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Dimension de genre et effets de la pornographie sur les droits humains

Rapport | Doc. 15406 | 18 novembre 2021

Commission
Commission sur l'égalité et la non-discrimination
Rapporteur :
M. Frank HEINRICH, Allemagne, PPE/DC
Origine
Renvoi en commission: Doc. 14864, Renvoi 4450 du 24 septembre 2019 2021 - Commission permanente de novembre

Résumé

La pornographie est un phénomène à multiples facettes qui a de fortes implications en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression, le droit au respect de la vie privée, l'égalité de genre, la violence à l'égard des femmes, la traite des êtres humains, l'exploitation sexuelle ainsi que la protection et le bien-être des enfants. Elle contribue à définir l’idée que les individus ont de la sexualité et leur vision des rôles dévolus à chaque sexe; bien souvent elle alimente et perpétue des stéréotypes qui mettent à mal l’égalité de genre et l’autonomie de choix des femmes en les dépeignant comme des objets de soumission et en banalisant la violence faite aux femmes.

Les jeunes sont particulièrement exposés à ce risque, car elles·ils considèrent la pornographie comme une source d’information sur la sexualité, faute de programmes scolaires proposant une éducation complète à la sexualité qui leur permettrait d’obtenir des informations fiables et objectives.

Il convient de protéger les droits humains des personnes participant à la production de la pornographie, notamment des femmes et en particulier des performeuses, et de garantir la liberté de choix, des conditions de travail dignes et sûres ainsi qu’une rémunération équitable. Une éducation complète à la sexualité devrait être la principale source d’information des jeunes en matière de sexualité et permettrait d’empêcher que d’autres sources, telles que la pornographie, diffusent des informations peu fiables et potentiellement dangereuses.

A Projet de résolutionNote

1. La pornographie est omniprésente et facile d'accès, en particulier en ligne. Selon les estimations, plus de la moitié de l’ensemble du trafic internet est lié à la pornographie et au sexe et une part importante de la population consulte des contenus pornographiques. La pandémie de covid-19 n’aurait fait qu’accentuer cette tendance.
2. Les études montrent que la pornographie exerce une influence sur l’idée que les individus ont de la sexualité et sur leur vision des rôles dévolus à chaque sexe; bien souvent elle alimente et perpétue des stéréotypes qui mettent à mal l’égalité de genre et l’autonomie de choix des femmes en les dépeignant comme des objets de soumission et en banalisant la violence faite aux femmes. Les jeunes sont particulièrement exposés à ce risque, car elles·ils considèrent la pornographie comme une source d’information sur la sexualité, faute de programmes scolaires proposant une éducation complète à la sexualité qui leur permettrait d’obtenir des informations fiables et objectives.
3. L’Assemblée parlementaire souscrit pleinement à la Recommandation CM/Rec(2019)1 du Comité des Ministres sur la prévention et la lutte contre le sexisme, qui invite les gouvernements des États membres à «promouvoir une perspective d'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que le développement de la pensée critique pour lutter contre le sexisme dans le contenu, le langage et les illustrations des jouets, des bandes dessinées, des livres, de la télévision, des jeux vidéo et autres jeux, des contenus en ligne et des films, y compris la pornographie, qui façonnent les attitudes, les comportements et les identités des filles et des garçons» ainsi qu’à la Recommandation CM/Rec(2013)1 sur l’égalité entre les femmes et les hommes et les médias. La mise en œuvre des propositions émises dans ces recommandations permettrait de contrer l’image négative et dégradante que la pornographie véhicule de la femme.
4. En 2011 déjà, dans sa Résolution 1835 (2011) «La pornographie violente et extrême», l’Assemblée considérait que «ce type de pornographie représente un obstacle de plus sur le chemin vers une réelle égalité entre les sexes, à côté des autres formes de pornographie hard et soft, de l’utilisation très répandue d’images sexualisées de femmes à des fins commerciales et de l’exploitation des stéréotypes sexuels par les médias et l’industrie du divertissement».
5. L’Assemblée réitère que, si la liberté d’expression est l’un des fondements d’une société démocratique et un droit garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5), il est possible de poser des limites à ce droit si de telles limites sont prescrites par la loi et sont nécessaires, notamment dans l’intérêt de la prévention de la criminalité, de la protection des mœurs et de la protection des droits d’autrui.
6. L’Assemblée considère qu’il convient de protéger les droits humains des personnes participant à la production de la pornographie, notamment des femmes et en particulier des performeuses, et de garantir la liberté de choix, des conditions de travail dignes et sûres ainsi qu’une rémunération équitable.
7. L’Assemblée observe que les contenus pornographiques sont de plus en plus souvent réalisés en privé, par des personnes ne faisant pas partie de sociétés de production spécialisées, et diffusés par voie électronique. Il convient donc d’être particulièrement vigilant et de prendre des mesures pour réglementer la diffusion de ces contenus. La liberté de choix des personnes participant à la production et le consentement de toutes celles et ceux qui sont mis·es en scène sont primordiaux et doivent faire l’objet d’un contrôle strict. La «vengeance pornographique» («revenge porn»), c’est-à-dire la diffusion non-consentie, par courrier électronique, messagerie téléphonique, réseaux sociaux ou tout autre moyen, d’images intimes à caractère sexuel dans l’intention d’humilier et d’embarrasser les personnes apparaissant dans ce contenu, est un phénomène particulièrement préoccupant et devrait donner lieu à des poursuites effectives.
8. L’Assemblée considère qu’une éducation complète à la sexualité contribue de manière essentielle à préparer les jeunes à leur vie d’adulte. Elle devrait être intégrée à tous les programmes scolaires et être adaptée à l’âge des élèves, précise sur le plan médical et factuelle. Les cours d’éducation sexuelle devraient aborder des questions telles que la contraception et la prévention des maladies sexuellement transmissibles, l’égalité de genre, les normes et les stéréotypes liés au genre, la prévention de la violence sexuelle, fondée sur le genre et entre partenaires intimes et la protection contre celle-ci, l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre, la liberté de choix et le consentement dans les relations et les échanges personnels.
9. Une éducation complète à la sexualité devrait être la principale source d’information des jeunes en matière de sexualité et permettrait d’empêcher que d’autres sources, telles que la pornographie, diffusent des informations peu fiables et potentiellement dangereuses. L’éducation aux médias, destinée à aider les jeunes à mieux interpréter et comprendre les contenus écrits et audiovisuels, pourrait également contribuer à lutter contre les effets néfastes de la pornographie sur l’image de la femme.
10. Au vu de ces considérations, l’Assemblée invite les États membres et observateurs, ainsi que ses partenaires pour la démocratie:
10.1 à pleinement mettre en œuvre les recommandations du Comité des Ministres CM/Rec(2019)1 sur la prévention et la lutte contre le sexisme et CM/Rec(2013)1 sur l'égalité entre les femmes et les hommes et les médias;
10.2 en ce qui concerne l’éducation, l’information et la sensibilisation:
10.2.1 à faire en sorte qu’une éducation complète à la sexualité, adaptée à l’âge et scientifiquement exacte, soit intégrée à tous les programmes scolaires et rendue obligatoire pour tous les élèves, sans possibilité de s’y soustraire. Les programmes d’éducation sexuelle devraient définir, déterminer et préciser la nature de la pornographie et expliquer ses incidences en matière de santé, d’éthique, de droit et d’égalité de genre. Ils devraient également attirer l’attention sur le fait que la pornographie ne saurait remplacer des sources d’information fiables sur la sexualité et qu’elle est susceptible de donner une fausse idée du rôle des femmes et des hommes, en perpétuant des stéréotypes sexistes et en incitant à la violence sexuelle et à d’autres formes de violence fondée sur le genre;
10.2.2 à introduire des programmes extrascolaires d’éducation complète à la sexualité, similaires en termes de contenu aux programmes dispensés en milieu scolaire, mais accessibles aux enfants non scolarisés ainsi qu’aux jeunes ayant dépassé l’âge de la scolarité obligatoire;
10.2.3 à promouvoir l’éducation aux médias dans le cadre des activités éducatives scolaires et extrascolaires en s’assurant qu’elle couvre les questions de genre, notamment les stéréotypes de genre, le sexisme et la banalisation de la violence fondée sur le genre véhiculés par la pornographie, la publicité, les divertissements et les médias en général;
10.2.4 à mettre en place des systèmes d’avertissement obligeant les sites pornographiques à afficher un bandeau mettant en garde contre les dangers potentiels de la consultation de contenus pornographiques, similaire aux bandeaux d’avertissement sur l’alcool, le tabac ou les jeux d’argent en ligne.
10.2.5 à envisager d’introduire des mesures et des outils renforçant les compétences des parents pour lutter contre le cybersexisme et la pornographie sur internet, comme le préconise la Recommandation CM/Rec(2019)1 du Comité des Ministres;
10.3 en ce qui concerne la protection des données et de l’image:
10.3.1 à appliquer de manière effective les réglementations relatives à la protection des données à caractère personnel et de l'image personnelle, notamment dans le domaine de la diffusion en ligne de matériel pornographique;
10.3.2 à s’assurer que toutes les personnes mises en scène ou participant de quelque autre manière à la production de contenus pornographiques ont donné leur consentement libre et éclairé à la diffusion de ces derniers, notamment en exigeant des producteurs qu’ils apportent la preuve du consentement vérifié avant la publication de toute image;
10.3.3 dans les limites de la réglementation sur l’utilisation des données à caractère personnel, à exiger des fournisseurs de pornographie en ligne qu’ils recueillent et conservent l’identité et les coordonnées des personnes qui téléchargent du contenu pornographique en vue de le diffuser publiquement, afin de faciliter les poursuites pénales dans les cas où les participant·e·s n’ont pas consenti à la diffusion ou lorsque le contenu implique des activités de traite des êtres humains, des actes de maltraitance des enfants ou d’autres actes pénalement répréhensibles;
10.4 en ce qui concerne le droit pénal et les autres dispositions légales
10.4.1 à envisager d'étendre à la pornographie violente les dispositions interdisant la glorification des actes criminels, à l'instar de l'article 131 du Code pénal allemand qui sanctionne la diffusion de «contenus représentant des actes de violence cruels ou inhumains dirigés contre des êtres humains ou d’apparence humaine d'une manière qui glorifie ou banalise ces actes de violence ou qui présente cette cruauté ou cette inhumanité d'une manière qui porte atteinte à la dignité humaine»;
10.4.2 à veiller à ce que les réglementations sur la publication en ligne, telles que la législation de l'Union européenne sur les services numériques, s'appliquent à tous les médias, dont les sites internet pornographiques;
10.4.3 à inclure des dispositions interdisant l’utilisation de la pornographie sur le lieu de travail dans la législation relative au harcèlement sexuel et aux autres formes de harcèlement sur le lieu de travail, et obliger les employeurs à installer et à utiliser des filtres internet à cette fin;
10.4.4 à veiller à ce que la «vengeance pornographique» fasse l’objet de sanctions pénales;
10.4.5 à exiger des bibliothèques publiques et des écoles qu’elles installent des filtres internet pour bloquer la pornographie;
10.4.6 à envisager d'introduire l'obligation pour les fabricants et les distributeurs d'ordinateurs et de dispositifs portables d'activer par défaut des filtres antipornographie (lesquels actuellement sont généralement préinstallés, mais désactivés par défaut);
10.4.7 à obliger les fournisseurs d'accès à internet à appliquer une clause d'acceptation ou d'exclusion, demandant aux client·e·s de choisir si la pornographie doit être en libre accès ou non par l’intermédiaire de leurs services;
10.4.8 à envisager d’interdire la publicité publique de la pornographie;
10.4.9 à envisager de soumettre l’accès à la pornographie à un contrôle de l’âge au niveau national ou d’introduire l’obligation légale pour les sociétés diffusant du matériel pornographique de vérifier l’âge des utilisateurs et des utilisatrices;
10.4.10 à mettre à la disposition des entreprises internet des procédures de plainte en cas de restrictions ou de limitations injustifiées en matière d’accès à la pornographie, dans l'intérêt de la liberté d'expression et de la neutralité d'internet;
10.4.11 à étudier les liens éventuels entre la pornographie et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle.
10.5 en ce qui concerne les autres mesures:
10.5.1 à promouvoir la recherche et la collecte de données sur la pornographie, fondées sur une approche transdisciplinaire et interculturelle, et allouer des fonds adéquats à cette fin, en vue de fournir des informations précises au personnel enseignant, aux travailleurs sociaux, aux prestataires de soins de santé et aux législateurs, notamment sur les types et la fréquence d'utilisation de la pornographie et sur la prévalence et l’impact des représentations sexistes des femmes et des filles dans les contenus pornographiques, sur la mesure dans laquelle elles exacerbent les inégalités entre les sexes et la violence à l’égard des femmes et des filles, ainsi que leur incidence sur la santé physique, sexuelle et psychologique des femmes;
10.5.2 à proposer des services d’aide au départ financés de manière adéquate, destinés aux personnes qui souhaitent quitter l’industrie du sexe, notamment la pornographie;
10.5.3 à promouvoir et fournir des conseils et des services de soutien aux utilisateurs et utilisatrices compulsifs de la pornographie.

