B Exposé des motifs
par M. Frank Heinrich, rapporteur
1 Introduction
1. La pornographie est un phénomène
à multiples facettes qui a de fortes implications en matière de
droits humains, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression,
le droit au respect de la vie privée, l'égalité de genre, la violence
à l'égard des femmes, la traite des êtres humains, l'exploitation
sexuelle ainsi que la protection et le bien-être des enfants.
2. Dans ce rapport, je me concentre d’abord et avant tout sur
l’impact de la pornographie sur les femmes concernant leurs droits,
leur dignité et leur place dans la société. Dès les phases préparatoires,
les recherches ont semblé confirmer l’idée sur laquelle repose la
proposition à l’origine de ce rapport: la pornographie contribue
à façonner les opinions des gens sur la sexualité et sur les femmes,
entraînant des répercussions sur les perceptions du rôle des femmes
et des hommes dans les familles, les relations personnelles et la société.
J’ai également étudié le lien possible entre la pornographie et
la traite des êtres humains, dont on sait qu’elle touche les femmes
et les filles de manière disproportionnée. Un rapport intitulé «Pour
une évaluation des moyens et des dispositifs luttant contre l’exposition
des enfants aux contenus pornographiques» est actuellement en préparation
pour la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable
par M. Dimitri Houbron (France, ADLE). Les deux rapports se recoupent
en partie en termes de champ d’études, mais l’axe principal et les
objectifs de mes travaux restent distincts. L'élaboration de ce
rapport s’est fondée sur des recherches documentaires, la consultation
d'expert·e·s indépendant·e·s et une audition organisée le 15 mars
2021, avec la participation d’un orateur et d’une oratrice invités.
Mes collègues membres de la commission sur l'égalité et la non-discrimination
ont également apporté des contributions précieuses, en partageant
leurs points de vue lors des réunions de la commission et en soumettant
des contributions écrites. Certain·e·s ont souligné les effets néfastes
potentiels de la pornographie sur la dignité et la liberté des femmes et
la nécessité d’être vigilant et de prévenir une exposition excessive
à celle-ci. D'autres ont attiré mon attention sur la nécessité de
respecter la liberté individuelle dans le domaine de la sexualité,
ainsi que la liberté d'expression.
3. Je remercie toutes et tous les membres qui ont partagé des
informations et leurs points de vue sur cette question, dont je
m’efforcerai de rendre compte dans ce document.
2 Pornographie – facteurs économiques
4. Aujourd'hui, une recherche
Google sur le mot «porno» génère près de 500 millions de résultats,
dont une grande partie sont des sites web proposant des contenus
pornographiques, souvent gratuits et souvent organisés en «catégories»
en fonction du sexe, de l'âge, de l'origine ethnique des acteurs
et actrices et du type de pratiques présentées.
5. Dans son livre de 2016 intitulé «L'industrie de la pornographie
(ce que tout le monde doit savoir)»
Note, l'écrivaine féministe Shira Tarrant
souligne que si la pornographie en tant que phénomène existe depuis
des siècles, l'industrie de la pornographie telle que nous la connaissons
aujourd’hui est relativement récente. En ce qui concerne les réglementations
applicables, elle déclare que la production et la distribution de
la pornographie légale sont censées être transparentes, mais ce
n'est souvent pas le cas, et bien que les entreprises et les organisations
soient bien connues, «l'aspect financier de l'activité est souvent
entouré de secret, de désinformation et même de piratage».
6. Lors des débats concernant cette industrie, une différence
est souvent faite entre le porno grand public et le porno indépendant.
Cette différence repose principalement sur deux éléments, à savoir
la nature du contenu et la manière dont il est produit et distribué.
La pornographie grand public est produite et distribuée par de grandes
entreprises. Son contenu est principalement hétérosexuel et, selon
l'auteur Jaclyn Friedman, «est centré sur le plaisir masculin et
la satisfaction sexuelle, et relègue généralement les femmes au
rôle de pourvoyeuses de plaisir». Les longs métrages (avec des scénarios,
des intrigues, des costumes élaborés, des bandes sonores et des
décors), le porno Gonzo (sans intrigue ni costumes – souvent sans
aucun vêtement – et basé sur l'idée d'effacer la séparation entre
les acteurs et actrices et les spectatrices et les spectateurs)
et le porno non scénarisé (dans lequel les acteurs et actrices ne
reçoivent que peu ou pas de conseils de la réalisatrice ou du réalisateur)
peuvent tous être considérés comme du porno grand public. Le porno indépendant
est produit par une série de petites compagnies et met souvent en
scène des artistes non sexistes et non hétérosexuel·le·s. Les modes
de production sont généralement différents et parfois novateurs:
Make Love Not Porn, par exemple, fonde son modèle commercial sur
la participation de personnes ordinaires qui téléchargent des vidéos
d'elles-mêmes lors de relations sexuelles. Les bénéfices sont ensuite
partagés à parts égales entre l'entreprise et les interprètes.
7. La production de porno est fragmentée en raison de la technologie,
car «toute personne possédant un téléphone portable peut désormais
produire et diffuser du porno et ainsi contrôler les moyens de production»
Note. Et
pourtant, une proportion écrasante de cette industrie est contrôlée
par une seule société, à savoir MindGeek. Anciennement connue sous
le nom de Manwin, puis Mansef, «MindGeek est un fournisseur de porno.
Ou plus exactement, le fournisseur de porno», comme l'écrit David
Auerbach sur Slate. «MindGeek est devenu le monopole du porno [...].
Le géant MindGeek exerce une telle force que les gens de l'industrie
du porno en ligne ont peur d'en parler par crainte d'être mis sur
une liste noire». Créé par une série de fusions et d'acquisitions
opérées jusqu'en 2013 par l'homme d'affaires allemand Fabian Thylmann,
qui a ensuite quitté la société, Mindgeek est un groupe qui possède
un grand nombre de sites de tubes agrégateurs de porno, dont Pornhub,
YouPorn et Redtube, qui rendent le porno disponible gratuitement
et sont financés par la publicité.
