Transparence et réglementation des dons de sources étrangères en faveur de partis politiques et de campagnes électorales
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 24 juin 2021 (22e séance)
(voir Doc. 15302, rapport de la commission des questions politiques et
de la démocratie, rapporteur: M. Konstantin Kuhle). Texte adopté par l’Assemblée le
24 juin 2021 (22e séance).Voir
également la Recommandation
2208 (2021).
1. Les partis politiques jouent un
rôle fondamental dans les systèmes démocratiques des États membres du
Conseil de l’Europe. Ce sont des outils essentiels à l’expression
de la volonté politique des citoyens et à l’organisation des débats
et des campagnes politiques dans une société démocratique.
2. La confiance des citoyens dans l'intégrité et l'indépendance
du processus de décision démocratique est d'une importance cruciale
pour assurer l'acceptation et la résilience de la démocratie. Dans
les systèmes politiques fondés sur les partis, la confiance des
citoyens dans l’intégrité des processus politiques dépend en outre
du fonctionnement interne des partis politiques, notamment de leur
financement et de leur responsabilité, et de la prévention de la
corruption.
3. Les systèmes de financement politique et les règles régissant
le financement des partis et des campagnes diffèrent d’un État membre
du Conseil de l’Europe à l’autre en fonction de leurs caractéristiques politiques,
historiques, sociales et culturelles. L’Assemblée parlementaire,
renvoyant à sa
Recommandation 1516
(2001) «Financement des partis politiques», réitère les
principes généraux relatifs au financement des partis politiques
et des campagnes électorales: un équilibre raisonnable entre financements publics
et privés, des critères équitables de répartition des contributions
de l’État aux partis, des règles strictes régissant les dons privés,
un plafond des dépenses des partis liées aux campagnes électorales,
une transparence totale de la comptabilité, la mise en place d’un
organisme indépendant de vérification des comptes et des sanctions
significatives pour ceux qui violent les règles.
4. L’Assemblée rappelle la Recommandation Rec(2003)4 du Comité
des Ministres sur les règles communes contre la corruption dans
le financement des partis politiques et des campagnes électorales.
Cette recommandation, qui s’appuie sur la
Recommandation 1516 (2001) de l’Assemblée,
énonce les principes fondamentaux qui s’appliquent au financement
et aux dépenses politiques, et contient des dispositions concernant
la transparence et le contrôle dans ce domaine. Dans son article 7,
elle prévoit notamment que «Les États devraient limiter, interdire
ou réglementer d’une manière spécifique les dons de sources étrangères».
5. L’Assemblée note que les citoyens se disent de plus en plus
préoccupés par l’intégrité du processus décisionnel démocratique
dans les États membres du Conseil de l’Europe à la lumière e récentes
informations sur des cas d’ingérence indue ou illégale par des contributions
financières provenant d’États étrangers ou d’organes liés à ces
derniers en faveur de partis politiques et de campagnes électorales.
Elle constate avec préoccupation que les tentatives d’ingérence
dans le processus décisionnel démocratique d’un pays par des contributions
financières sont de plus en plus associées à d’autres moyens d’ingérence,
comme la désinformation et les cyberattaques.
6. L’Assemblée est consciente que les migrations et la révolution
numérique ont concouru à l’interdépendance croissante entre les
États membres du Conseil de l’Europe, leurs citoyens, les processus décisionnels
démocratiques et les espaces publics. Cette évolution présente des
défis pour la réglementation des contributions financières de sources
étrangères en faveur de partis politiques et de campagnes électorales,
et pour l’exécution des règles en question.
7. L’Assemblée condamne toutes les tentatives des États membres
et non membres du Conseil de l’Europe de s’ingérer indûment ou illégalement
dans le processus décisionnel démocratique d’autres États par le
biais de contributions financières à des partis politiques et à
des campagnes électorales.