B Exposé des motifs par M. Frank Heinrich, rapporteur

1 Introduction

1. La pornographie est un phénomène à multiples facettes qui a de fortes implications en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression, le droit au respect de la vie privée, l'égalité de genre, la violence à l'égard des femmes, la traite des êtres humains, l'exploitation sexuelle ainsi que la protection et le bien-être des enfants.
2. Dans ce rapport, je me concentre d’abord et avant tout sur l’impact de la pornographie sur les femmes concernant leurs droits, leur dignité et leur place dans la société. Dès les phases préparatoires, les recherches ont semblé confirmer l’idée sur laquelle repose la proposition à l’origine de ce rapport: la pornographie contribue à façonner les opinions des gens sur la sexualité et sur les femmes, entraînant des répercussions sur les perceptions du rôle des femmes et des hommes dans les familles, les relations personnelles et la société. J’ai également étudié le lien possible entre la pornographie et la traite des êtres humains, dont on sait qu’elle touche les femmes et les filles de manière disproportionnée. Un rapport intitulé «Pour une évaluation des moyens et des dispositifs luttant contre l’exposition des enfants aux contenus pornographiques» est actuellement en préparation pour la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable par M. Dimitri Houbron (France, ADLE). Les deux rapports se recoupent en partie en termes de champ d’études, mais l’axe principal et les objectifs de mes travaux restent distincts. L'élaboration de ce rapport s’est fondée sur des recherches documentaires, la consultation d'expert·e·s indépendant·e·s et une audition organisée le 15 mars 2021, avec la participation d’un orateur et d’une oratrice invités. Mes collègues membres de la commission sur l'égalité et la non-discrimination ont également apporté des contributions précieuses, en partageant leurs points de vue lors des réunions de la commission et en soumettant des contributions écrites. Certain·e·s ont souligné les effets néfastes potentiels de la pornographie sur la dignité et la liberté des femmes et la nécessité d’être vigilant et de prévenir une exposition excessive à celle-ci. D'autres ont attiré mon attention sur la nécessité de respecter la liberté individuelle dans le domaine de la sexualité, ainsi que la liberté d'expression.
3. Je remercie toutes et tous les membres qui ont partagé des informations et leurs points de vue sur cette question, dont je m’efforcerai de rendre compte dans ce document.

