Nouvelle escalade dans l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 13 octobre 2022 (32e séance)
(voir Doc. 15631, rapport de la commission des questions politiques et
de la démocratie, rapporteur: M. Emanuelis Zingeris). Texte adopté par l’Assemblée le
13 octobre 2022 (32e séance).
1. Huit mois se sont écoulés depuis
que la Fédération de Russie a lancé une invasion à grande échelle
de l’Ukraine. Cette agression brutale et inhumaine provoque des
souffrances, des destructions et des déplacements de très grande
ampleur, atteignant un degré jamais observé en Europe depuis la
seconde guerre mondiale. Cette agression doit être condamnée sans
équivoque comme constituant un crime en soi, une violation du droit
international et une menace majeure pour la paix et la sécurité
internationales.
2. Au cours des dernières semaines, la Fédération de Russie a
pris des mesures politiques, militaires et rhétoriques qui témoignent
d’une nouvelle escalade de l’agression. Entachés de manœuvres d’intimidation flagrantes
des électeurs et organisés sur les lignes de front d’un conflit
armé en cours, les prétendus référendums qui se sont tenus dans
les régions ukrainiennes de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporijia
entre le 23 et le 27 septembre 2022, soutenus et votés illégalement
par la Douma russe, sont une mascarade qui porte atteinte au droit
international et contrevient à toutes les normes de fond et de procédure
applicables à la conduite de référendums. Ils doivent être considérés
comme nuls et non avenus, et dénués d’effets juridiques ou politiques.
3. De la même manière, la tentative d’annexion de ces régions
par la Fédération de Russie constitue un affront au droit international.
L’Assemblée parlementaire condamne fermement cette tentative manifeste
de rattachement par la force et la contrainte de territoires appartenant
à un autre État souverain, et réaffirme son soutien résolu à la
souveraineté, à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de
l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues. L'Assemblée
rappelle que la Douma avait voté en faveur de l'invasion et de l'annexion
de la Crimée, et note avec une grande inquiétude qu'elle a également
validé ces tentatives d'annexion illégales plus récentes. Cela prouve
une fois de plus que la Douma ne peut pas être traitée comme un
partenaire égal parmi les parlements libres et légitimement élus
des pays démocratiques, et que les partis politiques russes qui
ont par le passé voté en faveur de décisions illégales portant atteinte
à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine et
d'autres pays doivent être traités et considérés comme des groupes
et des entités qui soutiennent l’agression extérieure et partagent
donc toutes les responsabilités des conséquences de cette agression.
4. Tout en poursuivant l’occupation illégale et la militarisation
de la centrale nucléaire de Zaporijia, les dirigeants de la Fédération
de Russie ont multiplié les menaces de guerre nucléaire. En plus
d’être odieuses et inconsidérées, ces menaces sont contraires au
droit international et incompatibles avec les responsabilités qui
incombent à une puissance nucléaire disposant d’un siège permanent
au Conseil de sécurité des Nations Unies. À cet égard, l’Assemblée
parlementaire devrait examiner la question du siège de la Fédération
de Russie au Conseil de sécurité des Nations Unies.
5. La situation humanitaire en Ukraine reste désastreuse. Près
de 5 800 civils seraient morts selon les estimations et un tiers
des Ukrainiens ont été contraints de quitter leur foyer depuis le
24 février 2022. Les prisonniers de guerre détenus par les forces
armées de la Fédération de Russie ou par des groupes armés affiliés
subissent des tortures et des mauvais traitements, et, dans certains
cas, sont jugés et condamnés à mort, ce qui contrevient clairement
au droit international humanitaire. L’Assemblée appelle la Fédération
de Russie à autoriser les missions humanitaires des Nations Unies,
du Comité international de la Croix-Rouge, du Conseil de l'Europe
ou de toute autre organisation internationale, ou d’un État membre,
destinées à faciliter l’échange de prisonniers de guerre et la libération
de prisonniers politiques. L’Assemblée est indignée par la découverte
de fosses communes dans des villes, grandes et petites, libérées
par les forces ukrainiennes et condamne fermement tous les crimes
de guerre. L’Assemblée salue l’échange de prisonniers à Istanbul
à l’initiative de la Türkiye.
6. Le recours continu à de l’artillerie à longue portée par l’armée
russe pour frapper des villes, petites et grandes, dans toute l’Ukraine
a provoqué des destructions massives et un grand nombre de morts.
