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La liberté des médias, la confiance du public et le droit de savoir des citoyens

Rapport | Doc. 15308 | 07 juin 2021

Commission
Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias
Rapporteur :
M. Roberto RAMPI, Italie, SOC
Origine
Renvoi en commission: Doc. 15040, Renvoi 4495 du 6 mars 2020. 2021 - Troisième partie de session

Résumé

Il n’y a pas de démocratie sans la possibilité réelle de faire des choix délibérés. Cette possibilité ne peut être assurée que si le public est dûment informé et peut s’informer librement, si un véritable débat d’idées, portant sur un vaste éventail de questions, peut avoir lieu sur la base de la connaissance exacte, précise et complète d’éléments factuels, et si chacun possède les capacités et la culture nécessaires à l’analyse critique des différents points de vue, et peut s’exprimer sans crainte.

Aujourd’hui, nos valeurs démocratiques et le fonctionnement de nos institutions démocratiques sont mis à rude épreuve par la désinformation et les tentatives récurrentes de manipulation de l’opinion publique. De nombreux développements récents ont érodé les prérogatives du parlement et son rôle fondamental de médiation dans une société démocratique. Le sentiment croissant d’un fossé entre les institutions gouvernementales et le public a renforcé la méfiance des citoyens.

En conséquence, il est nécessaire d’établir un vaste droit de savoir, défini comme le droit civil et politique du citoyen d’être activement informé sur tous les aspects concernant toutes les étapes des processus d’élaboration des politiques et des processus administratifs ou réglementaires, afin de permettre une pleine participation démocratique et de tenir les administrateurs des biens publics comptables de leurs actes, dans le respect des normes des droits humains et de l’État de droit.

A Projet de résolutionNote

1. Sans l’exercice éclairé du droit de vote, sans le droit des citoyens de participer de façon responsable et démocratique à l’élaboration des politiques et aux processus décisionnels en se fondant sur un large débat public et parlementaire, sans ces outils fondamentaux de contrôle démocratique de l’action du gouvernement et du législateur, la démocratie n’est que façade.
2. Il n’y a pas de démocratie sans la possibilité réelle de faire des choix délibérés. Cette possibilité ne peut être assurée que si le public est dûment informé et peut s’informer librement, si un véritable débat d’idées, portant sur un vaste éventail de questions, peut avoir lieu sur la base de la connaissance exacte, précise et complète d’éléments factuels, et si chacun possède les capacités et la culture nécessaires à l’analyse critique des différents points de vue, et peut s’exprimer sans crainte. De même, ces conditions sont essentielles pour que les représentants élus du peuple puissent exercer leur mandat de manière efficace et responsable.
3. Aujourd’hui, nos valeurs démocratiques et le fonctionnement de nos institutions démocratiques sont mis à rude épreuve par les récits post-vérité, la désinformation, la concentration du contrôle de l’ordre du jour et les tentatives récurrentes de manipulation de l’opinion publique. En outre, de nombreux développements récents ont érodé les prérogatives du parlement et son rôle fondamental de médiation dans une société démocratique. Le sentiment croissant d’un fossé entre les institutions gouvernementales et le public a renforcé la méfiance des citoyens, compromettant ainsi la gouvernance démocratique et l’efficacité de la mise en œuvre des politiques publiques.
4. En conséquence, pour l’Assemblée parlementaire, il est nécessaire d’établir un vaste droit de savoir, défini comme le droit civil et politique du citoyen d’être activement informé sur tous les aspects concernant toutes les étapes des processus d’élaboration des politiques et des processus administratifs/réglementaires, afin de permettre une pleine participation démocratique et de tenir les administrateurs des biens publics comptables de leurs actes, dans le respect des normes des droits humains et de l’État de droit.
5. Les limitations au droit de savoir, destinées à protéger la sécurité nationale, le droit à la vie privée ou d’autres droits humains, doivent être étroitement définies.
6. La mise en œuvre du droit de savoir comporte trois dimensions actives: les obligations directes que les autorités publiques et les institutions publiques ou privées qui exercent des fonctions publiques doivent respecter, indépendamment de demandes spécifiques; le droit des citoyens d’être notifiés, d’être informés, d’avoir accès aux informations pertinentes et de contribuer à l’élaboration et à l’évaluation des lois, règlements et autres instruments politiques; et un environnement éducatif et culturel tendant à améliorer et stimuler l’apprentissage continu des citoyens dans une société de l’information.
7. Pour donner pleinement effet au droit de savoir du citoyen, il est nécessaire d’établir une écologie d’instruments de politique publique, y compris des mécanismes de consultation, de notification et de commentaire, des évaluations d’impact et des évaluations ex post de la réglementation et des lois.
8. L’entrée en vigueur de la Convention sur l’accès aux documents publics (STCE n° 205, «Convention de Tromsø») est une avancée importante, que l’Assemblée salue. Toutefois, l’Assemblée observe avec préoccupation que le nombre d’adhésions à la Convention de Tromsø est très faible.
9. Les médias jouent un rôle essentiel dans la définition de l’ordre du jour et la fourniture en temps utile d’informations pluralistes et fiables. C’est pourquoi il est essentiel que les normes du Conseil de l’Europe relatives à la liberté, l’indépendance éditoriale et le pluralisme des médias, la protection des journalistes, les critères et garanties de financement et la transparence de la propriété des médias soient pleinement mises en œuvre et contrôlées de manière adéquate.
10. Les citoyens doivent savoir qui se cache derrière l’information et connaître l’ensemble de la structure de propriété des médias, jusqu’aux bénéficiaires effectifs, ainsi que les accords de partage d’information entre les médias et d’autres entités. Ces informations ne sont pas toujours faciles à trouver ou à suivre, en particulier lorsque les structures de propriété des médias sont transnationales. L’Assemblée considère que ces informations doivent être rendues publiques.
11. De même, l’accès aux informations contenues dans les registres des sociétés est essentiel pour les organisations citoyennes de surveillance, comme les groupes de la société civile qui luttent contre la corruption, et pour les journalistes d’investigation qui enquêtent sur d’éventuelles activités illégales. Refuser de donner accès aux données sur la propriété et les structures des entreprises, ou restreindre cet accès de manière significative, y compris par des coûts prohibitifs, limite le droit de savoir du public et peut ouvrir la porte à la corruption, à la fraude, au blanchiment d’argent, aux violations des droits humains et à d’autres activités illégales.
12. Si le droit de savoir vise à renforcer la participation constructive des citoyens au processus décisionnel, il est nécessaire d’assurer la transparence des exercices de participation et des contributions des groupes d’intérêt, y compris les lobbyistes professionnels, les associations professionnelles et les organisations de la société civile.
13. L’Assemblée constate avec préoccupation que, dans la plupart des États membres, il n’existe pas de règles sur la transparence garantissant que la société civile, les journalistes et le public puissent obtenir des informations sur la façon dont l’intelligence artificielle est utilisée et dont les données alimentent la prise de décision automatisée. En outre, l’Assemblée est convaincue que le fait de garantir au grand public un accès libre et facile aux connaissances scientifiques et autres sources de savoir présente des avantages considérables pour la société.
14. En outre, le droit de savoir du citoyen est intrinsèquement lié à l’accès libre, facile et tout au long de la vie aux instruments culturels, qui sont des outils indispensables au développement d’une compréhension critique et indépendante de l’information et à la participation active, inclusive et délibérée à une société démocratique. L’art est un facteur positif de renforcement des capacités de réflexion critique. À cet effet, il convient de promouvoir une large présence des lieux de culture tels que les bibliothèques, les théâtres, les musées et les salles de concert, et de renforcer l’inclusion de tous les acteurs de la société dans la vie culturelle.
15. Le rôle principal et la responsabilité première, pour garantir le droit de savoir, incombe aux États membres et aux autorités publiques. Cependant, d’autres acteurs tels que les médias publics et privés ou les institutions de l’éducation et de la culture entrent également en jeu et doivent assumer leur part de responsabilité dans l’éducation de citoyens actifs et informés. Les actions des différentes parties prenantes doivent être cohérentes et synergiques, d’où l’importance déterminante des partenariats entre ces acteurs.
16. En conséquence, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
16.1 à reconnaître le droit de savoir en tant que droit civil et politique du citoyen d’être activement informé sur tous les aspects concernant toutes les étapes des processus d’élaboration des politiques et des processus administratifs/réglementaires, afin de permettre une pleine participation démocratique et de tenir les administrateurs des biens publics comptables de leurs actes, dans le respect des normes des droits humains et de l’État de droit;
16.2 à ratifier la Convention de Tromsø, s’ils ne l’ont pas encore fait, en s’engageant à respecter les dispositions facultatives sur la transparence législative et judiciaire, et à mettre leurs lois sur l’accès à l’information en conformité avec les normes les plus élevées de la convention;
16.3 à soutenir la création rapide du comité de suivi de la Convention de Tromsø et à engager des fonds suffisants pour lui permettre d’œuvrer avec efficacité;
16.4 à promouvoir, en y participant, des échanges de savoir à l’échelle de la région Europe sur les bonnes pratiques relatives à la mise en œuvre du droit d’accès à l’information, ce qui pourrait également être d’une grande utilité pour le comité de suivi de la Convention de Tromsø;
16.5 à concevoir et à mettre en œuvre, parallèlement à la consolidation des normes existantes établies par la Convention de Tromsø, des mesures complémentaires visant à garantir de façon effective le droit de savoir conformément aux principes énoncés dans la présente résolution et, en particulier, à veiller à ce que l’information d’intérêt public soit collectée, réunie et rendue publique en temps utile et de façon effective, selon une approche intégrant le principe de transparence dès la conception;
16.6 à s’inspirer de la directive 2014/95 de l’Union européenne sur la publication d’informations non financières afin de prendre des dispositions visant à étendre le champ d’application des lois sur l’accès à l’information à tous les organismes privés exerçant des fonctions publiques ou utilisant des fonds publics, et à assurer la publication par les grandes entreprises d’informations spécifiques dans les domaines d’intérêt public essentiels tels que le respect des droits humains, la lutte contre la corruption, la protection de l’environnement, la responsabilité sociale, le traitement des employés et la diversité au sein des conseils d’administration en termes d’âge, de sexe, de formation et de parcours professionnel;
16.7 à adopter des lois qui assurent la transparence des activités de lobbying, conformément à la Recommandation CM/Rec(2017)2 du Comité des Ministres aux États membres relative à la réglementation juridique des activités de lobbying dans le contexte de la prise de décision publique;
16.8 à coopérer avec le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) et d’autres acteurs internationaux pertinents, ainsi qu’avec la société civile, pour élaborer un cadre juridique permettant et facilitant l’accès aux informations contenues dans les registres des sociétés, en s’appuyant également sur les bonnes pratiques développées par les pays qui disposent de registres des sociétés ouverts;
16.9 à mettre leur législation et leur pratique en conformité avec la Résolution 2065 (2015) de l’Assemblée «Accroître la transparence de la propriété des médias» et la Recommandation CM/Rec(2018)1 du Comité des Ministres aux États membres sur le pluralisme des médias et la transparence de leur propriété, afin de mettre pleinement en œuvre les normes du Conseil de l’Europe relatives à la transparence de la propriété et au financement des médias, et à demander une transparence complète dans la définition et l’exécution des accords de partage d’information que les médias concluent avec des tiers;
16.10 à mettre en place un système national indépendant de contrôle de la légalité, de l’exactitude et de la complétude des informations fournies par tous les médias nationaux, et à rendre publiques les données ventilées issues de ces contrôles au moins une fois par mois;
16.11 à revoir les mécanismes de financement et éviter les coupes budgétaires dans le secteur des médias en vue de préserver et de renforcer un paysage médiatique ouvert et pluraliste, et à mettre pleinement en œuvre les multiples recommandations pertinentes du Conseil de l’Europe en la matière;
16.12 à mettre leur législation et leur pratique en conformité avec la Recommandation CM/Rec(2020)1 du Comité des Ministres aux États membres sur les impacts des systèmes algorithmiques sur les droits de l’homme, et à organiser des débats sur la transparence des algorithmes utilisés par les entreprises des médias sociaux, en réunissant les parties prenantes concernées, afin de débattre des moyens d’assurer un contrôle parlementaire et citoyen de ces algorithmes;
16.13 à encourager les acteurs qui produisent des connaissances et ceux qui les publient à mettre leurs travaux à disposition gratuitement et dans des formats ouverts, et à soutenir les bonnes pratiques en matière de libre accès afin que les résultats de la recherche soient plus accessibles à tous les acteurs de la société, dans le but de fournir de meilleures données scientifiques et des innovations aux secteurs public et privé;
16.14 à créer et renforcer les instruments de diffusion de la connaissance culturelle à un vaste public; à promouvoir, à cet égard, le rôle des bibliothèques, des musées, des théâtres, des salles de concert et des autres institutions culturelles, et à établir une mesure minimale de leur présence par habitant, soumise à contrôle.
17. Les parlementaires ont un droit renforcé d’accès à l’information. Les élus peuvent se voir donner accès à des informations qui sont confidentielles pour d’autres, et jouent un rôle crucial dans la médiation du débat public entre les différents niveaux de la société et dans la protection des droits des minorités. En conséquence, l’Assemblée invite les parlements nationaux à analyser et à évaluer les mécanismes de participation au processus décisionnel à tous les niveaux, y compris la fixation de l’ordre du jour et le temps alloué aux débats et aux questions parlementaires, en vue de garantir que les questions d’intérêt public soient pleinement débattues et que les informations d’intérêt public soient rendues publiques.
18. L’Assemblée appelle les parlementaires à engager un débat coordonné sur l’établissement de règles communes et partagées concernant l’application et la révision des normes en matière de confidentialité, dans les États membres et les institutions régionales, s’agissant notamment des procédures de vote, afin de lutter contre la culture du secret pour prévenir la méfiance du public, et en vue de renforcer le droit de savoir des citoyens.

