée, la déclaration de l’état d’urgence et/ou la mise en œuvre de toute législation d'urgence et de tout décret d’application, qui doivent être adoptés dans le cadre constitutionnel et respecter les normes internationales, en particulier les normes définies par la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5), le cas échéant;
8.2 veiller à ce que les parlements aient le pouvoir:
8.2.1 d’exercer un contrôle régulier à tous les stades de la procédure relative à une urgence de santé publique (c'est-à-dire sa proclamation, sa prolongation ou sa cessation);
8.2.2 de réexaminer et, le cas échéant, d'abroger tout décret d'urgence dans lequel l'exécutif a fait usage de pouvoirs qui relèvent normalement de la compétence du législateur;
8.2.3 de mener des enquêtes et des investigations sur l'exécution des pouvoirs d'urgence, même après la fin de l'urgence de santé publique;
8.3 s'abstenir de procéder à toute modification permanente de la législation, notamment du système électoral, ainsi qu’à une modification de la Constitution, des lois organiques ou à d'autres réformes et référendums fondamentaux aux effets durables, et surtout à des référendums constitutionnels, jusqu'à la fin de l'état d'urgence;
8.4 permettre à l'opposition de participer de façon effective à l'approbation ou à toute prolongation de l'état d'urgence, ainsi qu'à l'examen a posteriori des décrets d'urgence, notamment en soumettant la prolongation de l'état d'urgence à une exigence de majorité qualifiée;
8.5 se conformer au principe de coopération loyale et de respect mutuel entre les autorités nationales, régionales et locales;
8.6 assurer, aussi régulièrement que possible, la mise à disposition d’informations facilement compréhensibles, complètes et exactes pour les citoyens, en permettant aux médias d’avoir accès aux institutions de l'État, ce qui garantira la transparence et encouragera le débat public.
9. L'Assemblée se félicite du fait que, depuis la flambée de la pandémie de covid-19, la plupart des parlements des États membres du Conseil de l'Europe ont continué à exercer, sans interruption, leurs fonctions statutaires de représentation des intérêts des citoyens, d'examen des nouvelles législations visant à atténuer les effets de la pandémie et de contrôle des mesures d'urgence mises en place par les gouvernements. Les parlements ont réagi avec souplesse et créativité en adaptant leurs travaux aux circonstances extraordinaires liées à la pandémie, en mettant en œuvre, à des degrés divers, une combinaison de mesures telles que la réduction du nombre de séances plénières et la limitation du nombre de membres pouvant y assister; la limitation des travaux en plénière au strict minimum (c'est-à-dire à l'examen de la législation d'urgence relative à la pandémie et à la surveillance des mesures d'urgence prises par le gouvernement); l’utilisation croissante des technologies et des plates-formes de communication modernes, et l’autorisation de la participation en ligne aux réunions des commissions, aux séances plénières et même aux votes; et la mise en place de nouvelles structures ad hoc de contrôle et d’obligation de rendre des comptes pour les mesures prises par les gouvernements en vue de faire face à la pandémie.
10. L'Assemblée est consciente que la recherche de solutions ad hoc pour la poursuite des travaux parlementaires n'a pas été une tâche facile et qu’elle a pu soulever des questions de procédure, de compétence, d'autorité, de priorités, de relations entre la majorité et l'opposition, et au sein des groupes parlementaires, ainsi qu'avec le gouvernement et les citoyens. Elle appelle donc les parlements des États membres et observateurs du Conseil de l'Europe et les parlements qui jouissent du statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie à faire le point sur l’expérience qu’ils ont acquise pendant la pandémie et à en tirer parti pour se préparer à toute crise future:
10.1 en procédant, de préférence sur la base d'un accord entre les partis, aux modifications nécessaires de leurs structures, règlements et procédures internes, afin de permettre l'exercice ininterrompu des fonctions parlementaires dans les situations d'urgence;
10.2 en évaluant soigneusement la gestion des pandémies par les gouvernements, à savoir l'exécution des pouvoirs d'urgence, la mise en œuvre d'une stratégie de sortie et la préparation à d'éventuelles nouvelles vagues de pandémies;
10.3 en examinant et, le cas échéant, en révisant la législation relative aux situations d'urgence, de manière à assurer une efficacité maximale, tout en se conformant pleinement aux principes fondamentaux de la démocratie, du respect des droits humains et de l'État de droit;
10.4 en envisageant d'accorder à l'opposition le droit de présider les commissions d'enquête pertinentes;
10.5 en partageant l'expérience acquise et les bonnes pratiques de gestion de la pandémie avec les autres parlements, par le biais notamment des assemblées parlementaires multilatérales en tant que plates-formes, et en coopérant avec les partenaires internationaux.
