Le rétablissement des droits de l’homme et de l’État de droit reste indispensable dans la région du Caucase du Nord
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 21 juin 2022 (20e séance)
(voir Doc. 15544, rapport de la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme, rapporteur: M. Frank Schwabe). Texte adopté par l’Assemblée le
21 juin 2022 (20e séance).
1. L’Assemblée parlementaire constate
avec regret que la situation ne s’est pas améliorée dans la région du
Caucase du Nord, notamment en République tchétchène, au Daghestan
et en Ingouchie, en ce qui concerne la protection des droits de
l’homme et le respect de l’État de droit depuis la Résolution 1738
(2010) «Recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme
dans la région du Caucase du Nord» et la Résolution 2157 (2017)
«Les droits de l’homme dans le Caucase du Nord: quelles suites donner
à la Résolution 1738 (2010)?». En particulier, le climat d’impunité
dont jouissent, sous le régime autoritaire, les agents des autorités
régionales et fédérales pour de graves violations des droits de
l’homme et la peur généralisée persistent. Les administrations des
républiques du Caucase du Nord ont toutes mis en place, avec l’accord
tacite des autorités fédérales, des systèmes de persécution et de
punition collective pour éliminer toute opposition au niveau régional
et, le cas échéant, au niveau national. Aucune des recommandations
de l’Assemblée figurant dans les résolutions précitées n’a véritablement
été suivie d’actions de la part des autorités russes.
2. Les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les
personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, intersexes
(LGBTI), les femmes qui refusent de se plier aux exigences découlant
des valeurs «traditionnelles» et toute personne qui s’oppose à un
régime autoritaire risquent la persécution, la torture, voire la
mort, pour avoir exprimé leurs idées ou simplement vécu comme ils
l’entendaient. Ni eux ni leurs proches ne sont en sécurité dans
le Caucase du Nord, et nulle part en Fédération de Russie ni même
à l’étranger.
3. La Fédération de Russie n’étant plus membre du Conseil de
l’Europe, les modestes progrès obtenus par la société civile se
perdent. La mise en cessation d’activité d’organisations non gouvernementales
de défense des droits de l’homme, comme Memorial, et la fermeture
forcée de médias indépendants, comme Novaya
Gazeta, vident les dernières poches de résistance démocratique
aux dirigeants autoritaires, dans le Caucase du Nord comme dans
toute la Fédération de Russie.
4. Les méthodes de répression initialement pratiquées en République
tchétchène (exécutions sommaires, enlèvements et disparitions forcées,
torture, répression brutale des libertés d’expression et de réunion
et procès truqués) se sont répandues dans toute la Fédération de
Russie et, sous leur forme la plus brutale, dans les zones temporairement
occupées d’Ukraine. Le rôle joué par le dirigeant de la République
tchétchène, Ramzan Kadyrov, et par les combattants tchétchènes dans
le siège de Marioupol est symptomatique de la montée en brutalité
du traitement réservé aux opposants, qui a commencé lors des deux
guerres en Tchétchénie.
5. Le fléau des personnes disparues et des disparitions continues
est depuis longtemps monnaie courante et continue de ravager la
région. Les autorités russes nient une partie de ces affaires, refusent
de communiquer des informations aux organes compétents et persistent
à recourir à des méthodes inefficaces pour rechercher les personnes
disparues, malgré les centaines d’arrêts de la Cour européenne des
droits de l’homme (la Cour) et les recommandations de l’Assemblée
et du Comité des Ministres qui les invitent à s’inspirer des bonnes
pratiques d’autres pays.
6. De nombreuses affaires de violations des droits de l’homme
relevées dans les précédents rapports de l’Assemblée n’ont pas été
instruites jusqu’au bout, pas plus que les autorités n’ont mené
d’enquêtes effectives ni mis à disposition d’autres voies de recours.
Elles n’ont pas élucidé les affaires de mort violente et de disparition
de personnalités mentionnées dans la Résolution 1738 (2010) et,
dans le Caucase du Nord, la justice pénale s’avère uniquement efficace
lorsqu’elle sert d’instrument de persécution au moyen d’accusations
forgées de toutes pièces, mais pas pour veiller à ce que les auteurs
de violations des droits de l’homme aient à rendre compte de leurs
actes.
7. Les enlèvements, tortures, mauvais traitements, disparitions
forcées, exécutions sommaires et autres violations graves des droits
de l’homme continuent d’être signalés, de manière crédible, dans
l’ensemble des républiques du Caucase du Nord. Les arrêts de la
Cour européenne des droits de l’homme (la Cour) en citent des centaines.
Les forces de l’ordre et de sécurité luttent toujours par des méthodes
exclusivement répressives contre l’extrémisme et la radicalisation,
ce qui s’est révélé contre-productif: les attentats terroristes
continuent et les mouvements extrémistes se développent.