B Projet de recommandationNote

1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution... (2021) sur «La liberté des médias, la confiance du public et le droit de savoir des citoyens», salue l’entrée en vigueur de la Convention sur l’accès aux documents publics (STCE n° 205, Convention de Tromsø). Toutefois, elle estime que le droit d’accès à l’information devrait être élargi davantage et qu'un ensemble solide et complet de mesures de transparence donnant pleinement effet au droit d'accès à l'information devrait être mis en œuvre, pour avancer vers un droit de savoir étendu.
2. En conséquence, l’Assemblée recommande que le Comité des Ministres charge le Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH), en collaboration avec le Comité directeur sur les médias et la société de l’information (CDMSI), des tâches suivantes:
2.1 évaluer le respect par les États membres de la Recommandation CM/Rec(2017)2, de la Recommandation (2018)1 et de la Recommandation CM/Rec(2020)1, et identifier les mesures supplémentaires nécessaires à leur mise en œuvre effective;
2.2 préparer un rapport complet sur les modèles de suivi et de contrôle indépendants du droit d’accès à l’information dans les États membres, en tenant compte également de la dimension de culture démocratique élaborée par la Direction générale de la Démocratie (DGII) dans le Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie;
2.3 lancer une étude visant à identifier les bonnes pratiques en matière d’écologie des instruments politiques permettant d’établir les responsabilités tout au long du processus d’élaboration des politiques et du processus administratif, en examinant en particulier les conditions dans lesquelles la consultation, l’évaluation de l’impact des lois proposées, la liberté d’information, l’institution de médiation, l’examen des lois ex post et le contrôle judiciaire de l’administration peuvent contribuer à la responsabilisation;
2.4 rédiger, également sur la base de cette étude, un ou plusieurs instruments non contraignants, énonçant des lignes directrices sur:
2.4.1 la publication proactive d’informations d’intérêt public, selon une approche intégrant le principe de transparence dès la conception; cela devrait également concerner les organismes privés qui ont un mandat public ou qui opèrent dans des domaines de grand intérêt public, tels que la défense des droits humains, la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption;
2.4.2 le suivi de la mise en œuvre et l’identification de bonnes pratiques dans l’élaboration d’instruments politiques qui établissent les responsabilités tout au long du processus d’élaboration des politiques et du processus administratif;
2.4.3 l’accès du public aux informations relatives aux pouvoirs législatif et judiciaire, y compris le système des questions parlementaires et les règles de débat, ainsi que le libre accès à toutes les décisions de justice, à condition de respecter un juste équilibre entre le droit d'accès et la protection de la vie privée;
2.4.4 la transparence du lobbying effectué par des acteurs privés;
2.4.5 l’accès du public aux registres des sociétés, en précisant les types de données et de documents qui doivent être rendus publics.
3. L’Assemblée recommande également que le Comité des Ministres développe sa coopération avec les organismes régionaux et internationaux concernés, tels que l’UNESCO, la Banque mondiale et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), sur le suivi du droit d’accès à l’information dans le cadre de l’indicateur 16.10.2 des Objectifs de développement durable des Nations Unies, en visant à établir un lien étroit entre la transparence, le libre accès, le développement durable et la défense des sociétés démocratiques et justes.

C Exposé des motifs par M. Roberto Rampi, rapporteur

1 Introduction

1. Il existe une condition essentielle pour qu’une société démocratique fonctionne correctement et solidement: les citoyens doivent être bien informés, participer activement aux processus d’élaboration des politiques et de prise de décision, et avoir la possibilité pratique et les moyens effectifs d’exercer un contrôle démocratique sur l’action des gouvernements et des législateurs. Pour faire des choix délibérés et valables, les citoyens doivent avoir la liberté, la capacité et la culture nécessaires pour se décider en ayant pleine connaissance des faits, y compris la base factuelle des décisions administratives et gouvernementales, ainsi que pour analyser de manière critique les différents points de vue et s’exprimer sans crainte.
2. Au-delà des médias traditionnels et des nouveaux médias, les citoyens sont en droit de disposer également d’autres canaux par lesquels les informations d’intérêt public doivent leur être fournies, tels que l’administration publique, les agences gouvernementales et les parlements. La récente entrée en vigueur de la Convention sur l’accès aux documents publics (STCE n° 205, Convention de Tromsø) est une avancée importante à cet égard. Mais ce n’est qu’un premier pas.
3. Je suis fermement convaincu que nous devons continuer à progresser vers un droit de savoir, un vaste droit des citoyens à être activement informés sur tous les aspects de la gestion de toutes les affaires publiques. Le présent rapport a pour but de faire avancer la reconnaissance et la garantie effective du droit de savoir, afin d’assurer des processus d’élaboration des politiques et de prise de décision légitimes, transparents et responsables à tous les niveaux de gouvernance. Un résultat naturel de la mise en œuvre du droit de savoir sera sans aucun doute le renforcement de la confiance des citoyens dans les institutions et les fondements des sociétés démocratiques.
4. Les trois éléments essentiels permettant d’assurer aux citoyens l’exercice de leur droit de savoir sont la garantie d’un droit d’accès complet à l’information, la protection de la liberté d’expression et de la liberté des médias, et la garantie d’un droit de participation aux processus de décision publique.
5. Le Conseil de l’Europe, en tant que principal défenseur de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit sur le continent, a déjà fait beaucoup pour faire progresser le droit de savoir, grâce à son action normative sur le droit d’accès à l’information depuis 1981 et à son important travail sur la liberté d’expression, la liberté, le pluralisme et la diversité des médias, ainsi que sur la promotion de l’éducation aux médias. Le droit à la participation, qui n’est pas expressément protégé par la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5), a reçu moins d’attention.
6. Le présent rapport passe en revue l’ensemble des normes élaborées par le Conseil de l’Europe sur le droit d’accès à l’information et se penche sur les défis actuels qui doivent être relevés pour garantir aux citoyens un droit de savoir complet, en suggérant une série d’actions futures que l’Organisation pourrait mener.
7. Tout au long du rapport, j’ai recensé les autres forums intergouvernementaux, tels que l’Union européenne, l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le Partenariat pour un gouvernement ouvert et le Groupe d'États contre la Corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe, qui travaillent actuellement sur les questions abordées, ainsi que les normes pertinentes et les processus normatifs et de recherche en cours.
8. Mon analyse s’appuie sur l’excellent rapport de base de Mme Helen Darbishire, Directrice exécutive d’Access Info EuropeNote, que je remercie vivement pour son travail remarquable. J’ai aussi pris en compte les contributions d’autres expertsNote et de plusieurs membres de la commission.