2 Pornographie – facteurs économiques

4. Aujourd'hui, une recherche Google sur le mot «porno» génère près de 500 millions de résultats, dont une grande partie sont des sites web proposant des contenus pornographiques, souvent gratuits et souvent organisés en «catégories» en fonction du sexe, de l'âge, de l'origine ethnique des acteurs et actrices et du type de pratiques présentées.
5. Dans son livre de 2016 intitulé «L'industrie de la pornographie (ce que tout le monde doit savoir)»Note, l'écrivaine féministe Shira Tarrant souligne que si la pornographie en tant que phénomène existe depuis des siècles, l'industrie de la pornographie telle que nous la connaissons aujourd’hui est relativement récente. En ce qui concerne les réglementations applicables, elle déclare que la production et la distribution de la pornographie légale sont censées être transparentes, mais ce n'est souvent pas le cas, et bien que les entreprises et les organisations soient bien connues, «l'aspect financier de l'activité est souvent entouré de secret, de désinformation et même de piratage».
6. Lors des débats concernant cette industrie, une différence est souvent faite entre le porno grand public et le porno indépendant. Cette différence repose principalement sur deux éléments, à savoir la nature du contenu et la manière dont il est produit et distribué. La pornographie grand public est produite et distribuée par de grandes entreprises. Son contenu est principalement hétérosexuel et, selon l'auteur Jaclyn Friedman, «est centré sur le plaisir masculin et la satisfaction sexuelle, et relègue généralement les femmes au rôle de pourvoyeuses de plaisir». Les longs métrages (avec des scénarios, des intrigues, des costumes élaborés, des bandes sonores et des décors), le porno Gonzo (sans intrigue ni costumes – souvent sans aucun vêtement – et basé sur l'idée d'effacer la séparation entre les acteurs et actrices et les spectatrices et les spectateurs) et le porno non scénarisé (dans lequel les acteurs et actrices ne reçoivent que peu ou pas de conseils de la réalisatrice ou du réalisateur) peuvent tous être considérés comme du porno grand public. Le porno indépendant est produit par une série de petites compagnies et met souvent en scène des artistes non sexistes et non hétérosexuel·le·s. Les modes de production sont généralement différents et parfois novateurs: Make Love Not Porn, par exemple, fonde son modèle commercial sur la participation de personnes ordinaires qui téléchargent des vidéos d'elles-mêmes lors de relations sexuelles. Les bénéfices sont ensuite partagés à parts égales entre l'entreprise et les interprètes.
7. La production de porno est fragmentée en raison de la technologie, car «toute personne possédant un téléphone portable peut désormais produire et diffuser du porno et ainsi contrôler les moyens de production»Note. Et pourtant, une proportion écrasante de cette industrie est contrôlée par une seule société, à savoir MindGeek. Anciennement connue sous le nom de Manwin, puis Mansef, «MindGeek est un fournisseur de porno. Ou plus exactement, le fournisseur de porno», comme l'écrit David Auerbach sur Slate. «MindGeek est devenu le monopole du porno [...]. Le géant MindGeek exerce une telle force que les gens de l'industrie du porno en ligne ont peur d'en parler par crainte d'être mis sur une liste noire». Créé par une série de fusions et d'acquisitions opérées jusqu'en 2013 par l'homme d'affaires allemand Fabian Thylmann, qui a ensuite quitté la société, Mindgeek est un groupe qui possède un grand nombre de sites de tubes agrégateurs de porno, dont Pornhub, YouPorn et Redtube, qui rendent le porno disponible gratuitement et sont financés par la publicité.
8. Mindgeek est «l'empereur incontesté du divertissement adulte en ligne»Note et ses chiffres sont impressionnants: son site phare, Pornhub, a enregistré une moyenne de 81 millions de visiteuses et visiteurs par jour en 2017, soit 28,5 milliards pour l'année, avec 24,7 milliards de recherches effectuées. Sa communauté mondiale d'utilisatrices et d’utilisateurs a mis en ligne plus de quatre millions de vidéos au cours de la même période, pour un total de 595 492 heures.
9. La taille et la part de marché de MindGeek le rendent problématique du point de vue de la concurrence, et sa structure complexe (formellement basée au Luxembourg, elle opère en fait à partir du Canada par le biais d'un certain nombre de filiales dispersées dans le monde entier) est considérée par certain·e·s comme un moyen d'éviter l'impôt sur les sociétésNote. En outre, la grande quantité de données personnelles collectées et traitées par ce groupe est un motif d'inquiétude.
10. Dans un autre registre, mais qui a également à voir avec les grandes entreprises et la pornographie, je voudrais souligner que le possible rôle que les fournisseurs d’accès à internet pourraient jouer dans la lutte contre l’exploitation et les abus sexuels des enfants en ligne fait actuellement l’objet d’un débat sensible. Ces entreprises ont créé des systèmes automatisés pour détecter ce type de contenu lorsqu’il est échangé entre les utilisatrices et les utilisateurs, mais en vertu du code des communications électroniques européen, entré en vigueur en décembre 2018, le courrier électronique web, les services de messagerie et la téléphonie par internet tombent sous le champ d’application de la directive européenne «vie privée et communications électroniques» et se trouvent dès lors hors de portée des systèmes de détection automatisés. Par la suite, l’Union européenne a élaboré un règlement provisoire sur le traitement des données à caractère personnel et d’autres données aux fins de la lutte contre les abus sexuels commis contre des enfants en ligne; ce règlement prévoit une dérogation temporaire au code des communications électroniques européen, permettant ainsi aux services de communication en ligne de poursuivre leurs efforts volontaires de détection des cas d’exploitation et d’abus sexuels des enfants en ligne. Cette situation soulève certains enjeux en matière de droits humains, notamment la nécessité de ménager un équilibre entre le droit des enfants d’être protégés contre l’exploitation et les abus sexuels en ligne et le droit du public au respect de la vie privée. À la demande du Comité de Lanzarote, un groupe d’experts a été mis en place par le Conseil de l’Europe et a présenté une série de recommandations en juin 2021. La situation évolue constamment au niveau européen. M. Houbron, rapporteur pour la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, suit ces évolutions de près.

