La liberté des médias, la confiance du public et le droit de savoir des citoyens
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 22 juin 2021 (17e séance)
(voir Doc. 15308, rapport de la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias, rapporteur: M. Roberto Rampi). Texte adopté par l’Assemblée le
22 juin 2021 (17e séance).Voir
également la Recommandation
2204 (2021).
1. Sans l’exercice éclairé du droit
de vote, sans le droit des citoyens de participer de façon responsable
et démocratique à l’élaboration des politiques et aux processus
décisionnels en se fondant sur un large débat public et parlementaire,
sans ces outils fondamentaux de contrôle démocratique de l’action
du gouvernement et du législateur, la démocratie n’est que façade.
2. Il n’y a pas de démocratie sans la possibilité réelle de faire
des choix délibérés. Cette possibilité ne peut être assurée que
si le public est dûment informé et peut s’informer librement; si
un véritable débat d’idées, portant sur un vaste éventail de questions,
peut avoir lieu sur la base de la connaissance exacte et complète d’éléments
factuels; et si chacun possède les capacités et la culture nécessaires
à l’analyse critique de différents points de vue, et peut s’exprimer
sans crainte. De même, ces conditions sont essentielles pour que les
représentants élus du peuple puissent exercer leur mandat de manière
efficace et responsable.
3. Aujourd’hui, nos valeurs démocratiques et le fonctionnement
de nos institutions démocratiques sont mis à rude épreuve par les
récits post-vérités, la désinformation, les pouvoirs limités d'établissement
de l'ordre du jour et les tentatives récurrentes de manipulation
de l’opinion publique. En outre, des développements récents ont
souvent érodé les prérogatives du parlement et son rôle fondamental
de médiation dans une société démocratique. Le sentiment croissant
d’un fossé entre les institutions gouvernementales et le public
en général a renforcé la méfiance des citoyens, mettant en danger
la gouvernance démocratique et l’efficacité de la mise en œuvre
des politiques publiques.
4. En conséquence, pour l’Assemblée parlementaire, il est nécessaire
d’établir un vaste «droit de savoir», défini comme le droit civil
et politique du citoyen d’être activement informé sur tous les aspects
concernant toutes les étapes des processus d’élaboration des politiques
et des processus administratifs/réglementaires, afin de permettre
une pleine participation démocratique et de tenir les administrateurs
des biens publics comptables de leurs actes, dans le respect des
normes des droits humains et de l’État de droit.
5. Les limitations au droit de savoir, destinées à protéger la
sécurité nationale, le droit à la vie privée ou d’autres droits
humains, doivent être étroitement définies.
6. La mise en œuvre du droit de savoir comporte trois dimensions
actives: les obligations directes que les autorités publiques et
les institutions publiques ou privées qui exercent des fonctions
publiques doivent respecter, indépendamment de demandes spécifiques;
le droit des citoyens d’être informés, d’avoir accès aux informations
pertinentes et de contribuer à l’élaboration et à l’évaluation des
lois, règlements et autres instruments politiques; et un environnement
éducatif et culturel tendant à améliorer et à stimuler l’apprentissage
continu des citoyens dans une société de l’information.
7. Pour donner pleinement effet au droit de savoir du citoyen,
il est nécessaire d’établir une gamme des instruments de politique
publique, y compris des mécanismes de consultation, d’information
et de commentaire, des évaluations d’impact et des évaluations ex post de la réglementation et
des lois.
8. L’entrée en vigueur de la Convention du Conseil de l’Europe
sur l’accès aux documents publics (STCE no 205,
la «Convention de Tromsø») est une avancée importante dans la bonne
direction, que l’Assemblée salue. Toutefois, l’Assemblée observe
avec préoccupation que le nombre d’adhésions à la Convention de
Tromsø est très faible.
9. Les médias jouent un rôle essentiel dans la définition de
l’ordre du jour et la fourniture en temps utile d’informations pluralistes
et fiables. Ils doivent être à l’abri de toute pression, notamment
des attaques verbales ou physiques directes, mais aussi du harcèlement
judiciaire sous la forme de poursuites stratégiques contre la mobilisation
publique (strategic lawsuits against
public participation – SLAPP). Les agressions de journalistes et
les actes d’intimidation contre les médias constituent de graves
menaces pour le droit de savoir de la population. C’est pourquoi
il est essentiel que les normes du Conseil de l’Europe relatives
à la liberté, au pluralisme et à l’indépendance éditoriale des médias,
à la protection des journalistes, aux critères et garanties de financement
et à la transparence de la propriété des médias soient pleinement
mises en œuvre et contrôlées de manière adéquate.
