B Exposé des motifs
par Mme Sevinj Fataliyeva, rapporteure
1 Introduction
1. En janvier 2018, ma collègue
Dame Cheryl Gillan (Royaume-Uni, CE/AD) et 45 autres membres de l’Assemblée
ont déposé une proposition de résolution sur «Le traitement réservé
aux personnes atteintes d’autisme et à leurs familles»
Note. Se référant à des études selon
lesquelles quelque 75 millions de personnes dans le monde pourraient
être atteintes d’autisme, la proposition attire l’attention sur
la stigmatisation et les profondes inégalités que les personnes
atteintes d’autisme continuent à subir au quotidien, tant dans l’accès à
l’éducation, à l’emploi et aux services publics qu’au sein du système
judiciaire. Elle suggère par conséquent l’élaboration d’un rapport
recommandant aux États membres des moyens de mieux aider et comprendre
les personnes atteintes d’autisme et leurs familles. La proposition
a été renvoyée à notre commission et j’ai été nommée rapporteure
le 28 juin 2018.
2. En juin 2019, le Secrétariat a diffusé une enquête sur les
lois et les pratiques concernant le soutien apporté aux personnes
atteintes d’autisme et à leur famille, par l’intermédiaire du réseau
du Centre Européen de Recherche et de Documentation Parlementaires
(CERDP). Elle a reçu 33 réponses des parlements de 29 États membres
et de deux parlements observateurs
Note. Le questionnaire
visait à déterminer:
- les attitudes
et les préjugés à l’égard des personnes atteintes d’autisme, ainsi
que les inégalités subies par ces dernières;
- des exemples de bonnes pratiques pour remédier à ces inégalités,
en particulier en ce qui concerne l’accès au diagnostic, à l’éducation
inclusive adaptée aux besoins de ces personnes, à l’emploi et au soutien
de longue durée axé sur la personne;
- les domaines d’action possibles pour renforcer le soutien
aux personnes atteintes d’autisme et à leur famille.
Il
comportait des questions sur la législation, la prévalence et la
sensibilisation, l’éducation et le soutien aux personnes atteintes
d’autisme et à leur famille. Les réponses reçues ont permis d’éclairer
les chapitres en lien avec le présent rapport.
3. Le 30 janvier 2020, la commission a tenu une audition publique
avec des experts
NoteNote. Par ailleurs, une visite d’information
au Royaume-Uni initialement prévue pour la fin du mois de mars a
dû être reportée en raison de l’épidémie de coronavirus. Elle s’est
déroulée en ligne les 10 et 11 septembre 2020 et constitue la première
visite d’information virtuelle que j’ai entreprise. Je voudrais
adresser mes sincères remerciements au secrétariat de la délégation
britannique pour l’excellente organisation de cette visite dans
ces circonstances difficiles. Je remercie aussi tout particulièrement
Dame Cheryl Gillan et Lord Don Touhig, présidente et vice-président
du groupe parlementaire multipartite sur l’autisme du Royaume-Uni,
ainsi que Sir Roger Gale, président de la délégation, et tous les
autres interlocuteurs qui ont pris le temps d’échanger avec moi.
Ces entretiens m’ont permis de recueillir différents points de vue
sur la situation au Royaume-Uni, de la part de collègues parlementaires,
de représentants du gouvernement (travaillant au sein des ministères
de l’Éducation et de la Santé), de diverses ONG, de chercheurs et
universitaires, de personnes atteintes d’autisme et leurs familles,
et de professionnels travaillant auprès d’elles. J’intégrerai les
conclusions de cette visite dans les différents chapitres thématiques,
dans la mesure où le Royaume-Uni illustre parfaitement bien les
problèmes qui peuvent subsister, même dans un pays caractérisé par
ses nombreuses bonnes pratiques.
4. Le présent rapport a été examiné par notre commission lors
de sa réunion du 9 octobre 2020, et une version révisée (comprenant
les amendements acceptés par consensus lors de la réunion) a été
examinée le 21 octobre 2020, en vue de le présenter à la réunion
de la Commission permanente prévue le 20 novembre 2020.
2 Tentative de définition de l’autisme
5. En 1943, Leo Kanner, un psychiatre
austro-américain de la Faculté de médecine de l’Université Johns Hopkins
distinguait «l’autisme infantile» des autres syndromes définis jusqu’alors
pour décrire les enfants autistes, tels que la faiblesse d’esprit,
le retard mental, le crétinisme ou l’idiotie. Dans la description
qu’il en donne, Kanner classe l’autisme à part du trouble psychotique,
expliquant que ce n’est pas un précurseur de la schizophrénie et
que ses symptômes sont présents et évidents dès la naissance
NoteNote. Un an plus tard, le pédiatre Hans
Asperger, de l’Université de Vienne en Autriche, rédigeait un article
dans lequel il décrivait un groupe d’enfants suivis dans sa clinique
présentant de nombreuses caractéristiques communes, inventant à
cette fin le terme de «psychopathie autistique»
Note.
6. En 1979, Lorna Wing et Jacalyn Gould introduisirent la notion
de troubles du spectre autistique (TSA), lesquels se déclinent en
différents niveaux et plusieurs degrés de sévérité et se caractérisent
par des altérations qualitatives de l’interaction sociale, de la
communication, de la compréhension et de l’imagination. Les TSA
sont aujourd’hui considérés comme des troubles du développement
complexes qui durent toute la vie et qui se manifestent par des
symptômes comme une fixation intense sur certains objets, de l’apathie,
un manque de compréhension de la communication non verbale (ton
de la voix ou langage corporel), des mouvements répétitifs ou un
comportement agressif envers soi-même, comme se cogner la tête par
exemple
Note. Parmi les autres symptômes figurent un
retard dans le développement du langage, une absence de jeu interactif
avec les autres enfants, un évitement du contact visuel et un manque
d’empathie, un retrait social, une dépendance aux routines et rituels,
un répertoire limité d’activités et de centres d’intérêt, une aversion
pour la petite conversation, le changement et le contact physique,
une tendance au perfectionnisme, une surcharge sensorielle ainsi
que des problèmes de coordination. La gravité des symptômes varie
beaucoup d’un individu à un autre. Les personnes atteintes d’autisme
peuvent, en outre, présenter une tendance à l’introversion ou à l’extraversion
et posséder une mémoire exceptionnelle; nombre d’entre elles sont
très intelligentes
Note.
7. Pour les besoins de ce rapport, les TSA sont entendus au sens
de la définition qu’en donne l’Assemblée mondiale de la santé de
l’Organisation mondiale de la santé (OMS): «troubles et affections
du développement qui apparaissent dans la petite enfance et, dans
la plupart des cas, persistent tout au long de la vie, et sont caractérisés
par un développement perturbé affectant l’interaction sociale, la
communication et par un répertoire d’intérêts et d’activités restreint,
s’accompagnant ou non de handicaps intellectuels et de troubles du
langage; les manifestations des troubles varient beaucoup du point
de vue des combinaisons de symptômes et de la gravité de ces symptômes»
NoteNote. Cela étant, force est de constater
que des organisations de défense des droits des personnes atteintes
d’autisme de nombreux pays considèrent l’autisme davantage comme
une variation naturelle de la diversité humaine plutôt que comme
une maladie à soigner
Note.