3 Les jeunes et la pornographie: utilisation et impact

3.1 Usage

11. Les recherches montrent qu'environ 66 % des hommes et 41 % des femmes consomment de la pornographie chaque moisNote. Internet est le média le plus largement utilisé. D’après Pornhub, l'un des sites web pornographiques les plus fréquentés. en 2019, la proportion de femmes utilisant la pornographie était de 32 % dans le monde, tandis que les hommes représentaient 68 % des utilisateurs. La tendance est similaire en Europe. La proportion de visiteuses varie de 25 % en Allemagne à 35 % en Pologne et en Suède. La proportion de public masculin varie de 75 % en Allemagne à 65 % en Pologne et en Suède. Les données de Pornhub indiquent également que les femmes regardent de plus en plus de pornoNote.
12. Bien que les attitudes et les pratiques varient d'un pays à l'autre, certaines tendances générales sont constantes. Les sites pornographiques ont plus de visiteuses et visiteurs par mois que Netflix, Amazon et Twitter réunisNote et on estime que 50 % de tout le trafic internet est lié au sexeNote. Ces pourcentages montrent que la pornographie ne concerne pas une minorité de la population, mais qu'il s'agit plutôt d'un phénomène de masse qui influence notre société.
13. En ce qui concerne plus particulièrement les jeunes, internet leur a donné la possibilité d'accéder à des informations et d’en produire sans l’intermédiaire d’adultes. Cela a contribué à les exposer à des contenus qui étaient auparavant soumis à un contrôle et à une réglementation plus stricts lorsqu'ils étaient limités à d’autres types de formats, dont les imprimésNote. L'internet a rendu la pornographie de plus en plus accessible, abordable et anonymeNote.
14. La plupart des études montrent qu'à l'âge de 15 ans, une majorité de jeunes a déjà été exposée à des contenus pornographiques, intentionnellement ou non. Le visionnage involontaire de matériel pornographique peut se faire de différentes manières, par exemple au moyen de «pop-ups», de sites web au nom trompeur ou de publicités sur des sites de diffusion de contenu illégal.
15. Selon certaines études, jusqu'à 93 % des garçons et 62 % des filles de 18 ans ont été exposés à la pornographie en ligne pendant l'adolescence. Les garçons sont plus susceptibles de regarder plus souvent de la pornographie, de voir davantage d'images ayant un contenu plus extrême comme le viol ou la pornographie enfantine et d'y être exposés à un âge plus précoce, tandis que les filles déclarent y être plus souvent exposées involontairement.
16. Lors de l'audition du 15 mars 2021, le professeur Klaus Beier, directeur de l'Institut de sexologie et de médecine sexuelle de l'Hôpital de la Charité à Berlin, a souligné que l'impact de la pornographie ne devait pas être sous-estimé. Il a expliqué qu'une grande partie des enfants sont exposés à de la pornographie, notamment de type «déviante» et violente, ce qui montre que les restrictions d'âge existantes concernant l'accès à celle-ci ne sont pas réellement appliquées. Fait intéressant, il a ajouté que la thérapie pouvait aider celles et ceux qui souffrent de la pornographie et pourrait facilement être mise à disposition sur internet.

3.2 Impact

17. En conséquence, la pornographie est devenue de plus en plus l'une des principales sources d'information sur le sexe et la sexualité pour les jeunes. Des études menées en Europe et aux États-Unis montrent que la pornographie contribue largement à définir les idées des jeunes sur la sexualité et les relations personnelles, ce qui, avec le temps, a inévitablement un impact sur la population en général. «Il est clair que les jeunes ont accès à un monde beaucoup moins modéré qu'auparavant», peut-on lire dans un rapport publié en 2014 par le groupe de réflexion britannique Institute for Public Policy ResearchNote: «Il n'est plus logique de séparer les activités en ligne et hors ligne – l'activité numérique fait partie intégrante des relations des jeunes». Cela s'applique en partie aux utilisatrices et aux utilisateurs d'autres groupes d'âge et c'est un motif d'inquiétude: la pornographie est produite dans un but purement lucratif et ne peut remplacer des sources scientifiques fiables et impartiales et l'éducation sexuelle.
18. Des études récentes ont analysé l'impact de la pornographie sur le comportement et les attitudes des jeunes, en soulignant particulièrement ses effets négatifs concernant l’égalité de genre. L'adolescence étant une période où les jeunes développent une image d'eux-mêmes et découvrent leur sexualité, cet impact tend à être profond et permanent.
19. Les conséquences émotionnelles et psychologiques varient en fonction de l'âge, du sexe et des conditions de la première exposition à du matériel sexuellement explicite. Si le premier contact a lieu accidentellement ou a été fourni par d'autres («exposition non désirée»), les conséquences émotionnelles pour la spectatrice ou le spectateur ont tendance à être plus négatives dans le façonnement de son identité et à susciter le dégoût, en particulier pour les fillesNote.
20. L’impact des documents pornographiques sur l’état d’esprit des jeunes est encore plus important lorsqu’ils mettent en scène des adolescent·e·s, car ils sont plus susceptibles d'être regardés par des adolescent·e·s et de jeunes adultes. Ces vidéos dépeignent souvent des scénarios plus proches de la vie des adolescent·e·s et plus pertinents pour elles-eux, tels que des «première fois» ou des rapports sexuels dans des salles de classe ou sur des campus universitairesNote. Comme les actrices et les acteurs ont à peu près le même âge que les adolescent·e·s, certaines études ont démontré que les jeunes sont susceptibles de modeler leurs interactions et comportements sexuels selon ceux vus dans les vidéos ou de considérer les actrices et les acteurs comme des partenaires romantiques potentiels (ou de s’attendre à ce que leurs partenaires réels se conduisent comme des actrices et acteurs pornographiques). Une étude a montré que seuls 21% des jeunes hommes et 40% des jeunes femmes sont unanimes pour dire que «la pornographie conduit à des attitudes sexuelles irréalistes»Note. Plus les taux de consommation sont élevés, plus les utilisatrices et les utilisateurs seront susceptibles d'attester des résultats positifs de la pornographie et de la valeur éducative. Néanmoins, il semble évident que des taux de consommation plus élevés entraînent une plus grande influence sur l'utilisatrice et l’utilisateurNote.
21. Plusieurs études ont montré que les garçons peuvent voir la pornographie sous un angle plus positif, en la considérant comme un outil éducatif, tandis que les filles la considèrent comme peu attirante et de mauvais goûtNote. Une enquête menée auprès de 500 jeunes de 18 ans a montré que les jeunes hommes (45 %) sont plus nombreux que les jeunes femmes (29 %) à penser que «la pornographie aide les jeunes à s'informer sur le sexe»Note. L'idée que la pornographie peut être perçue comme une source d'information fiable doit être combattue. Une éducation sexuelle complète à l'école devrait être le principal outil permettant de fournir des informations précises sur la sexualité et les relations, en transmettant notamment des messages positifs sur le respect et le consentement qui contribuent à prévenir la violence sexiste, le sexisme, la misogynie et d'autres formes d'inégalité entre les sexes.

