7.1 l'Assemblée déplore les violations
continues de la liberté d'expression et des médias. Elle est pleinement
consciente des menaces terroristes auxquelles la Turquie est confrontée
dans une région en proie à l’instabilité. Elle rappelle cependant
que les autorités turques doivent adhérer aux principes de l’État
de droit et aux normes des droits humains, qui exigent que toute
ingérence dans l’exercice des droits humains fondamentaux soit prévue
par la loi, nécessaire dans une société démocratique et strictement
proportionnée au but poursuivi;
7.2 dans ce contexte, l'Assemblée se félicite de l'intention
exprimée par les autorités turques d'étendre la liberté d'expression,
notamment en élaborant un nouveau plan d'action pour les droits humains,
de la coopération continue et du dialogue franc et constructif établis
entre le Conseil de l'Europe et les autorités turques à cet égard.
L'Assemblée attend cependant des changements significatifs dans
la pratique juridique et la mise en œuvre de la législation à la
suite de ces bonnes intentions;
7.3 l’Assemblée se félicite des décisions récentes rendues
récemment par la Cour constitutionnelle de Turquie au sujet de la
remise en liberté de parlementaires détenus, de la libération et
de l’acquittement d’«Universitaires pour la paix», ainsi que de
la levée du blocage de l’accès à Wikipédia qui était en vigueur
depuis avril 2017. Dans ces affaires, la cour constitutionnelle
a conclu à des violations de la liberté d’expression. L’Assemblée
espère que ces arrêts de la cour constitutionnelle ainsi que la
jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme
guideront les juges, les procureures et les procureurs dans leur
travail quotidien. L'Assemblée est toutefois préoccupée par le fait
que l'autorité de la cour constitutionnelle, qui joue un rôle essentiel
dans la mise en œuvre de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme au niveau national, est ouvertement contestée
dans les déclarations des responsables turcs. Elle appelle les autorités
turques à s'abstenir de telles déclarations qui pourraient compromettre
le travail de la cour constitutionnelle et attend des juridictions
inférieures qu'elles se conforment à ses arrêts;
7.4 l'Assemblée s'attend à ce que les réformes entreprises
dans le domaine de la justice et des droits humains conduisent –
comme l'ont demandé plusieurs organes du Conseil de l'Europe – à
la modification de la loi antiterroriste afin de garantir que sa
mise en œuvre et son interprétation sont conformes à la Convention
européenne des droits de l'homme (STE no 5,
la Convention), telle qu'interprétée par la Cour européenne des
droits de l'homme, et à l'abrogation, la modification et/ou la stricte
interprétation d'un certain nombre de dispositions juridiques du
Code pénal qui, selon la Commission de Venise, contiennent des sanctions
excessives et sont trop largement appliquées contre la liberté d'expression
et d'information. Il s’agit notamment de l’article 299 (offense
au Président de la République), de l’article 301 (dénigrement de
la nation turque, de l’État de la République turque, des organes
et des institutions de l’État), de l’article 216 (incitation publique
à la haine, à l’hostilité ou au dénigrement) et de l’article 314
(appartenance à une organisation armée);
7.5 l’Assemblée appelle les autorités turques à mettre en
œuvre le paragraphe 9.5 de sa
Résolution 2317
(2020) «Menaces sur la liberté des médias et la sécurité
des journalistes en Europe». Dans ce contexte, l'Assemblée craint
que la loi adoptée le 28 juillet 2020 sur les médias sociaux n'entraîne
une nouvelle restriction de la liberté d'expression dans les médias
sociaux et n'empêche la population turque d'accéder à d'autres sources
d'information;
7.6 au sujet du problème de la détention provisoire, l’Assemblée
relève que deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
dans les affaires Selahattin Demirtaş
c. Turquie (n° 2) (arrêt de chambre non définitif) et Kavala c. Turquie ont conclu à une
violation de l’article 18 (limitation de l’usage des restrictions
aux droits) en conjonction avec l’article 5, paragraphe 1, de la
Convention (droit à la liberté et à la sûreté). L'Assemblée appelle
les autorités turques à mettre pleinement en œuvre ces deux arrêts.
Elle invite également la Turquie, conformément aux décisions du
Comité des Ministres des 1er et 29 septembre
2020, à libérer immédiatement M. Osman Kavala et à abandonner les
nouvelles accusations portées contre lui qui relèvent du harcèlement
judiciaire;
7.7 l’Assemblée est vivement préoccupée par les allégations
crédibles relatives à des actes de torture perpétrés dans des centres
de détention et des postes de police, et attend des autorités turques qu’elles
réagissent rapidement à ces allégations. Tout en se félicitant de
la publication, en août 2020, de deux rapports préparés en 2017
et en 2019 par le Comité pour la prévention de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), l'Assemblée réitère
son appel aux autorités turques à autoriser, sans plus tarder, la
publication du rapport de 2016 du CPT et à mettre en œuvre toutes
les recommandations restantes du CPT, y compris celles relatives
à la situation de M. Abdullah Öcalan et des autres prisonniers qui
restent coupés de tout contact avec le monde extérieur dans la prison
fermée de haute sécurité de type F d'İmralı, comme cela a déjà été
évoqué dans sa
Résolution 2260
(2019);
7.8 l’Assemblée reste vivement préoccupée par la situation
des défenseures et des défenseurs des droits humains et par celle
à laquelle sont confrontés les universitaires, les journalistes,
les avocates et les avocats, dont les droits fondamentaux ont été
restreints, en particulier après le coup d’État avorté. Elle appelle
les autorités turques à mettre fin au harcèlement judiciaire des
défenseures et des défenseurs des droits humains. Elle reste particulièrement
préoccupée après la condamnation de quatre défenseures et défenseurs
des droits humains, dont M. Taner Kılıç, ancien directeur d'Amnesty International
Turquie, dans le «procès Büyükada». Ces peines d’emprisonnement
sont un nouveau coup porté à la société civile et compromettent
gravement, voire contredisent, l’intention affichée des autorités
d’étendre la liberté d’expression;
7.9 l'Assemblée invite les autorités turques à revoir la loi
no 7145 «portant modification de certaines lois
et projets de loi d’urgence» qui a été adoptée après la levée de
l'état d'urgence de 2016, et à atténuer ses effets restrictifs persistants
sur les droits fondamentaux, y compris la liberté d'expression et
de réunion. Dans ce contexte, l’Assemblée continuera d’examiner
les conséquences des décrets-lois promulgués dans le cadre de l’état
d’urgence et de la législation dérivée, notamment la révision judiciaire de
la situation des individus révoqués et des personnes morales liquidées,
rendue possible après l’établissement de la commission d’enquête
en 2017;
7.10 enfin, l'Assemblée regrette profondément que la question
de la peine de mort, qui est incompatible avec l’appartenance au
Conseil de l'Europe, ait refait surface dans le débat public. Elle exhorte
les femmes et les hommes politiques turcs et la Grande Assemblée
nationale turque à s'abstenir de toute action qui pourrait conduire
à la réintroduction de la peine capitale.