Renforcer le rôle joué par les jeunes dans la prévention et le règlement des conflits
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Texte
adopté par la Commission permanente, agissant au nom
de l’Assemblée, le 28 mai 2021 (voir Doc. 15294, rapport de la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias, rapporteure: Mme Inka
Hopsu; et Doc. 15296, avis de la commission des questions sociales, de la
santé et du développement durable, rapporteure: Mme Christiana
Erotokritou).
1. L’Europe compte sur son territoire
plusieurs conflits prolongés et en cours qui privent des générations de
jeunes de perspectives d’un avenir meilleur. Dans le même temps,
les jeunes restent l’un des groupes les plus vulnérables dans les
pays touchés par des conflits armés. Aucun accord de paix durable
ne saurait être conclu sans la participation constructive des jeunes.
Or, leur capacité et leur contribution au règlement effectif des
conflits et à l’établissement de la paix n’ont guère fait l’objet
d’attention et de soutien.
2. Souvent dépeints de manière quelque peu simpliste comme des
«méchants» ou des «victimes», les jeunes, en tant qu’acteurs de
paix, disposent d’un véritable potentiel qui reste largement inexploité.
Rares sont les données sur le nombre de jeunes directement engagés
dans des activités de rétablissement, de maintien ou de consolidation
de la paix. Les pourparlers de paix s’attachent rarement à la manière
d’orienter les jeunes vers des processus productifs.
3. De nombreuses initiatives prises par les jeunes leur permettent
d’agir sur le terrain. Cependant, les jeunes se heurtent à de multiples
obstacles lorsqu’ils essaient d’approcher la politique et de l’influencer:
le manque de reconnaissance et d’intégration réelle, ainsi que le
caractère limité des financements et la réduction de l’espace civique
sont autant d’entraves au travail et à la portée de l’action des
organisations, réseaux et initiatives de jeunesse.
4. Pour de nombreux jeunes, la paix et la sécurité ne se réduisent
pas à la simple absence de violence ou à la fin d’un conflit violent.
Ces concepts supposent également des visions positives de sociétés
libres et démocratiques, propices à l’épanouissement et à la dignité,
et qui s’attaquent aux inégalités sociales, politiques et structurelles.
Il ne suffit donc pas d’impliquer les jeunes dans les processus
de paix. Il convient de les associer pleinement à tous les processus
politiques et de prise de décisions qui les concernent eux ainsi que
la société dans son ensemble, pour relever notamment certains défis
mondiaux tels que la pandémie de covid-19 qui les a particulièrement
touchés, le changement climatique, les droits humains ou la réalisation
des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies à
l’horizon 2030.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire déplore que la
proportion de jeunes dans le corps législatif ait baissé au fil
des ans. Ainsi, 3,9 % seulement des parlementaires nationaux en
Europe ont moins de 30 ans. Cette situation est en partie liée à
des attitudes négatives quant aux capacités des jeunes à agir, mais également
aux divers obstacles structurels, individuels et organisationnels
qui entravent leur accès au système. Elle incite par conséquent
les jeunes à chercher des alternatives à la participation, par exemple
en descendant dans la rue ou en se mobilisant par le biais des médias
sociaux. Afin de promouvoir la participation des jeunes, les dirigeants
politiques devraient utiliser des instruments existants tels que
la Charte européenne révisée du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l’Europe sur la participation des jeunes à la vie
locale et régionale, et créer des structures permettant aux jeunes
d’avoir un véritable impact. Encourager la participation des jeunes
aux processus décisionnels locaux et régionaux par le biais des
conseils et parlements de jeunes constitue une étape importante
vers l’implication des jeunes générations dans la vie politique.