3.3 Pornographie et violence à l'égard des femmes et des filles

22. Certain·e·s expert·e·s ont fait valoir que la pornographie est particulièrement préjudiciable aux attitudes et aux comportements des jeunes, car son contenu est «sexiste et hostile aux femmes»Note. De nombreuses enquêtes suggèrent que l'exposition à la pornographie est associée à des attitudes qui favorisent la violence contre les femmes, le harcèlement sexuel et la coercition sexuelleNote. Les attitudes négatives à l'égard du genre chez les garçons se recoupent avec l'utilisation régulière de la pornographie en ligne, ce qui amène certain·e·s scientifiques à affirmer que la pornographie est à la fois à l'origine de l'inégalité entre les femmes et les hommes et la perpétue.
23. Il a été démontré que l'utilisation de médias sexuellement explicites était significativement liée à la perpétration de harcèlement sexuel par des jeunes hommes et à des attitudes moins progressistes chez les jeunes femmes. Le lien entre la violence sexuelle et le porno est controversé dans la société et les médias, mais il est bien documenté scientifiquement sous différentes perspectives. En outre, une étude récenteNote indique que l'utilisation fréquente de matériel pornographique est associée à un comportement sexuellement coercitif chez les jeunes hommes suédois et italiens. La corrélation entre la violence dans les fréquentations et l'utilisation de la pornographie violente est bien documentéeNote. Ce lien a également été étayé par d'autres étudesNote.
24. Bien que mon rapport ne se concentre pas sur la lutte contre l'exposition des enfants à la pornographie (comme indiqué précédemment, un rapport sur ce sujet est actuellement préparé pour la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable par M. Dimitri Houbron, je voudrais souligner l'impact possible du visionnage de matériel pornographique sur les jeunes. Bien que la corrélation entre l'utilisation de matériel pornographique et la violence sexuelle ne soit pas évidente, l'utilisation de matériel pornographique est considérée comme un facteur de risque parmi d'autresNote. Les utilisatrices et les utilisateurs de matériel pornographique violent et, selon certaines études, également non violentNote, sont plus susceptibles de cautionner les mythes du viol et de se sentir moins empathiques envers les victimes de violence sexuelleNote. Le fait de regarder fréquemment du matériel pornographique est un facteur de risque important pour les infractions sexuelles, qui peut être retracé dans la vie des auteurs condamnésNote. Parmi les consommatrices et les consommateurs de pornographie les plus nombreux, les agressions sexuelles sont beaucoup plus susceptibles de se produireNote.
25. Enfin, des études allemandes prouvent que la consommation de pornographie adolescente augmente le développement de scénarios sexuels intrapsychiques, qui contiennent également des communications ambiguës («non signifie oui») ou des agressions sexuelles. Ces deux scénarios érotiques sont des facteurs de risque bien connus, tant pour la victimisation que pour les délitsNote. Ces conclusions sont étayées par des études concernant le lien entre la violence sexuelle dans les relations amoureuses et l'exposition à des médias à caractère sexuel explicite: l'utilisation excessive du porno contribue à la victimisation, à la perpétration et à la non-intervention des spectatrices et des spectateursNote. Nous savons, grâce aux données, que la prévalence de la victimisation sexuelle dans les fréquentations est plus élevée pour les filles que pour les garçons, et elle est également plus élevée pour les minorités sexuelles et de genre que pour leurs homologues hétérosexuel·le·sNote.
26. Les utilisatrices et les utilisateurs de matériel pornographique, en particulier les jeunes, peuvent intérioriser les scénarios sexuels qu'elles et ils regardent, ce qui peut influencer leurs fantasmes et comportements sexuels et façonner de nouvelles normes de comportement sexuel. Ainsi, la pornographie mettant en scène des jeunes garçons ou filles ayant une interaction sexuelle avec des personnes plus âgées peut également poser problème, car elle peut contribuer à considérer les mineur·e·s comme des cibles légitimes pour des rencontres et des agressions sexuelles. La sexualisation de très jeunes femmes et filles peut faire croire que ces pratiques sont non seulement acceptables, mais qu'elles peuvent aussi être normales et souhaitables. L’Assemblée a pris position contre ces phénomènes dans la Résolution 2119 (2016) et dans la Recommandation 2092 (2016) «Lutter contre l’hypersexualisation des enfants»Note.

3.4 L'impact de la pornographie sur les relations des jeunes et la sexualité

27. La plupart des scientifiques conceptualisent la sexualité comme un aspect multidimensionnel de la personnalité, qui est influencé par la biologie, les expériences sexuelles et non sexuelles, les relations actuelles, l'éducation et la culture. La plupart des scientifiques attribuent à la pornographie une influence significative dans la formation de la sexualité d'une personneNote. Certains de ces effets documentés méritent d'être pris en considération: les utilisatrices et les utilisateurs de médias sexuellement explicites sont plus susceptibles d'avoir des relations sexuelles sans protection et d’adopter d'autres comportements à risqueNote.
28. Certain·e·s expert·e·s théorisent une différence entre les femmes et les hommes en matière de plasticité érotiqueNote et de fluidité sexuelleNote. La plasticité érotique signifie la malléabilité de la sexualité d'une personne. Certains indices laissent entendre que la sexualité féminine est davantage influencée par la culture, les expériences et les relations que ne l’est la sexualité masculine. Bien que ces concepts n'aient pas été largement explorés par les sciences humaines, je les ai considérés comme intéressants et méritant des recherches plus approfondies.
29. Si des adultes utilisent la pornographie comme source de plaisir et d'inspiration pour leurs expériences personnelles, cela doit être considéré comme un choix personnel, même si cela met leur santé sexuelle en danger. En ce qui concerne les mineur·e·s, les organismes de réglementation ont le devoir de protéger les personnes immatures, car elles sont incapables de donner leur consentement.
30. L'un des résultats les mieux documentés de l'utilisation de la pornographie est son association négative avec la satisfaction sexuelle. Les utilisatrices et les utilisateurs de matériel pornographique ont tendance à être moins satisfaits de leur propre sexualité, des performances sexuelles de leurs partenaires et de leur propre attrait ou de celui de leurs partenaires intimes. Ce lien est documenté dans plusieurs étudesNote. Cet effet se produit si le porno est souvent regardé et il est plus fort chez les hommesNote. Il pourrait y avoir un lien entre l'augmentation de l'utilisation de la pornographie et le nombre croissant de cas de dysfonctionnements érectiles chez les hommes (âge < 30 ans)Note et la demande de chirurgie génitale esthétique non médicale, en particulier le nombre croissant de labiaplasties chez les femmes et même les filles d’un très jeune âgeNote.
31. L'utilisation du porno est associée à plusieurs attitudes qui sont décrites comme du sexe instrumental («le sexe comme source de plaisir») et du sexe détaché de tout contexte relationnelNote. Ce phénomène bien documenté est en contradiction avec les valeurs et les objectifs de la vie, qui sont énoncés par la plupart des garçons et des filles: avoir une relation fidèle et une famille stableNote.
32. Malheureusement, les scénarios médiatiques sexuellement explicites ne façonnent pas seulement la sexualité. Différentes études avec des modèles d'exploration très différents et valables ont documenté des différences dans la communication bienveillante. Par exemple, les hommes qui regardent plus de porno en solitaire, parlent moins affectueusement avec leurs partenaires féminines dans des conditions expérimentales, sont moins engagés envers leurs partenaires et déclarent plus souvent une infidélitéNote.
33. Un lien entre l'utilisation fréquente de la pornographie ou le visionnage de contenus pornographiques violents et les attitudes sexuellement agressives chez les adolescent·e·s a été identifié, puis confirmé par une enquête italienne menée auprès de jeunes de 14 à 19 ans, qui a montré que les jeunes qui utilisent la pornographie sont susceptibles d'établir avec leurs pairs des relations caractérisées par une plus grande tolérance à l'égard des comportements sexuels non désirés.
34. La pornographie grand public dépeint régulièrement des scènes de violence: dans une étude portant sur 50 films pornographiques les plus vendus, 88 % des scènes montraient une agression physique et 49 % une agression verbale. Les victimes de ces agressions sont dans la plupart des cas des performeuses (94 %) qui réagissent de manière neutre ou qui expriment du plaisir à ces formes d’agressions (95 %)Note. Certains articles analysant des vidéos pornographiques populaires sur internet ont constaté que les jeunes actrices et acteurs semblaient apprécier beaucoup plus les actes agressifs que les plus âgés. Cela est susceptible d'influencer l'attitude du jeune public quant à l'acceptabilité ou au caractère désirable de l'agression dans les relations sexuelles et romantiques. Il a été démontré que de telles attitudes sont associées à des rencontres et violences sexuelles chez les adolescent·e·s et les jeunes adultesNote.
35. L'association récurrente entre plaisir et agression sexuelle dans les vidéos pornographiques dont les interprètes sont de jeunes adultes peut également entraîner des effets psychologiques négatifs pour les femmes et les hommes. Lorsque les jeunes femmes regardent des vidéos de leurs pairs, dans lesquelles des actes agressifs et dégradants sont le plus souvent associés au plaisir, elles peuvent se sentir poussées à apprécier également (ou faire semblant d'apprécier) de telles pratiques. Les jeunes hommes peuvent également trouver ces scénarios limitatifs et pénibles, car ils semblent exiger qu'ils agissent de manière agressive à l’égard de leurs partenaires romantiques et sexuelles s'ils souhaitent satisfaire les fantasmes sexuels de leurs partenaires.

