Justice et sécurité pour les femmes dans les processus de paix et de réconciliation
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- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 22 juin 2022 (22e séance)
(voir Doc. 15525, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination,
rapporteure: Mme Yevheniia Kravchuk; et Doc. 15538, avis de la commission des questions politiques et de
la démocratie, rapporteure: Mme Boriana Åberg). Texte adopté par l’Assemblée le
22 juin 2022 (22e séance).
1. Le rôle primordial que jouent les
femmes dans la construction et la préservation de sociétés pacifiques et
démocratiques n’a jamais été aussi évident que maintenant, au lendemain
d’une série de crises qui affectent la stabilité mondiale et amplifient
les forces et les faiblesses de nos sociétés.
2. La pandémie de covid-19 a montré que la majorité des personnes
qui assument les principales responsabilités des soins au sein de
la cellule familiale et de la société civile sont des femmes, que
les femmes ont la capacité de résister, de s’adapter et d’innover,
de guérir et de communiquer, et qu’elles doivent aussi être reconnues
comme dirigeantes. Les femmes chefs d’État ou de gouvernement, par
exemple, figurent parmi les personnes qui ont le mieux géré les
mesures nationales de santé publique pendant la pandémie, grâce
à des approches collaboratives et consultatives.
3. Le mouvement #MeToo a ouvert la voie à une dénonciation de
l’hégémonie des attitudes patriarcales. Ces attitudes compliquent
la reconnaissance de la capacité de leadership des femmes partout
où les vieilles inégalités ont profondément ancré les privilèges
et permis l’usage abusif du pouvoir, et où l’acceptation de cet état
de fait, par la force de l’habitude et la crainte de représailles,
a poussé toutes les femmes à se taire, à l’exception d’un petit
nombre d’entre elles qui ont osé parler.
4. Le retour des talibans en Afghanistan a montré à quel point
les progrès accomplis en faveur des droits des femmes sont fragiles
et a révélé au grand jour la vulnérabilité des femmes et des filles
sous les régimes fondamentalistes. La guerre actuelle en Ukraine
montre une fois de plus que, si les femmes et les filles figurent parmi
les premières victimes des conflits, notamment en tant que victimes
de violences sexuelles liées au conflit – agissements qui figurent
parmi les actes de guerre les plus cruels et systématiques –, les
femmes sont aussi sur le devant de la scène politique, militaire
et humanitaire. Il est donc irréaliste, voire surréaliste, de ne voir
aucune femme siéger à la table des négociations durant les pourparlers
de paix. Cet état de choses ne recèle rien de nouveau, comme on
l’a constaté en observant les négociations de paix dans les pays
de l’ex-Yougoslavie. Les chiffres des Nations Unies montrent qu’entre
1992 et 2019 les femmes représentaient en moyenne 13% des négociateurs,
6% des médiateurs et 6% des signataires dans les grands processus
de paix à travers le monde. Environ 7 processus de paix sur 10 n’incluaient
aucune femme médiatrice ou signataire. Il faut que cela change pour
que ces processus aient des effets positifs durables.
5. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée parlementaire considère
qu’il est temps de placer la question de la justice et de la sécurité
pour les femmes au premier rang des priorités d’action à l’échelle
mondiale, et de donner aux femmes les moyens d’agir à tous les stades
des procédures de résolution des conflits et de rétablissement de
la paix, conformément à la Résolution 1325 (2000) du Conseil de
sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité.
Les députées ukrainiennes ont montré pendant le conflit en cours
qu’elles étaient capables d’attirer l’attention de la communauté
internationale sur le drame qui se déroule en Ukraine et d’agir
inlassablement pour mettre fin à la guerre, tout en réfléchissant
à la façon dont les lois et les politiques peuvent contribuer à
la paix et à la réconciliation après le conflit.
6. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2351 (2020) «La dimension
de genre dans la politique étrangère» et sa Résolution 1385 (2004)
«Prévention et règlement des conflits: le rôle des femmes». Dans
ce dernier texte, elle réitérait ce qui suit à propos des femmes:
«[…] alors qu’elles sont les principales victimes civiles des conflits,
elles n’ont souvent aucun moyen de les prévenir, sont exclues des
négociations visant à régler les conflits et sont cantonnées à un
rôle marginal dans le processus de reconstruction et de réconciliation postérieur
aux conflits». L’Assemblée attire l’attention sur la Stratégie du
Conseil de l’Europe pour l’égalité entre les femmes et les hommes
(2018-2023), dont deux des principaux objectifs sont de garantir
aux femmes l’égalité d’accès à la justice et d’assurer une participation
équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique
et publique. Elle rappelle en outre la Recommandation CM/Rec(2010)10
du Comité des Ministres aux États membres sur le rôle des femmes
et des hommes dans la prévention et la résolution des conflits et
la consolidation de la paix, et appelle à l’élaboration d’une nouvelle
recommandation axée sur le rôle des femmes.
7. S’agissant du rôle des femmes dans les politiques et activités
en matière de paix et de sécurité, l’Assemblée appelle les États
membres du Conseil de l’Europe et les parlements nationaux:
7.1 à mobiliser tous les moyens
dont ils disposent, y compris en instaurant une politique étrangère féministe,
pour mettre en œuvre les quatre piliers du Programme sur les femmes,
la paix et la sécurité (programme FPS) des Nations Unies, à savoir
la participation, la protection, la prévention et les activités de
secours et de rétablissement. À cette fin, les États membres devraient
promouvoir et mettre en œuvre les dispositions de la Convention
des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes ;
7.2 à redoubler d’efforts pour appliquer la Résolution 1325
du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui fournit un cadre pour
la mise en œuvre du programme FPS en reconnaissant les effets disproportionnés
et singuliers des conflits armés sur les femmes et les filles, en
demandant l’adoption d’une perspective de genre de façon à tenir
compte des besoins particuliers des femmes et des filles lors des
conflits, du rapatriement et de la réinstallation, de la réhabilitation,
de la réintégration, de la justice transitionnelle, de l’élaboration
des politiques et de la reconstruction après les conflits, et en appelant
les États à faire participer les femmes à toutes les étapes menant
au rétablissement de la paix et à la gouvernance étatique en général;
7.3 à assurer l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et
la révision des plans d’action nationaux découlant de la Résolution
1325, en les calquant sur ceux qui ont déjà donné des résultats
positifs et qui garantissent la participation des autorités nationales
et des organisations de la société civile à leur élaboration, mise
en œuvre et suivi (le Comité de surveillance du Plan d’action national
aux Pays-Bas en est une bonne illustration). En particulier, l’intégration
d’une perspective de genre dans les mécanismes de mise en œuvre
dans tous les domaines doit être un objectif prioritaire.
8. Les femmes font partie des forces militaires de chaque pays.
En Ukraine, par exemple, elles représentent 17% des effectifs de
l’armée. À ce titre, elles participent pleinement à la défense du
pays. S’agissant du rôle des femmes dans les forces armées, rappelant
sa Résolution 2120 (2016) «Les femmes dans les forces armées: promouvoir
l’égalité, mettre fin aux violences fondées sur le genre», l’Assemblée demande
instamment aux États membres:
8.1 de reconnaître
que les femmes, loin d’être seulement des victimes de la guerre,
sont en première ligne de la défense nationale et de l’action humanitaire.
À ce titre, il faut leur accorder l’égalité des droits en prévoyant
des moyens sexospécifiques pour faire respecter ces droits;
8.2 de prendre des mesures pour promouvoir le recrutement
des femmes dans les forces armées et de veiller à ce que les femmes
dans les forces armées aient les mêmes possibilités et les mêmes incitations
que leurs homologues masculins pour participer à la planification
stratégique et à la prise de décision aux plus hauts niveaux;
8.3 de mettre en place une formation militaire qui comporte
des volets axés sur la sensibilisation aux questions et aux spécificités
de genre, notamment en ce qui concerne le contact physique durant
le combat, les conditions d’hébergement des militaires et le soutien
médico-psychologique;
8.4 de s’assurer que les femmes sont protégées contre la violence
dans les forces armées, par des mesures de prévention, de sensibilisation
et de sanction des auteurs de violence;
8.5 de prendre en compte les besoins des femmes lors des opérations
de désarmement, de démobilisation et de réinsertion après un conflit;
8.6 d’intégrer l’enseignement de la dimension de genre à tous
les stades de la formation militaire et de veiller à ce que l’enseignement
dans les écoles militaires soit dispensé aussi bien par des femmes que
par des hommes.