8. Au cours de ma visite d’information virtuelle au Royaume-Uni,
j’ai été sensibilisée à l’importance de la terminologie utilisée
pour décrire l’autisme – en particulier au fait que l’emploi du
terme TSA est souvent perçu comme stigmatisant, car il inclut le
mot «troubles». Le Centre de recherche sur l’autisme (Autism Research Centre)
de l’Université de Cambridge explique clairement pourquoi il importe
de faire la distinction entre les termes «handicap», «différence»,
«maladie» et «troubles»
Note. L’autisme s’accompagne toujours
d’un handicap (raison pour laquelle un diagnostic s’impose) et d’une
différence, mais ces différences peuvent constituer des forces (par
exemple, l’attention portée aux détails, l’excellente mémoire des
faits, la reconnaissance des formes et la systémisation). Le Centre
de recherche sur l’autisme ne tente donc pas de trouver un remède
à l’autisme, considérant que celui-ci fait partie du patrimoine
génétique d’une personne, de son identité personnelle, et qu’il
comporte à la fois des forces et des difficultés. Pour les mêmes
raisons, le Centre ne cherche pas à prévenir ou éradiquer l’autisme.
En revanche, il encourage les interventions scientifiquement fondées,
ciblant certains aspects du handicap pour lesquels la personne atteinte
d’autisme et ses proches cherchent un soutien
Note.
9. Mais alors, comment l’autisme se développe-t-il? Certaines
études attribuent l’autisme à une combinaison de facteurs génétiques,
non génétiques et environnementaux – les experts s’accordant à dire que
les facteurs héréditaires l’emportent. Cela étant, l’héritabilité
de l’autisme est complexe et on ne sait pas très bien, de manière
générale, quels gènes en sont responsables
Note. Dans de rares cas, l’autisme
est directement corrélé à des complications diverses survenues pendant
l’accouchement. Quantité d’autres causes ont été avancées, telles
que la vaccination infantile, mais le lien entre vaccination et
autisme n’a jamais été établi sur le plan scientifique, malgré les
nombreuses études épidémiologiques qui lui ont été consacrées
NoteNote. Les thérapies comportementales
et éducatives, notamment celles démarrées dans la petite enfance,
produisent de bons résultats chez les enfants atteints d’autisme
en ce qui concerne les problèmes comportementaux, l’acquisition
de nouvelles compétences et améliorent l’intégration sociale
Note.
10. En janvier 2008, l’autisme bénéficia d’une médiatisation internationale
lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies proclama le 2 avril
Journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme
Note.
À cette même date, cinq années plus tard, le Secrétaire général
des Nations Unies, Ban Ki-moon, déclarait: «Cette attention internationale
est essentielle pour lutter contre la stigmatisation, le manque
de sensibilisation et l’inadaptation des structures de prise en
charge. Aujourd’hui est venu le temps d’œuvrer pour une société
plus inclusive, de mettre à l’honneur les talents des personnes
atteintes d’autisme et de leur permettre de réaliser leur potentiel»
Note. En mai 2014, la Soixante-septième
Assemblée mondiale de la Santé adoptait une résolution intitulée
«Mesures globales et coordonnées pour la prise en charge des troubles
du spectre autistique», à laquelle plus de 60 pays apportèrent leur
soutien. La résolution invite instamment l’OMS à collaborer avec
les États membres et les organismes partenaires pour renforcer les
moyens dont disposent les pays pour faire face aux TSA et aux autres
troubles du développement
Note.
3 Objectif
et portée du rapport
11. Partout dans le monde, les
personnes atteintes d’autisme connaissent des difficultés manifestes
à accéder à leurs droits. Elles sont souvent victimes de discrimination
et de stigmatisation, y compris dans les structures de santé et
d’enseignement. Entre 2004 et 2014, la France a ainsi été condamnée
à cinq reprises par le Conseil de l’Europe pour discrimination à
l’encontre des personnes atteintes d’autisme
Note. En France, près de
80 % des enfants atteints d’autisme ne sont pas scolarisés dans
le circuit classique, une situation que le Comité européen des droits
sociaux a dénoncée à maintes reprises dans ses décisions sur le
bien-fondé des réclamations collectives comme une violation de la
Charte sociale européenne (STE no163)
NoteNote.
12. Les personnes atteintes d’autisme sont souvent exclues non
seulement de la société, mais aussi des débats sur l’autisme. En
règle générale, les personnes atteintes de troubles du développement
ne disposent pas d’un accès adéquat aux services et aux aides qui
leur sont pourtant destinés. Il revient par ailleurs systématiquement
à leurs proches de supporter de considérables dépenses et contraintes
de prise en charge, en plus du fardeau émotionnel. Même si les statistiques
avancent le chiffre de quelque 75 millions de personnes atteintes
d’autisme, il faut garder à l’esprit que l’autisme affecte non seulement
les personnes qui en sont atteintes, mais aussi leurs familles,
et concerne donc une population bien plus nombreuse.
13. Dans tous les pays, les personnes atteintes d’autisme et leurs
familles rencontrent des difficultés similaires, quoiqu’à des degrés
divers, pour bénéficier d’un diagnostic, d’une éducation inclusive
adaptée à leurs besoins et d’un soutien à long terme axé sur la
personne, ainsi que pour accéder à l’emploi ou à des services d’accompagnement
lors des moments charnières de leur vie. Le premier article scientifique
sur l’autisme – au sens moderne du terme – a été publié il y a 75
ans, mais aucune stratégie commune n’a encore vu le jour en Europe.
Seuls quelques pays européens ont élaboré depuis des lois et des
stratégies nationales spécifiques sur l’autisme. Le manque de sensibilisation
conduit bien souvent à un diagnostic tardif et à de multiples traitements
– dont l’efficacité n’est pas avérée pour la plupart. Bien que l’OMS
emploie le terme d’épidémie à propos des TSA, la prévalence de ce
spectre reste jusqu’ici très faible, voire inexistante, principalement
dans les pays à revenu faible ou moyen. Les statistiques disponibles
sur internet révèlent en effet de fortes disparités dans les taux
d’autisme d’un pays à un autre
Note. Ce sont précisément ces disparités dans
la sensibilisation à l’autisme et l’accès à des services spécialisés
qui prouvent à quel point il est urgent pour l’Europe de disposer
d’un plan cohérent en la matière.
