Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile du point de vue des droits humains
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 24 janvier 2022 (2e séance)
(voir Doc. 15438, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, rapporteur: M. Oleksii Goncharenko). Texte adopté par l’Assemblée le
24 janvier 2022 (2e séance).
1. Le 23 septembre 2020, la Commission
européenne a publié la Communication sur un nouveau pacte sur la
migration et l’asile, introduisant un certain nombre de propositions
visant à améliorer les procédures de gestion de l’asile et des migrations
en Europe, en particulier une procédure de gestion intégrée aux
frontières extérieures (filtrage préalable à l’entrée menant à une
procédure d’asile et/ou à une décision de retour rapide), un système
de retour commun à l’Union européenne afin d’améliorer les procédures
d’expulsion et un nouveau mécanisme de solidarité obligatoire. Si
les propositions du pacte s’adressent avant tout à l’Union européenne et
à ses 27 États membres, sa conceptualisation de la gestion des migrations
régionales est également pertinente pour l’ensemble des États membres
du Conseil de l’Europe.
2. La récente crise politique en Afghanistan et une pression
migratoire accrue aux frontières de l’Union européenne avec le Bélarus,
encouragée par cet État, ont démontré qu’il convenait de mettre
en place de toute urgence un mécanisme efficace en vue de relever
les défis découlant de la migration et de l’asile en Europe, qui
soit pleinement compatible avec les obligations en matière de droits
humains.
3. L’Assemblée parlementaire salue l’engagement de l’Union européenne
d’intégrer pleinement les normes européennes relatives aux droits
humains dans toutes ses politiques relatives à la migration et à
l’asile, et soutient ses efforts visant à mettre en avant un «système
d’asile et de migration plus humain et plus effectif». Elle soutient
l’approche globale de la gestion des migrations illégales proposée
dans le pacte de l’Union européenne ainsi que l’introduction d’un
mécanisme de réaction aux crises renforçant les dispositions de solidarité,
ce qui est de la plus grande importance dans la situation actuelle.
4. L’Assemblée réitère l’obligation des États membres de l’Union
européenne de mettre en œuvre la législation en vigueur de l’Union
européenne relative à la migration et à l’asile, qui demeure applicable
quelles que soient les propositions de réforme, et elle encourage
les institutions de l’Union européenne à trouver un accord sur les
principales propositions législatives du pacte de l’Union européenne,
tout en garantissant sa conformité avec les normes du Conseil de
l’Europe comme faisant partie du pacte.
5. Elle estime également que le nouveau système de gestion de
l’asile et de la migration contribuera à minimiser les conséquences
de la pandémie de covid-19 en Europe en réduisant la longueur des
procédures et en fournissant aux États le financement d’urgence
leur permettant de faire face à la covid-19 dans les structures
d’accueil et les hôpitaux publics. Le Plan de préparation et de
gestion de crise en matière de migration de l’Union européenne pourrait
être un outil efficace pour les échanges d’informations entre États membres
sur les réponses apportées à la pandémie en Europe.
6. L’Assemblée soutient pleinement les propositions visant à
faciliter davantage les migrations de main-d’œuvre à différents
niveaux de compétences et à protéger les travailleurs migrants de
toute exploitation. Elle encourage l’Union européenne à accroître
les voies d’accès légales, en particulier pour les pays du voisinage de
l’Union européenne.
7. Parallèlement, l’Assemblée constate que les propositions incluses
dans le pacte sont très complexes et ne contribuent pas à une compréhension
claire de la gestion proposée des frontières extérieures de l’Union européenne.
La perspective que les procédures d’asile accélérées proposées réduiront
la qualité et l’équité des procédures, et donc entraîneront des
taux de refus plus élevés ainsi que l’impossibilité pour les demandeurs
d’asile et les réfugiés d’accéder aux mesures de protection, notamment
à une assistance juridique adéquate et à une procédure d’asile équitable
et rapide, soulève des inquiétudes.
8. L'Assemblée estime que, avant d'adopter les propositions du
pacte, la Commission européenne devrait procéder à une évaluation
complète de la conformité, du point de vue des droits humains, de
chaque mesure avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l'homme.
