L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 28 avril 2022 (15e séance)
(voir Doc. 15510, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme, rapporteur: M. Aleksander Pociej). Texte adopté par l’Assemblée le
28 avril 2022 (15e séance).Voir
également la Recommandation
2231 (2022).
1. L'Assemblée parlementaire est horrifiée
par la guerre d'agression que la Fédération de Russie livre en ce
moment contre l'Ukraine. Cette guerre est menée avec une brutalité
sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale. L'utilisation
d'armes lourdes dans des zones densément peuplées a causé des milliers
de victimes civiles, la destruction presque complète de la ville
de Marioupol et de graves dommages aux infrastructures civiles telles
que les hôpitaux, les établissements scolaires, les crèches, l'approvisionnement
en eau et en électricité et les immeubles d'habitation à Kharkiv
et dans de nombreuses autres villes d'Ukraine.
2. L’Assemblée est effarée par les rapports faisant état d'atrocités
qui auraient été commises sur des civils par les troupes russes
dans les villes et villages temporairement placés sous leur contrôle,
en particulier à Boutcha et dans d'autres villes des environs de
Kiev.
3. L’Assemblée est consternée par les nombreux rapports faisant
état de l’utilisation du viol et de la torture comme armes de guerre,
deux pratiques reconnues comme des crimes de guerre par le droit
pénal international.
4. L'octroi par le Président de la Fédération de Russie, le 18 avril
2022, d'un titre honorifique à la 64e brigade
d'infanterie motorisée, qui était déployée à Boutcha au moment des
atrocités signalées, adresse un message désastreux aux familles
des victimes et encourage cyniquement les troupes russes à continuer de
commettre en toute impunité des actes similaires qui peuvent être
assimilés à des crimes de guerre et à des crimes contre l'humanité.
5. L'Assemblée attire l'attention sur l'idéologie du «Russkiy
mir» (c'est-à-dire du «monde russe») qui s’est implantée en Fédération
de Russie et qui est devenue une idéologie d’État, dont le Kremlin
a fait un outil pour promouvoir la guerre. Cette idéologie est utilisée
pour détruire les vestiges de la démocratie civile, pour élever de
nouvelles générations militarisées en Fédération de Russie et pour
justifier son agression externe.
6. L'Assemblée invite donc instamment la communauté internationale
à adresser clairement le message contraire, à savoir que les auteurs
de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, et éventuellement
de génocide, devront rendre compte de leurs actes. Il doit en être
de même pour les auteurs du crime d'agression, c'est-à-dire les
dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie qui
sont responsables du déclenchement de la guerre actuelle.
7. L'Assemblée note qu'il existe déjà des instruments juridiques
pertinents pour engager des poursuites pour crimes de guerre et
crimes contre l'humanité, et éventuellement pour génocide, à savoir:
7.1 la Cour pénale internationale
(CPI), dont l'Ukraine a reconnu en 2014 la compétence pour enquêter
sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sur son
territoire;
7.2 les systèmes de justice pénale de l'Ukraine et de tout
autre État qui a reconnu la compétence universelle de ses juridictions
pour de tels crimes.
8. Des responsables politiques, des universitaires et des avocats
spécialistes des droits de l'homme de premier plan ont proposé la
création, par un groupe d'États désireux de prendre l'initiative,
d'un tribunal pénal international ad hoc chargé d'engager des poursuites
pour crime d'agression. Ce dernier ne peut actuellement être pris
en charge par la CPI sans une résolution du Conseil de sécurité
des Nations Unies, à laquelle la Fédération de Russie mettrait sans
doute son veto.
9. Outre la responsabilité pénale à titre individuel des auteurs
de crimes visés par le droit international, la Cour européenne des
droits de l'homme et la Cour internationale de justice (CIJ) peuvent
engager la responsabilité de la Fédération de Russie pour les violations
des droits de l'homme commises par les troupes russes et, dans le
cas de la CIJ, pour les autres violations du droit international
pour lesquelles la CIJ est compétente.
