Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion par l’Assemblée le 15
mars 2022 (3e et 4e séances)
(voir Doc. 15477, rapport de la commission des questions politiques et
de la démocratie, rapporteure: Mme Ingjerd
Schou). Texte adopté par l’Assemblée le
15 mars 2022 (4e séance).
1. Dans la continuité
de la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre
l’Ukraine depuis le 20 février 2014, à partir du 24 février 2022,
la Fédération de Russie a intensifié ses activités militaires contre l’Ukraine
pour atteindre des niveaux sans précédent, causant des milliers
de victimes civiles, déplaçant des millions de personnes et dévastant
le pays. En lançant cette nouvelle agression militaire, la Fédération
de Russie a fait le choix du recours à la force plutôt que du dialogue
et de la diplomatie pour réaliser ses objectifs de politique étrangère,
en violation des normes juridiques et morales qui régissent la coexistence
pacifique des États. Ce comportement témoigne d’un mépris à l’égard
de l’essence même du Conseil de l’Europe, consacrée dans son Statut
(STE no 1), à savoir la conviction que
la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération
internationale est d’un intérêt vital pour la préservation de la
société humaine et de la civilisation.
2. L’Assemblée parlementaire condamne dans les termes les plus
vigoureux l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine
et exprime sa solidarité avec l’Ukraine et le peuple ukrainien,
réaffirmant son soutien inébranlable à la souveraineté, à l’indépendance
et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement
reconnues. L’Assemblée exprime sa solidarité avec ses membres ukrainiens
en ces heures sombres.
3. L’Assemblée considère que l’offensive armée menée par la Fédération
de Russie contre l’Ukraine enfreint la Charte des Nations Unies,
est un crime contre la paix en vertu du Statut du Tribunal militaire international
(Charte de Nuremberg) et constitue une «agression» selon les termes
de la Résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations
Unies adoptée en 1974. Elle contrevient à l’Acte final d’Helsinki
et à la Charte de Paris pour une nouvelle Europe.
4. C’est également une atteinte grave à l’article 3 du Statut
du Conseil de l’Europe et une violation des obligations et engagements
auxquels la Fédération de Russie a souscrit en devenant membre de l’Organisation,
notamment de l’engagement de régler les conflits internationaux
et internes par des moyens pacifiques, en rejetant résolument toute
menace de recours à la force contre ses voisins, et de dénoncer
le concept consistant à traiter les États voisins comme une zone
d’influence spéciale appelée «l’étranger proche».
5. L’Assemblée déplore que les dirigeants russes persistent dans
l’agression, malgré les nombreux appels à la cessation des hostilités
et au respect du droit international, intensifiant la violence en
Ukraine et proférant des menaces si d’autres États intervenaient.
Par leur attitude et leurs actes, les dirigeants de la Fédération
de Russie font peser une menace flagrante sur la sécurité en Europe,
poursuivant une voie qui comprend aussi l'acte d'agression militaire
contre la République de Moldova et en particulier l'occupation de
sa région de Transnistrie, l'acte d'agression militaire contre la
Géorgie et l'occupation subséquente de deux de ses régions en 2008,
ainsi que l’annexion illégale de la Crimée et le rôle de la Fédération
de Russie dans l’est de l’Ukraine, qui a culminé avec la reconnaissance
illégale des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk
en tant qu’«États indépendants».
6. L’Assemblée est profondément troublée par les preuves des
graves violations des droits humains et du droit international humanitaire
commises par la Fédération de Russie, notamment par les attaques
contre des cibles civiles, par l’utilisation aveugle de l’artillerie,
de missiles et de bombes – y compris de bombes à fragmentation –,
par les attaques contre les couloirs humanitaires censés permettre
aux civils de fuir les villes assiégées, et par la prise d’otages.
Elle observe avec effroi les attaques irresponsables perpétrées
par les forces armées russes contre des installations nucléaires
en Ukraine.