2 Le droit de savoir: une nouvelle notion au Conseil de l’Europe

9. Selon la Commission mondiale pour l’état de droit «Marco Panella», le droit de savoir est une perspective centrée sur le citoyen qui concerne un ensemble de droits, en particulier ceux qui sont protégés par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression et d’information. Il a été défini comme «un droit civil et politique du citoyen qui doit être activement informé sur tous les aspects de la gestion des ressources publiques par l’administration pendant tout le processus politique, afin de permettre la participation pleine et démocratique au débat public concernant ces biens, et de tenir les administrateurs des biens publics responsables conformément aux normes relatives aux droits humains et à l’État de droit»Note.
10. Pour que chaque citoyen soit bien informé, puisse pleinement comprendre et utiliser les informations reçues, soit libre et capable de former et d’exprimer des opinions, et dispose des droits et des infrastructures nécessaires pour participer pleinement à la vie publique, les États doivent prendre une série de mesures, à la fois pour assurer le respect de ces droits et pour les promouvoir activement.
11. Le Conseil de l’Europe a développé un important corpus de normes sur la liberté des médias, qui énumère et définit clairement les obligations des États pour garantir le pluralisme et la diversité de la sphère médiatique. Le Conseil de l’Europe a également accompli un travail considérable en matière d’éducation aux médias.
12. En 2020, quelques décennies seulement après la quatrième révolution industrielle, à savoir la révolution numérique, il est clair que la liberté médiatique est mise à mal par deux difficultés majeures. La première est que les normes existantes ne sont pas pleinement mises en œuvre ou ne font pas l’objet d’un suivi adéquat dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. La seconde est que l’ère numérique a généré de nouveaux défis qui exigent de repenser d’urgence ces normes, par exemple pour lutter contre l’utilisation des médias sociaux pour propager des fausses informations.
13. Il est également évident que, aussi pluraliste et bien réglementé que l’environnement médiatique puisse être, le droit de savoir des citoyens n’est pas complet sans une série de mesures complémentaires. Il est notamment urgent et nécessaire de mettre en place un ensemble solide et complet de mesures de transparence pour donner pleinement effet au droit d’accès à l’information. La liberté des médias ne prend tout son sens que lorsque suffisamment d’informations entrent dans le domaine public, de même que le droit des citoyens de participer au débat public et aux affaires publiques ne prend tout son sens que si ces derniers sont dûment informés.
14. Pour commencer, il convient de souligner que les progrès considérables réalisés en matière de droit d’accès à l’information au cours des 20 dernières années ont abouti à la définition d’un droit, et à son intégration dans le cadre international des droits humains, qui se rapproche fortement du concept de droit de savoir.
15. En effet, le droit des citoyens à accéder aux informations détenues par des organismes publics et l’obligation positive de publier l’information de manière proactive ont été clairement établis. Le droit d’accès à l’information a été reconnu par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et, dans une certaine mesure, la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par les mandataires spéciaux sur la liberté d’expression, dont le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias.
16. En outre, de nombreuses constitutions reconnaissent un droit d’accès à l’information et l’Union européenne reconnaît un droit fondamental d’accès à ses documents. En outre, si ces législations réglementent en général le droit de demander des informations, nombre d’entre elles imposent aussi des obligations de publication proactive aux organismes publics.
17. Au total, 130 pays dans le monde – dont tous les États membres du Conseil de l’Europe à l’exception d’Andorre – disposent d’une loi sur l’accès à l’information ou sur la liberté d’information, et ces lois sont désormais considérées comme une condition incontournable d’une société démocratique. La qualité des législations et de leur mise en œuvre varie, et ce sont ces failles dans la loi et la pratique qui limitent encore le droit de savoir du public en 2020, et qui continuent à affaiblir la valeur de ce droit face à des informations inexactes, déformées ou délibérément fausses.
18. L’importance d’un droit d’accès à l’information pour faire progresser les objectifs de développement durable – en particulier l’objectif 16 qui «vise à promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous» – signifie qu’il existe un indicateur spécifique, l’indicateur 16.10.2, sur «le nombre de pays qui adoptent et mettent en œuvre des garanties constitutionnelles, statutaires et/ou politiques pour l’accès public à l’information».
19. Là où les normes internationales sont moins claires et moins ambitieuses, c’est lorsqu’il s’agit de définir dans quelle mesure le droit à l’information s’applique aux informations détenues par des organismes privés. Certes, les organismes privés ne peuvent en aucun cas porter atteinte à l’exercice de la liberté d’expression, mais on ne sait pas très bien dans quelle mesure ils doivent le faciliter en fournissant des informations.
20. Plusieurs avancées ont toutefois été réalisées dans le but d’assurer l’intégrité et la responsabilité dans la vie publique. Des progrès ont été accomplis dans la définition de normes relatives à l’ouverture des registres des sociétés, à la réglementation et à la transparence des activités de lobbying et à l’obligation des entreprises de publier leurs informations non financières, notamment en matière de droits humains et d’impact environnemental. Le renforcement progressif des règles de protection des dénonciateurs est un exemple de domaine dans lequel des mesures complémentaires ont été prises pour garantir la publication des informations.
21. Le lien entre participation et droit d’accès à l’information est également reconnu. Si la Cour interaméricaine des droits de l’homme a choisi de rattacher ce droit à la liberté d’expression, elle aurait tout aussi bien pu le lier à la participation, qui figure dans la Convention interaméricaine – mais pas dans la Convention européenne des droits de l’homme.
22. La Cour de justice de l’Union européenne a toutefois souligné le lien entre l’accès aux documents et la participation à la prise de décision, en déclarant que «l’exercice par les citoyens de leurs droits démocratiques présuppose la possibilité de suivre en détail le processus décisionnel au sein des institutions participant aux procédures législatives et d’avoir accès à l’ensemble des informations pertinentes»Note.
23. Au cours de la dernière décennie, le mouvement mondial en faveur de la transparence s’est considérablement affermi avec l’émergence du concept de «gouvernement ouvert», qui cadre parfaitement avec le droit de savoir tel que défendu par l’Assemblée. En 2017, l’OCDE a défini le «gouvernement ouvert» comme «une culture de gouvernance qui promeut les principes de transparence, d’intégrité, de redevabilité et de participation des parties prenantes, au service de la démocratie et de la croissance inclusive»Note.
24. Le Conseil de l’Europe n’a pas toujours été le moteur principal de toutes ces évolutions. L’Union européenne a souvent pris l’initiative en matière de réglementation, des organismes comme l’OCDE et l’OSCE ont mené des actions normatives et des processus intergouvernementaux ont été initiés, comme le Partenariat pour un gouvernement ouvert.
25. Cela ne veut pas dire que le Conseil de l’Europe n’a pas apporté sa pierre à l’édifice; sa contribution est incontestable, notamment en ce qui concerne la liberté des médias. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, tant sur le droit d’accès à l’information que dans d’autres domaines comme la protection des dénonciateurs et, plus largement, la protection de la liberté des médias, a directement contribué à faire progresser la réglementation.
26. Par ailleurs, le travail du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) a participé à renforcer les cadres de transparence et de redevabilité au niveau national dans les États membres. Les recommandations spécifiques du GRECO en matière de transparence, qu’elles concernent directement les lois sur l’accès à l’information ou d’autres normes – la transparence des marchés publics ou les déclarations de patrimoine, par exemple – contribuent à faire progresser le cadre général du droit de savoir au niveau national.
27. Le Conseil de l’Europe et l’Assemblée pourraient néanmoins avoir davantage d’impact en proposant une série d’actions consolidées sur les mesures complémentaires qui constituent le droit de savoir. Cet impact pourrait être renforcé par une collaboration avec la communauté du gouvernement ouvert et de l’accès à l’information – société civile ou organismes intergouvernementaux – à travers toute l’Europe.

3 Le droit d’accès à l’information en 2020

28. La première cour internationale des droits humains à reconnaître pleinement le droit d’accès à l’information a été la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En effet, dans l’affaire Claude Reyes c. Chili en septembre 2006, elle a estimé que «[l]e Comité des droits de l’homme des Nations Unies [offrait] une bonne définition dans son Observation générale no 34 de juillet 2011, qui affirme qu’il existe un droit humain fondamental d’accès à l’information détenue par les organismes publics et les organismes privés exerçant des fonctions publiques, et qu’il est lié au droit bien établi à la liberté d’expression énoncé à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques»Note.
29. La Cour européenne des droits de l’homme a été moins catégorique pour reconnaître un droit d’accès absolu à l’information, même si elle a lié le droit d’accès à l’information à la liberté d’expression dans une série d’arrêts emblématiques. On peut notamment citer les affaires TASZ c. Hongrie (2009), Youth Initiative for Human Rights c. Serbie (2013), Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie (2016) et Centre for Democracy and the Rule of Law c. Ukraine (2020).
30. S’il convient de saluer les progrès réalisés par la Cour européenne des droits de l’homme, on observe une certaine insistance à lier le droit d’accès à l’information à la liberté d’expression, au risque de porter atteinte à la valeur plus large de l’exercice par les citoyens de leur droit de savoir. Cela provient notamment du fait que la Cour a défini quatre critères, à savoir: a) le but de la demande d’information; b) la nature des informations recherchées; c) le rôle particulier du demandeur dans la réception et la communication au public des informations; et d) la disponibilité des informationsNote.
31. D’un côté, on ne peut que se féliciter du fait que ce droit soit renforcé pour les journalistes et autres organes de surveillance tels que les organisations de la société civile, mais de l’autre, il est très préoccupant que cela affaiblisse en retour le droit du grand public à exercer son droit plus général à savoir comment sont gérées les affaires publiques.
32. La norme fixée par la Cour européenne des droits de l’homme est décalée par rapport à d’autres organismes internationaux de défense des droits humains. Elle fixe une norme inférieure à l’encadrement du droit dans de nombreuses législations nationales de la région du Conseil de l’Europe, en partie grâce aux dispositions constitutionnelles qui établissent clairement qu’il n’y a pas de conditionnalité à l’exercice du droit.
33. La jurisprudence de la Cour est également en contradiction avec la Convention sur l’accès aux documents publics, qui précise qu’il n’est pas nécessaire de motiver une demande d’informations.