10. L’Assemblée rappelle l’obligation juridique de prévenir et
de punir le génocide en vertu de la Convention des Nations Unies
de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide,
à laquelle les 46 États membres du Conseil de l’Europe sont Parties
contractantes. Selon l’interprétation de la CIJ, cette obligation
et le devoir d’agir correspondant prennent naissance au moment où
l’on apprend, ou l’on aurait normalement dû apprendre, l’existence
d’un risque qu’un génocide puisse être commis.
11. L'Assemblée appelle donc tous les États membres et observateurs
du Conseil de l'Europe:
11.1 à aider
le Procureur de la CPI dans sa mission d'enquête et de poursuites
à l'encontre des auteurs présumés de crimes de guerre, de crimes
contre l'humanité et, éventuellement, de génocide, en lui apportant
un soutien politique et des ressources humaines et financières adéquates,
et en mettant à sa disposition tout élément de preuve en leur possession,
y compris des renseignements de source ouverte, des informations
et des données, des images satellites et des interceptions de communications;
11.2 à faire usage de leur compétence universelle, dans l’étendue
prévue par leur législation, pour enquêter sur les crimes visés
par le droit international et en poursuivre les auteurs;
11.3 à rejoindre ou soutenir d'une autre manière l'équipe commune
d'enquête (ECE) déjà mise en place par l'Ukraine, la Pologne et
la Lituanie avec le concours d'Eurojust, dans le but de coordonner leurs
enquêtes et de mettre en commun leurs conclusions grâce à une coopération
directe entre les autorités compétentes des États participants;
11.4 à coordonner étroitement leurs enquêtes avec celles du
Procureur de la CPI, les États participant à l'ECE pouvant associer
le Procureur de la CPI à l'ECE;
11.5 à coopérer pleinement avec le Procureur de la CPI, les
membres de l'ECE et tout autre État qui fait usage de sa compétence
universelle, notamment en leur remettant toute personne présente
sur leur territoire contre laquelle des mandats d'arrêt sont émis;
11.6 à mettre en place de toute urgence un tribunal pénal international
ad hoc, qui devrait:
11.6.1 recevoir mandat d'enquêter et
d'engager des poursuites pour le crime d'agression qui aurait été
commis par les dirigeants politiques et militaires de la Fédération
de Russie;
11.6.2 appliquer la définition du crime d'agression établie par
le droit international coutumier, qui a également inspiré la définition
du crime d'agression donnée à l'article 8 bis du
Statut de Rome de la CPI;
11.6.3 avoir le pouvoir d'émettre des mandats d'arrêt internationaux
sans être restreint par l'immunité de l'État ou des chefs d'État
et de gouvernement et autres représentants de l'État;
11.6.4 être institué notamment par un groupe d'États qui partagent
les mêmes idées, sous la forme d'un traité multilatéral appuyé par
l'Assemblée générale des Nations Unies, avec le soutien du Conseil
de l'Europe, de l'Union européenne et d'autres organisations internationales;
11.6.5 avoir son siège à Strasbourg (France), compte tenu des
synergies qui pourraient exister avec la Cour européenne des droits
de l'homme, qui traite de nombreuses requêtes individuelles et interétatiques
connexes;
11.7 à signer et à ratifier le Statut de Rome de la CPI et
les amendements de Kampala qui lui ont ajouté l'article 8 bis relatif au crime d'agression;
11.8 à se prévaloir de la possibilité offerte par l'article
33 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5,
«la Convention») de saisir la Cour européenne des droits de l'homme, individuellement
ou par le biais d’une action conjointe, pour toute allégation de
violation de la Convention et de ses protocoles par la Fédération
de Russie jusqu'au 16 septembre 2022, date à laquelle la Fédération
de Russie cessera d'être partie à la Convention;
11.9 à utiliser les avoirs des citoyens russes visés par des
sanctions pour leur responsabilité dans la guerre d’agression lancée
contre l’Ukraine par la Fédération de Russie, dès que leur confiscation
sera définitive, pour indemniser l’Ukraine et ses citoyens pour
tout dommage causé par la guerre d’agression lancée par la Fédération
de Russie.
