Empoisonnement d'Alexeï Navalny
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- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 26 janvier 2022 (6e séance)
(voir Doc. 15434, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, rapporteur: M. Jacques Maire). Texte adopté par l’Assemblée le
26 janvier 2022 (6e séance).
1. Le 20 août 2020, Alexeï Navalny,
responsable politique russe de l’opposition et militant de la lutte
contre la corruption, a subi une détérioration dramatique de son
état de santé à bord de l’avion qui le ramenait de Tomsk à Moscou.
Son avion a effectué un atterrissage d’urgence à Omsk et M. Navalny
a été transporté à l’hôpital local. Deux jours plus tard, un vol
d’évacuation médicale l’a emmené à Berlin, où il est resté en soins intensifs
à l’hôpital de la Charité jusqu’au 23 septembre 2020. Après son
rétablissement, il est retourné en Russie, où il a été placé en
détention pour avoir enfreint les conditions d'une condamnation
avec sursis que la Cour européenne des droits de l'homme avait jugée
contraire à l'article 7 (pas de peine sans loi) de la Convention
européenne des droits de l'homme (STE no 5).
Il est actuellement emprisonné en Russie.
2. L’Assemblée parlementaire relève l’existence de preuves médicales
abondantes et largement diffusées qui démontrent que M. Navalny
a été empoisonné au moyen d’un inhibiteur organophosphoré de la cholinestérase
alors qu’il se trouvait en Russie, avant de subir une détérioration
dramatique de son état de santé le 20 août 2020. Elle rejette toute
hypothèse selon laquelle il aurait été empoisonné après avoir été transporté
à bord du vol d’évacuation médicale d’Omsk à Berlin le 22 août 2020,
tout en notant la position des autorités russes selon laquelle les
symptômes de M. Navalny étaient dus à un métabolisme glucidique perturbé.
3. L’Assemblée constate qu’il a été établi par cinq analyses
différentes que M. Navalny a été empoisonné par une substance structurellement
apparentée à un groupe de produits chimiques répertoriés dans l’Annexe sur
les produits chimiques de la Convention de l’Organisation pour l’interdiction
des armes chimiques sur l’interdiction de la mise au point, de la
fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur
leur destruction (Convention sur l’interdiction des armes chimiques),
bien que la substance en question n’y figure pas elle-même. Les
substances appartenant à ce groupe de produits chimiques, initialement
mises au point en Union des républiques socialistes soviétiques
(URSS), sont généralement désignées sous le nom de «Novitchok».
4. L’Assemblée relève que le Novitchok est un agent neurotoxique
extrêmement puissant dont on sait qu’il a été produit uniquement
dans des laboratoires d’État de l’URSS et, semble-t-il, de la Russie.
Ce produit doit être manipulé avec le plus grand soin par des spécialistes.
L’Assemblée prend également note des rapports d'enquête qui indiquent
la possibilité d'une implication d'agents du Service fédéral de
sécurité de la Fédération de Russie (FSB) dans l'empoisonnement
de M. Navalny. Cette affirmation est renforcée par le fait que les autorités
russes ont admis que M. Navalny était surveillé par le FSB.
5. L'Assemblée rappelle les nombreux arrêts de la Cour européenne
des droits de l'homme qui ont conclu que les mesures répressives
illégales prises antérieurement par les autorités russes avaient
eu un effet dissuasif sur les activités politiques de M. Navalny
et étaient motivées par des considérations politiques, l'un de ces
arrêts constatant une violation de l'article 18 de la Convention
européenne des droits de l'homme.
6. L’Assemblée rappelle que, en vertu de l’article VII de la
Convention sur l’interdiction des armes chimiques, la Russie est
tenue d’ériger en infraction pénale et de sanctionner l’utilisation
d’armes chimiques sur son territoire, et, par conséquent, d’enquêter
sur tout soupçon à cet égard. Elle rappelle également que, en vertu
de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des
droits de l’homme, la Russie a l’obligation d’enquêter sur l’atteinte
à la vie de M. Navalny. Elle considère que la Russie n’a pas encore
mené d’enquête effective sur ces deux points, sans donner d’explication
raisonnable sur ces manquements.
7. L’Assemblée regrette le fait que la Russie n’ait pas coopéré
avec son rapporteur sur l’empoisonnement de M. Navalny et exprime
de graves préoccupations à cet égard. Elle déplore aussi que la
Russie n’ait pas coopéré pleinement sur cette même question avec
le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires et la Rapporteure spéciale sur la promotion
et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression,
ainsi qu’avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques,
au sein de laquelle la Russie a fait valoir qu'il n'y avait pas
de motifs suffisants pour ouvrir une enquête sur la maladie de M. Navalny.
L'Assemblée regrette également que la Russie n'ait pas coopéré avec
son ancien rapporteur chargé du rapport «Faire la lumière sur le
meurtre de Boris Nemtsov» (
Résolution
2297 (2019)).
8. L'Assemblée encourage la Fédération de Russie et l'ensemble
de la communauté internationale à collaborer de manière constructive
dans tous les forums internationaux pertinents où le cas de M. Navalny pourrait
être discuté.
9. En conséquence, l’Assemblée appelle la Fédération de Russie:
9.1 à s’acquitter de ses obligations
au titre de la Convention européenne des droits de l’homme:
9.1.1 en ouvrant une enquête indépendante et effective sur l’empoisonnement
d’Alexeï Navalny, assortie d’une analyse approfondie, objective
et impartiale de tous les éléments pertinents. Les personnes responsables
de l’enquête et celles qui la mènent à bien doivent être indépendantes
du FSB. L’enquête devrait être rapide, permettre un contrôle public
suffisant et être accessible à M. Navalny, dont les droits procéduraux
prévus par le droit russe pour toute forme de processus d’enquête
doivent également être pleinement respectés; idéalement, elle devrait
bénéficier de la coopération internationale;
9.1.2 en libérant immédiatement M. Navalny en vertu de la mesure
provisoire indiquée par la Cour européenne des droits de l'homme
le 16 février 2021;
9.2 à s’acquitter de ses obligations qui découlent de la Convention
sur l’interdiction des armes chimiques, notamment en enquêtant sur
les allégations d’élaboration, de production, de stockage et d’utilisation
d’une arme chimique sur le territoire russe, et en apportant dès
que possible des réponses substantielles aux questions posées par
les autres États parties, et de manière plus générale en coopérant
pleinement avec les mécanismes prévus par la convention;
9.3 à parvenir à un accord sur une visite d’assistance technique
de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, aux conditions
standards qui garantissent l'indépendance de son secrétariat technique;
cette visite devrait avoir lieu dans les meilleurs délais;
9.4 à ne plus recourir à toutes formes de mesures répressives
contre les militants de l'opposition politique et de la société
civile.