3.1 La Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics («Convention de Tromsø»)

34. La Convention de Tromsø est le premier traité international contraignant sur le droit d’accès à l’information. Elle a été préparée entre 2006 et 2008 et a été ouverte à la signature le 18 juin 2009 à Tromsø, lors d’une réunion des ministres de la Justice.
35. Le rythme des ratifications a été lent, mais la Convention de Tromsø est entrée en vigueur le 1er décembre 2020, l’Ukraine étant devenue le dixième pays à la ratifier.
36. On observe avec inquiétude que, si la plupart des États membres du Conseil de l’Europe sont parties à la Convention de 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, l’adhésion à la Convention de Tromsø a été très faible en comparaison.
37. Les éléments clés de la Convention de Tromsø sont les suivants. Elle donne un droit d’accès à toutes les informations détenues par les organismes publics soumis à obligation, hormis quelques exceptions qui répondent aux critères de préjudice et d’intérêt public. La procédure de demande doit être simple – l’autorisation de demandes anonymes est encouragée – et gratuite. L’accès aux documents ou à l’information doit être fourni dans le format souhaité par le demandeur. La Convention de Tromsø ne fixe pas de délais, mais exige que les demandes soient traitées «rapidement». Il existe un droit de recours, devant un organisme de surveillance indépendant ou devant les tribunaux.
38. La Convention de Tromsø a été reconnue, ce dès sa conclusion, comme offrant, selon les termes de son Rapport explicatif, un «socle minimum de dispositions de base»Note. La Convention a ensuite été quelque peu dépassée par les développements survenus au cours des douze années qui ont suivi la fin de sa rédaction, notamment par de nombreuses nouvelles lois et par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et d’autres cours des droits humains.
39. Pour que le Conseil de l’Europe puisse progresser vers un droit de savoir complet, il doit impérativement tenir compte des normes internationales en vigueur, qui intègrent des éléments absents de la Convention de Tromsø, comme l’obligation positive de publication proactive de volumes importants de documents et de données, ou l’obligation de créer un organe de contrôle indépendant doté des pouvoirs adéquats pour protéger et faire respecter le droit à l’information.
40. Par ailleurs, la Convention de Tromsø prévoit un caractère facultatif de l’application des obligations de transparence au pouvoir judiciaire et législatif. Je souhaite étudier ces lacunes et proposer de faire avancer l’action normative sur ces questions dans le cadre d’un dispositif global de transparence.

4 Les limitations au droit de savoir

41. La Convention de Tromsø prévoit 11 motifs d’exception au droit d’accès à l’information, qui présentent tous un intérêt légitime et respectent tous le critère de préjudice et d’intérêt public.
42. Ces exceptions reflètent les normes de nombreuses législations nationales. Cela s’explique en partie par le travail considérable de normalisation qui avait été effectué en 2006, au début de la rédaction de la Convention. La rédaction de nombreuses nouvelles lois sur l’accès à l’information en Europe à la fin des années 1990, en particulier dans les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale, a contribué à dégager un consensus sur les limitations à ce droit. Les débats qui ont abouti à la recommandation du Comité des Ministres de 2002 sur l’accès aux documents publics ont donné lieu à une série d’exceptions respectant toutes le critère de préjudice et d’intérêt public, ce qui reflète ce qui a été incorporé dans bon nombre des nouvelles lois nationales. Ainsi, la définition de ces exceptions a été l’un des points les moins litigieux de la ConventionNote. Depuis, ces exceptions sont devenues une norme dans la région européenneNote.
43. Cela dit, assurer une application normalisée de ces exceptions dans une région marquée par une telle diversité de cultures de transparence est un défi permanent. Certains pays européens publient leurs contrats de marchés publics dans leur intégralité et divulguent facilement les noms des lobbyistes, tandis que d’autres refusent l’accès à l’information au nom du secret d’affaires et de la protection des données à caractère personnel. Les concepts de «relations internationales» ou de «sécurité nationale» varient d’un pays à l’autre.
44. Le domaine le plus complexe est celui de la protection des données à caractère personnel. En effet, le Règlement général de l’Union européenne sur la protection des données (entré en vigueur le 25 mai 2018 et qui fixe la norme pour l’ensemble de la région européenne, voire au niveau mondial) n’a pas été conçu de façon à garantir que les informations relatives aux acteurs publics, comme les élus et les hauts fonctionnaires, entrent dans le domaine public. C’est une question qui nécessite une discussion au cas par cas pour déterminer si certaines catégories d’informations doivent être divulguées. Une réglementation spécifique est donc nécessaire dans certains domaines (transparence des lobbys, transparence de la propriété effective, publication des déclarations de patrimoine, publication du nom des bénéficiaires de subventions publiques importantes, etc.).
45. Si un pays dispose d’un commissaire à l’information ou d’un organe similaire, ces derniers jouent un rôle essentiel dans la détermination des limites des exceptions, souvent en s’appuyant sur des informations comparatives.

5 Les normes de la publication proactive

46. Comme indiqué ci-dessus, les normes internationales, y compris l’Observation générale no 34 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, établissent clairement que le droit d’accès à l’information comporte deux dimensions: d’une part, les États doivent répondre aux demandes (la dimension «réactive») et, d’autre part, les informations doivent être publiées de manière proactive (la dimension «proactive»).
47. L’importance de la dimension proactive de ce droit ne doit pas être sous-estimée.
48. La Cour européenne des droits de l’homme a clairement indiqué dès 1991 que «l’information [était] un bien périssable et en retarder la publication, même pour une brève période, [risquait] fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt»Note. Cela vaut aussi pour toutes les informations détenues par les organismes publics en ce qui concerne la participation: sans une publication opportune des informations, la possibilité de se forger une opinion sur les débats en cours et d’exercer son droit à la liberté d’expression en commentant et, éventuellement, en participant plus directement, est limitée.
49. Dans un arrêt de 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a évoqué, certes de manière subtile, la possibilité d’imposer la publication proactive d’informations. Dans une affaire où une organisation de la société civile autrichienne demandait l’accès aux registres fonciers d’un cadastre régional, la Commission du Tyrol pour les transactions commerciales, la Cour a considéré que le refus de fournir cette information constituait une violation de la liberté d’expression, mais a estimé que, compte tenu de «l’intérêt public considérable» que présentent ces registres fonciers, il était «frappant qu’aucune de ses décisions ne soit publiée, ne serait-ce que dans une base de données sur support électronique»Note.
50. Non seulement la publication proactive garantit au public un accès plus facile et plus rapide à l’information, mais elle permet également d’alléger la charge des fonctionnaires. Comme l’a noté la Commission mondiale pour l’état de droit “Marco Pannella” dans son Document de définition des concepts (2017), le médiateur européen a recommandé que les données soient structurées de manière à permettre leur diffusion automatique et en temps opportun, plutôt que d’avoir à subir la lourde tâche de préparer une réponse à chaque demandeNote.
51. En ce qui concerne la normalisation de la publication proactive, un travail considérable a déjà été accompli. De plus en plus de lois sur l’accès à l’information exigent une publication proactive, de même que de nombreuses législations complémentairesNote.
52. Si l’on s’appuie sur les études juridiques comparatives menées par Mme Helen DarbishireNote, les informations opérationnelles sur le fonctionnement des organismes publics et les informations concernant spécifiquement les possibilités de participation sont des exemples d’informations qui devraient être publiées de façon proactive. La gamme complète des 231 indicateurs des 17 objectifs de développement durable se rapporte à un grand nombre d’ensembles de données, qui devraient tous devraient être publiés de façon proactive.
53. Les instruments internationaux de lutte contre la corruption, dont la Convention des Nations Unies contre la corruption et les conventions du Conseil de l’Europe contre la corruption, identifient plusieurs types d’informations qui devraient être collectées et publiées, telles que les données sur les marchés publics, les déclarations de patrimoine et de conflit d’intérêts ou les données relatives aux efforts déployés pour faire respecter les lois et lutter contre la fraude et la corruption au niveau national et transnational.
54. Étant donné que la Convention de Tromsø n’a pas établi de normes minimales en matière de publication proactive, il y a de l’espace pour un futur travail normatif en la matière.

6 La transparence des processus de décision

55. Un régime d’accès à l’information bien défini et bien mis en œuvre – comprenant à la fois le droit de demander des informations et des obligations claires de publication proactive – doit permettre de publier suffisamment d’informations pour que le grand public puisse suivre les processus décisionnels.
56. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir suivre le processus décisionnel quasiment en temps réel de manière à permettre une véritable participation, qu’il existe ou non des processus formels de participation et de consultation.
57. Pour cela, tous les éléments qui influencent une décision doivent être rendus publics. Il s’agit notamment des documents et des données utilisés pour analyser une situation, des études et des rapports commandés, des conseils juridiques préparés par les propres avocats du gouvernement et des copies de tous les dossiers déposés par les groupes d’intérêts (société civile, experts universitaires ou lobbyistes).
58. Dans la pratique, très peu de pays y sont parvenus. Il y a plusieurs raisons à cela, dont voici les trois principales:

6.1 Des règles de publication proactive insuffisantes

59. Comme indiqué ci-dessus, si le cadre juridique (général et spécifique à l’accès à l’information) ne prévoit pas d’obligation de publication proactive, alors le seul moyen d’obtenir des informations est de les demander. Or, cela peut prendre beaucoup de temps, même dans les régimes d’accès à l’information les plus souples, et avoir pour conséquence que les informations soient fournies suffisamment à temps pour être prises en compte par les décideurs, mais pas pour être débattues en toute connaissance de cause.

6.2 Archivage: pas de normes, peu de règles

60. L’un des plus grands défis qui se pose actuellement en matière de transparence concerne l’absence d’archivage. Selon une étude réalisée par Access Info (non publiée à ce jour), la réglementation sur la conservation des documents est trop faible dans de nombreux pays européens. Les lignes directrices destinées aux fonctionnaires datent d’avant la révolution numérique et, si les décisions finales sont généralement conservées, la traçabilité des processus décisionnels est souvent insuffisante. Même lorsque des procès-verbaux de réunions sont rédigés, ils sont généralement assez brefs et ne précisent pas les justifications des décisions prises. Les seules justifications qui existent sont celles qui sont requises par une mesure législative spécifique (dans le domaine des marchés publics, par exemple). Par ailleurs, de nombreuses décisions sont prises de manière plus informelle, à la suite d’échanges effectués par courrier électronique ou même en utilisant d’autres plateformes de communication comme WhatsApp ou Telegram, ce qui rend plus difficile le suivi du processus décisionnel. Sans vouloir interférer inutilement avec la rapidité et l’efficacité de la prise de décision, certaines mesures peuvent être recommandées sur la base des meilleures pratiques existantes. Il s’agit notamment de définir les types de décisions pour lesquelles des documents préparatoires doivent être publiés (pour permettre la participation), et celles pour lesquelles des dossiers spécifiques doivent être conservés et rendus publics. Certains organismes, comme le Conseil international des archives, ont mené des travaux intéressants sur les normes qui, bien que concernant plutôt le processus d’archivage, constituent une bonne référenceNote. Plusieurs commissaires à l’information ont fait des déclarations – notamment sur le «devoir de bien documenter» – et il existe aussi de bonnes pratiques au niveau des États membres dont on peut s’inspirerNote.

