Dimension de genre et effets de la pornographie sur les droits humains
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Texte
adopté par la Commission permanente, agissant au nom
de l’Assemblée, le 26 novembre 2021 (voir Doc. 15406, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination,
rapporteur: M. Frank Heinrich).
1. La pornographie est omniprésente
et facile d'accès, en particulier en ligne. Selon les estimations,
plus de la moitié de l’ensemble du trafic internet est lié à la
pornographie et au sexe, et une part importante de la population
consulte des contenus pornographiques. Cette tendance s’est probablement
accentuée pendant la pandémie de covid-19.
2. Les études montrent que la pornographie exerce une influence
sur l’idée que les individus ont de la sexualité et sur leur vision
des rôles dévolus à chaque sexe; bien souvent elle alimente et perpétue
des stéréotypes qui mettent à mal l’égalité de genre et la liberté
de choix des femmes en dépeignant celles-ci comme des objets de
soumission aux hommes et en banalisant la violence faite aux femmes.
Les jeunes sont particulièrement exposés à ce risque, car elles·ils
considèrent la pornographie comme une source d’information sur la
sexualité, faute de programmes scolaires proposant une éducation
complète à la sexualité qui leur permettrait d’obtenir des informations
fiables et objectives.
3. L’Assemblée parlementaire souscrit pleinement à la Recommandation
CM/Rec(2019)1 du Comité des Ministres sur la prévention et la lutte
contre le sexisme, qui invite les gouvernements des États membres
à «promouvoir une perspective d'égalité entre les femmes et les
hommes, ainsi que le développement de la pensée critique pour lutter
contre le sexisme dans le contenu, le langage et les illustrations
des jouets, des bandes dessinées, des livres, de la télévision,
des jeux vidéo et autres jeux, des contenus en ligne et des films, y
compris la pornographie, qui façonnent les attitudes, les comportements
et les identités des filles et des garçons» ainsi qu’à la Recommandation
CM/Rec(2013)1 sur l’égalité entre les femmes et les hommes et les médias.
La mise en œuvre des propositions émises dans ces recommandations
permettrait de contrer l’image négative et dégradante de la femme
que la pornographie véhicule.
4. En 2011 déjà, dans sa
Résolution
1835 (2011) «La pornographie violente et extrême», l’Assemblée considérait
que «ce type de pornographie représente un obstacle de plus sur
le chemin vers une réelle égalité entre les sexes, à côté des autres
formes de pornographie
hard et
soft, de l’utilisation très répandue
d’images sexualisées de femmes à des fins commerciales et de l’exploitation
des stéréotypes sexuels par les médias et l’industrie du divertissement».
5. L’Assemblée rappelle que, si la liberté d’expression est l’un
des fondements d’une société démocratique et un droit garanti par
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
il est possible de limiter ce droit lorsque cela est prescrit par
la loi et nécessaire, notamment dans l’intérêt de la prévention
de la criminalité, de la protection des mœurs et de la protection
des droits d’autrui.
6. L’Assemblée considère qu’il convient de protéger les droits
humains des personnes participant à la production de la pornographie,
notamment des femmes et en particulier des performeuses, et de garantir
la liberté de choix, des conditions de travail sûres et dignes ainsi
qu’une rémunération équitable.
7. L’Assemblée observe que les contenus pornographiques sont
de plus en plus souvent réalisés en privé, par des personnes ne
faisant pas partie de sociétés de production spécialisées, et diffusés
par voie électronique. Il convient donc d’être particulièrement
vigilant et de prendre des mesures pour réglementer la diffusion
de ces contenus. La liberté de choix des personnes participant à
la production et le consentement de toutes celles et ceux qui sont
mis·es en scène sont primordiaux et doivent faire l’objet d’un contrôle
strict. La «vengeance pornographique» (revenge
porn), c’est-à-dire la diffusion non consentie, par courrier
électronique, messagerie téléphonique, réseaux sociaux ou tout autre
moyen, d’images intimes à caractère sexuel dans l’intention d’embarrasser
et d’humilier les personnes apparaissant dans ce contenu, est un
phénomène particulièrement préoccupant et devrait donner lieu à
des poursuites effectives.