10. Les citoyens doivent savoir qui se cache derrière l’information
et connaître l’ensemble de la structure de propriété des médias,
jusqu’aux bénéficiaires effectifs, ainsi que les accords de partage
d’information entre les médias et d’autres entités. Ces informations
ne sont pas toujours faciles à trouver ou à suivre, en particulier lorsque
les structures de propriété des médias sont transnationales. L’Assemblée
considère que ces informations doivent être rendues publiques.
11. De même, l’accès aux informations contenues dans les registres
des sociétés est essentiel pour les organisations citoyennes de
surveillance, comme les groupes de la société civile qui luttent
contre la corruption, et pour les journalistes d’investigation qui
enquêtent sur d’éventuelles activités illégales. Refuser de donner
accès aux données sur la propriété et les structures des entreprises,
ou restreindre cet accès de manière significative, y compris par
des coûts prohibitifs, limite le droit de savoir du public et peut
ouvrir la porte à la corruption, à la fraude, au blanchiment d’argent,
aux violations des droits humains et à d’autres activités illégales.
12. Si le droit de savoir vise à renforcer la participation constructive
des citoyens au processus décisionnel, il est nécessaire d’assurer
la transparence des initiatives de participation et des contributions
des groupes d’intérêt, y compris les lobbyistes professionnels,
les associations professionnelles et les organisations de la société
civile.
13. L’Assemblée constate avec préoccupation que, dans la plupart
des États membres, il n’existe pas de règles sur la transparence
garantissant que la société civile, les journalistes et le public
puissent obtenir des informations sur la façon dont l’intelligence
artificielle est utilisée et dont les données alimentent la prise
de décision automatisée. En outre, l’Assemblée est convaincue que
le fait de garantir au grand public un accès libre et facile aux
connaissances scientifiques et autres sources de savoir présente
des avantages considérables pour la société.
14. En outre, le droit de savoir du citoyen est intrinsèquement
lié à l’accès libre, facile et tout au long de la vie aux instruments
culturels, qui sont des outils indispensables au développement d’une
compréhension critique et indépendante de l’information et à la
participation active, inclusive et délibérée à une société démocratique.
L’art est un facteur positif de renforcement des capacités de réflexion
critique. À cet effet, il convient de promouvoir une large présence
des lieux de culture tels que les bibliothèques, les théâtres, les musées
et les salles de concert, et de renforcer l’inclusion de tous les
acteurs de la société dans la vie culturelle.
15. Le rôle principal et la responsabilité première, pour garantir
le droit de savoir, incombent aux États membres et aux autorités
publiques. Cependant, d’autres acteurs tels que les médias publics
et privés ou les institutions de l’éducation et de la culture entrent
également en jeu et doivent assumer leur part de responsabilité
dans l’éducation de citoyens actifs et informés. Les actions des
différentes parties prenantes doivent être cohérentes et synergiques,
d’où l’importance déterminante des partenariats entre ces acteurs.
16. En conséquence, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil
de l’Europe:
16.1 à reconnaître
le droit de savoir en tant que droit civil et politique du citoyen
d’être activement informé sur tous les aspects concernant toutes
les étapes des processus d’élaboration des politiques et des processus
administratifs/réglementaires, afin de permettre une pleine participation
démocratique et de tenir les administrateurs des biens publics comptables
de leurs actes, dans le respect des normes des droits humains et
de l’État de droit;
16.2 à ratifier la Convention de Tromsø, s’ils ne l’ont pas
encore fait, et à s’engager également à respecter les dispositions
facultatives sur la transparence législative et judiciaire, et à
mettre leurs lois sur l’accès à l’information en conformité avec
les normes les plus élevées de la Convention de Tromsø;
16.3 à soutenir la création rapide du comité de suivi de la
Convention de Tromsø et à engager des fonds suffisants pour lui
permettre d’œuvrer avec efficacité;
16.4 à promouvoir, en y participant, des échanges de savoir
à l’échelle de la région Europe sur les bonnes pratiques relatives
à la mise en œuvre du droit d’accès à l’information, ce qui pourrait
également être d’une grande utilité pour le comité de suivi de la
Convention de Tromsø;
16.5 à concevoir et à mettre en œuvre, parallèlement à la consolidation
des normes existantes établies par la Convention de Tromsø, des
mesures complémentaires visant à garantir de façon effective le
droit de savoir conformément aux principes énoncés dans la présente
résolution et, en particulier, à veiller à ce que l’information
d’intérêt public soit collectée, réunie et rendue publique en temps
utile et de façon effective, selon une approche intégrant le principe
de transparence dès la conception;
16.6 à s’inspirer de la Directive 2014/95/UE du Parlement européen