8. Mindgeek est «l'empereur incontesté du divertissement adulte
en ligne»
Note et ses chiffres sont impressionnants:
son site phare, Pornhub, a enregistré une moyenne de 81 millions
de visiteuses et visiteurs par jour en 2017, soit 28,5 milliards
pour l'année, avec 24,7 milliards de recherches effectuées. Sa communauté
mondiale d'utilisatrices et d’utilisateurs a mis en ligne plus de
quatre millions de vidéos au cours de la même période, pour un total
de 595 492 heures.
9. La taille et la part de marché de MindGeek le rendent problématique
du point de vue de la concurrence, et sa structure complexe (formellement
basée au Luxembourg, elle opère en fait à partir du Canada par le
biais d'un certain nombre de filiales dispersées dans le monde entier)
est considérée par certain·e·s comme un moyen d'éviter l'impôt sur
les sociétés
Note. En outre, la grande
quantité de données personnelles collectées et traitées par ce groupe
est un motif d'inquiétude.
10. Dans un autre registre, mais qui a également à voir avec les
grandes entreprises et la pornographie, je voudrais souligner que
le possible rôle que les fournisseurs d’accès à internet pourraient
jouer dans la lutte contre l’exploitation et les abus sexuels des
enfants en ligne fait actuellement l’objet d’un débat sensible.
Ces entreprises ont créé des systèmes automatisés pour détecter
ce type de contenu lorsqu’il est échangé entre les utilisatrices
et les utilisateurs, mais en vertu du code des communications électroniques
européen, entré en vigueur en décembre 2018, le courrier électronique
web, les services de messagerie et la téléphonie par internet tombent
sous le champ d’application de la directive européenne «vie privée
et communications électroniques» et se trouvent dès lors hors de
portée des systèmes de détection automatisés. Par la suite, l’Union
européenne a élaboré un règlement provisoire sur le traitement des
données à caractère personnel et d’autres données aux fins de la
lutte contre les abus sexuels commis contre des enfants en ligne;
ce règlement prévoit une dérogation temporaire au code des communications
électroniques européen, permettant ainsi aux services de communication
en ligne de poursuivre leurs efforts volontaires de détection des
cas d’exploitation et d’abus sexuels des enfants en ligne. Cette
situation soulève certains enjeux en matière de droits humains, notamment
la nécessité de ménager un équilibre entre le droit des enfants
d’être protégés contre l’exploitation et les abus sexuels en ligne
et le droit du public au respect de la vie privée. À la demande
du Comité de Lanzarote, un groupe d’experts a été mis en place par
le Conseil de l’Europe et a présenté une série de recommandations
en juin 2021. La situation évolue constamment au niveau européen.
M. Houbron, rapporteur pour la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable, suit ces évolutions de près.
3 Les
jeunes et la pornographie: utilisation et impact
3.1 Usage
11. Les recherches montrent qu'environ
66 % des hommes et 41 % des femmes consomment de la pornographie
chaque mois
Note. Internet est le média le plus largement
utilisé. D’après Pornhub, l'un des sites web pornographiques les
plus fréquentés. en 2019, la proportion de femmes utilisant la pornographie
était de 32 % dans le monde, tandis que les hommes représentaient
68 % des utilisateurs. La tendance est similaire en Europe. La proportion
de visiteuses varie de 25 % en Allemagne à 35 % en Pologne et en
Suède. La proportion de public masculin varie de 75 % en Allemagne
à 65 % en Pologne et en Suède. Les données de Pornhub indiquent
également que les femmes regardent de plus en plus de porno
Note.
12. Bien que les attitudes et les pratiques varient d'un pays
à l'autre, certaines tendances générales sont constantes. Les sites
pornographiques ont plus de visiteuses et visiteurs par mois que
Netflix, Amazon et Twitter réunis
Note et on estime que 50 % de tout le trafic
internet est lié au sexe
Note. Ces pourcentages montrent que la pornographie
ne concerne pas une minorité de la population, mais qu'il s'agit
plutôt d'un phénomène de masse qui influence notre société.
13. En ce qui concerne plus particulièrement les jeunes, internet
leur a donné la possibilité d'accéder à des informations et d’en
produire sans l’intermédiaire d’adultes. Cela a contribué à les
exposer à des contenus qui étaient auparavant soumis à un contrôle
et à une réglementation plus stricts lorsqu'ils étaient limités
à d’autres types de formats, dont les imprimés
Note.
L'internet a rendu la pornographie de plus en plus accessible, abordable et
anonyme
Note.
14. La plupart des études montrent qu'à l'âge de 15 ans, une majorité
de jeunes a déjà été exposée à des contenus pornographiques, intentionnellement
ou non. Le visionnage involontaire de matériel pornographique peut
se faire de différentes manières, par exemple au moyen de «pop-ups»,
de sites web au nom trompeur ou de publicités sur des sites de diffusion
de contenu illégal.
15. Selon certaines études, jusqu'à 93 % des garçons et 62 % des
filles de 18 ans ont été exposés à la pornographie en ligne pendant
l'adolescence. Les garçons sont plus susceptibles de regarder plus
souvent de la pornographie, de voir davantage d'images ayant un
contenu plus extrême comme le viol ou la pornographie enfantine
et d'y être exposés à un âge plus précoce, tandis que les filles
déclarent y être plus souvent exposées involontairement.
16. Lors de l'audition du 15 mars 2021, le professeur Klaus Beier,
directeur de l'Institut de sexologie et de médecine sexuelle de
l'Hôpital de la Charité à Berlin, a souligné que l'impact de la
pornographie ne devait pas être sous-estimé. Il a expliqué qu'une
grande partie des enfants sont exposés à de la pornographie, notamment
de type «déviante» et violente, ce qui montre que les restrictions
d'âge existantes concernant l'accès à celle-ci ne sont pas réellement
appliquées. Fait intéressant, il a ajouté que la thérapie pouvait
aider celles et ceux qui souffrent de la pornographie et pourrait
facilement être mise à disposition sur internet.
3.2 Impact
17. En conséquence, la pornographie
est devenue de plus en plus l'une des principales sources d'information
sur le sexe et la sexualité pour les jeunes. Des études menées en
Europe et aux États-Unis montrent que la pornographie contribue
largement à définir les idées des jeunes sur la sexualité et les
relations personnelles, ce qui, avec le temps, a inévitablement
un impact sur la population en général. «Il est clair que les jeunes
ont accès à un monde beaucoup moins modéré qu'auparavant», peut-on
lire dans un rapport publié en 2014 par le groupe de réflexion britannique
Institute for Public Policy Research
Note: «Il n'est plus
logique de séparer les activités en ligne et hors ligne – l'activité
numérique fait partie intégrante des relations des jeunes». Cela
s'applique en partie aux utilisatrices et aux utilisateurs d'autres
groupes d'âge et c'est un motif d'inquiétude: la pornographie est
produite dans un but purement lucratif et ne peut remplacer des
sources scientifiques fiables et impartiales et l'éducation sexuelle.