7. L’Assemblée soutient tous les efforts visant à faire en sorte
que les responsables aient à répondre de leurs actes, notamment
la décision du procureur de la Cour pénale internationale d’enquêter
sur la situation en Ukraine et la création d’une commission d’enquête
spéciale par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies,
et elle évaluera les propositions visant à créer un tribunal pénal
international spécial pour les crimes de guerre commis pendant la
guerre en Ukraine déclenchée par l'agression militaire russe. Elle
se félicite aussi d’autres efforts entrepris pour réunir des informations
sur les crimes au regard du droit international qui pourraient être
commis en Ukraine, notamment au moyen de la publication d’images
de satellites commerciaux, de leur analyse et d’autres formes d’activités
de renseignement entreprises par des acteurs privés à partir de
sources ouvertes. De même, elle prend note de la requête déposée
par l’Ukraine devant la Cour internationale de justice, qui introduit
une instance contre la Fédération de Russie au sujet d’un différend
relatif à l’interprétation, à l’application et à l’exécution de
la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression
du crime de génocide.
8. L’Assemblée regrette que la Fédération de Russie ait omis
d’appliquer un grand nombre de décisions de la Cour européenne des
droits de l’homme, dont des mesures provisoires, lui demandant de
s’abstenir de lancer des attaques militaires contre les personnes
civiles et les biens de caractère civil, y compris les habitations,
les véhicules de secours et les autres biens de caractère civil
spécialement protégés tels que les écoles et les hôpitaux, et d’assurer
immédiatement la sécurité des établissements de santé, du personnel médical
et des véhicules de secours sur le territoire attaqué ou assiégé
par les troupes russes.
9. L’Assemblée est vivement préoccupée par la situation des Ukrainiens
qui ont été contraints de fuir leur pays, craignant pour leur vie,
dans ce qui est le plus grand exode de réfugiés en Europe depuis
la seconde guerre mondiale. L’Assemblée rend hommage à la générosité
et à la solidarité dont font preuve les pays voisins, qui continuent
de recevoir des centaines de milliers de réfugiés, des femmes et
des enfants pour la plupart: la Pologne a accueilli jusqu’à présent
1 700 000 réfugiés, la Hongrie 250 000, la République de Moldova
330 000, la Roumanie 415 000 et la République slovaque 200 000.
Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite de la décision prise par
l’Union européenne de mettre en œuvre la directive 2001/55/CE du
Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour
l’octroi d’une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes
déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre
les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces
personnes et supporter les conséquences de cet accueil (ci-après
la «directive de protection temporaire»), tout en appelant à un
soutien supplémentaire en réponse à cette crise humanitaire sans
précédent, y compris au moyen de programmes de réinstallation.
10. L’Assemblée relève que l’agression russe qui se déroule en
Ukraine a été très largement condamnée par la communauté internationale,
en particulier par des États et des organisations internationales.
D’autres acteurs, allant d’instances administratives internationales
du sport à des entreprises privées et à d’éminentes personnalités
du monde de la culture et du sport, ont également adopté une position
très critique.
11. En Fédération de Russie, en revanche, les manifestations contre
la guerre sont réprimées. L’Assemblée condamne les mesures prises
par les autorités russes pour restreindre encore plus la liberté
d’expression et la liberté de réunion, avec la fermeture de pratiquement
tous les organes de presse indépendants restants, l’intensification
de la répression à l’encontre de la société civile, la répression
féroce des manifestations pacifiques et les restrictions considérables
de l’accès aux médias sociaux. Elle déplore le fait que la population russe
soit, par conséquent, privée d’informations provenant de sources
indépendantes et qu’elle soit exposée uniquement aux médias contrôlés
par l’État, qui amplifient une présentation déformée de la guerre.
12. Ces événements tragiques confirment la pertinence et la nécessité
permanente du Conseil de l’Europe en tant qu’organisation intergouvernementale
fondée sur des valeurs et qui œuvre à promouvoir la démocratie,
les droits humains et l’État de droit. Par l’intermédiaire de ses
nombreux organes et institutions, et compte tenu de ses attributions
et de sa mission, le Conseil de l’Europe devrait être en première
ligne pour fournir assistance et expertise afin de soutenir l’Ukraine
et les Ukrainiens.
13. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle la Fédération
de Russie:
13.1 à cesser les hostilités
contre l’Ukraine et à retirer immédiatement, complètement et inconditionnellement
ses forces militaires du territoire de l’Ukraine dans ses frontières internationalement
reconnues;
13.2 à se conformer strictement à ses obligations au regard
des droits humains et du droit international humanitaire;
13.3 à s’abstenir, en toutes circonstances, d’attaques contre
des civils, et à veiller à l’ouverture et au respect de couloirs
humanitaires pour permettre l’évacuation des civils vers des régions
sûres de l’Ukraine ou vers des pays sûrs à l’extérieur de l’Ukraine;
13.4 à se conformer aux mesures provisoires indiquées par la
Cour européenne des droits de l’homme;
13.5 à ne pas faire obstacle à l’acheminement rapide de l’aide
humanitaire destinée à la population ukrainienne ou à l’accès effectif
des organisations humanitaires à l’Ukraine et à l’intérieur de l’Ukraine;
13.6 à coopérer dans le cadre des enquêtes et procédures ouvertes
par la Cour pénale internationale, par la Cour internationale de
justice et par la commission spéciale qui va être constituée par
le Conseil des droits de l’homme;
13.7 à assurer la sûreté et la sécurité des installations nucléaires
ukrainiennes, notamment en s’abstenant d’en faire la cible d’actions
militaires, et à coopérer pleinement avec l’Agence internationale de
l’énergie atomique;
13.8 à libérer et à réintégrer immédiatement tous les maires
et les représentants locaux qui ont été kidnappés, et à libérer
les militants;
13.9 à garantir le respect plein et entier de la liberté d’expression,
d’association et des médias, ainsi que l’accès à internet, conformément
aux obligations juridiques internationales.
14. L’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
14.1 à accroître encore leur aide
à l’Ukraine et à assurer le fonctionnement sécurisé et efficace
des couloirs humanitaires;
14.2 à envisager d’accroître l’assistance qu’ils fournissent
à l'Ukraine pour aider ce pays à renforcer la protection de son
territoire, y compris de son espace aérien, afin de réduire le coût
humain élevé et les conséquences humanitaires tragiques de la guerre
d'agression que mène actuellement la Fédération de Russie;
14.3 à intensifier le soutien aux États membres du Conseil
de l’Europe qui ont accueilli un grand nombre de réfugiés ukrainiens;
14.4 à répondre à l’Appel éclair pour l’Ukraine lancé par les
Nations Unies ainsi que par d’autres organisations, comme le Comité
international de la Croix-Rouge;
14.5 à établir des dispositifs pour faciliter l’accès à leurs
territoires et à accorder un statut de protection aux personnes
qui fuient la guerre en Ukraine, notamment en mettant en œuvre la
directive de protection temporaire de l’Union européenne lorsqu’elle
leur est applicable;
14.6 à éviter les discriminations contre les réfugiés pour
quelque motif que ce soit, en particulier l'ethnicité et l'origine
nationale, tout en prenant en compte les besoins des réfugiés vulnérables
fuyant l’Ukraine, y compris les enfants, les victimes de violences
fondées sur le genre ou de traumatismes, les personnes handicapées
et les personnes âgées;
14.7 à concevoir des stratégies et des mesures pour l’intégration
des réfugiés, dans une perspective de long terme;
14.8 à élaborer et à mettre en œuvre des programmes de réinstallation
à partir de pays voisins pour les personnes qui ont fui la guerre
en Ukraine;
14.9 à envisager de renforcer davantage les ressources de la
Banque de développement du Conseil de l’Europe afin d’améliorer
sa capacité à répondre aux besoins urgents par des subventions ciblées
et d’accroître sa capacité à financer à long terme des investissements
dans des infrastructures sociales dans les pays qui accueillent
un grand nombre de réfugiés ukrainiens;
14.10 à augmenter les contributions volontaires afin que le
Conseil de l’Europe puisse proposer un ensemble de mesures prioritaires
pour l’Ukraine, à mettre en œuvre dès que les conditions le permettront;
14.11 à témoigner de leur confiance sans faille dans l’Organisation
en assurant sa viabilité financière dans le cas où la Fédération
de Russie ne respecterait pas ses engagements financiers envers
le Conseil de l’Europe ou cesserait d’être membre de l’Organisation.