14. Si l’on informait davantage le grand public sur l’autisme,
les personnes qui en sont atteintes seraient mieux acceptées, reconnues
et respectées. Cela permettrait également de faire évoluer une stratégie omniprésente,
celle de montrer aux personnes atteintes d’autisme comment être
moins différentes des autres, en une approche qui leur apprendrait
plutôt à prendre confiance en elles et à se défendre par elles-mêmes.
À ce jour, 46 États membres du Conseil de l’Europe ont ratifié la
Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées
(CDPH)
Note.
L’article 4 de cette convention exige que «les États Parties s’engagent à
garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits humains
et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes
handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap.»
De même, la nouvelle Stratégie 2017-2023 du Conseil de l’Europe
sur le handicap vise à guider et soutenir le travail et les activités
que le Conseil de l’Europe, ses États membres et d’autres acteurs
mènent au niveau national et local pour mettre en œuvre la CDPH.
Cette stratégie s’articule autour de cinq domaines prioritaires:
l’égalité et la non-discrimination, la sensibilisation, l’accessibilité,
la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions
d’égalité et le droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à
la violence et aux abus
Note.
En outre, chacun dispose du droit fondamental de participer à la
vie de la société, à pied d’égalité avec les autres et sans considération
de son état de santé. Je pense que nous devrions prendre ce principe
comme point de départ.
15. Le présent rapport étudiera les attitudes et les préjugés
à l’égard des personnes atteintes d’autisme, ainsi que les inégalités
subies par ces dernières. Il fournira des exemples de bonnes pratiques
mises en œuvre pour lutter contre ces inégalités, préjugés et stéréotypes,
et recensera des domaines possibles d’action dans l’optique de proposer
plusieurs recommandations à l’intention des États membres sur les
moyens de mieux comprendre et soutenir les personnes atteintes d’autisme
et leur famille.
4 Législation,
stratégies et plans d’action
16. Si la plupart des pays disposent
d’une législation, de stratégies et de plans d’action visant à répondre aux
besoins des personnes handicapées, qui englobent également les personnes
atteintes d’autisme, peu de pays se sont dotés d’une législation
spécifique concernant ces dernières:
- La France a repris
les dispositions pertinentes de sa loi distincte de 1996 dans une
nouvelle législation intégrée de 2005Note;
- La Roumanie a adopté,
le 12 juillet 2010, la loi no 151 sur
la santé, l’éducation et les services sociaux spécialisés intégrés
destinés aux personnes atteintes de troubles du spectre autistique
et de troubles de santé mentale associés;
- La Slovénie dispose
d’une législation relative à l’éducation des enfants atteints d’autisme;
- La loi de 2009 du Royaume-Uni sur
l’autisme impose au gouvernement anglais de publier une stratégie visant
à améliorer les services de soutien aux adultes atteints d’autisme.
17. Lors de ma visite d’information virtuelle au Royaume-Uni,
tous mes interlocuteurs ont semblé convenir du fait que l’adoption,
en 2009, d’une législation spécifique (la loi sur l’autisme) a réellement
encouragé les développements et conduit à une plus grande responsabilisation,
sans pour autant politiser le sujet. Une législation spécifique
n’a pas besoin d’être complète – la loi sur l’autisme, par exemple,
se contente de confier aux pouvoirs publics la responsabilité d’élaborer
une stratégie nationale relative à l’autisme – mais elle met en avant
le sujet et peut ainsi amener différentes parties du gouvernement
à œuvrer de concert à la réalisation d’un même objectif de manière
coordonnée, grâce à une stratégie ou un plan d’action spécifique.
18. Un plus grand nombre de pays ont élaboré des stratégies ou
des plans d’action spécifiques pour répondre aux besoins des personnes
atteintes d’autisme:
- La Croatie a mis en place un cadre
national en faveur du dépistage et du diagnostic des TSA chez les enfants
âgés de 0 à 7 ans;
- À Chypre, les ministères
compétents ont élaboré un plan d’action portant création d’un centre d’intervention
et de soutien familial pour les personnes atteintes d’autisme, afin
de satisfaire les besoins de 300 enfants autistes et leurs familles.
Ce centre propose notamment des services de soutien et de conseil
psychologiques, des services d’enseignement à domicile et de soutien
scolaire ainsi que des services d’aide sociale;
- La République tchèque prépare
une nouvelle stratégie qui fait suite à l’Initiative visant à améliorer
la situation des personnes atteintes d’autisme et de leur famille,
un document qui expose en détail les problèmes et propose des solutions
dans différents domaines comme l’éducation du public, le dépistage précoce,
le diagnostic, les thérapies, l’estimation de l’aide financière,
l’enseignement, les services sociaux, l’emploi, les situations de
crise et les statistiques;
- En France, le gouvernement
élabore des stratégies nationales quadriennales (la stratégie actuelle,
«le quatrième plan autisme», s’étend de 2018 à 2022, et est dotée
d’une enveloppe de 344 millions d’euros)Note;
- En Allemagne, l’État
(le Land) de Bavière a engagé
un projet d’élaboration d’une stratégie spécifiqueNote;
- La Lituanie dispose
d’un plan d’action 2019-2020 destiné à venir en aide aux enfants
pour lesquels un diagnostic d’autisme ou d’autres troubles du développement
a été posé. Ce plan a été approuvé le 25 avril 2018 par un arrêté
ministériel conjoint signé par le ministre de la Santé, le ministre
de l’Éducation, des Sciences et des Sports, et le ministre de la
Sécurité sociale et du Travail. Il a pour objectif de proposer des
soins de santé, une assistance sociale et une éducation inclusive
de qualité, systémiques, élaborés et intégrés aux enfants atteints
d’autismeNote;
- En République de Moldova,
l’État a approuvé, par la décision gouvernementale no 234
du 24 avril 2019, le Règlement cadre régissant l’organisation et
le fonctionnement du centre d’intervention spécialisé dans les troubles
du spectre autistique et la norme de qualité minimale;
- Aux Pays-Bas, la
Directive relative aux soins de santé pour les jeunes atteints d’autisme
(2015)Note couvre les bureaux de conseils et
les Gemeentelijke Gezondheidsdienst (services
de santé municipaux) et peut jouer un rôle important dans le dépistage
précoce des troubles du spectre autistique; les Lignes directrices
relatives au diagnostic et au traitement des TSA chez les enfants
et les adolescents (2009)Note sont applicables au plan national
et décrivent de manière optimale les soins les plus appropriés pour
les enfants et adolescents atteints d’un trouble du spectre autistique
(présumé), afin d’aider les soignants à prendre des décisions cliniques;
- En Roumanie, le
ministre de la Santé a approuvé en août 2016 les normes méthodologiques
pour la mise en œuvre de la loi de 2010. Le Programme national de
santé mentale et de prophylaxie des pathologies psychiatriques comprend,
depuis juin 2019, deux sous-programmes visant à:
- accroître le niveau de compétence des spécialistes intervenant
auprès de personnes atteintes de troubles du spectre autistique
et de troubles mentaux associés, et améliorer la qualité des services médicaux
qui leur sont fournis;
- renforcer les compétences et les connaissances des parents
et des familles de personnes atteintes de troubles du spectre autistique
et de troubles mentaux associés;
- En Slovénie, le
ministère du Travail, de la Famille, des Affaires sociales et de
l’Égalité des chances a publié un règlement en vertu duquel les
parents d’enfants atteints d’autisme ont droit à des allocations de
garde d’enfants;
- En Espagne, le
ministère de la Santé, de la Consommation et du Bien-être social
a adopté en 2015 la Stratégie nationale relative aux troubles du
spectre autistique. Elle tient lieu de cadre de référence pour la
définition des politiques et actions étatiques, des régions autonomes,
et locales concernant les personnes atteintes de troubles du spectre
autistique. Les plans de travail et les objectifs définis dans la
stratégie visent à promouvoir le respect d’une vie indépendante,
l’autonomie, la pleine participation et l’inclusion, l’égalité,
l’accessibilité et la non-discrimination. Ces plans constituent
le fondement essentiel de l’amélioration de l’inclusion sociale,
de la qualité de vie et de la protection des droits des personnes atteintes
de troubles du spectre autistique. À cet effet, la stratégie prévoit
quinze plans stratégiquesNote dotés d’objectifs
définis qui serviront de cadre pour l’élaboration de mesures concrètes.