18. Des études récentes ont analysé l'impact de la pornographie
sur le comportement et les attitudes des jeunes, en soulignant particulièrement
ses effets négatifs concernant l’égalité de genre. L'adolescence
étant une période où les jeunes développent une image d'eux-mêmes
et découvrent leur sexualité, cet impact tend à être profond et
permanent.
19. Les conséquences émotionnelles et psychologiques varient en
fonction de l'âge, du sexe et des conditions de la première exposition
à du matériel sexuellement explicite. Si le premier contact a lieu accidentellement
ou a été fourni par d'autres («exposition non désirée»), les conséquences
émotionnelles pour la spectatrice ou le spectateur ont tendance
à être plus négatives dans le façonnement de son identité et à susciter
le dégoût, en particulier pour les filles
Note.
20. L’impact des documents pornographiques sur l’état d’esprit
des jeunes est encore plus important lorsqu’ils mettent en scène
des adolescent·e·s, car ils sont plus susceptibles d'être regardés
par des adolescent·e·s et de jeunes adultes. Ces vidéos dépeignent
souvent des scénarios plus proches de la vie des adolescent·e·s
et plus pertinents pour elles-eux, tels que des «première fois»
ou des rapports sexuels dans des salles de classe ou sur des campus
universitaires
Note.
Comme les actrices et les acteurs ont à peu près le même âge que
les adolescent·e·s, certaines études ont démontré que les jeunes
sont susceptibles de modeler leurs interactions et comportements
sexuels selon ceux vus dans les vidéos ou de considérer les actrices
et les acteurs comme des partenaires romantiques potentiels (ou
de s’attendre à ce que leurs partenaires réels se conduisent comme
des actrices et acteurs pornographiques). Une étude a montré que
seuls 21% des jeunes hommes et 40% des jeunes femmes sont unanimes
pour dire que «la pornographie conduit à des attitudes sexuelles
irréalistes»
Note.
Plus les taux de consommation sont élevés, plus les utilisatrices
et les utilisateurs seront susceptibles d'attester des résultats
positifs de la pornographie et de la valeur éducative. Néanmoins,
il semble évident que des taux de consommation plus élevés entraînent
une plus grande influence sur l'utilisatrice et l’utilisateur
Note.
21. Plusieurs études ont montré que les garçons peuvent voir la
pornographie sous un angle plus positif, en la considérant comme
un outil éducatif, tandis que les filles la considèrent comme peu
attirante et de mauvais goût
Note.
Une enquête menée auprès de 500 jeunes de 18 ans a montré que les
jeunes hommes (45 %) sont plus nombreux que les jeunes femmes (29 %)
à penser que «la pornographie aide les jeunes à s'informer sur le
sexe»
Note.
L'idée que la pornographie peut être perçue comme une source d'information
fiable doit être combattue. Une éducation sexuelle complète à l'école
devrait être le principal outil permettant de fournir des informations
précises sur la sexualité et les relations, en transmettant notamment
des messages positifs sur le respect et le consentement qui contribuent
à prévenir la violence sexiste, le sexisme, la misogynie et d'autres formes
d'inégalité entre les sexes.
3.3 Pornographie
et violence à l'égard des femmes et des filles
22. Certain·e·s expert·e·s ont
fait valoir que la pornographie est particulièrement préjudiciable
aux attitudes et aux comportements des jeunes, car son contenu est
«sexiste et hostile aux femmes»
Note. De
nombreuses enquêtes suggèrent que l'exposition à la pornographie
est associée à des attitudes qui favorisent la violence contre les
femmes, le harcèlement sexuel et la coercition sexuelle
Note.
Les attitudes négatives à l'égard du genre chez les garçons se recoupent
avec l'utilisation régulière de la pornographie en ligne, ce qui
amène certain·e·s scientifiques à affirmer que la pornographie est
à la fois à l'origine de l'inégalité entre les femmes et les hommes
et la perpétue.
23. Il a été démontré que l'utilisation de médias sexuellement
explicites était significativement liée à la perpétration de harcèlement
sexuel par des jeunes hommes et à des attitudes moins progressistes
chez les jeunes femmes. Le lien entre la violence sexuelle et le
porno est controversé dans la société et les médias, mais il est
bien documenté scientifiquement sous différentes perspectives. En
outre, une étude récente
Note indique
que l'utilisation fréquente de matériel pornographique est associée
à un comportement sexuellement coercitif chez les jeunes hommes
suédois et italiens. La corrélation entre la violence dans les fréquentations et
l'utilisation de la pornographie violente est bien documentée
Note. Ce lien
a également été étayé par d'autres études
Note.
24. Bien que mon rapport ne se concentre pas sur la lutte contre
l'exposition des enfants à la pornographie (comme indiqué précédemment,
un rapport sur ce sujet est actuellement préparé pour la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable
par M. Dimitri Houbron, je voudrais souligner l'impact possible
du visionnage de matériel pornographique sur les jeunes. Bien que
la corrélation entre l'utilisation de matériel pornographique et
la violence sexuelle ne soit pas évidente, l'utilisation de matériel pornographique
est considérée comme un facteur de risque parmi d'autres
Note.
Les utilisatrices et les utilisateurs de matériel pornographique
violent et, selon certaines études, également non violent
Note, sont plus susceptibles de cautionner
les mythes du viol et de se sentir moins empathiques envers les
victimes de violence sexuelle
Note. Le
fait de regarder fréquemment du matériel pornographique est un facteur
de risque important pour les infractions sexuelles, qui peut être
retracé dans la vie des auteurs condamnés
Note.
Parmi les consommatrices et les consommateurs de pornographie les
plus nombreux, les agressions sexuelles sont beaucoup plus susceptibles
de se produire
Note.
