Aspects juridiques concernant les «véhicules autonomes»
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Texte
adopté par la Commission permanente, agissant au nom
de l’Assemblée, le 22 octobre 2020 (voir Doc. 15143, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, rapporteur: M. Ziya Altunyaldiz).Voir
également la Recommandation
2187 (2020).
1. La circulation des véhicules semi-autonomes
sur les routes européennes devrait fortement s’intensifier dans
les années à venir; d’aucuns pensent même qu’un véhicule entièrement
autonome pourrait être disponible au cours des dix prochaines années.
Ces évolutions soulèvent un certain nombre de questions au sujet
de la responsabilité pénale et civile, des obligations imposées
aux constructeurs et aux assureurs, et de la future réglementation
du transport routier. D'importantes questions d'éthique et de respect
de la vie privée se posent également.
2. Lorsqu’il s’agit d'un véhicule semi-autonome dont le fonctionnement
est contrôlé par un système de conduite automatisée (SCA) ou d'un
véhicule totalement autonome, le droit pénal n'est pas conçu pour
traiter le comportement d’acteurs non humains. Cette situation peut
créer un vide en matière de responsabilité, lorsque l'être humain
présent à bord du véhicule – «l’utilisateur responsable», même s'il
ne conduit pas réellement – ne peut être tenu responsable d'actes
pénalement répréhensibles et que le véhicule lui-même fonctionne
conformément à la conception du constructeur et à la réglementation
applicable. Il pourrait donc être nécessaire d’adopter de nouvelles
approches pour partager la responsabilité pénale ou prévoir des alternatives
à la responsabilité pénale dans le cas où aucun être humain ne peut
raisonnablement être tenu responsable.
3. Ces préoccupations valent également à propos de la responsabilité
civile des dommages causés par un véhicule dont le fonctionnement
est contrôlé par un SCA. Les régimes actuels de responsabilité pour
faute peuvent exonérer l'utilisateur responsable de toute responsabilité,
puisque celle-ci est transférée au SCA. Il pourrait donc être nécessaire
d’adopter une nouvelle approche, comme la responsabilité objective,
afin de garantir que les parties lésées soient indemnisées pour
les dommages qu'elles subissent.
4. Lorsqu’un véhicule dont le fonctionnement est contrôlé par
un SCA enfreint le code de la route, qu’il s’agisse de la commission
d’une infraction pénale ou des dommages causés à des tiers, un certain
nombre de questions pourraient être soulevées concernant la responsabilité
du fabricant. Toutefois, la complexité des véhicules autonomes peut
rendre difficile d’établir la preuve de l'existence et de la nature
d'une quelconque faute technique. Là encore, il importe que la future
réglementation ne laisse subsister aucun vide juridique en la matière.
5. Ces préoccupations sont étroitement liées aux questions éthiques
qui se posent à propos de la technologie des véhicules autonomes.
Les conducteurs humains sont régulièrement amenés à prendre des décisions
éthiques, notamment contraints de prendre des décisions de vie ou
de mort. Les SCA devront prendre les mêmes décisions, mais selon
un cadre éthique défini par leur constructeur. Comme il est possible que
les acquéreurs de véhicules autonomes préfèrent donner la priorité
à leur propre sécurité, la pression concurrentielle que le marché
exerce sur les constructeurs risque de ne pas produire les meilleurs
résultats au regard de l’utilité générale. Il est sans doute nécessaire
que les pouvoirs publics adoptent une réglementation visant à normaliser
les choix éthiques implicites retenus dans la conception des SCA,
afin de garantir leur compatibilité avec l'intérêt public général.
6. Les SCA sont tributaires des données et en génèrent, notamment
des données personnelles sensibles relatives, par exemple, aux déplacements
d'un individu. Les données provenant de véhicules autonomes sont automatiquement
partagées avec d'autres véhicules autonomes et avec un système central,
et peuvent, dans certaines circonstances, devoir être partagées
avec les organes de réglementation et les services répressifs. Il
sera donc indispensable de veiller tout particulièrement à ménager
un juste équilibre entre, d’une part, le traitement des données
nécessaire au fonctionnement en toute sécurité des véhicules autonomes
et, d’autre part, le respect et la protection de la vie privée des
conducteurs, des passagers et des autres utilisateurs.