3.5 Pornographie et objectivation sexuelle des femmes

36. L'objectivation sexuelle des femmes peut être définie comme «la réduction des femmes à leur attrait sexuel en termes d'apparence extérieure et de concentration sur (des parties de) leur corps. Elle implique également une forte préoccupation pour les activités sexuelles des femmes en tant que critère principal de leur attractivité et la représentation des femmes comme des jouets sexuels attendant de satisfaire les désirs sexuels des hommes»Note. Ce processus est largement observé dans les médias et très présent dans la publicité. Il est particulièrement exacerbé dans la pornographie car il constitue un élément crucial de son contenu.
37. Des recherchesNote ont montré que l'exposition à des contenus sexuellement explicites sur internet est liée de manière significative à la notion de femme en tant qu'objet sexuel. Cette tendance s'applique aux garçons comme aux filles, 18% des jeunes hommes et 37% des jeunes femmes étant unanimes pour dire que la pornographie encourage la société à considérer les femmes comme des objets sexuels. Il a également été observé que les adolescent·e·s qui pensent que les femmes sont des objets sexuels se sentent particulièrement attirés par le matériel pornographique et peuvent donc se tourner fréquemment vers ce contenu.

3.6 La pornographie homosexuelle

38. Si la pornographie homosexuelle est considérée par certain·e·sNote comme un outil de libération et d’émancipationNote de la sexualité gay, longtemps considérée comme obscène et dévianteNote, elle n’est pas exempte de toute critique.
39. La pornographie gay est parfois critiquée parce qu’elle transmettrait des stéréotypes ethniques: les hommes asiatiques sont souvent vus comme ayant «une faible libido»Note, les hommes noirs et latinos sont quant à eux hypersexualisés. De plus, les hommes noirs et arabes jouent la plupart du temps des rôles stéréotypés, voire stigmatisantsNote, tels que des rappeurs, des voyous, etc. L’autre critique qui est faite est que la pornographie contribue à l’anxiété sociale et physique des hommes homosexuelsNote. En effet, l’apparence physique a un rôle très important dans la communauté gay et l’image majoritaire véhiculée par la pornographie est celle de l’homme jeune, en forme et musclé.
40. S’agissant de la pornographie lesbienne, une critique récurrente est celle qui considère cette pornographie comme empreinte des schémas hétérosexuels. La pénétration reste prédominante dans la pornographie lesbienne. Elle manque donc d’authenticité et n’est pas révélatrice de la sexualité lesbienne. En effet, la pornographie mainstream lesbienne semble être produite principalement par des hommes hétérosexuelsNote et destinés à un public du même type. L’image des femmes lesbiennes véhiculée par la pornographie mainstream est celle de femmes réalisant des fantasmes pour les hommes.

3.7 Utilisation de la pornographie et dépendance comportementale

41. Une étude allemandeNote a montré que la consommation intensive de pornographie pourrait affecter négativement le cerveau et que la consommation excessive de pornographie présente des similitudes avec la dépendance à des substances ou au jeu.
42. La consommation fréquente de pornographie peut entraîner une accoutumance à l’excitation sexuelle, et une désensibilisation à un contenu moins explicite. Ainsi, le besoin de stimulation externe du système de récompense peut être plus important, ce qui se traduit par une tendance à rechercher du matériel sexuel nouveau et plus extrême pour éprouver du plaisirNote.

4 Existe-t-il un lien entre la pornographie et la traite des êtres humains?

43. Des études et des recherches d'expert·e·s ont établi un lien étroit entre la prostitution et la traite des êtres humains. Le Rapport mondial sur la traite des personnes 2016 de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) montre que 79 % de toutes les victimes de la traite détectées sont des femmes et des enfants, même si cette proportion diminue progressivement, et que l'exploitation sexuelle et le travail forcé sont les types de traite les plus répandus. Un rapport de 2017 préparé conjointement par l'Organisation internationale du travail (OIT), la Fondation Walk Free et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM)Note a estimé que les femmes et les filles étaient touchées de manière disproportionnée par l'esclavage moderne, représentant près de 29 millions de personnes, soit 71 % du total global, et qu'elles représentaient 99 % des victimes du travail forcé dans l'industrie du sexe.
44. La Résolution 1983 (2014) «Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe», a également souligné que la plus grande partie des victimes étaient victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, en particulier de prostitution. Ceci est confirmé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Plusieurs arrêts à cet égard appliquent l'article 4 (interdiction de l'esclavage et du travail forcé) aux cas de victimes de la traite qui ont été forcées à se prostituer.
45. Si la pornographie et la prostitution sont conceptuellement différentes, elles font toutes deux partie de l'industrie du sexe et il est important d’analyser si un lien peut être établi entre la pornographie et la traite. Comme la plus grande partie des victimes subissent la traite à des fins d'exploitation sexuelle, la question cruciale est de savoir si certaines d'entre elles sont forcées de travailler dans l'industrie pornographique. Il convient également d'examiner si un acteur économique peut être simultanément impliqué dans ces deux secteurs de l'industrie du sexe. Certain·e·s observateurs et observatrices semblent même suggérer qu'il existe effectivement un lien avec la production de ce type de contenus. Des cas de stars du porno qui sont payées pour interagir directement avec leurs spectatrices et spectateurs sont rapportés par certains médias populairesNote. Ils devraient toutefois être étayés par des sources plus fiables.
46. Le 4 mai 2020, j'ai participé à un webinaire sur les «Liens croisés entre la traite des êtres humains et la pornographie: mythe ou réalité» organisé par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE. Le panel comprenait des oratrices et des orateurs hautement qualifiés tels que Per-Anders Sunesson, ambassadeur de Suède chargé de la lutte contre la traite des êtres humains; Anastasiya Dzyakava, conseillère pour la sécurité des enfants en ligne au bureau du vice-premier ministre ukrainien; Shandra Woworuntu, survivante de la traite des êtres humains et cheffe de file des survivant·e·s; Chris Smith, membre du Congrès des États-Unis et représentant spécial pour les questions de traite des êtres humains de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE; et Kevin Hyland, ancien commissaire indépendant chargé de la lutte contre l'esclavage du Royaume-Uni et actuellement membre du Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l'Europe (GRETA).
47. L'ambassadeur Sunesson a exprimé sa ferme conviction qu'un lien entre la pornographie et la traite existe bel et bien et qu'il se manifeste de diverses manières. Il a estimé que la pornographie est dangereuse à plusieurs niveaux, car elle est de plus en plus basée sur des contenus violents, crée une dépendance chez ses utilisatrices et ses utilisateurs et entraîne une demande accrue de prostitution. Ceci est confirmé par des preuves concrètesNote. Malgré les affirmations des personnes impliquées dans la prostitution selon lesquelles elles le font de leur plein gré, ce n'est pas le cas de tout le monde. L'ambassadeur Sunesson estime que l'interconnexion entre la pornographie et la traite des êtres humains n’est pas assez souvent mentionnée et qu'elle devait faire l'objet d'une enquête plus approfondie et être mise en évidence. Il recommande un travail de prévention, de sensibilisation aux risques de la pornographie et d'action pour réduire la demande. D'autre part, il a insisté sur le fait que les politiques de lutte contre la traite doivent être respectueuses de tous les droits humains, en ligne et hors ligne, y compris la liberté d'expression et le droit à la vie privée. Kevin Hyland, membre du GRETA, a souligné que toutes les formes de trafic d'êtres humains sont faites dans un but de profit financier et il a considéré que le lien avec la pornographie était économique, car les deux phénomènes se nourrissent l'un l'autre et échangent des clients.
48. Ce débat a constitué un appel à l'aide opportun au nom des victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, soulignant que la plupart d'entre elles sont des femmes et des filles, mais que les garçons et les hommes peuvent également être touchés. Il a également essayé de fournir une réponse à la question contenue dans son titre.
49. Les conclusions tirées lors du webinaire ont confirmé l'existence d'une interconnexion entre la traite des êtres humains et la pornographie, avec de multiples manifestations: la production de matériel pornographique, tant hors ligne qu'en ligne, fait partie de l'exploitation sexuelle dont les femmes et les filles sont victimes; la pornographie génère ou augmente la demande de traite; la pornographie est utilisée pour préparer les victimes de la traite et normaliser leurs abus; le matériel pornographique est produit par les trafiquants également dans le but de contrôler les victimes et de continuer à profiter de la traite même après que les victimes aient été physiquement soustraites au contrôle des trafiquants. Les cas de participation forcée à la pornographie sont loin d'être rares. La traite à des fins d'exploitation sexuelle, notamment pour produire de la pornographie, est devenue particulièrement rentable et répandue ces dernières années en raison de l'utilisation du «Dark web», de la cryptomonnaie et des plateformes de messagerie cryptée, qui permettent aux trafiquants d'échapper à la détection des services répressifs. En lien avec ce constat, je voudrais souligner que les sites web générés par les utilisateurs et les “sexcam” permettent de monétariser plus facilement les violences sexuelles domestiques. Plusieurs participant·e·s, dont M. Kevin Hyland et le membre du Congrès Chris Smith, ont souligné que si le droit national et international prévoit des réglementations pour lutter contre la traite, leur mise en œuvre effective est insuffisante et un financement adéquat est nécessaire.