6.3 Un besoin de numérisation et de «transparence dès la conception»

61. La pandémie de covid-19 a mis en évidence les défis rencontrés par les pays dans leur propre gestion de l’information. Nous avons vu des pays de toute l’Europe s’efforcer de fournir des données quotidiennes précises sur les taux d’infection et les décès. La pandémie a révélé comment la faiblesse des systèmes de collecte de données dans un pays pouvait entraver la compilation rapide des données au niveau central. Il en résulte une prise de décision souvent basée sur des données imparfaites ou sur un petit nombre de données, voire aucune donnée. Cela pose une question de transparence, mais aussi de gouvernance. En 2020, Access Info a signalé que de nombreux pays européens ne publiaient pas d’ensembles complets de données sur les indicateurs des objectifs de développement durable, et des entretiens avec des responsables gouvernementaux ont révélé que cela était généralement lié aux difficultés rencontrées dans la collecte des donnéesNote. Dans le milieu des données ouvertes et de la transparence – en particulier au sein des gouvernements et des membres de la société civile engagés dans le Partenariat pour un gouvernement ouvert –, on se demande de plus en plus comment assurer la «transparence dès la conception» pour planifier les processus administratifs de sorte que les données collectées puissent à la fois être transmises rapidement aux décideurs et mises à la disposition du public de manière relativement automatique. À cette fin, il convient également d’appliquer le principe de la «protection de la vie privée dès la conception» pour exclure les données à caractère personnel de la publication.

7 La transparence algorithmique

62. Ces dernières années, l’augmentation de l’utilisation des algorithmes et de l’intelligence artificielle a modifié le fonctionnement des gouvernements et la manière dont les décisions sont prises. Nous observons un recours croissant à la prise de décision automatisée (PDA), y compris pour les décisions qui affectent la vie quotidienne des citoyens, comme l’attribution des places dans les écoles et les universités, le calcul des subventions ou la gestion des flux de circulation dans une ville. Le fait que l’intelligence artificielle (IA) sous-tende les décisions qui concernent le public est rarement transparent. On constate également une utilisation accrue des algorithmes dans le secteur privé, par exemple pour décider de l’octroi de crédits et de prêts bancaires.
63. Le Règlement général sur la protection des données de l’Union européenne, entré en vigueur le 25 mai 2018, contient une clause qui, du point de vue de la protection et de la souveraineté des données, donne aux citoyens le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé lorsque cette décision produit des effets juridiques les concernant ou les affectant de manière significative de façon similaire.
64. Toutefois, lorsque les décisions n’ont pas un tel effet direct sur les citoyens, mais qu’elles sont de nature plus générale – comme les flux de circulation dans la planification des projets d’infrastructure ou, pour prendre un exemple d’actualité, dans la modélisation de la propagation des maladies infectieuses et l’allocation de ressources aux services de santé –, il est possible que les citoyens ne s’en rendent pas compte de manière aussi évidente, et qu’ils n’aient pas les mêmes droits que dans le cadre de la RGPD.
65. Ce domaine illustre parfaitement le fait que la technologie évolue à un rythme si rapide que la législation et les politiques ont souvent du mal à suivre. Ces lacunes réglementaires et le manque de compréhension du public font que les gouvernements recourent à l’IA et à la PDA sans réglementation ni surveillance fortes et, en tout état de cause, avec un certain manque de transparence. La plupart des pays n’ont pas de régime de transparence pour garantir que la société civile, les journalistes et le public puissent obtenir des informations sur la manière dont l’IA est utilisée et dont les données sont transmises à la PDA.
66. Il existe toutefois quelques exceptions notables. En France, par exemple, la Commission d’accès aux documents administratifs a conclu en 2017 qu’un algorithme était un document administratif aux fins des demandes d’accès à l’informationNote. Dans d’autres pays, les demandes d’informations sur l’utilisation des algorithmes, le code source ou les données utilisées n’ont pas toujours abouti, ce qui a eu pour conséquence de tenir le public dans l’ignorance quant à la manière dont les décisions avaient été prises.
67. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, dans sa Recommandation CM/Rec(2020)1 sur les impacts des systèmes algorithmiques sur les droits de l’homme, a apporté une contribution importanteNote. Cette recommandation intègre un langage spécifique sur la transparence, recommandant que les acteurs qui utilisent des processus algorithmiques soient en mesure de fournir des explications simples et accessibles concernant les données, les procédures et les critères utilisés par l’algorithme pour prendre sa décision. Les méthodes de collecte des données doivent être accessibles afin de repérer les éventuels préjugés qui peuvent être intégrés dans la conception de l’algorithme. Plus généralement, des niveaux appropriés de transparence doivent être appliqués tout au long du processus de passation des marchés publics, de conception, de développement et d’utilisation des systèmes algorithmiques, nonobstant toute revendication relative à la propriété intellectuelle ou au secret d’affaires.
68. Ces recommandations ne vont toutefois pas jusqu’à définir que les utilisateurs des lois sur l’accès à l’information peuvent obtenir toutes les informations sur l’utilisation des algorithmes auprès d’un organisme public, y compris la conception, le code source et les données d’entrée. Le Conseil de l’Europe a ici l’occasion de contribuer à l’établissement de normes et à la promotion du débat entre les États membres du sur un droit d’accès à l’information renforcé – un droit de savoir – concernant l’utilisation des algorithmes. C’est un sujet sur lequel travaille le Partenariat pour un gouvernement ouvert et pour lequel des possibilités de synergies existent.
69. En ce qui concerne la liberté des médias, la transparence algorithmique pose un problème spécifique, à savoir celui des grands médias sociaux et de la manière dont leurs algorithmes déterminent le contenu consulté par chaque utilisateur. Ces algorithmes ont un impact direct sur le droit de savoir de millions d’individus; pour autant, il n’y a presque pas de transparence sur le fonctionnement de ces systèmes et les utilisateurs individuels n’ont que très peu de contrôle sur la façon dont leurs flux d’informations s’organisent.

8 Transparence législative et empreinte législative

70. Il est évident qu’un droit de savoir effectif, qui permet à des citoyens informés de participer à la vie démocratique de leur pays, doit garantir que le public est informé de tous les aspects du processus législatif.
71. Dans ce contexte, il est plutôt surprenant que la Convention de Tromsø ne rende pas obligatoire pour les pays qui la ratifient l’application du droit d’accès à l’information au pouvoir législatif, à l’exception des informations administratives (le droit d’accès à l’information s’applique aux finances du parlement, par exemple, mais pas aux rapports sur les discussions des projets de loi en commission).
72. À ce titre, la norme du Conseil de l’Europe est en contradiction avec, par exemple, la loi-type interaméricaine relative à l’accès à l’information de l’Organisation des États américains, qui exige la transparence du pouvoir législatif, mais aussi du pouvoir judiciaire.
73. Un point positif mérite d’être souligné: 31 des 46 lois sur l’accès à l’information dans la région du Conseil de l’Europe s’appliquent au pouvoir législatif (malgré quelques exceptions concernant les documents détenus par des élus, par exemple)Note.
74. Dans la pratique, de nombreux parlements ont une longue tradition de prise de décision ouverte, bien que ce ne soit pas toujours le cas pour les discussions ou les votes en dehors de la plénière (dans les commissions par exemple) et qu’il n’y ait pas non plus de transparence des activités de lobbying.
75. Sur le plan des normes, la Déclaration pour l’ouverture et la transparence parlementaire (2012)Note est soutenue par une forte communauté d’organisations de la société civile, dont beaucoup sont situées dans les États membres du Conseil de l’EuropeNote.
76. Le Partenariat pour un gouvernement ouvert a incité bon nombre de ses pays participants à prendre des engagements en matière d’ouverture parlementaire (145 engagements dans le monde à ce jour) et à impliquer les parlements dans des processus et débats gouvernementaux ouvertsNote.
77. Il existe de plus en plus de bonnes pratiques sur l’empreinte législative et sur la garantie de la participation à l’élaboration de la législation, et c’est un sujet que le Conseil de l’Europe pourrait approfondir pour élaborer des recommandations spécifiques. À terme, une empreinte «normative» complète devrait être développée pour assurer la transparence de l’ensemble du processus décisionnel et législatif, depuis la création des règles et des normes au sein du pouvoir exécutif jusqu’à leur adoption en tant que législation.
78. Il existe également une jurisprudence intéressante de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’importance de la transparence législative pour la participation à la prise de décision (voir les affaires Access Info Europe c. Conseil (2013) et De Capitani c. Parlement européen (2018), entre autres). Comme l’indique clairement cette jurisprudence, le processus législatif commence souvent au niveau de l’exécutif. Il faut donc des mécanismes qui assurent la traçabilité et la transparence de l’ensemble du processus, et pas uniquement du débat sur les projets de loi une fois qu’ils sont entrés au parlement.

9 La transparence judiciaire

79. Il n’existe pas de norme reconnue en matière de transparence judiciaire, du moins pas dans la région européenne. Comme indiqué plus haut, la Convention de Tromsø prévoit l’extension facultative du droit de demander des informations au pouvoir judiciaire, la seule exigence étant que les informations administratives relèvent du champ d’application du droit national sur l’accès à l’information. La notion d’informations «administratives» varie selon les États membres du Conseil de l’Europe.
80. Dans la pratique, la longue tradition de procédures judiciaires ouvertes et d’accès physique aux documents judiciaires et à la jurisprudence qui prévalait s’est trouvée affaiblie dans de nombreux pays ces dernières années par diverses préoccupations de sécurité (pour l’accès physique) et par l’absence de publication en ligne de toutes les décisions pour consultation par tous (au motif, entre autres, de préoccupations liées à la protection des données)Note.
81. Sur 47 États membres du Conseil de l’Europe, 25 seulement disposent de lois sur l’accès à l’information qui s’appliquent au pouvoir judiciaireNote.
82. Plusieurs avancées ont été réalisées, notamment par le Conseil de l’Europe et la Commission internationale de juristes, en faveur de la transparence des conseils de la magistrature et de la nomination des juges, et des recommandations sur l’accès des médias aux procédures judiciaires ont été émises par le Conseil de l’Europe, mais il n’existe pas de norme claire et complète sur la manière dont le droit d’accès à l’information / le droit de savoir devrait s’appliquer au pouvoir judiciaire. Certaines bonnes pratiques ont été identifiées dans les États membres du Conseil de l’Europe et pourraient servir de base à l’élaboration de recommandations concrètes.