9. La justice transitionnelle est une condition préalable à la
reconstruction de sociétés pacifiques, car elle peut aider les victimes
à obtenir justice et à tourner la page. Aussi l’Assemblée se félicite-t-elle
de la décision du procureur de la Cour pénale internationale d’enquêter
sur les crimes commis par la Fédération de Russie dans sa guerre
d’agression menée contre l’Ukraine et de la création d’une commission
d’enquête spéciale par le Conseil des droits de l’homme des Nations
Unies, après l’appel à l’action collectif et sans précédent adressé par
les États membres de la Cour.
10. S’agissant des investigations et des poursuites pour les crimes
perpétrés durant un conflit armé, l’Assemblée appelle les États
membres:
10.1 à ratifier le Statut
de Rome de la Cour pénale internationale s’ils ne l’ont pas déjà
fait, pour permettre d’engager des poursuites internationales pour
crimes contre l’humanité, crimes de guerre et agression;
10.2 à habiliter les témoins, les survivant·e·s et les communautés
touchées à prendre part activement aux enquêtes; nul ne peut rester
témoin passif des efforts déployés pour établir la vérité et poursuivre les
auteurs présumés de crimes internationaux;
10.3 à faciliter la collecte des témoignages selon le genre
des personnes victimes de violences sexuelles durant le conflit,
en prenant soin d’éviter un nouveau traumatisme en fournissant un
soutien spécialisé et en garantissant la confidentialité. Les États
doivent veiller à ce qu’un soutien médical et psychologique approprié
soit fourni aux témoins en amont et lors du recueil de leur témoignage;
10.4 à soutenir l’indépendance et l’action des médiateurs en
Europe, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de femmes, et à maintenir
leur capacité à enquêter sur les atteintes aux droits humains;
10.5 à mettre en place des formations à la médiation destinées
aux femmes afin de favoriser leur participation aux missions de
maintien de la paix, aux processus de résolution des conflits et
aux opérations de soutien de la paix.
11. Les organisations de femmes de la société civile sont au cœur
des dispositifs nationaux et internationaux d’accompagnement des
femmes qui subissent les conséquences des conflits – les femmes migrantes,
réfugiées, demandeuses d’asile et déplacées internes, les victimes
de violence fondée sur le genre – et de soutien aux femmes ayant
survécu aux violences dues à la guerre dans leur propre pays, par
exemple en ex-Yougoslavie. L’Assemblée appelle par conséquent les
États membres:
11.1 à allouer directement
des fonds aux organisations de femmes de la société civile prônant
la paix et la réconciliation, et à celles traitant les graves conséquences
physiques et psychologiques des conflits qui affectent durablement
les femmes;
11.2 à promouvoir un dialogue ouvert et la participation des
minorités aux processus décisionnels et politiques, y compris les
négociations de paix et les processus de justice transitionnelle,
et à appuyer le renforcement des capacités.
12. Soulignant qu’une éducation de qualité, en ce qui concerne
notamment la citoyenneté, la transformation des conflits et les
droits humains, est essentielle pour le développement de sociétés
pacifiques, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de
l’Europe à intégrer l’éducation à la citoyenneté démocratique et
à la paix dans les programmes scolaires officiels dès le plus jeune
âge.
13. Enfin, l’Assemblée appelle tous les États membres à ratifier,
s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Convention sur la prévention et
la lutte contre la violence faite aux femmes et la violence domestique
(STCE no 210 «Convention d’Istanbul»),
qui prévoit la protection et la prévention de la violence à l’égard
des femmes, qui interdit le viol et qui concerne toutes les femmes,
y compris les migrantes, les réfugiées et les demandeuses d’asile,
en temps de paix comme en temps de conflit.