25. Enfin, des études allemandes prouvent que la consommation
de pornographie adolescente augmente le développement de scénarios
sexuels intrapsychiques, qui contiennent également des communications ambiguës
(«non signifie oui») ou des agressions sexuelles. Ces deux scénarios
érotiques sont des facteurs de risque bien connus, tant pour la
victimisation que pour les délits
Note. Ces conclusions sont étayées par des études
concernant le lien entre la violence sexuelle dans les relations
amoureuses et l'exposition à des médias à caractère sexuel explicite:
l'utilisation excessive du porno contribue à la victimisation, à
la perpétration et à la non-intervention des spectatrices et des
spectateurs
Note.
Nous savons, grâce aux données, que la prévalence de la victimisation
sexuelle dans les fréquentations est plus élevée pour les filles
que pour les garçons, et elle est également plus élevée pour les
minorités sexuelles et de genre que pour leurs homologues hétérosexuel·le·s
Note.
26. Les utilisatrices et les utilisateurs de matériel pornographique,
en particulier les jeunes, peuvent intérioriser les scénarios sexuels
qu'elles et ils regardent, ce qui peut influencer leurs fantasmes
et comportements sexuels et façonner de nouvelles normes de comportement
sexuel. Ainsi, la pornographie mettant en scène des jeunes garçons
ou filles ayant une interaction sexuelle avec des personnes plus
âgées peut également poser problème, car elle peut contribuer à
considérer les mineur·e·s comme des cibles légitimes pour des rencontres
et des agressions sexuelles. La sexualisation de très jeunes femmes
et filles peut faire croire que ces pratiques sont non seulement
acceptables, mais qu'elles peuvent aussi être normales et souhaitables.
L’Assemblée a pris position contre ces phénomènes dans la
Résolution 2119 (2016) et dans la
Recommandation
2092 (2016) «Lutter contre l’hypersexualisation des enfants»
Note.
3.4 L'impact
de la pornographie sur les relations des jeunes et la sexualité
27. La plupart des scientifiques
conceptualisent la sexualité comme un aspect multidimensionnel de
la personnalité, qui est influencé par la biologie, les expériences
sexuelles et non sexuelles, les relations actuelles, l'éducation
et la culture. La plupart des scientifiques attribuent à la pornographie
une influence significative dans la formation de la sexualité d'une
personne
Note.
Certains de ces effets documentés méritent d'être pris en considération:
les utilisatrices et les utilisateurs de médias sexuellement explicites
sont plus susceptibles d'avoir des relations sexuelles sans protection
et d’adopter d'autres comportements à risque
Note.
28. Certain·e·s expert·e·s théorisent une différence entre les
femmes et les hommes en matière de plasticité érotique
Note et
de fluidité sexuelle
Note. La plasticité érotique signifie
la malléabilité de la sexualité d'une personne. Certains indices
laissent entendre que la sexualité féminine est davantage influencée
par la culture, les expériences et les relations que ne l’est la
sexualité masculine. Bien que ces concepts n'aient pas été largement
explorés par les sciences humaines, je les ai considérés comme intéressants
et méritant des recherches plus approfondies.
29. Si des adultes utilisent la pornographie comme source de plaisir
et d'inspiration pour leurs expériences personnelles, cela doit
être considéré comme un choix personnel, même si cela met leur santé
sexuelle en danger. En ce qui concerne les mineur·e·s, les organismes
de réglementation ont le devoir de protéger les personnes immatures,
car elles sont incapables de donner leur consentement.
30. L'un des résultats les mieux documentés de l'utilisation de
la pornographie est son association négative avec la satisfaction
sexuelle. Les utilisatrices et les utilisateurs de matériel pornographique
ont tendance à être moins satisfaits de leur propre sexualité, des
performances sexuelles de leurs partenaires et de leur propre attrait
ou de celui de leurs partenaires intimes. Ce lien est documenté
dans plusieurs études
Note.
Cet effet se produit si le porno est souvent regardé et il est plus
fort chez les hommes
Note. Il pourrait
y avoir un lien entre l'augmentation de l'utilisation de la pornographie
et le nombre croissant de cas de dysfonctionnements érectiles chez
les hommes (âge < 30 ans)
Note et la demande de chirurgie génitale esthétique
non médicale, en particulier le nombre croissant de labiaplasties
chez les femmes et même les filles d’un très jeune âge
Note.
31. L'utilisation du porno est associée à plusieurs attitudes
qui sont décrites comme du sexe instrumental («le sexe comme source
de plaisir») et du sexe détaché de tout contexte relationnel
Note. Ce
phénomène bien documenté est en contradiction avec les valeurs et
les objectifs de la vie, qui sont énoncés par la plupart des garçons
et des filles: avoir une relation fidèle et une famille stable
Note.
32. Malheureusement, les scénarios médiatiques sexuellement explicites
ne façonnent pas seulement la sexualité. Différentes études avec
des modèles d'exploration très différents et valables ont documenté
des différences dans la communication bienveillante. Par exemple,
les hommes qui regardent plus de porno en solitaire, parlent moins
affectueusement avec leurs partenaires féminines dans des conditions
expérimentales, sont moins engagés envers leurs partenaires et déclarent
plus souvent une infidélité
Note.
33. Un lien entre l'utilisation fréquente de la pornographie ou
le visionnage de contenus pornographiques violents et les attitudes
sexuellement agressives chez les adolescent·e·s a été identifié,
puis confirmé par une enquête italienne menée auprès de jeunes de
14 à 19 ans, qui a montré que les jeunes qui utilisent la pornographie
sont susceptibles d'établir avec leurs pairs des relations caractérisées
par une plus grande tolérance à l'égard des comportements sexuels
non désirés.
34. La pornographie grand public dépeint régulièrement des scènes
de violence: dans une étude portant sur 50 films pornographiques
les plus vendus, 88 % des scènes montraient une agression physique
et 49 % une agression verbale. Les victimes de ces agressions sont
dans la plupart des cas des performeuses (94 %) qui réagissent de
manière neutre ou qui expriment du plaisir à ces formes d’agressions
(95 %)
Note.