et du Conseil de l’Union européenne du 22 octobre 2014 modifiant
la Directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations
non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines
grandes entreprises et certains groupes afin de prendre des dispositions
visant à étendre le champ d’application des lois sur l’accès à l’information
à tous les organismes privés exerçant des fonctions publiques ou
utilisant des fonds publics, et à assurer la publication par les
grandes entreprises d’informations spécifiques dans les domaines
d’intérêt public essentiels tels que le respect des droits humains,
la lutte contre la corruption et les pots-de-vin, la protection
de l’environnement, la responsabilité sociale, le traitement des
employés et la diversité au sein des conseils d’administration en
termes d’âge, de sexe, de formation et de parcours professionnel;
16.7 à adopter des lois qui assurent la transparence des activités
de lobbying, conformément à la Recommandation CM/Rec(2017)2 du Comité
des Ministres aux États membres relative à la réglementation juridique
des activités de lobbying dans le contexte de la prise de décision
publique;
16.8 à coopérer avec le Groupe d'États contre la corruption
(GRECO) et d’autres acteurs internationaux pertinents, ainsi qu’avec
la société civile, pour élaborer un cadre juridique permettant et facilitant
l’accès aux informations contenues dans les registres des sociétés,
en s’appuyant également sur les bonnes pratiques développées par
les pays qui disposent de registres des sociétés en libre accès;
16.9 à mettre leur législation et leur pratique en conformité
avec la
Résolution 2065
(2015) de l’Assemblée «Accroître la transparence de la
propriété des médias» et la Recommandation CM/Rec(2018)1 du Comité
des Ministres aux États membres sur le pluralisme des médias et
la transparence de leur propriété, afin de mettre pleinement en
œuvre les normes du Conseil de l’Europe relatives à la transparence
de la propriété et au financement des médias, et à demander une
transparence complète dans la définition et l’exécution des accords
de partage d’information que les médias concluent avec des tiers;
16.10 à mettre en place un système national indépendant de contrôle
de la légalité, de l’exactitude et de l’exhaustivité des informations
fournies par tous les médias nationaux, et à rendre publiques les données
ventilées issues de ces contrôles au moins une fois par mois;
16.11 à revoir les mécanismes de financement et à éviter les
coupes budgétaires dans le secteur des médias en vue de préserver
et de renforcer un paysage médiatique ouvert et pluraliste, et à
mettre pleinement en œuvre les multiples recommandations pertinentes
du Conseil de l’Europe en la matière;
16.12 à mettre leur législation et leur pratique en conformité
avec la Recommandation CM/Rec(2020)1 du Comité des Ministres aux
États membres sur les impacts des systèmes algorithmiques sur les
droits de l’homme, et à organiser des débats sur la transparence
des algorithmes utilisés par les entreprises des médias sociaux,
en réunissant les parties prenantes concernées, afin de débattre
des moyens d’assurer un contrôle parlementaire et citoyen de ces
algorithmes;
16.13 à encourager les acteurs qui produisent des connaissances
et ceux qui les publient à mettre leurs travaux à disposition gratuitement
et dans des formats en libre accès, et à soutenir les bonnes pratiques en
matière de libre accès afin que les résultats de la recherche soient
disponibles pour tous les acteurs de la société, dans le but de
fournir de meilleures données scientifiques et des innovations aux
secteurs public et privé;
16.14 à créer et à renforcer les instruments de diffusion de
la connaissance culturelle à un vaste public; à promouvoir, à cet
égard, le rôle des bibliothèques, des musées, des théâtres, des
salles de concert et des autres institutions culturelles, et à établir
une mesure minimale de leur disponibilité par habitant, soumise
à contrôle.
17. Les parlementaires ont un droit renforcé d’accès à l’information.
Les élus peuvent se voir donner accès à des informations qui restent
confidentielles pour d’autres, et jouent un rôle crucial dans la
médiation du débat public entre les différents niveaux de la société
et dans la protection des droits des minorités. En conséquence, l’Assemblée
invite les parlements nationaux à analyser et à évaluer les mécanismes
de participation au processus décisionnel à tous les niveaux, y
compris la fixation de l’ordre du jour et le temps alloué aux débats et
aux questions parlementaires, en vue de garantir que les questions
d’intérêt public sont pleinement débattues et que les informations
d’intérêt public soient rendues publiques.
18. L’Assemblée appelle les parlementaires à engager un débat
coordonné sur l’établissement de règles communes concernant l’application
et la révision des normes en matière de confidentialité, dans les
États membres et dans les institutions régionales, s’agissant notamment
des procédures de vote, afin de lutter contre la culture du secret
pour prévenir la méfiance du public, et en vue de renforcer le droit
de savoir des citoyens.