9. L'Assemblée est d'avis que les procédures spéciales visant
à protéger les personnes en situation de vulnérabilité devraient
répondre aux besoins de ces personnes et intégrer le devoir de soutien
accru au titre de leur obligation de protection des droits humains.
Il s’agit notamment d’intégrer des considérations liées au handicap,
à l’âge et au sexe, ainsi que des vulnérabilités liées à la santé
ou qui touchent les victimes de la traite des êtres humains ainsi
que les femmes victimes de violences sexistes. Cela doit se faire
tout au long des procédures d’asile et de migration, principalement
grâce au respect des dispositions relatives à la vulnérabilité énoncées
dans la législation de l’Union européenne et dans la jurisprudence
qui y est associée.
10. L’Assemblée estime qu’il est important de proposer des recommandations
concrètes aux gouvernements des États membres de l’Union européenne
sur la manière de s’assurer que les politiques européennes de migration
contribuent au développement de la solidarité européenne, de la
prospérité économique, du respect des droits humains et de la protection
du bien-être pour tous. Elle recommande donc:
10.1 de modifier le Règlement introduisant une procédure de
filtrage proposé dans le pacte pour veiller à ce qu’il inclue une
voie de recours suspensive effective contre toute catégorisation
de filtrage incorrecte, de façon à respecter pleinement les obligations
découlant du droit à un recours effectif (article 13 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5)).
Le règlement devrait aussi garantir l’accès à l’information, les
droits des personnes soumises au filtrage, notamment l’accès à un avocat
et le droit de contester toute décision, ainsi que la confidentialité
et la protection des données collectées;
10.2 de veiller à ce que tout demandeur d’asile aux frontières
de l’Union européenne ou relevant de sa juridiction ait accès à
une procédure de détermination équitable et effective du bien-fondé
de sa demande de protection internationale et à ce qu’il bénéficie
de cette procédure, dans le respect des obligations de non-refoulement.
La fiction juridique que constitue la «non-entrée» devrait être
supprimée afin de garantir l’accès à une procédure équitable pour
tous;
10.3 de clarifier les dispositions relatives aux restrictions
et à la privation de liberté, en particulier pendant la procédure
de filtrage, afin de protéger les migrants et les demandeurs d’asile
contre toute rétention illégale, et de garantir leur conformité
avec les obligations découlant du droit à la liberté et à la sûreté
(article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme), conformément
à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en
la matière. Des références explicites devraient être incluses dans
les propositions du pacte concernant l’utilisation de la rétention
seulement comme mesure de dernier recours, avec des références claires
à l’obligation d’œuvrer à l’élaboration et à la mise en œuvre d’alternatives
à la rétention des migrants. Les demandeurs d’asile et les réfugiés
ne devraient pas être placés en rétention au seul motif de l'immigration;
10.4 de veiller à ce que tous les enfants de moins de 18 ans
soient exemptés de toutes les procédures aux frontières proposées
dans le cadre du pacte, quel que soit leur âge, conformément au
principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et aux obligations vis-à-vis
des enfants, telles qu’elles sont inscrites dans la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant; de même, aucun enfant
(de moins de 18 ans) ne devrait être placé en rétention;
10.5 de convenir d’un système de relocalisation obligatoire
comme mesure de solidarité, en donnant la priorité aux cas de regroupement
familial et aux enfants migrants non accompagnés;
10.6 de reconsidérer la proposition autorisant les États à
opter pour un mécanisme de «prise en charge des retours» plutôt
que de relocaliser les personnes sur leurs propres territoires,
car cela pose de graves problèmes de droits de l’homme et de graves
problèmes juridiques;
10.7 de clarifier dans les propositions du pacte le soutien
concret qui doit être mis à la disposition des personnes identifiées
comme se trouvant en situation de vulnérabilité, notamment un soutien
complet pour répondre aux besoins élémentaires en matière de santé
et de protection sociale en tenant compte des vulnérabilités spécifiques.