Certains articles analysant des vidéos pornographiques populaires
sur internet ont constaté que les jeunes actrices et acteurs semblaient
apprécier beaucoup plus les actes agressifs que les plus âgés. Cela
est susceptible d'influencer l'attitude du jeune public quant à
l'acceptabilité ou au caractère désirable de l'agression dans les
relations sexuelles et romantiques. Il a été démontré que de telles
attitudes sont associées à des rencontres et violences sexuelles
chez les adolescent·e·s et les jeunes adultes
Note.
35. L'association récurrente entre plaisir et agression sexuelle
dans les vidéos pornographiques dont les interprètes sont de jeunes
adultes peut également entraîner des effets psychologiques négatifs
pour les femmes et les hommes. Lorsque les jeunes femmes regardent
des vidéos de leurs pairs, dans lesquelles des actes agressifs et
dégradants sont le plus souvent associés au plaisir, elles peuvent
se sentir poussées à apprécier également (ou faire semblant d'apprécier)
de telles pratiques. Les jeunes hommes peuvent également trouver
ces scénarios limitatifs et pénibles, car ils semblent exiger qu'ils
agissent de manière agressive à l’égard de leurs partenaires romantiques
et sexuelles s'ils souhaitent satisfaire les fantasmes sexuels de
leurs partenaires.
3.5 Pornographie
et objectivation sexuelle des femmes
36. L'objectivation sexuelle des
femmes peut être définie comme «la réduction des femmes à leur attrait sexuel
en termes d'apparence extérieure et de concentration sur (des parties
de) leur corps. Elle implique également une forte préoccupation
pour les activités sexuelles des femmes en tant que critère principal
de leur attractivité et la représentation des femmes comme des jouets
sexuels attendant de satisfaire les désirs sexuels des hommes»
Note.
Ce processus est largement observé dans les médias et très présent
dans la publicité. Il est particulièrement exacerbé dans la pornographie
car il constitue un élément crucial de son contenu.
37. Des recherches
Note ont
montré que l'exposition à des contenus sexuellement explicites sur
internet est liée de manière significative à la notion de femme
en tant qu'objet sexuel. Cette tendance s'applique aux garçons comme
aux filles, 18% des jeunes hommes et 37% des jeunes femmes étant
unanimes pour dire que la pornographie encourage la société à considérer
les femmes comme des objets sexuels. Il a également été observé
que les adolescent·e·s qui pensent que les femmes sont des objets
sexuels se sentent particulièrement attirés par le matériel pornographique
et peuvent donc se tourner fréquemment vers ce contenu.
3.6 La
pornographie homosexuelle
38. Si la pornographie homosexuelle
est considérée par certain·e·s
Note comme un outil de libération
et d’émancipation
Note de la sexualité
gay, longtemps considérée comme obscène et déviante
Note,
elle n’est pas exempte de toute critique.
39. La pornographie gay est parfois critiquée parce qu’elle transmettrait
des stéréotypes ethniques: les hommes asiatiques sont souvent vus
comme ayant «une faible libido»
Note, les hommes noirs et latinos
sont quant à eux hypersexualisés. De plus, les hommes noirs et arabes
jouent la plupart du temps des rôles stéréotypés, voire stigmatisants
Note,
tels que des rappeurs, des voyous, etc. L’autre critique qui est
faite est que la pornographie contribue à l’anxiété sociale et physique
des hommes homosexuels
Note. En effet, l’apparence physique
a un rôle très important dans la communauté gay et l’image majoritaire
véhiculée par la pornographie est celle de l’homme jeune, en forme
et musclé.
40. S’agissant de la pornographie lesbienne, une critique récurrente
est celle qui considère cette pornographie comme empreinte des schémas
hétérosexuels. La pénétration reste prédominante dans la pornographie
lesbienne. Elle manque donc d’authenticité et n’est pas révélatrice
de la sexualité lesbienne. En effet, la pornographie mainstream
lesbienne semble être produite principalement par des hommes hétérosexuels
Note et
destinés à un public du même type. L’image des femmes lesbiennes
véhiculée par la pornographie mainstream est celle de femmes réalisant
des fantasmes pour les hommes.
3.7 Utilisation
de la pornographie et dépendance comportementale
41. Une étude allemande
Note a montré que la consommation intensive
de pornographie pourrait affecter négativement le cerveau et que
la consommation excessive de pornographie présente des similitudes
avec la dépendance à des substances ou au jeu.
42. La consommation fréquente de pornographie peut entraîner une
accoutumance à l’excitation sexuelle, et une désensibilisation à
un contenu moins explicite. Ainsi, le besoin de stimulation externe
du système de récompense peut être plus important, ce qui se traduit
par une tendance à rechercher du matériel sexuel nouveau et plus
extrême pour éprouver du plaisir
Note.
4 Existe-t-il
un lien entre la pornographie et la traite des êtres humains?
43. Des études et des recherches
d'expert·e·s ont établi un lien étroit entre la prostitution et
la traite des êtres humains. Le Rapport mondial sur la traite des
personnes 2016 de l'Office des Nations Unies contre la drogue et
le crime (UNODC) montre que 79 % de toutes les victimes de la traite
détectées sont des femmes et des enfants, même si cette proportion
diminue progressivement, et que l'exploitation sexuelle et le travail forcé
sont les types de traite les plus répandus. Un rapport de 2017 préparé
conjointement par l'Organisation internationale du travail (OIT),
la Fondation Walk Free et l'Organisation internationale pour les
migrations (OIM)
Note a estimé que les femmes et les filles
étaient touchées de manière disproportionnée par l'esclavage moderne,
représentant près de 29 millions de personnes, soit 71 % du total
global, et qu'elles représentaient 99 % des victimes du travail
forcé dans l'industrie du sexe.
44. La
Résolution 1983
(2014) «Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe»,
a également souligné que la plus grande partie des victimes étaient
victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, en particulier
de prostitution. Ceci est confirmé par la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme. Plusieurs arrêts à cet égard appliquent
l'article 4 (interdiction de l'esclavage et du travail forcé) aux
cas de victimes de la traite qui ont été forcées à se prostituer.