Pour mettre en œuvre cette stratégie, un Plan d’action sera élaboré,
précisant les mesures et actions spécifiques pour atteindre les
objectifs, les agents impliqués, le calendrier des actions à mettre
au point et les ressources requises pour ce faire ainsi qu’une méthode
d’évaluation fondée sur des indicateurs;
- En Suisse, le Conseil
fédéral (le gouvernement helvétique) a adopté, en octobre 2018,
une stratégie visant à aider les personnes atteintes de TSA à achever
leur formation professionnelle. Lors de sa séance du 17 octobre 2018,
le Conseil fédéral a approuvé un rapport qui prévoit diverses mesures s’inscrivant
dans le cadre de la stratégie. Le Conseil fédéral entend encourager
les personnes atteintes de TSA de manière à ce qu’elles puissent
participer aussi pleinement que possible à la vie sociale. Il a également
fixé trois axes d’intervention prioritaires: le dépistage précoce
et la pose de diagnostic; le conseil et la coordination; ainsi que
l’intervention précoceNote. Dans ce contexte, un projet pilote
(2019-2022) intitulé «Intervention précoce intensive auprès des
enfants atteints d’autisme infantile» a été lancé;
- La Turquie a mis
en œuvre un Plan d’action national pour les personnes atteintes
de troubles du spectre autistique (2016-2019) ainsi qu’un règlement
sur les services de l’enseignement spécialisé;
- Au Royaume-Uni,
la première stratégie en matière d’autisme, intitulée Fulfilling and rewarding lives,
a été publiée en 2010, fournissant ainsi un cadre aux services du
secteur public qui travaillent avec des adultes atteints d’autisme.
Une version actualisée de la stratégie, Think
Autism, a été publiée en 2014 dans le prolongement de
celle de 2010; une nouvelle stratégie, mettant l’accent sur les
enfants ainsi que sur les adultes atteints d’autisme, devrait être
publiée prochainement.
- En Israël, le Cabinet
a approuvé en 2013 la nomination d’une équipe interministérielle
chargée du traitement des personnes atteintes d’autisme dans le
pays. Cette équipe avait pour vocation de formuler des recommandations
sur la définition et la satisfaction des principaux besoins de ces
personnes – et de leurs familles – en Israël.
19. Je tiens à souligner qu’au Royaume-Uni, la participation de
toutes les parties prenantes, notamment des personnes atteintes
d’autisme et de leurs familles, à la conception et à la mise en
œuvre des politiques était considérée comme un point fort. Ces personnes
savent mieux que quiconque quels sont leurs besoins et sont en mesure
d’attirer l’attention sur les domaines où des améliorations s’imposent.
Il importe par conséquent de réviser régulièrement les stratégies
et les plans d’action et de solliciter l’avis des personnes atteintes
d’autisme et de leurs familles, y compris au stade de l’évaluation
Note.
5 Prévalence,
diagnostic, sensibilisation et compréhension
20. Quinze des pays qui ont répondu
au questionnaire du CERDP disposent de statistiques sur la prévalence
des personnes atteintes d’autisme dans la population: sur un plan
global, la moyenne se situe entre 1 et 1,5 % de la population.
21. Seuls quelques pays ont pu préciser un âge moyen au moment
du diagnostic. À Chypre, en France et en Géorgie, il s’établit avant
l’âge de 3 ans. En Norvège, l’âge moyen au moment du diagnostic
est de 4,9 ans, tandis qu’en Croatie il se situe entre 5 et 7 ans.
En Hongrie, il n’y a pas d’informations ou de données officielles mais
les recherches menées en 2009 par l’association nationale de l’autisme
montrent que même si les parents signalent rapidement les premiers
signes, seuls 11 % des enfants autistes sont diagnostiqués avant l’âge
de 3 ans et 40 % ne le sont qu’après l’âge de 5 ans. Au Canada,
59 % des enfants sont diagnostiqués avant l’âge de 6 ans, et 72 %
avant l’âge de 8 ans.
22. Bon nombre des personnes avec qui je me suis entretenue au
Royaume-Uni ont souligné l’importance d’un diagnostic précoce. Malheureusement,
dans beaucoup de pays, plusieurs années peuvent s’écouler entre l’apparition
des premières suspicions et l’établissement d’un diagnostic formel
(qui, à son tour, ouvre l’accès aux services de soutien appropriés).
Le manque de formation de certains professionnels – notamment, dans les
secteurs de l’éducation et de la médecine – peut conduire à des
erreurs de diagnostic ou à des exclusions du système scolaire. Par
ailleurs, il peut être particulièrement difficile pour les personnes
plus âgées de se faire diagnostiquer. Nous avons recueilli le témoignage
de l’une d’entre elles pour qui le diagnostic (à la fin de la trentaine)
a été révélateur, et a permis d’expliquer nombre des problèmes qu’elle
avait rencontrés. Les filles peuvent également être confrontées
à des difficultés particulières pour se faire poser un diagnostic,
et sont souvent reconnues à tort comme souffrant de dépression ou
d’anxiété.