8. En particulier, l’Assemblée:
8.1 précise que la coopération entre les citoyens et les organisations
politiques des différents États membres du Conseil de l’Europe aide
à renforcer la compréhension mutuelle et sert à maintenir un dialogue
permanent. La réglementation relative aux contributions financières
provenant de sources étrangères en faveur de partis politiques et
de campagnes électorales ne devrait pas empêcher cette coopération;
8.2 souligne que la réglementation relative au financement
de partis politiques et de campagnes électorales ne devrait pas
faire obstacle au travail des organisations non gouvernementales
(ONG) et des fondations politiques, car ces organismes sont des
acteurs majeurs de la société civile. Le rôle important que des
organisations étrangères jouent en faveur de la construction de
la démocratie devrait être reconnu. L’Assemblée renvoie à la
Résolution 2362 (2021) «Restrictions
des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l’Europe»,
dans laquelle les États membres sont exhortés «à faire en sorte
que les ONG puissent solliciter, recevoir et utiliser des ressources
financières et matérielles, d’origine nationale ou étrangère, sans
subir de discrimination ni rencontrer d’obstacles injustifiés, conformément
aux recommandations contenues dans le rapport sur le financement
des associations de la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise)» (paragraphe 10.7);
8.3 reconnaît que des régimes juridiques différents s’appliquent
selon les États membres, autorisant ou interdisant la coopération
financière entre des partis politiques représentant des minorités
nationales et les États où vivent les membres des groupes concernés,
notamment dans le cadre de campagnes électorales;
8.4 reconnaît que des régimes juridiques différents s’appliquent
selon les États membres, autorisant ou interdisant les contributions
financières de leurs citoyens qui résident à l’étranger et de ressortissants étrangers
résidant de manière permanente dans lesdits États membres en faveur
de leurs partis politiques nationaux;
8.5 souligne que la réglementation relative aux contributions
financières provenant de sources étrangères en faveur de partis
politiques et de campagnes électorales doit respecter la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5), en
particulier l’article 10 (liberté d’expression) et l’article 11
(liberté de réunion et d’association).
9. L’Assemblée se déclare vivement préoccupée par le fait que
les lacunes juridiques de la réglementation en vigueur relative
aux contributions financières provenant de sources étrangères en
faveur de partis politiques et de campagnes électorales soient ou
puissent être exploitées, et que la réglementation puisse être délibérément
contournée, notamment:
9.1 en versant
des contributions en nature plutôt qu’en espèces;
9.2 en octroyant des prêts;
9.3 en versant des contributions en nature ou en espèces à
des responsables politiques et des candidats plutôt qu’à des partis
politiques et des campagnes électorales;
9.4 en passant par l’intermédiaire de personnes physiques
ou morales;
9.5 en passant par l’intermédiaire de sociétés-écrans intentionnellement
créées pour instaurer une présence juridique dans le pays cible;
9.6 en versant des contributions à des fondations, des associations,
des organisations caritatives, religieuses et autres organisations
à but non lucratif ou non gouvernementales, aux fins du financement occulte
d’un parti politique ou d’une campagne électorale, détournant ainsi
le financement de son objectif initial, à savoir le financement
d’une organisation à but non lucratif ou d’une organisation non gouvernementale;
9.7 en recourant à des cryptomonnaies;
9.8 en versant des contributions anonymes ou en exploitant
les règles de minimis ou les
règles relatives aux contributions en espèces;
9.9 en dissimulant la contribution financière étrangère à
une opération commerciale, particulièrement dans le secteur de l’énergie
ou des ressources naturelles.
10. L’Assemblée se déclare vivement préoccupée par le fait que
l’exploitation des lacunes juridiques et le contournement intentionnel
de la réglementation en vigueur relative aux contributions financières
provenant de sources étrangères en faveur de partis politiques et
de campagnes électorales puissent permettre:
10.1 des campagnes politiques menées par des tiers qui sont
soumis à des exigences moins strictes en matière de transparence
que ne le sont les partis politiques engagés dans des campagnes électorales;
10.2 d’associer l’ingérence financière dans le processus décisionnel
démocratique d’un pays à d’autres outils d’ingérence, comme la désinformation
et les cyberattaques;
10.3 d’associer l’ingérence financière dans le processus décisionnel
démocratique d’un pays au blanchiment de capitaux et à d’autres
activités criminelles.