45. Si la pornographie et la prostitution sont conceptuellement
différentes, elles font toutes deux partie de l'industrie du sexe
et il est important d’analyser si un lien peut être établi entre
la pornographie et la traite. Comme la plus grande partie des victimes
subissent la traite à des fins d'exploitation sexuelle, la question cruciale
est de savoir si certaines d'entre elles sont forcées de travailler
dans l'industrie pornographique. Il convient également d'examiner
si un acteur économique peut être simultanément impliqué dans ces
deux secteurs de l'industrie du sexe. Certain·e·s observateurs et
observatrices semblent même suggérer qu'il existe effectivement
un lien avec la production de ce type de contenus. Des cas de stars
du porno qui sont payées pour interagir directement avec leurs spectatrices
et spectateurs sont rapportés par certains médias populaires
Note. Ils devraient toutefois être étayés par
des sources plus fiables.
46. Le 4 mai 2020, j'ai participé à un webinaire sur les «Liens
croisés entre la traite des êtres humains et la pornographie: mythe
ou réalité» organisé par le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE. Le panel comprenait
des oratrices et des orateurs hautement qualifiés tels que Per-Anders
Sunesson, ambassadeur de Suède chargé de la lutte contre la traite
des êtres humains; Anastasiya Dzyakava, conseillère pour la sécurité
des enfants en ligne au bureau du vice-premier ministre ukrainien;
Shandra Woworuntu, survivante de la traite des êtres humains et
cheffe de file des survivant·e·s; Chris Smith, membre du Congrès
des États-Unis et représentant spécial pour les questions de traite
des êtres humains de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE; et Kevin
Hyland, ancien commissaire indépendant chargé de la lutte contre
l'esclavage du Royaume-Uni et actuellement membre du Groupe d'experts
sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l'Europe
(GRETA).
47. L'ambassadeur Sunesson a exprimé sa ferme conviction qu'un
lien entre la pornographie et la traite existe bel et bien et qu'il
se manifeste de diverses manières. Il a estimé que la pornographie
est dangereuse à plusieurs niveaux, car elle est de plus en plus
basée sur des contenus violents, crée une dépendance chez ses utilisatrices
et ses utilisateurs et entraîne une demande accrue de prostitution.
Ceci est confirmé par des preuves concrètes
Note. Malgré les affirmations des personnes
impliquées dans la prostitution selon lesquelles elles le font de
leur plein gré, ce n'est pas le cas de tout le monde. L'ambassadeur
Sunesson estime que l'interconnexion entre la pornographie et la
traite des êtres humains n’est pas assez souvent mentionnée et qu'elle
devait faire l'objet d'une enquête plus approfondie et être mise
en évidence. Il recommande un travail de prévention, de sensibilisation
aux risques de la pornographie et d'action pour réduire la demande.
D'autre part, il a insisté sur le fait que les politiques de lutte
contre la traite doivent être respectueuses de tous les droits humains,
en ligne et hors ligne, y compris la liberté d'expression et le
droit à la vie privée. Kevin Hyland, membre du GRETA, a souligné
que toutes les formes de trafic d'êtres humains sont faites dans
un but de profit financier et il a considéré que le lien avec la
pornographie était économique, car les deux phénomènes se nourrissent
l'un l'autre et échangent des clients.
48. Ce débat a constitué un appel à l'aide opportun au nom des
victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, soulignant
que la plupart d'entre elles sont des femmes et des filles, mais
que les garçons et les hommes peuvent également être touchés. Il
a également essayé de fournir une réponse à la question contenue
dans son titre.
49. Les conclusions tirées lors du webinaire ont confirmé l'existence
d'une interconnexion entre la traite des êtres humains et la pornographie,
avec de multiples manifestations: la production de matériel pornographique, tant
hors ligne qu'en ligne, fait partie de l'exploitation sexuelle dont
les femmes et les filles sont victimes; la pornographie génère ou
augmente la demande de traite; la pornographie est utilisée pour
préparer les victimes de la traite et normaliser leurs abus; le
matériel pornographique est produit par les trafiquants également
dans le but de contrôler les victimes et de continuer à profiter
de la traite même après que les victimes aient été physiquement
soustraites au contrôle des trafiquants. Les cas de participation
forcée à la pornographie sont loin d'être rares. La traite à des
fins d'exploitation sexuelle, notamment pour produire de la pornographie,
est devenue particulièrement rentable et répandue ces dernières
années en raison de l'utilisation du «Dark web», de la cryptomonnaie
et des plateformes de messagerie cryptée, qui permettent aux trafiquants
d'échapper à la détection des services répressifs. En lien avec
ce constat, je voudrais souligner que les sites web générés par
les utilisateurs et les “sexcam” permettent de monétariser plus
facilement les violences sexuelles domestiques. Plusieurs participant·e·s,
dont M. Kevin Hyland et le membre du Congrès Chris Smith, ont souligné
que si le droit national et international prévoit des réglementations
pour lutter contre la traite, leur mise en œuvre effective est insuffisante
et un financement adéquat est nécessaire.
5 Types
alternatifs et utilisation possible de la pornographie
5.1 La
question de la pornographie éthique
50. Lors de la préparation de ce
rapport, plusieurs membres de la commission sur l’égalité et la
non-discrimination ont exprimé l’avis que la pornographie ne devrait
pas être considérée comme un phénomène purement négatif, car elle
fait partie de la réalité à multiples facettes qu’est la sexualité
humaine et peut contribuer à faire apprécier pleinement cette réalité
de différentes manières tout à fait acceptables et positives. Il
convient de signaler que la pornographie est couverte par la liberté
d’expression. Si mon but est de centrer ce rapport sur les aspects
problématiques de la pornographie, afin de les traiter, tâche qui
m'a été confiée en tant que rapporteur conformément à la proposition
dont découle le rapport, j’aborderai néanmoins certains éléments
et développements que certains considèrent comme positifs. Ladite
pornographie éthique en fait partie.
51. La pornographie éthique peut être définie comme celle «fait[[e]
de manière légale, qui respecte les droits des performeurs». Elle
est caractérisée par de bonnes conditions de travail et montre tout
aussi bien le sexe fantasmé que celui réel et célèbre la diversité
sexuelle
Note.
52. Apparue initialement sous l’appellation «pornographie féministe»,
c’est aux États-Unis qu’elle a commencé à se développer dans les
années 1980. Elle est notamment issue de l’opposition entre les féministes
dites «anti-pornographie»
Note et
celles dites «pro-sexe»
Note. Les
féministes anti-pornographie défendent l’idée que la pornographie
est une forme de coercition sexuelle et qu’elle joue un rôle fondamental dans
l’inégalité des sexes
Note.