23. La discrimination intersectorielle est un autre sujet de préoccupation.
Une mère de famille issue d’une minorité ethnique nous a confié
que les professionnels ne l’avaient tout simplement pas prise au
sérieux lorsqu’elle a cherché à obtenir un diagnostic pour son enfant,
lui parlant avec condescendance, comme si ses compétences parentales
étaient en cause et responsables du comportement autistique de son
enfant. Les stéréotypes négatifs concernant les mères célibataires,
les personnes appartenant à une minorité ou issues de l’immigration,
ou fondés sur le genre, l’identité de genre, l’orientation sexuelle,
l’origine ethnique, la pauvreté ou la classe sociale, peuvent également
rendre encore plus difficile l’accès aux services de diagnostic
et de soutien. De plus, la sensibilisation à l’autisme et la compréhension
du phénomène font également parfois défaut au sein des communautés
minoritaires, créant ainsi un cercle vicieux de familles qui ne
demandent ni ne se voient offrir aucune aide.
24. La majorité des pays mènent des activités de sensibilisation
à l’autisme, notamment à l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation
à l’autisme. Ces activités sont organisées par les pouvoirs publics
eux-mêmes, des organisations et des ONG, des associations à vocation
sociale, des établissements d’enseignement, des universités, des
prestataires de soins de santé, ou dans le cadre de conférences professionnelles.
Cependant, comme je l’ai déjà souligné, l’autisme reste souvent
incompris du grand public et des professionnels. Même si, selon
un sondage réalisé en 2015 par la
National
Autistic Society au Royaume-Uni, 99,5 % des personnes
ont entendu parler de l’autisme, seuls 16 % des personnes qui en
sont atteintes et leurs familles estiment que la population en général
comprend ce que cela signifie «être autiste»
Note. Par conséquent, il me semble que
le moment est venu de passer du stade de la sensibilisation à celui
de la promotion d’une réelle compréhension par le grand public et
les professionnels.
25. La plupart des pays organisent des formations pour les enseignants
de maternelle ou primaire, pour leur permettre d’identifier des
signes de l’autisme chez les enfants. Il s’agit de cours spécialisés
dans le cadre de la formation des futurs enseignants (Allemagne?
Autriche et Hongrie) ou de formations ponctuelles ultérieures organisées
par d’autres organismes spécialisés dans l’autisme (Allemagne, Estonie,
Irlande, Lituanie et Pays-Bas). Des guides sont également accessibles
en ligne (Chypre et France). En Irlande, les enseignants sont soutenus
par le gouvernement et encouragés à participer à des stages de formation
facultatifs. Aux Pays-Bas, les enseignants participent à des projets
de formation continue, conformément à la nouvelle loi sur l’éducation inclusive
(Wet Passend Onderwijs) qui
vise à garantir que les enfants atteints d’autisme soient plus souvent scolarisés
dans l’enseignement primaire ordinaire.
26. La formation des professionnels qui interviennent auprès de
personnes atteintes d’autisme (en particulier ceux qui travaillent
avec des enfants autistes) est essentielle. Au Royaume-Uni, comme
cela m’a été signalé lors de ma visite d’information virtuelle,
les professionnels insuffisamment formés pour comprendre l’autisme
sont l’une des principales préoccupations des personnes autistes.
Cela n’est pas surprenant, sachant qu’une telle méconnaissance peut
donner lieu à des erreurs d’appréciation et s’avérer particulièrement problématique
lorsqu’il est question d’accès à l’éducation, aux soins de santé,
aux services sociaux ou aux prestations sociales. Un tel défaut
de compréhension de la part d’un policier ou d’un juge peut avoir
des conséquences encore plus graves, et conduire notamment à une
arrestation injustifiée, un placement en détention provisoire, voire
même à une condamnation à une peine de prison. Un mauvais diagnostic
par le personnel médical peut également aboutir à un internement
injustifié ainsi qu’à un placement et traitement non volontaires
en établissement psychiatrique. Il est relativement aisé d’éviter
ces violations des droits humains en formant correctement les professionnels,
dans l’idéal en intégrant une composante sur l’autisme dans les programmes
de formation pertinents (par exemple, ceux destinés aux travailleurs
sociaux, aux enseignants, aux professionnels de santé, aux policiers,
aux juristes, etc.).
27. J’ai été destinataire d’une note d’information intéressante
sur les questions transversales liées à l’autisme et aux expériences
des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes, regroupant
les contributions de 10 organisations en Europe
Note.
Selon cette note, ce recoupement pose des problèmes uniques aux
personnes LGBTI atteintes d’autisme, notamment d’isolement social,
de limitations de l’accès aux soins médicaux et de discrimination
au sein de communautés LGBTI. Je dois reconnaître que je n’étais
pas au courant que, selon certaines études, la coexistence de ces
deux situations est plus fréquente que dans la population générale
Note. Je partage donc l’une des conclusions
de la note d’information, à savoir qu’il est important de développer
les connaissances et de construire des ponts entre les communautés
LGBTI et autistes, en particulier parmi les jeunes, mais aussi de
sensibiliser la population générale à ces faits.
6 Éducation
28. Presque tous les pays ayant
répondu au questionnaire ont indiqué que les personnes atteintes d’autisme
fréquentent les écoles ordinaires. La décision d’intégrer ces personnes
dans des écoles ordinaires peut être prise au cas par cas (Autriche
et Lettonie) ou en fonction de la gravité de l’état de santé, ainsi
que selon les préférences des parents (Estonie). Par ailleurs, dans
trois pays, les personnes atteintes d’autisme sont généralement
intégrées dans des établissements d’enseignement ordinaires, sauf
si elles présentent un retard mental important (Finlande, France
et Pays-Bas). La plupart des pays mènent aussi des programmes d’éducation
spécialisée pour les personnes atteintes d’autisme. Au Royaume-Uni,
près de 70 % des enfants autistes sont intégrés dans des écoles
ordinaires, les 30 % restant fréquentant des établissements d’enseignement
spécialisé
Note.
29. Dans la plupart des pays, les enseignants peuvent bénéficier
d’une formation pour enseigner aux enfants atteints d’autisme, mais
elle n’a en général pas de caractère obligatoire. L’Autriche, par
exemple, met l’accent sur la pédagogie inclusive dans les maternelles
et les écoles, et propose donc des formations continues visant à
améliorer les compétences et les aptitudes des enseignants à accueillir
des élèves autistes. De même, la Finlande encourage l’apprentissage
intégré, de sorte que seuls les élèves atteints d’une forme d’autisme
profond, qui présentent souvent également un retard mental important,
étudient dans des groupes spéciaux. En France, la nouvelle stratégie
nationale privilégie l’intervention précoce (dès la petite enfance), une
meilleure intégration des enfants et des adultes dans la société
et une éducation intégrée et inclusive. Au Royaume-Uni, la formation
initiale des enseignants comprend depuis 2018 un module sur l’autisme,
et 150 000 enseignants supplémentaires ont été formés, tout en étant
en activité, par le secteur associatif.
30. En Irlande, des fonds sont consacrés à des services d’intervention
précoce pour les élèves atteints de TSA: les enseignants reçoivent
une formation sur les interventions spécifiques auprès de ces élèves.