6. Dans le même temps, l’Assemblée souhaite faire en sorte que
les organisations et initiatives conduites par la jeunesse, les
réseaux de jeunes et les jeunes artisans de la paix se voient offrir
l’espace et la possibilité d’être plus actifs, de s’investir davantage,
de jouer un rôle de premier plan et de mener des actions de sensibilisation
plus visibles en faveur d’une plus forte implication dans les processus
politiques. À cette fin, il convient de soutenir la mise en place
de réseaux de jeunes médiateurs à l’échelle locale, régionale et
mondiale pour renforcer la participation et l’intégration des jeunes
dans les processus de paix.
7. L’Assemblée salue le rôle actif joué par le Conseil de sécurité
des Nations Unies pour promouvoir l’intégration et la participation
des jeunes dans les processus de paix. Ses
Résolutions 2250
(2015),
2419 (2018) et
2535 (2020) adoptées successivement énoncent les engagements internationaux
sur les jeunes, la paix et la sécurité, et proposent un schéma directeur
pour une participation effective de la jeunesse, tout en reconnaissant
qu’un engagement intégré et à plusieurs niveaux devrait constituer
la principale approche stratégique.
8. Cependant, l’Assemblée regrette profondément que, près de
six ans après l’adoption de la première résolution phare du Conseil
de sécurité des Nations Unies sur les jeunes, la paix et la sécurité,
peu de progrès aient été réalisés et que les jeunes artisans de
la paix aient le sentiment de voir leur marge de manœuvre diminuer
au lieu de croître. La Finlande est actuellement le seul pays européen
à avoir mis en place un plan d’action pour la mise en œuvre de la
Résolution 2250 (2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies.
9. L’Assemblée se fait donc l’écho de l’appel lancé récemment
par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies visant
à créer d’urgence les conditions permettant aux jeunes de libérer
leur plein potentiel, et à mettre en place les institutions susceptibles
de répondre à leurs besoins et à leurs attentes. La nouvelle ère
de la participation des jeunes exige l’instauration de mécanismes
propres à assurer leur implication constante et concrète dans la
prise de décisions, la formulation de politiques, l’adoption de
stratégies et la mise en œuvre d’actions.
10. Il est essentiel de faire en sorte que les jeunes soient non
seulement consultés, mais qu’ils soient aussi associés à l'élaboration
des schémas directeurs pour la jeunesse, la paix et la sécurité.
La question de leur participation aux processus décisionnels dans
le cadre de la prévention et du règlement des conflits doit être abordée
de manière multidimensionnelle, s’inscrire dans d’autres programmes
d’intégration et être interconnectée à ces derniers. Elle suppose
de créer des espaces permettant leur implication dans les processus
politiques et la prise en compte réelle de leur conception de la
paix. Mais il est tout aussi essentiel de leur assurer l’accès aux
droits et à des moyens de subvenir dignement à leurs besoins ainsi
que de faciliter le dialogue et les échanges intercommunautaires.
11. La responsabilité ultime pour la prévention et la résolution
des conflits incombe aux adultes. Toutefois, compte tenu de l’impact
des conflits sur l’ensemble de la société, l’Assemblée encourage
également à prendre en considération les points de vue et les expériences
des enfants plus âgés et des adolescents dans les processus de consolidation
de la paix et de prévention des conflits. Ces pratiques devraient
impliquer le respect des principes de protection pertinents et mettre
l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant.
12. L’Assemblée est consciente qu’il faudra du temps pour réaliser
pleinement les profonds changements requis, soulignant toutefois
qu’il importe de progresser rapidement dans cette voie. Elle relève
qu’il a fallu plus de vingt ans pour inscrire la
Résolution 1325
(2000) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la
paix et la sécurité dans les programmes nationaux. L’Assemblée s’inquiète
particulièrement de l’exclusion des jeunes femmes des processus
de paix et insiste pour que leur participation à toutes les étapes
du règlement des conflits fasse l’objet d’une attention immédiate.