En opposition, les féministes pro-porno défendent l’idée que cette
industrie n’est pas nécessairement nocive et qu’elle permet, entre
autres, aux femmes de se libérer sexuellement. Dans cette perspective,
les femmes devraient prendre part activement à la production de
contenus pornographiques, pour sortir notamment du cadre sexiste
et phallocentré de l’industrie mainstream
Note.
53. L’objectif de cette pornographie est donc d’assurer un environnement
de production sain pour les actrices et les acteurs. Cela passe
notamment par une rémunération correcte, des règles d’hygiène strictes sur
les plateaux et une représentation du plaisir aussi bien masculin
que féminin. Une attention particulière est portée au consentement.
Les souhaits des actrices et des acteurs sont pris en compte dans
la réalisation des films. Certains vont défendre un côté artistique,
dans le sens où une attention particulière sera portée au scénario,
aux dialogues, à l’intrigue
Note.
L’une des réalisatrices emblématiques de ce style pornographique, Erika
Lust, donne quelques éléments clés pour s’assurer qu’une pornographie
est éthique
Note, comme par exemple s’assurer que les actrices
et les acteurs aient toutes les informations sur le métier de performeuse
et de performeur et ses implications.
54. Comme le chercheur en sciences politiques français Denis Ramond
l’explique, ces réalisatrices (ce sont essentiellement des femmes)
défendent un cahier des charges qui porte sur trois points essentiels:
la production, la représentation et la réception
Note. Pour ce qui est de
la production, l’aspect principal, déjà mentionné, concerne les
conditions de travail. La représentation concerne l’attention portée
à l’image de la femme et de l’homme qui est transmise. Ainsi, la
volonté des réalisatrices est de sortir du cadre hétéronormé, stéréotypé
et sexiste de la production populaire de pornographie. Différents
types de corps sont représentés. C’est le cas par exemple du film
documentaire d’Émilie Jouvet,
My Body,
My Rules qui a remporté le prix 2017 du jury du festival
LGBT+ Chéries-Chéris
Note. Il s’intéresse
à des corps souvent oubliés; ceux de femmes âgées, maigres, handicapées,
noires, rondes, etc. Enfin, s’agissant de la réception, cela correspond
à la volonté de promouvoir un autre regard sur la sexualité et le
genre. L’idée sous-jacente est que si la pornographie influence les
rapports entre les femmes et les hommes et contribue à asseoir une
domination masculine, alors la production d’une nouvelle forme de
pornographie peut permettre d’influencer de manière positive sur
les rapports entre femmes et hommes, tout en favorisant l’égalité.
55. Défendre une telle pornographie permet donc de s’assurer du
bon traitement des actrices et des acteurs et de promouvoir l’égalité
entre les sexes. Dans cette optique, en 2009, l’Institut suédois
du film a financé à hauteur de 500 000 couronnes suédoises l’ouvrage
cinématographique de Mia Engberg:
Dirty
DiariesNote, composé
de 12 courts-métrages. Cette réalisatrice suédoise avait pour volonté
de montrer la sexualité du point de vue de la femme pour changer
de la pornographie faite «par et pour les hommes». En finançant
ce projet, l’Institut suédois du film entendait promouvoir une nouvelle
approche et représentation de la sexualité féminine.
5.2 Pornographie,
éducation, sensibilisation
56. La pornographie participe à
l’information des adolescent·e·s en matière de sexualité, comme
cela a déjà été mentionné précédemment. Mais alors que la pornographie
mainstream peut être très violente et avoir certains aspects négatifs
sur les jeunes tel que cela a été démontré, il devient primordial
d’éduquer les enfants afin de prévenir les effets néfastes d’une
exposition à de tels contenus. Compte tenu de la quantité de vidéos pornographiques
présente sur le web et de l’impossibilité à imposer un cadre légal
aux plateformes de diffusion, la solution la plus adaptée semble
la prévention et l’information face à ces contenus.
57. En 2012, pour lutter contre les infractions sexuelles faites
aux enfants, le Gouvernement islandais (le ministère de l’Intérieur,
le ministère de l’Éducation, de la Science et de la Culture et le
ministère de la Protection sociale) a mis en place un projet intitulé
«Éveil de la conscience»
Note. Différentes initiatives ont été
prises dans le cadre de ce projet et l’une d’entre elles était la
réalisation d’un court-métrage intitulé «Get a Yes» à destination
des élèves des écoles secondaires. Un des sujets qu’il abordait
était les effets nocifs de la pornographie. Il a été diffusé dans
toutes les écoles islandaises pour les élèves de 15 à 18 ans, ainsi
qu’à la télévision à une heure de grande écoute. Un guide a aussi
été mis en place à l’intention des parents, mais aussi des enseignant·e·s
pour aborder avec les jeunes les différents sujets traités par le
court-métrage.
58. La plateforme «C’est pas pour moi, c’est pour un ami»
Note propose elle aussi des outils d’informations
sur la pornographie, mais cette fois-ci à destination directement
des plus jeunes. Elle a été créée en 2018 par 5 étudiantes bruxelloises.
De courtes vidéos (1’27) abordent de manière ludique des sujets
liés à la sexualité et à la pornographie. L’idée étant de déconstruire
les stéréotypes véhiculés par l’industrie du X comme par exemple
l’épilation intégrale chez les filles. Sur cette plateforme les
jeunes peuvent se renseigner sur des thématiques bien précises,
mais ils peuvent aussi envoyer leur question à un·e professionnel·le
de santé en remplissant un formulaire en ligne.
6 Conclusions
59. La pornographie est aujourd'hui
omniprésente et facile d'accès, en particulier en ligne, et elle
est utilisée par une grande partie de la population. Toutefois,
les attitudes morales et juridiques à son sujet varient. Ceci explique
la diversité d'opinions que j'ai pu observer lors des échanges avec
mes collègues de la commission sur l'égalité et la non-discrimination.
Certain·e·s ont souligné que la pornographie devait être considérée comme
l'un des divers aspects de la sexualité et de son expression et
qu'elle ne devait pas être condamnée, et encore moins interdite.
Elles·ils ont recommandé de souligner la différence entre la pornographie
grand public et d’autres formes de pornographie qui respectent davantage
les droits des interprètes et l'impact de cette pratique sur les
droits des femmes, entre autres. Je me suis efforcé de faire clairement
cette distinction dans le chapitre sur les «types alternatifs de
pornographie».