De plus, un programme de scolarisation à domicile est financé pour
les jeunes enfants de 2,5 à 3 ans atteints de TSA, ainsi que pour
ceux en attente d’une place dans une classe ou une école spéciale
au cas où cela s’avère nécessaire
Note. Des assistants
de vie scolaire sont affectés aux établissements d’enseignement
primaire, secondaire et spécialisé, afin d’aider les élèves handicapés
qui présentent également des besoins importants en matière de soins.
Le Conseil national pour l’éducation spéciale publie un guide intitulé
Mesures
de soutien pour les élèves atteints de troubles du spectre autistique
dans les écoles (à l’intention des parents). Il compile également des
ressources
destinées aux écoles et liées à l’autisme à des fins de sensibilisation,
ainsi que des
cours et supports
de formation continue dans ce domaine pour les enseignants.
31. Au Monténégro, l’intégration des élèves ayant des besoins
particuliers dans les écoles ordinaires est appuyée par des centres
de ressources (notamment des centres de développement de la petite
enfance) qui fournissent conseils et expertises. Elle est également
favorisée par la formation des enseignants et d’assistants qualifiés
appelés à travailler avec les enfants ayant des besoins spéciaux
en matière d’éducation; l’utilisation de la langue des signes; la
préparation, l’adaptation, la conception et la formation à l’utilisation
de manuels scolaires spécialement dédiés et d’autres supports pédagogiques
spécialisés. La République slovaque, la Slovénie, la Pologne et
le Portugal offrent d’autres exemples de bonnes pratiques en matière d’éducation.
32. Cependant, la mise en œuvre effective d’une éducation inclusive
et intégrée semble rester un défi dans de nombreux pays. Ainsi,
même en Israël – qui est généralement considéré comme un exemple
de bonne pratique – en 2018, seul un tiers environ des élèves atteints
d’autisme étaient scolarisés dans des écoles ordinaires. En Hongrie,
dans son rapport de 2017
Note, le Commissaire aux droits fondamentaux
a attiré l’attention sur la nécessité de mettre en place une éducation
en école maternelle intégrée et adaptée aux enfants présentant des
besoins particuliers et a mis en évidence des cas de négligence
et des pratiques qui enfreignent la loi en matière d’accès à l’éducation
des enfants ayant des besoins spécifiques, notamment le manque de
personnel spécialisé et l’impossibilité pour ces enfants de fréquenter
l’école
Note. Si les mesures à prendre
sont souvent claires
Note, des ressources financières et humaines
insuffisantes, un diagnostic tardif ou des responsabilités mal définies
peuvent entraver l’accès effectif des enfants autistes à des services
éducatifs adaptés et auxquels ils ont droit. Il semble souvent qu’il
faille faire appel à des institutions indépendantes telles que les
médiateurs pour remédier aux lacunes.
33. Certains pays ont trouvé des solutions innovantes et ont de
plus en plus recours aux outils informatiques pour faciliter la
prestation de services éducatifs ou autres aux personnes atteintes
d’autisme. Ainsi, la Hongrie mène jusqu’au 31 décembre 2020 le
projet DATA(Digital Autonomy-Support
in the autistic spectrum), qui vise l’intégration sociale
des personnes atteintes d’autisme et a pour objectif de développer
une application mobile susceptible d’aider ces personnes dans leur
vie quotidienne.
34. La pandémie de covid-19 a eu des effets variables sur l’accès
à l’éducation des enfants atteints d’autisme. Alors qu’au Royaume-Uni,
par exemple, la plupart des écoles sont restées ouvertes pour accueillir les
enfants ayant des besoins spécifiques reconnus, ce n’était pas le
cas de tous les établissements scolaires (notamment certaines écoles
spécialisées pour enfants autistes, dont au moins une n’a jamais
rouvert). Beaucoup de ces enfants souffrent également de comorbidités
et ont donc dû se protéger en restant à la maison, alors même que
leurs écoles étaient en mesure de les accueillir. Les réactions
ont été mitigées: si bon nombre d’entre eux sont très attachés à
la routine et ont grandement regretté l’école, devenant extrêmement anxieux
et difficiles à gérer, certains ont en revanche trouvé plus facile
de participer virtuellement qu’en présentiel. Quoi qu’il en soit,
il semble que la charge supplémentaire pour les familles ait été
énorme.
7 Emploi
35. Pour tous les adolescents,
décrocher (et conserver) un emploi constitue une étape importante
dans leur transition vers l'âge adulte. Alors qu’on estime que 20
à 30 % des personnes atteintes d’autisme ne seraient pas en mesure
de trouver un emploi sur le marché du travail en raison de handicaps
intellectuels et de troubles du langage, la participation à la vie
active des 70 à 80 % restant est également très faible. En France,
1 % seulement des personnes atteintes d’autisme exercent une activité
professionnelle et, au Royaume-Uni en 2019, année du dixième anniversaire
de la loi sur l’autisme (
National Autism
Act), quelque 85 % de ces personnes restaient exclues
du marché du travail
Note. Comme l’a confirmé M. Jones lors
de notre audition en janvier 2020, il est très difficile pour une
personne autiste d’obtenir un emploi à plein temps (même avec un diplôme
universitaire comme lui). Certaines réussissent leur entretien d’embauche
mais se heurtent à des refus une fois en poste.
36. Pour améliorer l’accès à l’emploi, les personnes autistes,
mais aussi leurs employeurs potentiels, auraient besoin de suivre
une formation spécialisée, voire éventuellement d’une mise en relation
et d’un accompagnement pendant les premiers mois. Une autre possibilité
consiste à encourager la certification des employeurs méritants.
«Specialisterne» (les spécialistes),
une entreprise sociale qui a vu le jour au Danemark et qui est opérationnelle
en Autriche depuis 2011, constitue un exemple de bonne pratique.
Elle est spécialisée dans la préparation des personnes atteintes
d’autisme à des emplois adaptés, en ayant recours à un ensemble de
mesures de formation, de coaching et de soutien
Note. De la même manière, la
Finlande a mené un projet sur les perspectives de carrière pour
les personnes ayant des capacités de travail réduites (2016-2018),
et la Suisse a, en 2018, élaboré une stratégie visant à aider les
personnes atteintes d’autisme à mener à bien leur formation professionnelle.
La Hongrie étudie la possibilité de qualifier de forme de discrimination
le refus de satisfaire à l’exigence d’aménagement raisonnable du
handicap.
37. Comme me l’a rappelé à juste titre Lord Touhig, il appartient
également à l’État et pas seulement au secteur privé de créer des
possibilités d’emploi pour les personnes atteintes d’autisme.