15. S’agissant du rôle du Conseil de l’Europe, l’Assemblée:
15.1 invite la Commissaire aux droits
de l’homme à poursuivre ses efforts pour faire connaître la situation
de ceux qui fuient l’Ukraine et de ceux qui restent dans le pays,
et pour soutenir les initiatives visant à rassembler des preuves
sur les violations des droits humains et du droit international humanitaire
commises en Ukraine, en particulier grâce à des contacts réguliers
avec son réseau de défenseurs des droits humains et avec la société
civile;
15.2 invite la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe à
demander à sa Représentante spéciale sur les migrations et les réfugiés
de donner la priorité, dans ses activités, à la situation des réfugiés
et des personnes déplacées qui fuient la guerre en Ukraine, en s’appuyant
notamment sur le Réseau de correspondants sur les migrations et
dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe sur la protection
des personnes vulnérables dans le contexte des migrations et de
l’asile en Europe (2021-2025);
15.3 encourage la Cour européenne des droits de l'homme à envisager
d'accorder la priorité aux requêtes introduites par des citoyens
ukrainiens contre la Fédération de Russie pour des actes commis dans
les zones temporairement occupées de l'Ukraine, en tenant compte
du fait que ces personnes n'ont aucun accès à des voies de recours
effectives contre de tels actes au niveau national.
16. Dans l’éventualité où la Fédération de Russie cesserait d’être
membre de l’Organisation, le Conseil de l’Europe devrait envisager
des initiatives qui lui permettent de continuer à soutenir les défenseurs
des droits humains, les forces démocratiques, les médias libres
et la société civile indépendante en Fédération de Russie, et à
collaborer avec ceux-ci.
17. Au vu de l’impact plus vaste de l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine sur la coopération et la sécurité en
Europe, l’Assemblée invite le Comité des Ministres à engager une
réflexion approfondie sur les moyens de consolider le rôle indispensable
du Conseil de l’Europe dans l’architecture institutionnelle européenne
en tant que gardien de la démocratie, des droits humains et de l’État
de droit, et en tant que forum de coopération et de dialogue entre
États pacifiques, indépendants et démocratiques. Dans ce contexte, l’Assemblée
réaffirme son soutien en faveur de l’organisation d’un quatrième
sommet des chefs d’État et de gouvernement des États membres du
Conseil de l’Europe, qui tracerait la voie à suivre pour l’Organisation, afin
de mieux la doter pour promouvoir la sécurité démocratique et relever
les défis à venir.
18. S’agissant de ses propres activités, l’Assemblée:
18.1 devrait continuer à suivre de
près les conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre
l’Ukraine;
18.2 au vu de la participation du Bélarus à l’agression perpétrée
par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, recommande à son Bureau
de suspendre les relations entre l’Assemblée et les autorités du Bélarus
dans toutes ses activités.
19. S’agissant de la demande d’avis adressée par le Comité des
Ministres en application de la Résolution statutaire (51) 30, l’Assemblée
est convaincue que la gravité des actes commis par la Fédération
de Russie et la profonde rupture de confiance qui en découle justifient
pleinement d’appliquer d’autres dispositions de l’article 8 du Statut
du Conseil de l’Europe. Compte tenu de ce qui précède et du fait
que la Fédération de Russie a commis de graves violations du Statut
du Conseil de l’Europe, incompatibles avec la qualité d’État membre
du Conseil de l’Europe, n’honore pas ses engagements envers le Conseil
de l’Europe et ne respecte pas ses obligations, l’Assemblée considère
que la Fédération de Russie ne peut donc plus être un État membre
de l’Organisation.
20. En conséquence, l’Assemblée est d’avis que le Comité des Ministres
doit demander à la Fédération de Russie de se retirer immédiatement
du Conseil de l’Europe. Si la Fédération de Russie ne se conforme
pas à cette demande, l’Assemblée suggère que le Comité des Ministres
fixe une date aussi rapprochée que possible à partir de laquelle
la Fédération de Russie cesserait d’être membre du Conseil de l’Europe.