Le 10 octobre 2022, une série de tirs barbares de missiles a été
lancée sur plusieurs villes ukrainiennes, frappant des parcs publics,
des aires de jeux et des bâtiments résidentiels. Par ces attaques
aveugles, la Russie entend faire progresser sa politique terroriste
visant à supprimer la volonté des Ukrainiens de résister et de défendre leur
pays, et à causer un maximum de dommages aux civils. Le rôle du
régime illégitime de Loukachenko dans l'aide à l'agression de la
Fédération de Russie contre l'Ukraine ne doit pas être oublié. L'annonce
récente du déploiement de troupes du Bélarus aux côtés des troupes
russes est très préoccupante et doit être largement condamnée.
7. Pendant ce temps, un climat de répression croissante s’installe
en Fédération de Russie. Les autorités ont engagé une campagne à
grande échelle de répression des libertés civiles reposant sur des
actions d’intimidation et de persécution ouverte dans le but de
faire régner la terreur dans la population à des fins politiques.
Des personnalités démocrates sont réprimées ou tuées, le système
des partis d'opposition a été détruit, le système judiciaire n'est
pas indépendant et de nombreux médias et organisations de la société
civile, comme Memorial International, ont été fermés. Malgré les
nombreuses mesures draconiennes adoptées ces dernières années, des
manifestations et des mouvements de protestation contre la guerre
ont éclaté dans tout le pays. Parmi les personnalités publiques
les plus éminentes persécutées pour avoir formulé des critiques contre
la guerre figure Vladimir Kara-Mourza, qui est détenu depuis avril 2022.
Le 10 octobre 2022, l’Assemblée a eu l’honneur de décerner à M. Kara-Mourza
le prix Václav-Havel 2022, lui témoignant ainsi son soutien pour
son courage et sa détermination à créer une Russie pacifique et
démocratique. L’Assemblée appelle les autorités russes à libérer
immédiatement Vladimir Kara-Mourza. L’Assemblée appelle aussi à reconsidérer
le cas d’autres prisonniers politiques opposés au Président Poutine
qui se trouvent en Fédération de Russie et dans d’autres pays, et
à les libérer (parmi eux figure Mikheïl Saakachvili, ressortissant
ukrainien et ancien Président de la Géorgie).
8. L’annonce faite le 21 septembre 2022 par le Président Poutine
d’une mobilisation partielle constitue un nouveau signe d’escalade,
qui a engendré des tensions dans le pays. Des manifestations devant
les centres de recrutement ont parfois donné lieu à des violences,
et des centaines de milliers d’hommes russes ont tenté de fuir le
pays pour échapper à un éventuel appel sous les drapeaux. L’Assemblée
est vivement préoccupée par les tentatives apparemment délibérées
des autorités russes d’axer de manière disproportionnée leur campagne
de mobilisation sur les groupes ethniques minoritaires, notamment
la population du Daghestan et les Tatars de Crimée, qui sont mobilisés
dans les territoires ukrainiens temporairement occupés par la Russie. Il
est également inacceptable que des détenus de toute la Russie soient
envoyés pour combattre en Ukraine.
9. Le déclenchement d’une guerre d’agression par un membre permanent
du Conseil de sécurité des Nations Unies représente un défi pour
la gouvernance mondiale. L’Assemblée regrette profondément que,
le 30 septembre 2022, le Conseil de sécurité des Nations Unies n’ait
pas été en mesure d’adopter une résolution condamnant les récents
référendums en raison du veto posé par la Fédération de Russie,
alors qu’aucune autre voix n’avait été exprimée contre le texte.
Dans ce contexte, l’Assemblée relève que l’idée d’une réforme du
Conseil de sécurité des Nations Unies bénéficie d’un soutien croissant
et se déclare favorable à un renforcement du rôle de l’Assemblée
générale des Nations Unies, notamment en ce qui concerne les questions relatives
au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
10. À cet égard, l'Assemblée se félicite vivement de l'adoption
le 12 octobre 2022 par l'Assemblée générale des Nations Unies, à
une majorité des trois quarts, de la résolution intitulée «Intégrité
territoriale de l'Ukraine: défense des principes consacrés par la
Charte des Nations Unies», qui rappelle l'obligation faite aux États,
en vertu de l'article 2 de la Charte des Nations Unies, de s'abstenir
de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité
territoriale de tout État, qui condamne l'organisation par la Fédération
de Russie de prétendus référendums illégaux et qui déclare que les
tentatives ultérieures d'annexion illégale de ces régions n'ont
aucune validité en droit international.