8 Soutien
aux personnes atteintes d’autisme et à leurs familles
38. Tous les pays qui ont répondu
au questionnaire du CERDP proposent une forme d’assistance aux personnes
atteintes d’autisme et à leurs familles, allant d’une aide financière
et de programmes de soutien à une assistance pratique (par exemple,
pour trouver un emploi ou dans les périodes de transition tout au
long de la vie), en passant par des services de répit pour aidants
familiaux
Note. Il faut pourtant
noter que ces services d’aide sociale ont été fortement sollicités
– jusqu’au point de rupture parfois – au cours de la pandémie actuelle de
covid-19.
39. Il importe de reconnaître la lourde charge que peut représenter
le fait de s’occuper d’un enfant atteint d’autisme pour les membres
de la famille, en particulier les mères (à qui cette tâche incombe
souvent). Lorsqu’un enfant présente en plus un problème de développement
le risque pour ses parents de développer une détresse psychologique
s’accroît passablement. L’ensemble des études qui ont mesuré l’état
de santé des mères d’enfants autistes démontrent qu’elles présentent
des taux extrêmement élevés de stress, de détresse et de dépression;
ces taux atteindraient entre 50 % et 80 %, des taux plus élevés
que chez les parents dont les enfants présentent des incapacités
telles que la trisomie 21 ou la paralysie cérébrale
Note.
Pour beaucoup de familles, le principal défi consiste à faire face
au comportement de détresse des enfants autistes
Note.
40. La charge qui pèse sur les familles peut également inclure
des facteurs de stress d’ordre financier: en France, par exemple,
l’essentiel de l’assistance dont les personnes autistes ont besoin
n’est que partiellement ou pas du tout pris en charge; seule l’orthophonie
est entièrement prise en charge par le système public. Certaines
familles ayant un enfant autiste paient chaque mois plus de 3 000
euros de leur poche pour des services spécialisés
Note. Beaucoup de nos interlocuteurs
au Royaume-Uni ont également mis en avant la nécessité d’un meilleur
accès à l’aide sociale, ainsi que d’un diagnostic et d’un soutien
plus précoces. L’un des griefs souvent formulés est que les familles
doivent «se battre» pour tout, en raison notamment de la rareté des
ressources qui, de ce fait, ne sont déployées qu’une fois la situation
devenue critique.
41. D’aucuns expriment souvent aussi le souhait de mieux adapter
le monde à l’autisme sur un plan général. Comme l’a expliqué M. Jones
lors de l’audition, l’autisme peut se définir comme un trouble du
traitement des données sensorielles qui conduit les personnes concernées
à se sentir complètement submergées par des sons ou des odeurs tout
à fait ordinaires. La foule engendre un sentiment d’oppression chez
les personnes autistes. Pour certaines d’entre elles, il peut donc
être très pénible de voyager ou de faire des courses; en outre,
les personnes autistes peuvent avoir des difficultés à exercer un
emploi ou à utiliser les services publics. Alors que de nombreux
lieux sont adaptés aux personnes handicapées physiques, presque
rien n’est prévu pour les personnes ayant des besoins psychologiques
particuliers, comme les personnes autistes. Au Royaume-Uni est menée
une action de sensibilisation utilisant comme support de communication
des lanières décorées de tournesols (
sunflower
lanyard); elle vise à mieux faire connaître l’autisme
et les besoins des personnes autistes, afin de les aider à circuler
dans les aéroports, par exemple
Note.
42. La pandémie mondiale de covid-19 a particulièrement frappé
le Royaume-Uni, perturbant de nombreux services d’assistance aux
personnes atteintes d’autisme dans le pays. Outre les répercussions
sur le secteur de l’éducation (voir ci-dessus), les soins de santé
courants ont pâti de la situation et des rendez-vous ont dû être
annulés, entraînant des délais d’attente plus longs pour obtenir
un diagnostic ou une aide une fois celui-ci posé, ou encore pour
répondre à des besoins de santé mentale exacerbés par la crise.
Pour les personnes atteintes d’autisme, l’utilisation des transports
publics s’avère difficile en temps normal et peut devenir encore plus
problématique en période de pandémie. Comme l’a souligné la
National Autistic Society au Royaume-Uni, ces
personnes et leurs familles ont été lourdement touchées, et de manière
disproportionnée, par les mesures prises pour lutter contre le virus
Note. Si l’épidémie de coronavirus, le
confinement et les fermetures qui ont suivi ont bouleversé la vie
et la routine quotidienne de chacun, de nombreuses personnes atteintes
d’autisme et leurs familles se sont senties totalement abandonnées
Note.
Ce sentiment ne se limite probablement pas au Royaume-Uni, et s’étend
à tous les pays touchés par la covid cette année.
9 Santé
mentale
43. On ne saurait trop souligner
l’importance d’une formation adéquate des professionnels de la santé mentale
en contact avec les personnes atteintes d’autisme. J’ai déjà évoqué
le risque d’erreur de diagnostic de l’autisme souvent assimilé à
des troubles de santé mentale dans un chapitre précédent. Cependant,
les personnes atteintes d’autisme ne sont pas à l’abri d’un problème
de santé mentale, tel que la dépression ou l’anxiété. Bien au contraire,
les recherches laissent entendre que 70 à 80 % d’entre elles auront
besoin d’un soutien psychiatrique à un moment ou un autre de leur
vie
Note.
En effet, les taux de suicide plus élevés observés chez les personnes
autistes par rapport au reste de la population témoignent de leurs
difficultés à accéder à temps à des services de santé mentale
NoteNote.
Il est par ailleurs important d’adapter les traitements en la matière aux
besoins des enfants et des adultes autistes, pour qui la «thérapie
par la parole» ou la thérapie de groupe peuvent se révéler difficiles.
44. L’Assemblée a déjà pris fermement position à deux reprises
ces dernières années contre le placement et le traitement involontaires
en psychiatrie de personnes handicapées
Note.
Ma collègue Reina de Bruijn-Wezeman (Pays-Bas, ADLE) vient de commencer
à travailler sur un nouveau rapport visant à promouvoir la désinstitutionalisation
des personnes handicapées
Note.
Dans de trop nombreux pays, trop de personnes atteintes d’autisme
sont inutilement placées dans des établissements de santé mentale,
souvent contre leur volonté et celle de leurs familles. Le rapport
(2019) du groupe parlementaire britannique multipartite sur l’autisme
décrit parfaitement bien le dilemme auquel sont confrontées ces
personnes et leurs familles: trop souvent, certaines personnes réclamant
un soutien psychologique à un stade précoce se voient opposer un refus
du fait qu’elles sont atteintes d’autisme. En revanche, beaucoup
de celles n’ayant pas besoin de services de santé mentale y sont
soumises de force pour la même raison
Note.
45. Là encore, la pandémie de coronavirus semble avoir accentué
les problèmes: l’impact sur les personnes atteintes d’autisme vivant
en institution, séparées de leur famille et frappées d’une interdiction
générale de visite, peut être dévastateur et affecter de manière
particulièrement aiguë leur santé mentale et leur bien-être émotionnel.