8. L’Assemblée considère qu’une éducation complète à la sexualité
contribue de manière essentielle à préparer les jeunes à leur vie
d’adulte. Elle devrait être intégrée à tous les programmes scolaires
et être adaptée à l’âge des élèves, précise sur le plan médical
et factuelle. Les cours d’éducation sexuelle devraient aborder des
questions telles que la contraception et la prévention des maladies
sexuellement transmissibles, l’égalité de genre, les normes et les
stéréotypes liés au genre, la prévention de la violence sexuelle,
fondée sur le genre et entre partenaires intimes, et la protection
contre celle-ci, l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression
de genre, la liberté de choix et le consentement dans les relations
et les échanges personnels.
9. Une éducation complète à la sexualité devrait être la principale
source d’information des jeunes en matière de sexualité et permettrait
d’empêcher que d’autres sources, telles que la pornographie, diffusent
des informations peu fiables et potentiellement dangereuses. L’éducation
aux médias, destinée à aider les jeunes à mieux interpréter et comprendre
les contenus écrits et audiovisuels, pourrait également contribuer
à lutter contre les effets néfastes de la pornographie sur l’image
de la femme.
10. Au vu de ces considérations, l’Assemblée invite les États
membres et observateurs, ainsi que ses partenaires pour la démocratie:
10.1 à pleinement mettre en œuvre
les recommandations du Comité des Ministres CM/Rec(2019)1 sur la
prévention et la lutte contre le sexisme et CM/Rec(2013)1 sur l'égalité
entre les femmes et les hommes et les médias;
10.2 en ce qui concerne l’éducation, l’information et la sensibilisation:
10.2.1 à faire en sorte qu’une éducation complète à la sexualité,
adaptée à l’âge et scientifiquement exacte, soit intégrée à tous
les programmes scolaires et rendue obligatoire pour tous les élèves,
sans possibilité de s’y soustraire. Les programmes d’éducation sexuelle devraient
définir, déterminer et préciser la nature de la pornographie, et
expliquer ses incidences en matière de santé, d’éthique, de droit
et d’égalité de genre. Ils devraient également attirer l’attention
sur le fait que la pornographie ne saurait remplacer des sources
d’information fiables sur la sexualité et qu’elle est susceptible
de donner une fausse idée du rôle des femmes et des hommes, en perpétuant
les stéréotypes de genre et en incitant à la violence sexuelle et
à d’autres formes de violence fondée sur le genre;
10.2.2 à introduire des programmes extrascolaires d’éducation
complète à la sexualité, similaires en termes de contenu aux programmes
dispensés en milieu scolaire, mais accessibles aux enfants d’âge
scolaire non scolarisés ainsi qu’aux jeunes ayant dépassé l’âge
de la scolarité obligatoire;
10.2.3 à promouvoir l’éducation aux médias dans le cadre des
activités éducatives scolaires et extrascolaires en s’assurant qu’elle
couvre les questions de genre, notamment les stéréotypes de genre,
le sexisme et la banalisation de la violence fondée sur le genre
véhiculés par la pornographie, la publicité, les divertissements
et les médias en général;
10.2.4 à mettre en place des systèmes d’avertissement obligeant
les sites pornographiques à afficher un bandeau mettant en garde
contre les dangers potentiels de la consultation de contenus pornographiques,
analogue aux bandeaux d’avertissement sur l’alcool, le tabac ou
les jeux d’argent en ligne;
10.2.5 à envisager d’introduire des mesures et des outils renforçant
les compétences des parents pour lutter contre le cybersexisme et
la pornographie sur internet, comme le préconise la Recommandation
CM/Rec(2019)1 du Comité des Ministres;
10.3 en ce qui concerne la protection des données et de l’image:
10.3.1 à appliquer de manière effective les réglementations relatives
à la protection des données à caractère personnel et de l'image
personnelle, notamment dans le domaine de la diffusion en ligne
de matériel pornographique;
10.3.2 à s’assurer que toutes les personnes mises en scène ou
participant de quelque autre manière à la production de contenus
pornographiques ont donné leur consentement libre et éclairé à la
diffusion de ces derniers, notamment en exigeant des producteurs