8. La situation des femmes et des filles, des personnes LGBTI
et d’autres groupes vulnérables s’est encore détériorée. Les sociétés
du Caucase du Nord sont toujours fermées et patriarcales. Les autorités
locales et fédérales tolèrent une dure répression, sous le prétexte
des «prétendues valeurs traditionnelles». Cela se traduit fréquemment
par des pratiques discriminatoires brutales, parfois meurtrières,
à l’encontre des femmes et des filles qui tentent d’échapper à un
mari, un père ou des frères violents, et surtout à l’encontre des personnes
LGBTI, dont le dirigeant de la République tchétchène a publiquement
nié jusqu’à l’existence.
9. La Fédération de Russie n’a fait aucun progrès tangible dans
l’exécution des arrêts de la Cour concernant le Caucase du Nord,
et les autorités n’ont pas coopéré correctement avec le Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT) et les autres organes de suivi du Conseil de
l’Europe.
10. Même après l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil
de l’Europe, l’Assemblée ne saurait ignorer la situation lamentable
des droits de l’homme dans le Caucase du Nord. Elle doit continuer
à rappeler aux autorités fédérales et locales russes leurs obligations
internationales permanentes de respect des droits fondamentaux de
toutes les personnes placées sous leur autorité.
11. L’Assemblée appelle par conséquent la Fédération de Russie:
11.1 à donner effet à toutes les
résolutions antérieures de l’Assemblée relatives à la situation
des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord, en particulier:
11.1.1 à la Résolution 1738 (2010) «Recours juridiques en cas
de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du
Nord»;
11.1.2 à la Résolution 2157 (2017) «Les droits de l’homme dans
le Caucase du Nord: quelles suites donner à la Résolution 1738 (2010)?»;
11.1.3 à la Résolution 2230 (2018) «Persécution des personnes
LGBTI en République tchétchène (Fédération de Russie)»;
11.1.4 à la Résolution 2417 (2022) «Lutte contre la recrudescence
de la haine à l’encontre des personnes LGBTI en Europe»;
11.1.5 à la Résolution 2425 (2022) «En finir avec les disparitions
forcées sur le territoire du Conseil de l’Europe»;
11.2 à exécuter tous les arrêts et décisions de la Cour européenne
des droits de l'homme, et à coopérer avec le Comité des Ministres
pour identifier les mesures individuelles et générales qu’appelle l’exécution
des arrêts existants et de ceux que la Cour prononcera encore après
l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe;
11.3 à coopérer avec le CPT tant que la Fédération de Russie
reste partie à la Convention européenne pour la prévention de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE
no 126);
11.4 à cesser de persécuter les défenseurs des droits de l’homme,
les avocats, les journalistes, les médias indépendants, les organisations
non gouvernementales, les personnes LGBTI et tous ceux qui s’opposent
aux autorités et expriment ouvertement leurs idées;
11.5 à faire respecter les droits des femmes et des filles,
et à protéger celles-ci contre la violence domestique et toute autre
forme de violence, sans égard pour des traditions prétendument culturelles;
11.6 à mettre en œuvre les recommandations émises par les organes
des Nations Unies relatifs aux conventions auxquelles la Fédération
de Russie est toujours partie.
12. L’Assemblée invite, en outre, tous les États membres et observateurs
du Conseil de l’Europe à examiner avec soin les demandes d’asile
émanant de résidents de la région du Caucase du Nord, notamment
les membres des groupes particulièrement vulnérables comme les militants
de la défense des droits de l’homme, les journalistes, les personnes
LGBTI et les femmes fuyant les violences domestiques. Les autorités compétentes
devraient aussi tenir compte du fait que les personnes persécutées
du Caucase du Nord ne sont pas en sécurité dans les autres régions
de la Fédération de Russie et peuvent avoir besoin de protection jusque
dans les pays qui leur accordent l’asile.
13. L'Assemblée encourage les États membres du Conseil de l'Europe
à imposer des sanctions personnelles strictes, notamment un gel
des avoirs, contre Ramzan Kadyrov et son entourage pour les infractions
qu'ils ont commises dans la région du Caucase du Nord et les crimes
de guerre perpétrés pendant la guerre d'agression contre l'Ukraine.
14. L’Assemblée appelle Interpol à une vigilance particulière
dans la vérification des demandes de notices rouges visant les personnes
originaires de la région du Caucase du Nord de la Fédération de
Russie, en particulier celles qui appartiennent aux groupes vulnérables
mentionnés ci-dessus.
15. L’Assemblée encourage la Cour européenne des droits de l'homme
à continuer de traiter en temps voulu les requêtes introduites par
les victimes de violations graves des droits de l’homme qui auraient
été commises par la Fédération de Russie jusqu’au 16 septembre 2022,
en particulier celles concernant la région du Caucase du Nord, même
si le Gouvernement russe, contrairement à ses obligations internationales,
ne coopère pas. Cela créerait au moins des dossiers de ces violations
faisant autorité, ce qui faciliterait leur réévaluation et la réhabilitation
des victimes dans une future Fédération de Russie démocratique.
16. L’Assemblée entend pour sa part agir aux côtés de la société
civile du Caucase du Nord pour promouvoir les valeurs du Conseil
de l’Europe, notamment la démocratie, les droits de l’homme et l’État
de droit.