60. D’autre part, conformément à ma mission de rapporteur (telle
que définie par la proposition dont est issu ce rapport), j’ai accordé
davantage d’attention aux aspects problématiques de la pornographie,
en particulier en ce qui concerne les dommages potentiels sur l’état
d’esprit des personnes et le risque que les stéréotypes traditionnels
de genre soient perpétués, voire exacerbés par le message que la
pornographie transmet à ses utilisateurs et utilisatrices.
61. Sur la base des recherches menées dans le cadre de la préparation
de ce rapport et des conclusions de l'audition, plusieurs raisons
peuvent être avancées pour suggérer de limiter l'accès, et en particulier
l'accès des mineur·e·s, à la pornographie, même si cela peut être
considéré par certain·e·s comme une remise en cause de la neutralité
du web et du droit à la liberté d'expression et d'information. L’équilibre
entre l’obligation de l’État de protéger les citoyen·ne·s contre
les activités préjudiciables et les actes criminels d’une part,
et l’obligation de garantir la liberté d’expression et l’accès à
l’information d’autre part, a jusqu’à présent généralement penché
en faveur de la liberté. La situation actuelle doit toutefois être
remise en question au nom de l'éthique transgénérationnelle et de
l'égalité entre les femmes et les hommes.
62. Lors de l'audition du 15 mars 2021, la professeure Clare McGlynn,
de la Faculté de droit de l'Université de Durham (Royaume-Uni),
a fourni une argumentation théorique intéressante pour réglementer
l'accès à la pornographie au moyen de dispositions juridiques, incluant
des sanctions pénales, dans une perspective de droits humains. Sa
théorie est la suivante: puisque certaines formes de pornographie
sont préjudiciables aux droits fondamentaux des femmes, les interdire
afin de prévenir de tels dommages doit être considéré comme acceptable
et non en conflit avec d’autres droits humains tels que la liberté
d’expression. La pornographie violente, en particulier, semble tolérer
la violence fondée sur le genre et conduit certaines femmes à se
retirer de la vie sociale et publique, portant ainsi gravement atteinte
aux droits humains. D’autre part, la professeure McGlynn estime
que la limitation de l’accès à la pornographie ne constitue qu’une
partie d’un éventail plus large de mesures nécessaires pour protéger
les droits et les libertés des femmes.
63. Je ne peux que souscrire à ces conclusions, tant en ce qui
concerne les restrictions d'accès à la pornographie dans la mesure
où elles sont nécessaires pour protéger les droits humains, qu'en
ce qui concerne la nécessité d’intégrer ces restrictions à un cadre
plus large de mesures qui incluent l'éducation, l'information, la
sensibilisation et la protection des victimes.
64. Dans la plupart des pays, il est interdit de produire et de
diffuser des images d'actes sexuels faisant intervenir des mineur·e·s.
Les images de nu·e·s ou à caractère sexuel sont utilisées par les
mineur·e·s à des fins d'excitation ou d'activités illégales telles
que le harcèlement, la vengeance pornographique et le chantage. Les
auteurs adultes d'actes de maltraitance et d'exploitation sexuelle
d'enfants recherchent également ce type d'informations. Leur diffusion
intentionnelle ou non intentionnelle entraîne des conséquences traumatisantes et
peut littéralement détruire la vie d’un jeune. Certaines victimes
sont publiquement stigmatisées, ce qui a des effets dramatiques
sur leurs relations familiales, les contacts avec leurs pairs et
leurs résultats scolaires. Selon certaines sources, cela aurait
amené des garçons et des filles à tenter de se suicider. Des éléments
de preuve révèlent également que les filles sont plus exposées à
ces formes de cyberintimidation
Note que
les garçons.
65. Il est donc essentiel de renforcer les sanctions pénales en
cas d'enregistrement et de diffusion sans consentement d'images
à caractère sexuel et de sensibiliser les victimes et les auteurs
potentiels au danger qu'elles représentent.
66. Parallèlement à la pornographie, des contenus problématiques
en ligne, équivalents à de la violence pure, sont largement diffusés
par les principaux fournisseurs de contenus pornographiques. Cela
comprend le viol collectif, la torture, l'humiliation, l'étouffement,
le passage à tabac et la violence physique, les représentations
de l'esclavage et de la prostitution forcée, les discours de haine,
le harcèlement sexuel, l'inceste, la bestialité et la maltraitance
des enfants
Note.
67. Au Royaume-Uni, la loi interdit la production de pornographie
qui montre et glorifie des actes criminels – réels ou fictifs. Il
n'est pas toujours facile pour les expert·e·s, les propriétaires
de sites ou les consommateurs et les consommatrices de savoir si
de tels contenus ont été produits de façon consensuelle. Souvent,
les victimes ne savent pas que leur victimisation sexuelle a été
filmée, et ce n'est que par hasard qu'elles découvrent la diffusion
des vidéos.
68. Par ailleurs, des méthodes de vérification de l'âge visant
à protéger les mineur·e·s contre la pornographie ont été introduites
dans la législation de pays tels que la France, l'Allemagne et le
Royaume-Uni, dans le cadre de la protection des mineur·e·s dans
les médias et/ou de la protection contre la violence familiale.
69. L'impact de la pornographie sur les comportements, la santé,
le plaisir sexuel, les questions de genre, la criminalité et l'éthique
transgénérationnelle dans certaines sociétés ne devrait pas être
négligé. Il importe de mettre en évidence de tels effets et de sensibiliser
les producteurs et les productrices, les distributeurs, les législateurs,
les pédagogues, les parents, les adolescent·e·s et les consommateurs
et les consommatrices adultes à cet égard.
70. Je me suis efforcé de faire écho à ces constats et conclusions
dans les mesures recommandées dans le projet de résolution joint
au présent rapport. Je tiens une nouvelle fois à exprimer ma gratitude
aux expert·e·s qui ont contribué à son élaboration ainsi qu’à mes
collègues de la commission sur l’égalité et la non-discrimination.
J’espère pouvoir compter sur leur soutien, et sur celui de l’Assemblée
dans son ensemble, pour l’adoption d’un texte que je considère comme
particulièrement opportun et nécessaire.