11. L'Assemblée note que, depuis la flambée de la pandémie de covid-19, un certain nombre d’États membres du Conseil de l'Europe ont reporté les élections prévues à divers niveaux, tandis que, dans d'autres, leur organisation a donné lieu à des controverses, soit sur le principe de la tenue d'élections pendant la pandémie, soit sur les modalités particulières de leur déroulement. L'Assemblée invite les États membres à appliquer les principes suivants, tels que les a élaborés la Commission de Venise, lorsqu'ils décident s’il y a lieu de procéder à la tenue des élections ou à leur report dans une situation d'urgence de santé publique:
11.1 s’assurer que le report est prévu par la loi, qu'il est nécessaire, proportionné et limité dans le temps;
11.2 associer tous les partis politiques, les candidats et les autres parties prenantes, y compris les autorités sanitaires et les experts, à la discussion sur un éventuel report; l’obtention d’une majorité qualifiée au parlement peut être requise, en particulier pour des élections reportées à plus long terme; l’exercice d’un contrôle juridictionnel par une cour nationale indépendante et impartiale devrait être possible;
11.3 veiller à ce que les conditions d’un suffrage universel, égal, libre, secret et direct soient réunies, y compris en garantissant une campagne électorale ouverte et équitable ainsi qu’un débat public véritable;
11.4 évaluer dans quelle mesure les limitations imposées aux campagnes de porte-à-porte ou aux rassemblements publics peuvent être compensées par le biais des médias publics ou privés, ou par le recours à internet, y compris les médias sociaux; il convient d’accorder une attention particulière à l’obligation de neutralité des autorités, ainsi qu'à l'obligation faite à tous les médias de couvrir les campagnes électorales de manière équitable, équilibrée et impartiale dans l'ensemble de leurs programmes;
11.5 envisager l’application d’autres modalités de vote, telles que le vote par correspondance, les urnes mobiles, le vote par internet ou le vote par procuration, si la loi le prévoit et si les conditions d’un suffrage universel, libre, secret et direct sont réunies.
12. L'Assemblée note que l'organisation d'élections dans une situation d’urgence de santé publique pose des problèmes juridiques et pratiques pour l'observation des élections, ce qui augmente le risque de fraude et de manipulation des résultats électoraux. Compte tenu de l'importance de son rôle d'observation des élections, l'Assemblée décide d'examiner les modalités qui lui permettraient d’effectuer des missions d'observation des élections pendant une telle situation d'urgence, en coordination avec ses partenaires institutionnels, dans le cadre de missions internationales d'observation des élections.
13. L’observation des élections devrait rester un outil important au service de l’évaluation du processus électoral. Compte tenu des limites éventuelles de la présence d'observateurs internationaux, ainsi que de l'utilisation accrue de mécanismes de vote alternatifs pour remplacer le vote en personne, en raison de la pandémie, l'Assemblée devrait développer des modalités alternatives pour l'évaluation des élections. L’Assemblée souligne que l’évaluation du processus électoral va bien au-delà de l’observation physique le(s) jour(s) des élections.