7. Les SCA modernes se distinguent par leur recours à des systèmes
d'intelligence artificielle (IA); les véhicules autonomes modernes
sont, en fait, bel et bien des robots. La mise en circulation de
véhicules autonomes revient à ce que des robots contrôlés par l’IA
soient en charge de projectiles rapides dans une situation présentant
un risque potentiel grave et avéré pour les passagers de ces véhicules
et les autres usagers de la route. On s'attend à ce que les véhicules
autonomes puissent être bien plus sûrs que les véhicules conduits
par l’homme. La concrétisation de cette possibilité exige l’adoption
d’une réglementation adéquate. Pour commencer, cette réglementation
doit garantir le plein respect du droit à la vie, notamment l’obligation
positive de prévenir les menaces prévisibles et évitables.
8. L’Assemblée parlementaire estime que les normes éthiques et
réglementaires applicables à l’IA en général devraient également
être appliquées à son utilisation dans les véhicules autonomes.
Elle considère par conséquent que les travaux menés par le Comité
ad hoc sur l'intelligence artificielle (CAHAI) sur un possible cadre
juridique de l’IA seront particulièrement pertinents et prend note
des importantes contributions aux travaux dans ce domaine d’autres
organisations internationales, dont l’Organisation de coopération
et de développement économiques, l’Union européenne et les organes
des Nations Unies.
9. Lorsque des véhicules totalement autonomes, conçus pour respecter
les règles de la circulation routière et éviter toute collision,
seront disponibles, le législateur devra résoudre les problèmes
posés par leur coexistence avec des véhicules conduits par l’homme,
qui ne respecte pas toujours ces règles. Il appartiendra au législateur
démocratique de définir l'équilibre le plus adapté entre la minimisation
du nombre de victimes d'accidents et une fluidité efficace de la
circulation.
10. L'Assemblée conclut que les considérations qui précèdent donnent
lieu à une série de nouveaux défis pour les régimes réglementaires.
Elle prend note des travaux en cours dans les organismes de réglementation spécialisés,
notamment le Groupe de travail des véhicules automatisés/autonomes
et connectés (GRVA) de la Commission économique pour l'Europe des
Nations Unies, qui aborde toute une série de questions techniques
essentielles, ainsi que l'Union européenne et différentes autorités
nationales. Elle observe également, au sein du Conseil de l'Europe,
les travaux menés actuellement par le Comité européen pour les problèmes
criminels (CDPC) sur «Intelligence artificielle et responsabilité
pénale dans les États membres du Conseil de l'Europe – Le cas des
véhicules autonomes».
11. En conséquence, l’Assemblée appelle:
11.1 les États membres du Conseil de l’Europe à veiller à ce
que les implications du développement et de la mise en circulation
des véhicules autonomes sur le droit pénal, le droit civil et les
droits de l’homme fassent l’objet d’une réglementation conforme
aux normes du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme
et d’État de droit, notamment au respect du droit à la vie, de la
vie privée et du principe de sécurité juridique;
11.2 le GRVA à procéder à une évaluation de l’impact sur les
droits de l’homme à l’occasion de ses travaux préparatoires sur
la future réglementation des véhicules autonomes, qui s’inscrit
dans un cadre général approfondi visant à garantir la sécurité sous
toutes ses formes la meilleure possible lors de la conception et
de la production à venir de véhicules autonomes;
11.3 le CDPC à veiller à recenser et à combler les éventuelles
lacunes de l’applicabilité du droit pénal au fonctionnement des
véhicules autonomes;
11.4 le CAHAI à accorder une attention particulière à l’application
de l’IA aux SCA, particulièrement en cas de conséquences néfastes
sur la jouissance des droits de l’homme fondamentaux, au cours de son
recensement des risques et des opportunités de l’IA et à l’occasion
de son examen de la faisabilité d’un cadre juridique.