Il convient de faire référence aux obligations existantes concernant
l’offre de garanties procédurales spéciales et de garanties spéciales
en matière d’accueil des personnes vulnérables;
10.8 de s’assurer qu’une évaluation transversale des répercussions
de ces propositions sur les femmes et les filles, ainsi que sur
les garçons, en situation de vulnérabilité est entreprise par l’Union européenne,
en identifiant les différents impacts de ces propositions. Des propositions
visant à remédier aux inégalités constatées devront être formulées;
10.9 d’effectuer un bilan transversal des propositions pour
en déterminer la conformité avec les obligations envers les personnes
handicapées, conformément aux obligations découlant de la Convention
des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées;
en particulier, le devoir des États de fournir des aménagements
raisonnables aux personnes handicapées devrait être explicitement
inclus en tant qu’obligation;
10.10 d’introduire dans la législation nationale des dispositions
juridiques spéciales interdisant l’incrimination des organisations
non gouvernementales ou des personnes effectuant des opérations
de recherche et de sauvetage en mer, ou fournissant une aide humanitaire
ou d’autres formes d’assistance aux migrants, aux demandeurs d’asile
et aux réfugiés;
10.11 d’accroître la capacité des opérations de recherche et
de sauvetage en mer Méditerranée et de mettre en place des dispositifs
prévisibles de débarquement dans des ports sûrs pour les personnes secourues;
10.12 de veiller à ce que les organisations non gouvernementales
compétentes travaillant dans le domaine des migrations puissent
fournir des informations et une assistance juridique, et participer
au contrôle des droits fondamentaux aux frontières. Cela comporte
la possibilité pour ces organisations de se voir octroyer l’accès
aux zones frontières et aux lieux de privation de liberté afin de
fournir une assistance humanitaire ainsi que des conseils et une
assistance juridique;
10.13 de veiller à ce que l’Agence européenne de garde-frontières
et de garde-côtes (Frontex) tout comme la nouvelle Agence de l’Union
européenne pour l’asile remplissent leurs fonctions respectives en
respectant pleinement les droits fondamentaux.
11. L’Assemblée estime également que la Commission européenne
devrait continuer à demander aux États membres de l’Union européenne
de rendre des comptes sur le traitement qu’ils réservent aux migrants,
aux demandeurs d’asile et aux réfugiés en exerçant pleinement les
pouvoirs qui lui sont conférés en vertu du droit de l’Union européenne
pour engager des procédures d’infraction ou prendre d’autres mesures
moins strictes telles que le suivi, les recommandations, l’octroi
et le retrait de financements lorsque les États membres ne respectent
pas leurs obligations en matière de droits humains, notamment en
ce qui concerne l’interdiction du refoulement et les violences commises
à l’encontre des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés
aux frontières extérieures de l’Union européenne.
12. L’Assemblée se réjouit de la proposition de mettre en place
des mécanismes de suivi indépendants au niveau national pour enquêter
sur les allégations de violations des droits fondamentaux aux frontières.
Compte tenu de la compétence du Conseil de l’Europe dans ce domaine,
l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe à s’assurer
que ces organes de suivi nationaux sont indépendants des autorités nationales,
travaillent sur la base de mandats clairement définis, sont accessibles
aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, à ce qu’ils
prennent en compte les informations pertinentes fournies par les
organisations internationales, les organisations non gouvernementales
et les agences et institutions de l’Union européenne, et agissent
en conséquence. Par ailleurs, ces mécanismes de suivi devraient
être dotés de ressources suffisantes pour exercer leurs fonctions
et pour disposer d’un personnel bien formé, pour élaborer des rapports
périodiques publics contenant des constats et des conclusions, incluant
les mesures à prendre pour que les responsables de violations des
droits fondamentaux soient tenus de rendre des comptes. Il est extrêmement
important d’élargir le champ d’application du suivi de ces organes
pour veiller à ce que ceux-ci puissent assurer le suivi des événements
transfrontaliers et des activités de contrôle aux frontières.
13. L’Assemblée encourage la Commission européenne à envisager
de soutenir davantage le développement de programmes de coopération
avec le Conseil de l'Europe pour assurer un partage de connaissances
cohérent entre les organes nationaux de suivi, afin de renforcer
leur contribution à la mise en œuvre effective de la Convention
européenne des droits de l'homme et d’autres instruments pertinents.