10 Les organismes privés fonctionnant avec des fonds publics et/ou exerçant des fonctions publiques/assurant des services publics.

83. L’idée qu’il existe une ligne de démarcation claire entre l’accès aux informations détenues par l’administration publique et le secteur privé est moins répandue que par le passé, mais elle persiste et mérite d’être discutée.
84. La nature des sociétés démocratiques et celle de la «gouvernance» ont évolué avec le temps. En 1766, l’objectif de la loi suédoise sur la liberté de la presse était de permettre aux parlementaires et au petit monde de la petite presse écrite de l’époque d’accéder aux documents détenus par l’administration (principalement le roi et les tribunaux). En 1978, la première loi française dans ce domaine s’intitulait «Loi no 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public» et était très clairement encadrée en ce qui concernait l’accès aux «documents administratifs».
85. Ces dernières décennies, à mesure que le droit à l’information s’est développé, les frontières entre le public et le privé sont devenues de plus en plus floues et de nombreux services et travaux publics sont désormais assurés par des entreprises privées. Dans ce contexte, il est de plus en plus admis que le public a le droit de connaître les liens avec ces entreprises, ainsi que les services qu’elles fournissent. Cela semble évident et pourtant, sur les 46 lois sur l’accès à l’information dans la région du Conseil de l’Europe, seules 25 s’appliquent pleinement aux organismes privés qui exercent une fonction publique et/ou reçoivent un financement public important. Quinze autres lois s’appliquent partiellement à ces organismes.
86. Conformément à cette réalité législative nationale, les États membres ont démontré une certaine réticence à inclure une disposition obligatoire sur l’accès aux documents détenus par des organismes privés dans la Convention de Tromsø. En conséquence, l’extension du droit d’accès aux «personnes physiques ou morales, dans la mesure où elles accomplissent des fonctions publiques ou fonctionnent grâce à des fonds publics, selon le droit national» est facultative pour les États. Le terme «selon le droit national» est absolument fondamental, car il ouvre la porte à des définitions extrêmement variées, même pour les pays qui optent pour cette disposition. Ainsi, les entreprises privées qui assurent des soins de santé, la collecte des déchets, l’approvisionnement en eau et l’entretien des bâtiments scolaires peuvent être considérées dans un pays donné comme fournissant des services publics et être soumises à des demandes d’informations, et donc à des mécanismes de redevabilité. Le pays voisin peut quant à lui considérer qu’aucune de ces entreprises n’est concernée par les règles de transparence.
87. Par ailleurs, la Convention de Tromsø omet de préciser le type d’informations détenues par les entreprises privées que celles-ci devraient rendre publiques pour des raisons d’intérêt général.
88. Outre la Convention de Tromsø, il existe toute une panoplie de normes et de lois relatives à la transparence des organismes privés, et les entreprises enregistrées sont tenues de rendre publiques de nombreuses informations, souvent dans le cadre de recommandations sectorielles spécifiques.
89. Il y a deux façons d’obtenir un tel niveau de transparence. La première consiste à imposer aux entreprises privées de fournir des informations aux organismes publics, qu’ils publient ensuite. La seconde consiste à exiger des organismes privés eux-mêmes qu’ils publient ces informations.
90. À titre d’exemple, prenons les résultats des inspections sanitaires des restaurants, qui sont un sujet de préoccupation pour de nombreux citoyens. Dans certains pays, ces résultats ne sont pas seulement publiés par les pouvoirs publics, ils doivent également être rendus publics au moyen d’un avis affiché dans l’établissement. Dans ce cas-là, le législateur a estimé que les considérations de santé publique primaient sur les intérêts commerciaux des restaurants (dont l’activité pâtira certainement de l’attribution d’une mauvaise note)Note.
91. Parmi les autres exemples de cas où des données sont collectées par les gouvernements avant d’être rendues publiques, on peut citer l’éventail de mesures visant à garantir la transparence des marchés publics, un outil essentiel de la lutte contre la corruption.
92. La directive européenne 2014/95 sur la communication d’informations non financières exige la publication par les grandes entreprises d’informations spécifiques dans les domaines de la protection de l’environnement, de la responsabilité sociale et du traitement appliqué au personnel, du respect des droits humains, de la lutte contre la corruption et de la diversité au sein des conseils d’administration des entreprises au regard de l’âge, du genre, des qualifications et de l’expérience professionnelle.

11 La transparence des lobbys

93. Pour que la prise de décision soit transparente, il est impératif de comprendre toutes les contributions au processus décisionnel, ce qui, dans le cas de nombreuses décisions politiques et initiatives législatives, implique la transparence de tous les exercices de participation effectués et, surtout, la contribution des groupes d’intérêt, y compris les lobbyistes professionnels, les associations d’entreprises et la société civile organisée.
94. Ces dernières années, plusieurs normes ont été élaborées sur la réglementation et la transparence des activités de lobbying, notamment:
  • les Normes internationales pour la réglementation du lobbying (2015): l’aboutissement d’un vaste processus de deux ans mené par les principales organisations de la société civile (Transparency International, Access Info) et ayant impliqué des consultations avec des lobbyistes professionnels. Ces normes ont fait l’objet d’un lancement lors du Sommet de 2015 du Partenariat pour un gouvernement ouvert (Sommet de Mexico) et ont été intégrées à la Déclaration de Paris de 2016 sous la forme d’une recommandation aux États membres du Partenariat pour un gouvernement ouvertNote;
  • OCDE, Recommandation du Conseil sur les principes pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying (2016)Note;
  • Conseil de l’Europe, Recommandation du Comité des Ministres aux États membres relative à la réglementation juridique des activités de lobbying dans le contexte de la prise de décision publique (2017)Note.
95. Pourtant, trop peu d’États membres du Conseil de l’Europe ont adopté une législation qui garantit la transparence des activités de lobbying. Je n’ai trouvé aucune enquête recueillant les données exactes sur la situation dans les 47 États membres. Le GRECO a recueilli des données sur les règles relatives au lobbying des personnes occupant de hautes fonctions de l’exécutif dans le cadre du cinquième cycle d’évaluation, mais pas de façon plus généraleNote.

12 L’ouverture des registres des sociétés

96. Les registres des sociétés contiennent des informations sur les propriétaires et les structures des entreprises. La collecte et la publication de ces données présentent divers avantages pour l’ensemble de la société. Elles permettent aux responsables gouvernementaux et aux services répressifs de connaître les personnes chargées d’appliquer toutes les lois auxquelles les entreprises doivent se conformer. Elles permettent aux autres entreprises de savoir avec qui elles font affaire. Enfin, elles permettent aux organismes de surveillance des citoyens, tels que les groupes de la société civile chargés de la lutte contre la corruption et les journalistes d’investigation, de déceler les cas de fraude et de corruption.
97. Pendant la pandémie de covid-19, nous avons vu les difficultés que les gouvernements ont rencontrées pour savoir avec quelles entreprises ils faisaient affaire. Les conséquences ont été un nombre important de cas de fraude, de nouvelles «fausses» entreprises ayant réussi à vendre des équipements de protection et des ventilateurs à des gouvernements européens peu méfiants. L’absence de données ouvertes sur la propriété des entreprises a entravé les efforts déployés par les gouvernements et les journalistes d’investigation pour identifier ces entreprises. En cette année de pandémie, il est devenu évident que le fait de refuser au public l’accès aux données relatives à la propriété des entreprises constitue une limitation importante au droit de savoir du public.
98. Pour ces raisons, divers organismes et processus intergouvernementaux ont recommandé l’ouverture des registres des sociétés. L’OCDE, la Banque mondiale, le Partenariat pour un gouvernement ouvert, ainsi d’autres tribunes telles que les promesses faites par le G8 (de l’époque) en 2013 et le Sommet anti-corruption de Londres en 2016, ont tous reconnu l’intérêt de l’ouverture des registres des sociétés. La cinquième directive de l’Union européenne relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux exige la création de registres des propriétaires effectifs des entreprises, accessibles au public. La directive de l’Union européenne de 2019 sur les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public (la «directive des données ouvertes») qualifie également les registres des sociétés d’ «ensembles de données de forte valeur», et des négociations sont en cours pour préciser quelles données devraient être en format ouvert.
99. Toutefois, à l’heure actuelle, très peu d’États membres du Conseil de l’Europe disposent de registres des sociétés ouverts (il existe de bonnes pratiques dans certains pays tels que le Danemark, le Royaume-Uni et l’Ukraine). Dans les autres pays, les registres des sociétés ne sont pas ouverts, du moins pas à ceux qui n’ont pas les ressources suffisantes pour acheter les données. Le prix varie entre 0,03 € par information demandée aux Pays-Bas et 767 € pour accéder à l’enregistrement d’une société en Russie. Le coût total d’un registre des sociétés peut aller de 75 000 euros aux Pays-Bas à 286 000 euros en Estonie et 380 355 euros en Macédoine du Nord.
100. Ce sont là des coûts prohibitifs pour les journalistes d’investigation et les organisations de la société civile qui enquêtent sur la corruption, la fraude, le blanchiment d’argent, le crime organisé, les violations des droits humains et autres activités illégales. Ces coûts sont également trop élevés pour les petites et moyennes entreprises (les PME, qui représentent la grande majorité des entreprises de la région européenne) qui souhaitent savoir avec qui elles font affaires.
101. Les militants de la société civile de toute la région du Conseil de l’Europe font actuellement pression sur leurs gouvernements pour qu’ils ouvrent leurs registres des sociétés et octroient le droit de savoir à qui appartiennent les entreprises avec lesquelles nous faisons des affaires et qui reçoivent des fonds publics.