13. Une éducation de qualité et le renforcement des capacités,
en ce qui concerne notamment la citoyenneté, la transformation des
conflits et les droits humains, sont des aspects essentiels du développement de
sociétés pacifiques. Il faut donner aux jeunes des outils éducatifs
utiles et concrets, dans les environnements d’apprentissage tant
formels que non formels, pour lutter contre la violence, la discrimination, la
haine et l’extrémisme. Dans ce contexte, le Cadre de référence des
compétences pour une culture de la démocratie du Conseil de l’Europe
et sa Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux
droits de l’homme constituent, entre autres sources, de bons outils
pour favoriser le dialogue interculturel et l’apprentissage de compétences
de conciliation dès le plus jeune âge.
14. Les jeunes souhaitent ardemment continuer à apprendre, à défendre
la paix et à changer leur société en proie à des conflits, notamment
en cette période marquée par la crise de covid-19. Leur participation
active sera par ailleurs cruciale pour la réalisation des ODD. La
transparence, l’obligation de rendre des comptes, l’inclusion et
la coopération sont les principes essentiels à la réussite des plans
d’action nationaux. Il n’existe cependant pas de solution universelle;
les plans d’action et les programmes politiques doivent être adaptés aux
circonstances et aux priorités propres à chaque pays.
15. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les gouvernements
des États membres du Conseil de l’Europe ainsi que les pays qui
bénéficient du statut d’observateur et de celui de partenaire pour
la démocratie:
15.1 à accélérer
la mise en œuvre des
Résolutions 2250
(2015),
2419 (2018) et
2535 (2020) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les jeunes,
la paix et la sécurité en élaborant des feuilles de route nationales
ainsi qu’en développant des politiques et des programmes spécifiques
complets au niveau local, national ou régional, avec des ressources
suffisantes, dans le cadre d’un processus participatif, et à mettre
notamment l’accent sur la mobilisation constructive des jeunes en
tant que décideurs, la création d’espaces sûrs propices à la participation
des jeunes et la promotion de leurs droits;
15.2 à considérer les jeunes et les organisations qui les représentent
comme des partenaires indispensables dans tout processus de paix
ou politique; à les associer à la recherche de solutions aux situations
de conflit ainsi qu’à tous les grands défis mondiaux à relever;
15.3 à allouer des ressources suffisantes aux organisations
et réseaux de jeunesse et dirigés par des jeunes aux niveaux local
et national, afin de garantir la pérennité des activités de renforcement
du dialogue initiées par les jeunes;
15.4 à soutenir la constitution de coalitions nationales en
faveur de la jeunesse, de la paix et de la sécurité, qui regroupent
les organisations de la société civile dirigées par des jeunes et
d’autres organisations, les instances gouvernementales et d’autres
partenaires compétents, afin d’élaborer les plans d’action nationaux
non pas pour la jeunesse, mais avec la jeunesse;
15.5 à intégrer, si ce n’est pas déjà fait, l’éducation à la
citoyenneté démocratique et à la paix dans les programmes scolaires
officiels dès le plus jeune âge. Ces programmes devraient inclure,
sans toutefois s’y limiter, les relations et les activités d’équipe,
l’empathie, l’esprit critique, l’éducation aux médias, la transformation
des conflits, la réconciliation, l’éducation aux droits humains,
la participation politique pacifique et le dialogue interculturel,
de manière à mieux préparer les jeunes à comprendre les causes profondes
de la violence, à promouvoir la paix et à veiller au respect de
la diversité dans des sociétés multiculturelles;
15.6 à promouvoir une variété de perspectives dans l’enseignement
de l’histoire comme moyen de lutter contre les préjugés et de développer
la compréhension mutuelle;
15.7 à encourager un dialogue intercommunautaire et une coopération
constants parmi les jeunes de différentes communautés, ainsi qu’entre
la jeunesse et d’autres composantes de la société, afin de remédier
au manque de confiance qui prévaut parmi les jeunes;
15.8 à réfléchir à des manières de donner une plus grande place,
dans les programmes de formation de l’armée et de la police, aux
compétences liées à l’éducation aux droits humains, à la médiation
en faveur de la paix, à la résolution des conflits et à la réconciliation;
15.9 à veiller au respect des obligations découlant du droit
international, notamment pour protéger les jeunes contre la violence
dans les conflits armés et les zones touchées par des conflits,
et pour garantir les droits des jeunes relevant de leur juridiction,
sans discrimination d’aucune sorte, indépendamment de l’origine
nationale, ethnique ou sociale, de la couleur, du sexe, de la langue,
de la religion, des opinions politiques ou autres, de la fortune,
du handicap, de la naissance ou de toute autre situation de leurs
parents ou de leur tuteur légal.