11. L’Assemblée estime que les États membres devraient prendre
au sérieux le danger que pose l’ingérence financière inappropriée
ou illégale, et qu’ils devraient reconnaître des interconnexions
possibles avec la désinformation et les cyberattaques. Elle appelle
par conséquent les États membres à réexaminer leur réglementation
relative aux contributions financières provenant de sources étrangères
en faveur de partis politiques et de campagnes électorales ainsi
que l’exécution qui en est faite, notamment:
11.1 en limitant, en interdisant ou en réglementant par ailleurs
les contributions financières provenant de sources étrangères en
faveur de partis politiques et de campagnes électorales conformément
à l’article 7 de la Recommandation Rec(2003)4, si de telles règles
n’existent pas encore;
11.2 en élargissant la définition des contributions financières
afin d’y inclure les contributions en nature et les prêts;
11.3 en incorporant les contributions financières (qu’elles
soient en nature ou en espèces) en faveur de responsables et de
candidats politiques dans le cadre réglementaire relatif à ce type
de contributions en faveur de partis politiques et de campagnes
électorales;
11.4 en incluant les contributions financières en faveur de
fondations, d’associations, d’organisations caritatives, religieuses
et autres organisations à but non lucratif ou organisations non
gouvernementales dans le cadre réglementaire relatif aux contributions
financières en faveur de partis politiques et de campagnes électorales
chaque fois que ces organisations prennent part à des campagnes
électorales ou financent des partis politiques. Ces mesures ne devraient
toutefois pas être appliquées de façon abusive pour faire obstacle
au travail des ONG;
11.5 en limitant, en interdisant ou en réglementant par ailleurs
les contributions financières sous forme de cryptomonnaies et les
contributions financières anonymes;
11.6 en évaluant et, si nécessaire, en durcissant les règles de minimis ou les règles relatives
aux contributions en espèces;
11.7 en revoyant les réglementations et leurs modalités d’application
pour ce qui concerne les contributions financières par l’intermédiaire
de personnes physiques, de personnes morales ou de sociétés-écrans;
11.8 en revoyant les réglementations et leurs modalités d’application
pour ce qui concerne les campagnes politiques menées par des tiers;
11.9 en intensifiant les activités de lutte contre le blanchiment
de capitaux et en reconnaissant les possibilités d’interconnexion
du blanchiment avec l’ingérence financière étrangère inappropriée
ou illégale;
11.10 en renforçant l’indépendance des organismes de vérification
des comptes chargés de contrôler les partis politiques et les campagnes
électorales, et en améliorant leurs capacités;
11.11 en évaluant et, si nécessaire, en renforçant les sanctions
imposées en cas de violation des règles en matière de financement
des partis politiques et des campagnes électorales;
11.12 en enquêtant sur les cas d’allégations d’ingérence financière
inappropriée ou illégale d’origine étrangère;
11.13 en intensifiant les activités visant à réunir des connaissances
scientifiques et techniques sur l’ingérence financière inappropriée
ou illégale d’origine étrangère;
11.14 en élaborant une stratégie internationale commune de lutte
contre l’ingérence financière inappropriée ou illégale d’origine
étrangère;
11.15 en mettant pleinement en œuvre les recommandations du
Groupe d’États contre la corruption (GRECO) sur la transparence
du financement des partis politiques et des campagnes électorales,
de façon à accroître la transparence des dons de sources étrangères,
à limiter les possibilités de contourner les règles et à renforcer
le contrôle et l’application de la réglementation.
12. L’Assemblée souligne que, du fait de l’interdépendance croissante
entre les États européens en matière politique, sociale, culturelle
et médiatique, il est plus difficile pour les pouvoirs exécutif
et législatif des États membres de s’opposer à l’harmonisation des
principes sur les contributions financières de sources étrangères en
faveur de partis politiques et de campagnes électorales en invoquant
les caractéristiques uniques sur les plans historique, culturel,
social ou politique de leurs pays respectifs.
13. L’Assemblée encourage les parlements des États membres du
Conseil de l’Europe à organiser des auditions au sujet des contributions
financières provenant de sources étrangères en faveur de partis
politiques et de campagnes électorales, et de leur potentiel d’influence
sur les processus décisionnels démocratiques dans leurs systèmes
politiques respectifs, notamment en ce qui concerne leur corrélation
avec d’autres formes d’ingérence comme la désinformation et les
cyberattaques.
14. L’Assemblée se félicite que le GRECO supervise la mise en
œuvre de la Recommandation Rec(2003)4 et salue ses procédures d’évaluation
et de conformité qui visent fondamentalement à prévenir la corruption
en lien avec le financement des partis et des campagnes électorales.
Elle encourage le GRECO à tenir compte de la mise en œuvre de l’article
7 de ladite recommandation dans le cadre de ses futures évaluations.
15. L’Assemblée salue également les travaux de la Commission de
Venise sur les partis politiques, notamment les «Lignes directrices
sur la réglementation des partis politiques – 2e édition»,
publiées en 2020, en coopération avec le Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH). L’Assemblée encourage
la Commission de Venise à entreprendre une nouvelle étude en vue
d’actualiser son Avis no 366/2006 sur
«L’interdiction des contributions financières aux partis politiques
provenant de sources étrangères» et à vérifier si une mise à jour
de ses «Lignes directrices sur le financement des partis politiques»
(2001) s’impose à la lumière des événements récents, de l’évolution
juridique et des conclusions de cette résolution.