13 La transparence de la propriété des médias

102. Pour que les citoyens puissent savoir qui se cache derrière les nouvelles qu’ils lisent ou regardent, ils doivent absolument connaître le propriétaire du média en question, ce qui inclut l’ensemble des rapports de propriété, jusqu’aux propriétaires effectifs.
103. Si les registres des sociétés étaient ouverts, ces informations seraient disponibles. Toutefois, il ne serait pas forcément évident de les trouver et de les suivre, d’autant plus que les rapports de propriété des médias sont transnationaux. La solution consiste à exiger que, pays par pays, et même média par média, les informations sur l’intégralité des rapports de propriété de tous les médias soient rendues publiques. Cela devrait être fait de sorte que le public puisse facilement trouver et comprendre ces informations.
104. L’Assemblée a effectué un travail considérable sur la transparence de la propriété des médias, un des éléments de l’infrastructure essentielle permettant de garantir le pluralisme et la diversité de la sphère médiatique. Mme Helen Darbishire, l’auteure du rapport de fond, a contribué à cette normalisation par le passé, en participant aux auditions de l’Assemblée et en présentant les conclusions de l’étude réalisée par Access Info Europe ainsi que les dix recommandations pour la transparence de la propriété des médias qui ont été approuvées par de nombreuses organisations de la société civileNote.
105. On peut notamment citer la Résolution 2065 (2015) de l’Assemblée «Accroître la transparence de la propriété des médias», qui définit les normes de transparence, et la Recommandation 2074 (2015), qui s’inquiète de la situation «alarmante» due au «manque croissant de transparence des structures de propriété des médias en Europe». Ce travail normatif couronné de succès a abouti à la Recommandation CM/Rec(2018)1 du Comité des Ministres aux États membres sur le pluralisme des médias et la transparence de leur propriété, qui définit clairement les normes de transparence à mettre en œuvre.
106. La recommandation appelle également à la transparence de l'organisation et du financement des médias. Je pense que cette transparence devrait inclure tous les accords non financiers qui sont d'une certaine manière bénéfiques pour les médias et peuvent avoir un impact sur leur indépendance ou leur indépendance perçue, et qui devraient donc être connus du public.

14 Le libre accès aux connaissances scientifiques et académiques

107. Il est de plus en plus admis que le fait de garantir au grand public un accès gratuit et facile aux connaissances scientifiques et autres connaissances académiques présente des avantages importants pour la société.
108. L’ère numérique a favorisé l’évolution vers le «libre accès» à ces connaissances, comme le montre la Déclaration de Berlin de 2003 sur le libre accès à la connaissance en sciences exactes, sciences de la vie, sciences humaines et sociales, qui a appelé à un accès sans entrave aux «résultats originaux de recherches scientifiques, de données brutes et de métadonnées, de documents sources, de représentations numériques de documents picturaux et graphiques, de documents scientifiques multimédia»Note.
109. La mise en place du libre accès implique d’encourager les producteurs et les éditeurs de connaissances à rendre leurs travaux disponibles gratuitement dans des formats ouverts. Ces dernières années, la priorité a été donnée à tous les matériels créés avec des fonds publics, même si beaucoup estiment que l’accès aux connaissances devrait être plus large encore.
110. Parmi les organisations internationales qui travaillent sur le libre accès se trouve l’UNESCO, qui «soutient et encourage le libre accès – la mise à disposition en ligne pour tous de l’information savante, sans la plupart des barrières imposées par le droit d’auteur et le copyright – afin de favoriser la circulation du savoir, l’innovation et le développement socio-économique à l’échelle planétaire»Note.
111. L’UNESCO reconnaît en particulier le rôle de la science dans la réalisation de l’Agenda 2030 et des objectifs de développement durable (ODD) et considère qu’il est impératif que les résultats de la recherche soient accessibles à toutes les parties prenantes.
112. La Commission européenne soutient également le libre accès afin de permettre à tous les acteurs de la société d’accéder aux résultats de la recherche, dans le but de fournir de meilleures données scientifiques et de l’innovation aux secteurs public et privéNote. La Commission soutient le libre accès par des mesures telles que l’obligation pour tous les projets recevant des fonds du programme Horizon 2020 de veiller à ce que tous les articles approuvés par des pairs et publiés dans des revues spécialisées soient accessibles gratuitement. En outre, les États membres de l’Union européenne sont encouragés à rendre publics les résultats de la recherche financée par des fonds publics afin de renforcer la science et l’économie de la connaissance.
113. Le Conseil de l’Europe pourrait compléter et apporter une valeur ajoutée à ces initiatives en les élargissant à ses 20 États membres qui ne sont pas membres de l’Union européenne. Il pourrait aussi se rapprocher de l’UNESCO qui, parallèlement à son travail sur le libre accès, est chargée de surveiller le droit d’accès à l’information en vertu de l’indicateur 16.10.2 des ODD. Il existe donc un lien étroit entre la transparence, le droit de savoir, le libre accès, le développement durable et la défense de sociétés démocratiques et justes.

15 Les commissaires à l’information

114. L’accès à la justice pour défendre tous les autres droits est un principe fondamental de tout cadre des droits humains.
115. En ce qui concerne le droit d’accès à l’information, la Convention de Tromsø exige que les États membres prévoient un mécanisme de défense de ce droit, en imposant que «[u]n demandeur dont la demande d’accès à un document public a été refusée, expressément ou tacitement, en tout ou en partie, dispose d’un recours devant un tribunal ou devant une autre instance indépendante et impartiale prévue par la loi» (article 8, paragraphe 1).
116. Dans la pratique, les 46 États membres du Conseil de l’Europe qui ont une législation sur l’accès à l’information ont mis en place différents modèles de mécanismes de recours, que l’on peut classer en trois grandes catégories:
i Un organisme de contrôle indépendant: un organe indépendant est chargé de superviser la loi sur l’accès à l’information et de statuer sur les recours. Dans certains cas, cet organe a le pouvoir de rendre des décisions contraignantes; dans d’autres, il émet simplement des recommandations. Les décisions de cet organe peuvent généralement faire l’objet d’un appel devant les tribunaux. Dans le cas contraire, il est possible d’opter pour une procédure judiciaire.
ii Un médiateur (ombudsman): la loi sur l’accès à l’information et/ou le droit administratif général prévoient le recours à un médiateur. Ce recours peut être suivi ou non d’un appel devant les tribunaux, ou la procédure judiciaire peut offrir une alternative ou une voie de recours supplémentaire.
iii La voie judiciaire uniquement: pour défendre les droits prévus par la loi sur l’accès à l’information, la procédure judiciaire est la seule voie possible. Cela implique de faire appel à un avocat et peut entraîner des frais de justice.
117. Le modèle d’organe de contrôle indépendant, avec un commissaire à l’information par exemple, a été mis en place dans 19 pays du Conseil de l’Europe: l’Albanie, l’Allemagne, la Belgique, Chypre, la Croatie, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Macédoine du Nord, Malte, le Monténégro, le Portugal, le Royaume-Uni, la Serbie, la Slovénie et la Suisse, ainsi qu’au Kosovo*Note. L’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et la Suisse ont également mis en place des commissaires régionaux à l’information.
118. Les pays scandinaves, comme la Finlande, la Norvège et la Suède, préfèrent la solution du médiateur, ce qui fonctionne car les décisions sont généralement respectées même si elles ne sont pas contraignantes. Les pays baltes, la Bosnie-Herzégovine et la Grèce, font aussi appel à un médiateur. En Irlande, le commissaire à l’information dépend du bureau du médiateur, mais il dispose de pouvoirs spécifiques.
119. L’avantage principal du modèle du commissaire à l’information est qu’il met à la disposition du demandeur un organe spécialisé dans le droit d’accès à l’information, spécifiquement chargé de superviser son application. Dans certains pays – Albanie, Allemagne, Croatie, Royaume-Uni, Slovénie et Serbie, par exemple –, ces organes sont associés à l’autorité de protection des données, mais restent spécialisés dans le droit à l’information.
120. Pour les citoyens qui cherchent à défendre leur droit de savoir, le modèle du commissaire à l’information présente le grand intérêt d’être gratuit et très simple à utiliser. Il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances juridiques spécialisées ni de recourir aux services d’un avocat pour déposer un recours.
121. Les commissaires à l’information qui ont le plus de pouvoir peuvent rendre des décisions contraignantes et sanctionner le non-respect de ces décisions, ou demander à un tribunal d’ordonner le respect d’une décision. C’est notamment le cas en Allemagne, en Croatie, au Royaume-Uni et en Slovénie.
122. Les modèles plus faibles sont ceux du médiateur et de certains organes de surveillance – en Espagne, en France et au Portugal, par exemple – dont les décisions ne sont pas contraignantes. Le respect ou non de leurs décisions est avant tout une question de culture politique. Récemment, des cas de non-respect ont été constatés en Espagne et en France de la part de ministères du gouvernement central sur des questions importantes pour le droit de savoir des citoyens, comme la dépense des fonds budgétaires.
123. Il existe d’autres différences importantes entre les modèles de contrôle en Europe, qui méritent à elles seules un rapport détaillé. Il s’agit notamment de l’envergure du mandat de ces organes, qui peut couvrir jusqu’à la formation des fonctionnaires, la sensibilisation du public et/ou le contrôle du respect du droit et la collecte de données et de statistiques. Outre les mandats et pouvoirs, les budgets et les niveaux d’indépendance de ces organes vis-à-vis du gouvernement varient également d’un pays à l’autre. Toutes ces différences ont une conséquence sur la manière dont les lois sur le droit de savoir et l’accès à l’information sont mises en œuvre dans chaque pays de la région du Conseil de l’Europe.
124. La diversité des modèles de contrôle du droit d’accès à l’information en Europe reflète l’absence de normes claires. La Convention de Tromsø, telle qu’elle a été élaborée en 2008, n’a pas réussi à établir ces normes, malgré les préconisations de la société civile de l’époque, déjà convaincue de leur utilité. Aujourd’hui, il est plus que temps d’aboutir à une normalisation.
125. En octobre 2020, le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias a organisé un webinaire sur les organes de contrôle de l’accès à l’information, au cours duquel des représentants de l’Albanie, de l’Espagne et de l’Irlande ont parlé de leurs institutions respectives. Le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias prévoit de faire avancer le débat sur les normes dans ce domaine. Ce pourrait être le partenaire idéal d’une collaboration avec l’Assemblée et le Conseil de l’Europe dans le but d’élaborer un ensemble de lignes directrices spécifiques sur le meilleur modèle d’organe de contrôle, à partir de l’expérience collective et des enseignements tirés dans toute la région du Conseil de l’Europe.