16. L’Assemblée salue le travail accompli par les divers organismes
des Nations Unies pour promouvoir le programme Jeunesse, paix et
sécurité. Elle espère que ces instances pourront encore intensifier
leurs efforts en faveur d’un changement fondamental de paradigme
pour concevoir et mettre en œuvre des négociations de paix associant
les jeunes dès le début et veiller à ce que la mise en œuvre de
la Résolution 2250 (2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies
soit étroitement liée à celle d’autres programmes de développement
et d’inclusion démocratiques. En particulier, l’Assemblée invite
les organismes concernés des Nations Unies:
16.1 à accroître leurs efforts pour collecter des données empiriques
indépendantes, afin de pouvoir évaluer correctement le nombre de
jeunes touchés par les différents conflits dans le monde et identifier des
partenaires sérieux parmi les organisations de jeunesse et les jeunes
artisans de la paix au sein des communautés touchées par les conflits;
16.2 à réfléchir plus avant à la manière de créer des espaces
sûrs pour les jeunes qui agissent en faveur de l’édification de
la paix, de la démocratie ou des droits humains en toutes circonstances,
et en particulier dans le contexte de conflits actifs ou «gelés»,
ou dans des régimes non démocratiques, ainsi que dans les zones
touchées par des conflits et dans les territoires occupés, notamment
pour atténuer les effets néfastes sur les jeunes des campagnes d’endoctrinement
et de recrutement.
17. L’Assemblée souligne que les parlements nationaux peuvent
apporter une contribution importante, en améliorant la législation
et le suivi des activités, en faisant établir des feuilles de route
nationales pour mettre en œuvre le programme Jeunesse, paix et sécurité,
en allouant des ressources financières et en soutenant la participation
inclusive et concrète des jeunes à la prévention et au règlement
des conflits, et à la lutte contre l’extrémisme violent. Elle appelle
les parlements des États membres du Conseil de l’Europe à créer
et/ou à renforcer les liens avec la jeunesse, notamment en levant
les obstacles à la participation des jeunes aux processus politiques,
à savoir en abaissant l’âge du droit de vote et d’éligibilité, en
élaborant des campagnes de sensibilisation, en concevant de nouvelles
stratégies de recrutement, en envisageant pour les partis politiques
des objectifs spécifiques ou des quotas de jeunes afin d’améliorer
la sélection et la promotion des jeunes candidats, et en tirant
parti de l’expérience acquise en termes d’amélioration de la participation
politique des femmes. Elle les invite aussi à valoriser les jeunes
parlementaires en tant que médiateurs et promoteurs du dialogue
dans les sociétés divisées.
18. L’Assemblée décide de poursuivre sa réflexion sur l’encouragement
de moyens significatifs et structurés pour associer les jeunes participants
à ses activités, notamment en intensifiant le dialogue et la coopération entre
l'Assemblée et les différents forums de jeunesse qui existent déjà
au sein du Conseil de l'Europe.
19. Elle encourage les délégations nationales à réfléchir aux
moyens de faire en sorte que la voix de l’Assemblée soit mieux entendue
par les jeunes dans leurs pays respectifs et que les voix de ces
différents jeunes soient mieux entendues au sein de l'Assemblée.