11. L’Assemblée exprime de nouveau son plein soutien à l’Ukraine
et souligne qu’il est important que les membres de la communauté
internationale travaillent ensemble pour le rétablissement du pays
et un avenir à long terme pacifique et prospère. Dans le même temps,
l’Assemblée appelle à la mise en place d’un système complet pour
que la Fédération de Russie et ses dirigeants soient tenus de rendre
des comptes de cette agression et des atteintes aux droits humains
internationaux et au droit humanitaire international commises dans
ce contexte.
12. Le blocus de la mer Noire a pris fin après la conclusion de
l’Initiative céréalière de la mer Noire, négociée sous l’égide de
la Türkiye et des Nations Unies. Cet accord est une contribution
au règlement de la crise mondiale concernant les céréales et les
denrées alimentaires, et son maintien est important pour la pérennité de
la sécurité alimentaire mondiale. C’est pourquoi l’Assemblée invite
les États membres à continuer d’apporter leur soutien politique
à la mise en œuvre efficace et à la prolongation de ce processus.
13. Compte tenu de ce qui précède, tout en renouvelant ses résolutions
et recommandations pertinentes adoptées depuis le début de l’agression
à grande échelle, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de
l’Europe:
13.1 à réaffirmer leur
soutien indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité
territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement
reconnues, et à rappeler que des pourparlers de paix peuvent avoir
lieu uniquement aux conditions fixées par l’Ukraine;
13.2 à condamner sans équivoque les prétendus référendums tenus
dans les régions ukrainiennes de Lougansk, Donetsk, Zaporijia et
Kherson entre le 23 et le 27 septembre 2022, et à ne leur reconnaître aucun
effet;
13.3 à condamner la tentative d’annexion des régions de Lougansk,
Donetsk, Zaporijia et Kherson par la Fédération de Russie comme
une violation du droit international et une menace majeure pour
la paix et la sécurité internationales, et à ne leur reconnaître
aucun effet;
13.4 à être fermes et unis pour exercer une pression maximale
sur la Fédération de Russie afin qu’elle cesse son agression immédiatement;
13.5 à soutenir financièrement la reconstruction de l’Ukraine
et à fournir les systèmes de défense aérienne nécessaires;
13.6 à mettre en place un système complet de responsabilité
pour les violations graves du droit international résultant de l’agression
de la Fédération de Russie contre l’Ukraine en coopérant activement
avec les autorités ukrainiennes sur cette question et, dans ce contexte:
13.6.1 à accélérer la création d’un tribunal international spécial
(ad hoc) afin d’engager des poursuites pour le crime d’agression
contre l’Ukraine;
13.6.2 à créer un système pour examiner les mesures qui permettraient
de garantir la responsabilité des violations et des atteintes aux
droits humains et au droit international humanitaire commises par
la Russie;
13.6.3 à établir un mécanisme international complet d’indemnisation
comprenant un registre international des dommages et à coopérer
activement avec les autorités ukrainiennes sur cette question;
13.6.4 à considérer les partis politiques russes qui ont par
le passé voté en faveur de décisions illégales, portant atteinte
à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine et
d'autres pays, comme des groupes et des entités qui soutiennent
l’agression extérieure et partagent donc toutes les responsabilités
des conséquences de l’agression;
13.7 à déclarer terroriste le régime actuel de la Fédération
de Russie.
14. Étant donné la gravité sans précédent de l’agression menée
par la Fédération de Russie en tant que menace pour la paix et la
sécurité internationales, l’ordre international fondé sur des règles,
le droit international et les valeurs les plus fondamentales sur
lesquelles est bâti le Conseil de l’Europe, l’Assemblée appelle
les chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil
de l’Europe à se réunir dans le cadre du quatrième sommet de l’histoire
de l’Organisation et à inscrire en priorité à l’ordre du jour du
sommet la question de la responsabilité de la Fédération de Russie,
ainsi que celle du soutien à l’Ukraine.