16 Le rôle des parlementaires dans la défense du droit de savoir

126. En tant que représentants du peuple, les parlementaires ont un droit renforcé d’accès à l’information. Cela se traduit d’au moins deux manières. La première est que les parlementaires peuvent se voir accorder l’accès à des informations par ailleurs confidentielles, telles que les informations relatives à la sécurité nationale transmises aux parlementaires membres d’un comité qui assure le contrôle civil des forces de sécurité.
127. La seconde est le mécanisme des questions parlementaires, qui permet aux élus de demander des documents ou des explications et de recevoir une réponse du ministère concerné. Cette fonction de contrôle est un élément essentiel de la démocratie et, dans de nombreux pays, elle est antérieure aux régimes d’accès à l’information.
128. Il existe cependant, dans toute la région du Conseil de l’Europe, une grande diversité de pratiques en matière de respect des mécanismes des questions parlementaires. Je n’ai pas mené d’enquête détaillée, mais j’ai connaissance d’une série de problèmes, de la mauvaise qualité des réponses et, fait particulièrement préoccupant, des délais très longs de réponse aux questions parlementaires.
129. Étant donné l’importance des mécanismes des questions parlementaires pour garantir la publication de certaines informations, en particulier dans les pays où le droit d’accès à l’information n’est pas particulièrement fort, il serait nécessaire de travailler à l’évaluation de ce système dans toute la région du Conseil de l’Europe. Il s’agit là d’un point qui devrait revêtir une importance particulière pour les membres de l’Assemblée, compte tenu de leur rôle de parlementaires.
130. Le droit du public de savoir est également garanti en veillant à ce que les questions d’intérêt public soient pleinement débattues par les parlementaires, en séances plénières ainsi qu'en commissions. Cela nécessite que les règles de procédure parlementaire soient conçues de manière à faciliter des débats de grande envergure. Étant donné qu'il existe une variété de normes et de pratiques dans les États membres du Conseil de l'Europe, c'est quelque chose qui devrait être examiné, afin de recueillir les meilleures pratiques et de faire des recommandations.

17 Culture de la démocratie

131. Les systèmes culturels et éducatifs jouent un rôle crucial dans le développement personnel des citoyens; ils les aident à faire des choix éclairés et à participer activement à la vie sociale. Selon le «Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie» du Conseil de l’Europe, l’éducation et la culture sont des outils essentiels pour stimuler l’esprit critique des citoyens et protéger la démocratie.
132. Si la démocratie ne peut exister sans institutions démocratiques et sans lois, ces institutions et ces lois ne peuvent fonctionner dans la pratique si elles ne se fondent pas sur une culture de la démocratie, c’est-à-dire des valeurs, des attitudes et des pratiques démocratiques partagées par les citoyens et les institutions. Pour qu’un système démocratique soit vivant, solide et dynamique, les citoyens doivent s’engager à participer activement à la vie de la cité. S’ils n’adhèrent pas aux valeurs, attitudes et pratiques démocratiques, les institutions démocratiques ne peuvent fonctionner dans le monde réel: elles restent lettre morte.
133. Les instruments servant à garantir un accès effectif à l’information revêtent une importance fondamentale, mais ils ne peuvent agir correctement si l’environnement lui-même n’offre pas un climat général propice au partage de l’information et aux débats pluralistes, contribuant à l’opinion éclairée du citoyen. Du point de vue particulier du droit de savoir, la culture démocratique est un concept fondamental dont l’adoption est indispensable pour que ce droit soit pleinement mis en œuvre dans notre société, car il serait vain de garantir un droit aux citoyens s’ils n’ont pas les compétences nécessaires pour l’exercer.
134. Les institutions et les compétences et actions des citoyens sont interdépendantes. En outre, lorsqu’il existe des tendances systématiques à l’inégalité et à la discrimination, et lorsqu’il existe des disparités dans l’affectation des ressources au sein de la société, certains peuvent ne plus être en mesure de participer sur un pied d’égalité. Les citoyens défavorisés peuvent se trouver exclus de la participation sur un pied d’égalité par la parole et les actes de personnes qui jouissent de privilèges associés, par exemple, à un haut niveau d’études, à un statut élevé lié à la profession, ou à l’appartenance à un réseau puissant. Il y a risque que les personnes marginalisées ou exclues des processus démocratiques et des échanges interculturels se trouvent coupées de la vie civique et éloignées de la participation et de la délibération.
135. Ainsi, la compréhension par les citoyens de l’information et du débat public qui en découle est conditionnée par le niveau culturel et d’instruction de la population. L’éducation doit enseigner les valeurs démocratiques dès le plus jeune âge afin de rendre les futurs citoyens conscients de leurs choix politiques et leur permettre de se former une opinion éclairée et critique. L’acquisition et l’entretien de l’aptitude à prendre une part active aux processus démocratiques doivent se poursuivre tout au long de la vie.
136. C’est pourquoi l’une des conditions préalables de la mise en œuvre du droit de savoir réside dans le bon fonctionnement d’un environnement éducatif et culturel propre à renforcer et stimuler l’apprentissage continu des citoyens dans une société de l’information. Chacun devrait posséder les compétences et la culture nécessaires pour soumettre à une analyse critique les points de vue en présence. Le droit de savoir du citoyen est intrinsèquement lié à l’accès libre, facile et tout au long de la vie aux instruments culturels, qui sont des outils indispensables au développement d’une compréhension critique et indépendante de l’information et à la participation active, inclusive et délibérée à une société démocratique. L’art a fait ses preuves comme facteur positif de renforcement des capacités de réflexion critique. À cet effet, il convient de soutenir une large présence des lieux de culture tels que les bibliothèques, les théâtres, les musées et les salles de concert, et de renforcer l’inclusion de tous les acteurs de la société dans la vie culturelle.

18 Conclusions

137. Dans une société démocratique, tout citoyen doit avoir la liberté, la capacité effective et la culture de participer à un véritable débat d’idées, fondé sur des éléments factuels exacts et complets. Cela concerne l’exercice du droit de vote, mais aussi l’engagement et la participation constructive aux processus de décision, au contrôle démocratique de l’action des gouvernements et des législateurs, et à la vie publique en général.
138. Pour pouvoir ainsi participer activement à la vie publique, les citoyens doivent être très bien informés. Nous sommes entrés dans l’ère de la société de l’information et il existe de nombreux canaux par lesquels nous pouvons recevoir des informations. Le rôle des médias dans la fourniture en temps utile d’informations fiables est crucial. Les réseaux sociaux offrent eux aussi une source abondante d’informations, mais ces canaux sont trop souvent pollués par la désinformation, d’où la nécessité d’un contrôle permanent.
139. Au-delà, il existe d’autres sources légitimes et très importantes d’informations fiables et permanentes sur lesquelles tout citoyen est en droit de compter: les autorités publiques, les organes législatifs de différents niveaux et les structures judiciaires. La récente entrée en vigueur de la Convention de Tromsø constitue une étape importante dans l’harmonisation des systèmes juridiques nationaux en matière d’accès à l’information. Toutefois, le nombre d’adhésions à la Convention de Tromsø est très faible.
140. Cela est d’autant plus regrettable que la convention se limite à un noyau minimal de dispositions de base; il serait donc tout à fait naturel que tous les États membres ratifient cet instrument. Il s’agirait d’une première étape, car le droit d’accès à l’information devrait être élargi afin de couvrir tous les domaines qui ne sont pas encore pris en compte par la convention.
141. Au-delà du droit d’accès à l’information, notre Organisation devrait progresser vers un droit de savoir, c’est-à-dire un vaste droit des citoyens à être activement informés sur tous les aspects de la gestion de l’ensemble des biens publics tout au long du processus politique, à participer de façon responsable et délibérée au débat public concernant ces biens et à tenir les administrateurs des biens publics comptables de leurs actes, dans le respect des normes démocratiques.
142. Le droit de savoir est une condition préalable pour que les citoyens puissent mieux saisir leurs autres droits et en tirer pleinement parti, et apporter une participation informée au débat public et à la vie du monde politique à différents niveaux. C’est aussi une condition préalable du contrôle, par les citoyens et leurs représentants élus, de l’action du gouvernement et donc de la responsabilité démocratique de celui-ci.
143. La mise en œuvre du droit de savoir présente trois principales dimensions actives: les obligations que les autorités publiques doivent respecter, indépendamment de demandes spécifiques; le droit des citoyens d’être notifiés, d’être informés, d’avoir accès à l’élaboration et à l’évaluation des lois, règlements et autres instruments politiques, et d’y contribuer; et un environnement éducatif et culturel propre à améliorer et stimuler l’apprentissage continu des citoyens.
144. Le rôle principal et la responsabilité première, pour garantir le droit de savoir, incombe aux États et plus généralement aux autorités publiques. Cependant, d’autres acteurs tels que les médias publics et privés ou les institutions de l’éducation et de la culture entrent également en jeu et doivent assumer leur part de responsabilité dans l’éducation de citoyens actifs et informés. Les différentes parties prenantes doivent agir de façon cohérente et en synergie, d’où l’importance déterminante d’établir des partenariats entre elles.
145. Le droit de savoir suppose non seulement que les citoyens possèdent un droit d’accès à l’information, mais aussi que les organismes publics rendent l’information publique de façon proactive, selon une approche intégrant le principe de transparence dès la conception. Cette approche devrait s’appliquer à différents domaines tels que l’intelligence artificielle et la manière dont les données alimentent la prise de décision automatisée; les activités des pouvoirs législatif et judiciaire; l’information concernant les organismes privés exerçant des fonctions publiques ou utilisant des fonds publics; les registres des sociétés; la réglementation en matière de lobbying; et les connaissances scientifiques et autres sources de savoir.
146. De même, les citoyens doivent savoir qui se cache derrière l’information et connaître l’ensemble de la structure de propriété des médias, jusqu’aux bénéficiaires effectifs. Ces informations doivent être rendues publiques, car elles sont capitales pour préserver la liberté des médias et prévenir la manipulation de l’opinion publique.
147. Les parlementaires ont un rôle particulier à jouer pour étendre le droit de savoir. Outre adopter des lois garantissant le droit de savoir, ils devraient tirer parti du mécanisme des questions parlementaires, qui leur permet de demander des documents ou des explications et de recevoir une réponse du ministère concerné. Les parlements nationaux devraient veiller à ce que, par souci de transparence, les questions d’intérêt public soient pleinement débattues en séance plénière et en commission.
148. Dernier point, mais non le moindre, l’une des conditions préalables de la mise en œuvre du droit de savoir réside dans le bon fonctionnement d’un environnement éducatif et culturel propre à renforcer et stimuler l’apprentissage continu des citoyens dans une société de l’information. Le droit de savoir est intrinsèquement lié à l’accès libre, facile et tout au long de la vie aux instruments culturels, qui sont des outils indispensables au développement d’une compréhension critique et indépendante de l’information et à la participation active, inclusive et délibérée à une société démocratique. Il convient de soutenir et de renforcer une large présence des lieux de culture tels que les bibliothèques, les théâtres, les musées et les salles de concert.