14. L'Assemblée, conformément à sa Résolution 2329 (2020) et à sa Recommandation 2174 (2020) «Enseignements à tirer pour l’avenir d’une réponse efficace et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19», souligne l'urgente nécessité d’adopter une approche des crises sanitaires publiques fondée sur des données probantes, coordonnée au niveau international et conforme aux droits humains. Face à une pandémie – et à la prochaine, inévitable – qui menace l'humanité, le contexte international actuel doit passer de la rivalité entre les puissances à une opportunité de coopération multilatérale par-delà les clivages partisans.
15. Un multilatéralisme authentique et constructif est capital pour anticiper et répondre aux menaces réelles, et pour restaurer la confiance dans les institutions intergouvernementales, ainsi que pour faire face aux importantes implications sanitaires, économiques, politiques, infrastructurelles et sociales de la crise actuelle. Dans ce contexte, les organisations multilatérales, telles que l'Organisation mondiale de la santé (OMS), sont essentielles pour trouver des solutions communes à des problèmes communs et elles requièrent le soutien de tous les États membres, y compris un financement adéquat pour agir rapidement et émettre des recommandations fondées sur des données probantes.
16. Au vu de ce qui précède, l'Assemblée invite les États membres et observateurs, ainsi que les États dont les parlements jouissent du statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie:
16.1 à rechercher et maintenir une attention mondiale unanime pour la préparation et la réponse à une pandémie, et à s'engager à établir la confiance et un sens de l'intérêt commun pour l’ensemble des États;
16.2 à répondre positivement à l'appel lancé par le Conseil de sécurité des Nations Unies en faveur d’une cessation générale et immédiate des hostilités dans toutes les situations et en faveur d’une unité et d’un soutien mutuel, qui s’imposent de façon urgente dans la lutte contre un ennemi commun;
16.3 à examiner attentivement la manière dont leur système national de santé a su faire face ou non à la pandémie, en vue d'améliorer leur préparation, leur résilience et leur réponse à l'avenir;
16.4 à partager les bonnes pratiques en matière de gestion de la pandémie;
16.5 à sensibiliser à la désinformation et à la mésinformation autour de la pandémie, et à s’assurer que les individus restent vigilants et s’abstiennent de diffuser des contenus erronés ou trompeurs;
16.6 à soutenir l'examen indépendant de la coordination par l'OMS de la réponse mondiale à la pandémie de covid-19; à assurer un financement adéquat de l'organisation pour la rendre indépendante des contributions volontaires; et à lui fournir les outils appropriés pour surveiller efficacement la situation sanitaire dans tous les États membres;
16.7 à renforcer le Règlement sanitaire international (RSI) pour améliorer la préparation et rendre le système d'alerte précoce et de réponse plus efficace;
16.8 à veiller à ce que les outils de diagnostic, les traitements et les vaccins soient accessibles et abordables pour tous, dans tous les pays, à commencer par les personnes les plus exposées, et à adopter une approche européenne commune, afin que chacun des 830 millions de citoyens européens puisse bénéficier d'une protection égale contre la covid-19.
17. L'Assemblée se félicite du fait que, face aux défis lancés par la pandémie, les organes et les institutions du Conseil de l'Europe – en particulier l'Assemblée parlementaire, le Comité des Ministres, le Secrétariat Général, le Commissariat aux droits de l'homme et la Commission de Venise – ont apporté un soutien opportun et adéquat aux États membres, en mettant en commun avec leurs gouvernements et parlements les outils, normes et lignes directrices dont l’objectif est d’assurer le respect des principes démocratiques, des droits humains et de l'État de droit pour faire face à la pandémie.
18. En conséquence, l'Assemblée décide de renforcer sa coopération avec les parlements nationaux, en encourageant les délégations nationales à mettre en commun leurs bonnes pratiques et en organisant l’examen entre pairs des différents aspects des mesures prises pour faire face aux conséquences et aux implications de la pandémie, entre autres, par le biais d'auditions parlementaires avec la participation d'experts du Conseil de l'Europe, en vue de mettre au point des solutions et des approches viables et durables pour répondre à des situations de crise similaires à l'avenir.