15. En outre, tout en réaffirmant ses précédentes recommandations
adressées à la Fédération de Russie depuis le lancement de son agression
contre l’Ukraine, l’Assemblée appelle la Fédération de Russie:
15.1 à cesser son agression de l’Ukraine
immédiatement et sans condition;
15.2 à retirer complètement et sans condition ses forces d’occupation,
y compris ses troupes et ses groupes affiliés, du territoire ukrainien
dans ses frontières internationalement reconnues;
15.3 à retirer ses troupes du territoire de la Géorgie et de
la République de Moldova;
15.4 à respecter strictement les obligations qui lui incombent
en vertu du droit international, du droit international des droits
humains et du droit international humanitaire, notamment en ce qui
concerne le traitement des prisonniers de guerre;
15.5 à mettre fin immédiatement aux attaques contre les civils,
notamment aux attaques aveugles contre les zones peuplées, aux assassinats
et aux enlèvements ciblés, à la torture ainsi qu’aux viols et aux
violences sexuelles, et à mener des enquêtes sur toutes les allégations
de tels crimes;
15.6 à se retirer totalement de toutes les installations nucléaires
ukrainiennes, à cesser d’en faire la cible de toute activité militaire
et à coopérer pleinement avec l’Agence internationale de l’énergie atomique
pour garantir la sûreté et la sécurité de ces installations;
15.7 à cesser de menacer de faire usage d’armes nucléaires
et à s’engager à ne pas y recourir;
15.8 à cesser d'utiliser l'énergie comme instrument de chantage;
15.9 à cesser de soutenir les attaques de piratage contre les
pays démocratiques et leurs institutions;
15.10 à cesser d'interférer dans les processus électoraux et
à s'abstenir de financer les activités antieuropéennes des partis
et mouvements extrémistes prorusses dans les pays démocratiques;
15.11 à coopérer aux enquêtes et aux procédures mises en place
par la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice,
et à se conformer aux décisions de ces dernières;
15.12 à coopérer avec les organes conventionnels des Nations
Unies, en leur soumettant des rapports et des informations lorsqu’ils
le demandent, en autorisant les visites dans le pays et en se conformant
à leurs recommandations;
15.13 à coopérer avec la Commission d’enquête internationale
indépendante sur l’Ukraine et le Rapporteur spécial sur la situation
des droits de l’homme dans la Fédération de Russie, qui ont été institués par
le Conseil des droits de l’homme, et à se conformer à leurs recommandations;
15.14 à se conformer aux recommandations formulées dans le cadre
du Mécanisme de Moscou de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE) et établies dans les rapports de l’OSCE
sur les violations du droit international humanitaire et du droit
des droits humains, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité
commis en Ukraine (1er avril-25 juin
2022) et sur les pratiques juridiques et administratives de la Russie
à la lumière de ses engagements contractés dans le cadre de la dimension
humaine de l’OSCE;
15.15 à coopérer aux procédures engagées devant la Cour européenne
des droits de l’homme et à exécuter les arrêts en suspens et ceux
que la Cour rendra concernant les actes commis avant le 16 septembre
2022;
15.16 à adopter sans tarder des mesures générales effectives
pour traiter les problèmes structurels et systémiques recensés par
la Cour européenne des droits de l’homme et par le Comité des Ministres
en matière de liberté de réunion, de liberté d’expression et de
droit à la liberté dans la Fédération de Russie, notamment en abrogeant
ou en modifiant les lois qui n’ont fait qu’exacerber ces problèmes,
y compris les lois sur les «agents étrangers», sur les «organisations
indésirables», sur l’«extrémisme» et sur les «fausses informations
sur l’armée russe»;
15.17 à coopérer avec le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) aussi longtemps que la Fédération de Russie reste partie à
la Convention européenne pour la prévention de la torture et des
peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126),
et à autoriser le suivi de l’état de santé et des conditions de
détention des prisonniers politiques signalés en attendant leur
libération ou le réexamen de leur cas.
16. L'Assemblée demande à l'OSCE de continuer à évaluer, par le
biais du Mécanisme de Moscou ou d'autres outils appropriés, les
violations du droit international humanitaire et du droit international
des droits humains, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité
commis en Ukraine; la situation des droits humains dans la Fédération
de Russie; et l'agression de la Fédération de Russie contre la Géorgie
et la République de Moldova.
17. Compte tenu de la gravité de la situation internationale,
l'Assemblée appelle les organisations internationales à envisager
des mesures appropriées pour éviter que le régime russe n’utilise
leur personnel de nationalité russe comme un vecteur pour soutenir
l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, pour diffuser
de fausses informations et des récits russes à son sujet, et pour
influencer les décisions politiques de ces organisations.
18. En ce qui concerne ses propres travaux, l’Assemblée devrait
continuer à suivre l’évolution de la situation en ce qui concerne
l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.