qu’ils apportent la preuve du consentement vérifié avant la publication
de toute image;
10.3.3 dans les limites de la réglementation sur l’utilisation
des données à caractère personnel, à exiger des fournisseurs de
pornographie en ligne qu’ils recueillent et conservent l’identité
et les coordonnées des personnes qui téléchargent du contenu pornographique
en vue de le diffuser publiquement, afin de faciliter les poursuites
pénales dans les cas où les participant·e·s n’ont pas consenti à
la diffusion ou lorsque le contenu implique des activités de traite
des êtres humains, des actes de maltraitance des enfants ou d’autres
actes pénalement répréhensibles;
10.4 en ce qui concerne le droit pénal et les autres dispositions
légales:
10.4.1 à envisager d'étendre à la pornographie
violente les dispositions interdisant la glorification des actes
criminels, à l'instar de l'article 131 du Code pénal allemand qui
sanctionne la diffusion de «matériel représentant des actes de violence
cruels ou inhumains dirigés contre des êtres humains ou d’apparence
humaine d'une manière qui glorifie ou banalise ces actes de violence
ou qui représente cette cruauté ou cette inhumanité d'une manière
qui porte atteinte à la dignité humaine»;
10.4.2 à veiller à ce que les réglementations sur la publication
en ligne, telles que la législation de l'Union européenne sur les
services numériques, s'appliquent à tous les médias, dont les sites internet
pornographiques;
10.4.3 à inclure des dispositions interdisant l’utilisation de
la pornographie sur le lieu de travail dans la législation relative
au harcèlement sexuel et aux autres formes de harcèlement sur le
lieu de travail, et à obliger les employeurs à installer et à utiliser
des filtres internet à cette fin;
10.4.4 à veiller à ce que la «vengeance pornographique» fasse
l’objet de sanctions pénales;
10.4.5 à exiger des bibliothèques publiques et des écoles qu’elles
installent des filtres internet pour bloquer la pornographie;
10.4.6 à envisager d'introduire l'obligation pour les fabricants
et les distributeurs d'ordinateurs et de dispositifs portables d'activer
par défaut des filtres antipornographie (lesquels actuellement sont
généralement préinstallés, mais désactivés par défaut);
10.4.7 à obliger les fournisseurs d'accès à internet à appliquer
une clause d'acceptation ou d'exclusion, demandant aux client·e·s
de choisir si la pornographie doit être en libre accès ou non par
l’intermédiaire de leurs services;
10.4.8 à envisager d’interdire la publicité publique de la pornographie;
10.4.9 à envisager de soumettre l’accès à la pornographie à un
contrôle de l’âge au niveau national ou d’introduire l’obligation
légale pour les sociétés diffusant du matériel pornographique de
vérifier l’âge des utilisateurs et des utilisatrices;
10.4.10 à mettre à la disposition des entreprises internet des
procédures de plainte en cas de restrictions ou de limitations injustifiées
en matière d’accès à la pornographie, dans l'intérêt de la liberté
d'expression et de la neutralité d'internet;
10.4.11 à étudier les liens éventuels entre la pornographie et
la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle;
10.5 en ce qui concerne les autres mesures:
10.5.1 à
promouvoir la recherche et la collecte de données sur la pornographie,
fondées sur une approche transdisciplinaire et interculturelle,
et à allouer des fonds adéquats à cette fin, en vue de fournir des
informations précises au personnel enseignant, aux travailleurs
sociaux, aux prestataires de soins de santé et aux législateurs,
notamment sur les types et la fréquence d'utilisation de la pornographie
et sur la prévalence et l’impact des représentations sexistes des femmes
et des filles dans les contenus pornographiques, sur la mesure dans
laquelle elles exacerbent les inégalités entre les sexes et la violence
à l’égard des femmes et des filles, ainsi que leur incidence sur
la santé physique, sexuelle et psychologique des femmes;
10.5.2 à proposer des services d’aide au départ financés de manière
adéquate, destinés aux personnes qui souhaitent quitter l’industrie
du sexe, notamment la pornographie;
10.5.3 à promouvoir et à fournir des conseils et des services
de soutien aux utilisatrices et utilisateurs compulsifs de la pornographie.