5 Types alternatifs et utilisation possible de la pornographie

5.1 La question de la pornographie éthique

50. Lors de la préparation de ce rapport, plusieurs membres de la commission sur l’égalité et la non-discrimination ont exprimé l’avis que la pornographie ne devrait pas être considérée comme un phénomène purement négatif, car elle fait partie de la réalité à multiples facettes qu’est la sexualité humaine et peut contribuer à faire apprécier pleinement cette réalité de différentes manières tout à fait acceptables et positives. Il convient de signaler que la pornographie est couverte par la liberté d’expression. Si mon but est de centrer ce rapport sur les aspects problématiques de la pornographie, afin de les traiter, tâche qui m'a été confiée en tant que rapporteur conformément à la proposition dont découle le rapport, j’aborderai néanmoins certains éléments et développements que certains considèrent comme positifs. Ladite pornographie éthique en fait partie.
51. La pornographie éthique peut être définie comme celle «fait[[e] de manière légale, qui respecte les droits des performeurs». Elle est caractérisée par de bonnes conditions de travail et montre tout aussi bien le sexe fantasmé que celui réel et célèbre la diversité sexuelleNote.
52. Apparue initialement sous l’appellation «pornographie féministe», c’est aux États-Unis qu’elle a commencé à se développer dans les années 1980. Elle est notamment issue de l’opposition entre les féministes dites «anti-pornographie»Note et celles dites «pro-sexe»Note. Les féministes anti-pornographie défendent l’idée que la pornographie est une forme de coercition sexuelle et qu’elle joue un rôle fondamental dans l’inégalité des sexesNote. En opposition, les féministes pro-porno défendent l’idée que cette industrie n’est pas nécessairement nocive et qu’elle permet, entre autres, aux femmes de se libérer sexuellement. Dans cette perspective, les femmes devraient prendre part activement à la production de contenus pornographiques, pour sortir notamment du cadre sexiste et phallocentré de l’industrie mainstreamNote.
53. L’objectif de cette pornographie est donc d’assurer un environnement de production sain pour les actrices et les acteurs. Cela passe notamment par une rémunération correcte, des règles d’hygiène strictes sur les plateaux et une représentation du plaisir aussi bien masculin que féminin. Une attention particulière est portée au consentement. Les souhaits des actrices et des acteurs sont pris en compte dans la réalisation des films. Certains vont défendre un côté artistique, dans le sens où une attention particulière sera portée au scénario, aux dialogues, à l’intrigueNote. L’une des réalisatrices emblématiques de ce style pornographique, Erika Lust, donne quelques éléments clés pour s’assurer qu’une pornographie est éthiqueNote, comme par exemple s’assurer que les actrices et les acteurs aient toutes les informations sur le métier de performeuse et de performeur et ses implications.
54. Comme le chercheur en sciences politiques français Denis Ramond l’explique, ces réalisatrices (ce sont essentiellement des femmes) défendent un cahier des charges qui porte sur trois points essentiels: la production, la représentation et la réceptionNote. Pour ce qui est de la production, l’aspect principal, déjà mentionné, concerne les conditions de travail. La représentation concerne l’attention portée à l’image de la femme et de l’homme qui est transmise. Ainsi, la volonté des réalisatrices est de sortir du cadre hétéronormé, stéréotypé et sexiste de la production populaire de pornographie. Différents types de corps sont représentés. C’est le cas par exemple du film documentaire d’Émilie Jouvet, My Body, My Rules qui a remporté le prix 2017 du jury du festival LGBT+ Chéries-ChérisNote. Il s’intéresse à des corps souvent oubliés; ceux de femmes âgées, maigres, handicapées, noires, rondes, etc. Enfin, s’agissant de la réception, cela correspond à la volonté de promouvoir un autre regard sur la sexualité et le genre. L’idée sous-jacente est que si la pornographie influence les rapports entre les femmes et les hommes et contribue à asseoir une domination masculine, alors la production d’une nouvelle forme de pornographie peut permettre d’influencer de manière positive sur les rapports entre femmes et hommes, tout en favorisant l’égalité.
55. Défendre une telle pornographie permet donc de s’assurer du bon traitement des actrices et des acteurs et de promouvoir l’égalité entre les sexes. Dans cette optique, en 2009, l’Institut suédois du film a financé à hauteur de 500 000 couronnes suédoises l’ouvrage cinématographique de Mia Engberg: Dirty DiariesNote, composé de 12 courts-métrages. Cette réalisatrice suédoise avait pour volonté de montrer la sexualité du point de vue de la femme pour changer de la pornographie faite «par et pour les hommes». En finançant ce projet, l’Institut suédois du film entendait promouvoir une nouvelle approche et représentation de la sexualité féminine.

5.2 Pornographie, éducation, sensibilisation

56. La pornographie participe à l’information des adolescent·e·s en matière de sexualité, comme cela a déjà été mentionné précédemment. Mais alors que la pornographie mainstream peut être très violente et avoir certains aspects négatifs sur les jeunes tel que cela a été démontré, il devient primordial d’éduquer les enfants afin de prévenir les effets néfastes d’une exposition à de tels contenus. Compte tenu de la quantité de vidéos pornographiques présente sur le web et de l’impossibilité à imposer un cadre légal aux plateformes de diffusion, la solution la plus adaptée semble la prévention et l’information face à ces contenus.
57. En 2012, pour lutter contre les infractions sexuelles faites aux enfants, le Gouvernement islandais (le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Éducation, de la Science et de la Culture et le ministère de la Protection sociale) a mis en place un projet intitulé «Éveil de la conscience»Note. Différentes initiatives ont été prises dans le cadre de ce projet et l’une d’entre elles était la réalisation d’un court-métrage intitulé «Get a Yes» à destination des élèves des écoles secondaires. Un des sujets qu’il abordait était les effets nocifs de la pornographie. Il a été diffusé dans toutes les écoles islandaises pour les élèves de 15 à 18 ans, ainsi qu’à la télévision à une heure de grande écoute. Un guide a aussi été mis en place à l’intention des parents, mais aussi des enseignant·e·s pour aborder avec les jeunes les différents sujets traités par le court-métrage.
58. La plateforme «C’est pas pour moi, c’est pour un ami»Note propose elle aussi des outils d’informations sur la pornographie, mais cette fois-ci à destination directement des plus jeunes. Elle a été créée en 2018 par 5 étudiantes bruxelloises. De courtes vidéos (1’27) abordent de manière ludique des sujets liés à la sexualité et à la pornographie. L’idée étant de déconstruire les stéréotypes véhiculés par l’industrie du X comme par exemple l’épilation intégrale chez les filles. Sur cette plateforme les jeunes peuvent se renseigner sur des thématiques bien précises, mais ils peuvent aussi envoyer leur question à un·e professionnel·le de santé en remplissant un formulaire en ligne.