La fermeture des hôpitaux psychiatriques au monde extérieur pendant
la pandémie augmente également le risque d’atteintes aux droits
humains
Note. Les pays devraient ainsi porter
une attention particulière aux besoins des personnes atteintes d’autisme
en matière de santé mentale, notamment en période de pandémie: assurer
un accès rapide et efficace aux services de santé mentale et adapter
le traitement aux enfants et adultes atteints d’autisme, tout en
évitant la mise en place de mesures involontaires en psychiatrie.
10 Services
répressifs et système judiciaire
46. Comme le dit ma collègue parlementaire
britannique Anne-Marie Trevelyan, «la grande majorité des personnes
atteintes d’autisme sont des citoyens respectueux des lois». Pourtant,
elles peuvent être confrontées au système judiciaire pour diverses
raisons, que ce soit en tant que victime, témoin ou prévenu. Certaines
d’entre elles sont davantage susceptibles d’être victimes d’infractions
pénales ou de devenir involontairement complices d’activités criminelles.
Quel que soit le cas, elles ont le droit d’être entendues par le
système judiciaire
Note.
47. Si les relations avec les services répressifs et le système
de justice sont également anxiogènes pour les personnes neurotypiques,
elles le sont encore plus pour celles atteintes d’autisme, au risque
de conduire à de graves erreurs judiciaires. Malheureusement, il
semblerait que la prise de conscience du problème soit insuffisante
en Europe – et même les pays qui y sont sensibilisés, par exemple
le Royaume-Uni, ont du mal à y faire face. Tout résulte d’une méconnaissance
fondamentale de l’autisme qui pourrait être corrigée, espérons-le,
grâce à la mise en place d’une formation obligatoire sur l’autisme
pour les agents des services répressifs et les professionnels du
droit.
11 Conclusions
et recommandations
48. Au cours de l’élaboration du
présent rapport, je me suis rendu compte à quel point la société
en général reste influencée par les stéréotypes concernant les personnes
atteintes d’autisme. La discrimination fondée sur ces stéréotypes
demeure également très répandue. Même les responsables politiques
sont parfois interpellés par la façon dont les personnes autistes
perçoivent le monde et communiquent avec lui, comme en témoigne
la réaction de certains d’entre eux à l’égard de Greta Thunberg.
Cette jeune militante s’est fait connaître en août 2018, lorsqu’elle
a commencé à l’âge de 15 ans une «grève scolaire», passant ses journées devant
le Parlement suédois pour appeler à une action plus énergique contre
le changement climatique. Dans les faits, la voix de nombreux enfants
autistes ne se fait pas entendre du tout, ou ce sont leurs parents
qui parlent en leur nom. Même les associations représentant des
adultes atteints d’autisme semblent se faire rares
Note. Dans un tel contexte, il est essentiel
que les autistes soient considérés comme des personnes ayant des
besoins individuels (et, j’ajouterais, des droits individuels) et
non comme des personnes pour lesquelles il importe uniquement de
poser un diagnostic, même si celui-ci est important en soi
Note.
49. J’ai également été frappée par la grande diversité des points
de vue concernant la prise en charge par l’État des personnes atteintes
d’autisme et le soutien accordé à leur famille, selon que l’on pose
cette question à des associations des personnes concernées, à des
ONG, aux pouvoirs publics, aux parlements ou à d’autres organisations
(telles que des organisations internationales, des organisations
professionnelles, etc.). Ainsi, par exemple, en République slovaque
– à l’instar de la plupart des pays – les organisations de parents
et le secteur non gouvernemental ont à maintes reprises fait part
de leur mécontentement quant au rôle et au soutien de l’État. Si
la législation actuellement examinée par le Parlement slovaque tient
compte de certaines de ces préoccupations, il semblerait qu’elles
ne soient pas toutes prises en considération.
50. Avec plus de 12 000 signatures recueillies, la pétition en
faveur de la résolution des problèmes rencontrés au quotidien par
les personnes atteintes d’autisme (qui a été adressée en juin 2019
au Premier ministre, au ministère de l’Éducation ainsi qu’à celui
des Affaires sociales et de la Famille de la République slovaque)
est emblématique à cet égard. Elle comportait huit demandes d’amélioration
qui, je pense, pourraient concerner n’importe quel autre État. Ces
demandes portaient sur le diagnostic précoce de l’autisme; une prise
en charge coordonnée par l’État de l’enfance à l’âge adulte; une
meilleure intégration dans le système éducatif; la mise en place
de spécialistes de l’autisme au sein du système éducatif; la formation
des parents, des enseignants et des assistants; l’intégration du
thème de l’autisme dans les programmes éducatifs; l’amélioration
des conditions juridiques et financières des prestataires de services
sociaux aux personnes atteintes d’autisme; une meilleure accessibilité
aux services sociaux et à leurs prestataires pour les personnes atteintes
d’autisme et leurs familles (y compris aux services de répit pour
aidants familiaux)
NoteNote.
51. Malgré les exemples de bonnes pratiques que j’ai pu mettre
en évidence dans le présent rapport, il convient de reconnaître
la subsistance, dans la plupart des États membres, de problèmes
plus ou moins graves qu’il y a lieu de prendre en considération
et de résoudre. J’ai fondé mes recommandations aux États membres
sur les exemples de bonnes pratiques, dans la mesure où ils sont
la preuve que «quand on veut, on peut» soutenir correctement les
personnes atteintes d’autisme et leur famille. L’exemple de bonne
pratique du Royaume-Uni m’a convaincue du fait qu’il est essentiel,
pour réussir, d’adopter une approche holistique à l’échelle de l’ensemble
des pouvoirs publics, qui rassemble toutes les parties prenantes
(y compris les personnes atteintes d’autisme et leurs familles).
52. J’aimerais aussi mettre en avant l’importance de la participation
des parlements, qui peuvent adopter la législation nécessaire, conformément
à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées,
et allouer les ressources budgétaires nécessaires, mais aussi inciter
les pouvoirs publics à adopter des stratégies et des plans d’action
nationaux appropriés et leur demander de rendre des comptes quant
à leur mise en œuvre effective – tout en contribuant bien sûr aux
actions de sensibilisation, voire aux efforts de recherche
Note.
53. J’ai été particulièrement frappée par une statistique: les
recherches montrent que les personnes atteintes d’autisme sont sept
fois plus exposées à la solitude que le reste de la population
Note.
Elles craignent souvent le regard des autres dès lors qu’elles sortent.
Voilà un point sur lequel nous pouvons tous influer. Nous n’avons
pas besoin d'attendre l’adoption d’une législation ou l’élaboration
de stratégies et de plans d’action nationaux par les pouvoirs publics,
pour aller de l’avant et chercher à mieux comprendre l’autisme.
Chacun à notre niveau, nous pouvons nous efforcer de mieux adapter
le monde à l’autisme.