12. L'Assemblée invite en outre:
12.1 la Cour européenne des droits de l'homme à envisager de
donner la priorité aux affaires nées de l'agression russe contre
l'Ukraine et à faire usage de la possibilité de procéder à une enquête
en vertu de l'article 38 de la Convention européenne des droits
de l’homme;
12.2 la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe
à suivre de près la situation des droits de l'homme en Ukraine et
à relever et à dénoncer rapidement, dans ses rapports ou déclarations ciblés,
tout schéma de violations graves des droits de l'homme ou du droit
international humanitaire qu'elle décèlerait;
12.3 la CPI et son Procureur:
12.3.1 à donner la priorité
aux enquêtes et aux poursuites relatives aux crimes de guerre et
aux crimes contre l’humanité commis pendant la guerre d’agression
menée en ce moment par la Fédération de Russie contre l’Ukraine;
12.3.2 à conclure rapidement les enquêtes dans les cas les plus
flagrants et à délivrer des actes d’accusation et des mandats d’arrêt
contre les auteurs présumés;
12.3.3 à coopérer étroitement avec les autorités nationales chargées
des poursuites qui exercent leur compétence universelle en vertu
du principe de complémentarité et à participer à la coordination
des enquêtes pertinentes par le biais de l’ECE mise en place par
plusieurs États avec le concours d’Eurojust;
12.4 la Commission d’enquête internationale indépendante créée
par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à enquêter
sur toutes les violations des droits de l’homme qui auraient été
commises dans le cadre de l’agression russe contre l'Ukraine, et
à coopérer et à coordonner étroitement ses activités avec le Procureur
de la CPI et les autorités nationales chargées des poursuites qui
enquêtent sur les crimes visés par le droit international qui relèvent
de leur compétence universelle;
12.5 l'Assemblée générale des Nations Unies:
12.5.1 à
soutenir la création d'un tribunal pénal international ad hoc pour
engager des poursuites contre le crime d'agression dont les dirigeants
politiques et les commandants militaires de la Fédération de Russie
se seraient rendus coupables à l'encontre de l'Ukraine, et à encourager
les États membres des Nations Unies à intensifier leurs efforts
pour apporter leur soutien sans réserve à la création d’un tel tribunal;
12.5.2 à demander à la Cour internationale de justice de rendre
un avis consultatif sur les éventuelles restrictions qui pourraient
être imposées au droit de veto des membres permanents du Conseil
de sécurité des Nations Unies, sur le fondement des principes généraux
du droit relatifs à l'interdiction de l'abus de droit et à l'obligation
faite aux États membres des organisations internationales d'exercer
leurs droits de membre de bonne foi.
13. L'Assemblée appelle enfin la Fédération de Russie:
13.1 à cesser les hostilités contre
l’Ukraine et à retirer immédiatement, complètement et inconditionnellement
ses forces militaires du territoire de l’Ukraine dans ses frontières internationalement
reconnues, et à se conformer strictement à ses obligations au regard
des droits humains et du droit international humanitaire;
13.2 à veiller à ce que les auteurs de crimes commis par ses
forces et toutes les entités dont elle est responsable répondent
de leurs actes conformément aux obligations qui lui incombent en
vertu du droit international humanitaire et des droits de l'homme,
notamment les Conventions de Genève, le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, et la Convention européenne des
droits de l'homme qui lie encore la Fédération de Russie jusqu'au
16 septembre 2022, compte tenu également du caractère contraignant
des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris
ceux dont l’exécution est déjà en cours de surveillance et ceux
qui doivent encore être rendus.