6 Conclusions

59. La pornographie est aujourd'hui omniprésente et facile d'accès, en particulier en ligne, et elle est utilisée par une grande partie de la population. Toutefois, les attitudes morales et juridiques à son sujet varient. Ceci explique la diversité d'opinions que j'ai pu observer lors des échanges avec mes collègues de la commission sur l'égalité et la non-discrimination. Certain·e·s ont souligné que la pornographie devait être considérée comme l'un des divers aspects de la sexualité et de son expression et qu'elle ne devait pas être condamnée, et encore moins interdite. Elles·ils ont recommandé de souligner la différence entre la pornographie grand public et d’autres formes de pornographie qui respectent davantage les droits des interprètes et l'impact de cette pratique sur les droits des femmes, entre autres. Je me suis efforcé de faire clairement cette distinction dans le chapitre sur les «types alternatifs de pornographie».
60. D’autre part, conformément à ma mission de rapporteur (telle que définie par la proposition dont est issu ce rapport), j’ai accordé davantage d’attention aux aspects problématiques de la pornographie, en particulier en ce qui concerne les dommages potentiels sur l’état d’esprit des personnes et le risque que les stéréotypes traditionnels de genre soient perpétués, voire exacerbés par le message que la pornographie transmet à ses utilisateurs et utilisatrices.
61. Sur la base des recherches menées dans le cadre de la préparation de ce rapport et des conclusions de l'audition, plusieurs raisons peuvent être avancées pour suggérer de limiter l'accès, et en particulier l'accès des mineur·e·s, à la pornographie, même si cela peut être considéré par certain·e·s comme une remise en cause de la neutralité du web et du droit à la liberté d'expression et d'information. L’équilibre entre l’obligation de l’État de protéger les citoyen·ne·s contre les activités préjudiciables et les actes criminels d’une part, et l’obligation de garantir la liberté d’expression et l’accès à l’information d’autre part, a jusqu’à présent généralement penché en faveur de la liberté. La situation actuelle doit toutefois être remise en question au nom de l'éthique transgénérationnelle et de l'égalité entre les femmes et les hommes.
62. Lors de l'audition du 15 mars 2021, la professeure Clare McGlynn, de la Faculté de droit de l'Université de Durham (Royaume-Uni), a fourni une argumentation théorique intéressante pour réglementer l'accès à la pornographie au moyen de dispositions juridiques, incluant des sanctions pénales, dans une perspective de droits humains. Sa théorie est la suivante: puisque certaines formes de pornographie sont préjudiciables aux droits fondamentaux des femmes, les interdire afin de prévenir de tels dommages doit être considéré comme acceptable et non en conflit avec d’autres droits humains tels que la liberté d’expression. La pornographie violente, en particulier, semble tolérer la violence fondée sur le genre et conduit certaines femmes à se retirer de la vie sociale et publique, portant ainsi gravement atteinte aux droits humains. D’autre part, la professeure McGlynn estime que la limitation de l’accès à la pornographie ne constitue qu’une partie d’un éventail plus large de mesures nécessaires pour protéger les droits et les libertés des femmes.
63. Je ne peux que souscrire à ces conclusions, tant en ce qui concerne les restrictions d'accès à la pornographie dans la mesure où elles sont nécessaires pour protéger les droits humains, qu'en ce qui concerne la nécessité d’intégrer ces restrictions à un cadre plus large de mesures qui incluent l'éducation, l'information, la sensibilisation et la protection des victimes.
64. Dans la plupart des pays, il est interdit de produire et de diffuser des images d'actes sexuels faisant intervenir des mineur·e·s. Les images de nu·e·s ou à caractère sexuel sont utilisées par les mineur·e·s à des fins d'excitation ou d'activités illégales telles que le harcèlement, la vengeance pornographique et le chantage. Les auteurs adultes d'actes de maltraitance et d'exploitation sexuelle d'enfants recherchent également ce type d'informations. Leur diffusion intentionnelle ou non intentionnelle entraîne des conséquences traumatisantes et peut littéralement détruire la vie d’un jeune. Certaines victimes sont publiquement stigmatisées, ce qui a des effets dramatiques sur leurs relations familiales, les contacts avec leurs pairs et leurs résultats scolaires. Selon certaines sources, cela aurait amené des garçons et des filles à tenter de se suicider. Des éléments de preuve révèlent également que les filles sont plus exposées à ces formes de cyberintimidationNote que les garçons.
65. Il est donc essentiel de renforcer les sanctions pénales en cas d'enregistrement et de diffusion sans consentement d'images à caractère sexuel et de sensibiliser les victimes et les auteurs potentiels au danger qu'elles représentent.
66. Parallèlement à la pornographie, des contenus problématiques en ligne, équivalents à de la violence pure, sont largement diffusés par les principaux fournisseurs de contenus pornographiques. Cela comprend le viol collectif, la torture, l'humiliation, l'étouffement, le passage à tabac et la violence physique, les représentations de l'esclavage et de la prostitution forcée, les discours de haine, le harcèlement sexuel, l'inceste, la bestialité et la maltraitance des enfantsNote.
67. Au Royaume-Uni, la loi interdit la production de pornographie qui montre et glorifie des actes criminels – réels ou fictifs. Il n'est pas toujours facile pour les expert·e·s, les propriétaires de sites ou les consommateurs et les consommatrices de savoir si de tels contenus ont été produits de façon consensuelle. Souvent, les victimes ne savent pas que leur victimisation sexuelle a été filmée, et ce n'est que par hasard qu'elles découvrent la diffusion des vidéos.
68. Par ailleurs, des méthodes de vérification de l'âge visant à protéger les mineur·e·s contre la pornographie ont été introduites dans la législation de pays tels que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, dans le cadre de la protection des mineur·e·s dans les médias et/ou de la protection contre la violence familiale.
69. L'impact de la pornographie sur les comportements, la santé, le plaisir sexuel, les questions de genre, la criminalité et l'éthique transgénérationnelle dans certaines sociétés ne devrait pas être négligé. Il importe de mettre en évidence de tels effets et de sensibiliser les producteurs et les productrices, les distributeurs, les législateurs, les pédagogues, les parents, les adolescent·e·s et les consommateurs et les consommatrices adultes à cet égard.
70. Je me suis efforcé de faire écho à ces constats et conclusions dans les mesures recommandées dans le projet de résolution joint au présent rapport. Je tiens une nouvelle fois à exprimer ma gratitude aux expert·e·s qui ont contribué à son élaboration ainsi qu’à mes collègues de la commission sur l’égalité et la non-discrimination. J’espère pouvoir compter sur leur soutien, et sur celui de l’Assemblée dans son ensemble, pour l’adoption d’un texte que je considère comme particulièrement opportun et nécessaire.