B Exposé des motifs
par M. Paul Galles, rapporteur
1 Introduction
1. Le nombre de Bélarussiens contraints
de fuir leur pays en raison de la répression déclenchée dans le contexte
de l’élection présidentielle truquée du 9 août 2020 reste incertain.
Les chiffres varient entre 300 000 et 500 000, ce qui constitue
sans aucun doute le plus grand mouvement migratoire de l’histoire
du Bélarus depuis la seconde guerre mondiale. Si la plupart de ces
personnes partagent un souhait commun – revenir le plus rapidement
possible dans un Bélarus démocratique – elles ne se décrivent pas
forcément de la même manière. Cependant, qu’il s’agisse de personnes
migrantes, de membres de la diaspora ou de réfugiés, ces Bélarussiens
vivant aujourd’hui à l’étranger sont confrontés à des défis communs
qui découlent précisément des raisons qui les ont poussés à quitter
leur pays. C’est la raison pour laquelle j’utilise la notion de
«l’exil» dans mon rapport, car les Bélarussiens qui ont quitté leur
pays l’ont fait contre leur gré, et parce qu’en restant au Bélarus,
leur vie, leur sécurité et leur sûreté auraient été gravement menacées
Note.
2. Tous les Bélarussiens en exil ne sont pas nécessairement des
défenseurs des droits humains. La situation de ces derniers a déjà
été bien documentée, notamment par la Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe dans un récent commentaire, dans
lequel elle propose un certain nombre de mesures pour aller de l’avant
Note. Cependant, la situation d’autres
catégories de personnes, telles que les journalistes et les employés
des médias, les opposants politiques, les avocats, les écrivains
et les artistes, les parents de prisonniers politiques, les étudiants
et les universitaires, les entrepreneurs et les athlètes, qui sont
également confrontés à des difficultés les empêchant de mener une
vie normale, est moins connue et reconnue.
3. La première chose que les Bélarussiens en exil doivent faire
est d’expliquer clairement que le fait d’être Bélarussien ne fait
pas d’eux des représentants ou des partisans du régime de Loukachenka.
La perception est un facteur clé contribuant à la violation des
droits des Bélarussiens en exil. L’application d’un traitement générique
aux Bélarussiens illustre l’absence de compréhension individuelle
– et donc d’évaluation – de leur situation, ce qui expose l’ensemble
du groupe à des risques de discrimination et à d’autres violations
des droits humains en raison de leur simple nationalité et de leurs
affiliations politiques présumées.
4. Les récents développements au Bélarus – notamment l’implication
du régime dans la guerre contre l’Ukraine, mais aussi la signature
le 6 février 2023 par Aliaksandr Loukachenka du décret n° 25, créant
une commission spéciale chargée de travailler avec les émigrants
«politiques» qui souhaitent retourner dans leur pays d’origine –
indiquent clairement que ceux qui ont trouvé la sécurité à l’étranger
ne seront probablement pas en mesure de rentrer chez eux dans un
avenir proche
Note.
5. Le sort des Bélarussiens en exil et la grave crise humanitaire
au Bélarus ont été quelque peu éclipsés par les terribles conséquences
de l’agression russe contre l’Ukraine et mon rapport vise à mettre
en lumière les défis auxquels ils et elles sont confrontés, les
besoins spécifiques rencontrés dans les pays d’accueil et, plus
important encore, à proposer des moyens d’y remédier, notamment
grâce aux bonnes pratiques déjà existantes. Je crois que notre Assemblée
est la mieux placée pour proposer des solutions concrètes aux États membres
du Conseil de l’Europe afin de garantir que les demandeurs et demandeuses
d’asile puissent rester légalement dans le pays d’asile/d’exil et
soient accueillis dans des conditions dignes et respectueuses de
leurs droits fondamentaux tels que garantis par la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5), en attendant
l’instauration d’un régime démocratique au Bélarus.
6. Au cours de la préparation de ce rapport, j’ai été impressionné
par le courage, la détermination, la créativité et la résilience
des Bélarussiens en exil que j’ai rencontrés, à commencer par la
dirigeante des forces démocratiques, Sviatlana Tsikhanouskaya. Je
ne doute pas que l’aspiration du peuple bélarussien à la démocratie,
aux droits humains et à l’État de droit, dont il est privé depuis
trop longtemps, se réalisera tôt ou tard. Je considère qu’il est
de notre devoir, en tant que concitoyennes et citoyens européens
de les aider sur cette voie, et j’espère que mon rapport y contribuera.
7. Pour préparer mon rapport, la Commission des migrations, des
réfugiés et des personnes déplacées a procédé à plusieurs échanges
de vues et m’a autorisé à effectuer une mission d’information à
Varsovie et Vilnius (27 – 30 mars 2023). Je suis très reconnaissant
à tous mes interlocuteurs et interlocutrices au sein des autorités
lituaniennes et polonaises ainsi que les Bélarussiens en exil, qui
ont partagé avec précision et passion leurs inquiétudes et leurs
espoirs avec moi. Mon ambition pour ce rapport n’est pas de simplement refléter
leur point de vue mais aussi d’apporter des solutions concrètes
pour aider ces personnes à reconstruire leur vie en Europe alors
que le régime, qui a détruit toutes les institutions civiles et
politiques, est toujours en place. Je n’ai pas inclus d’informations
qui pourraient les mettre en danger ou mettre en danger leurs proches.
8. Sviatlana Tsikhanouskaya, que j’ai rencontrée à Vilnius, a
souligné l’importance de ce rapport car les défis auxquels sont
confrontés les Bélarussiens en exil est un sujet négligé. L’aborder
pourrait aider à clarifier le fait que le peuple bélarussien ne
doit pas être confondu avec le régime de Minsk. Elle s’inquiète
du fait que depuis l’agression russe contre l’Ukraine, les Bélarussiens
en exil sont confrontés à des risques accrus de discrimination,
voire à des menaces pour leur sécurité, car ils/elles sont assimilés
au régime, allié de la Fédération de Russie. Elle espère que le
rapport contribuera à atténuer les obstacles auxquels ses compatriotes
doivent faire face en éclairant les États membres du Conseil de
l’Europe sur les moyens de remédier aux lacunes existantes dans
la législation et la pratique en matière d’accueil des personnes
qui n’ont pas choisi de quitter leur pays mais ont été contraintes
de le faire par un régime violent, dangereux et imprévisible.
2 Contexte général
9. Les estimations varient selon
les sources concernant le nombre de Bélarussiens vivant à l’étranger
Note. Alors
que Belsat donne le chiffre de 177 000 Bélarussiens ayant quitté
le pays entre 1995 et 2016, d’autres sources estiment ce chiffre
entre 1,5 million et 3,5 millions pour une population totale de
9 349 645 personnes au 1er janvier 2021
Note.
10. La plupart de celles et ceux qui ont quitté leur pays dans
le contexte des élections présidentielles de 2020 ont choisi de
rester dans les pays voisins, la Lituanie et la Pologne. Bien qu’il
soit difficile de connaître avec certitude leur nombre, en raison
de la grande fluidité des arrivées et de l’absence de données claires
sur les migrations, on estime qu’il y a environ 49 000 Bélarussiens
en Lituanie à l’heure actuelle, et plus de 100 000 en Pologne
Note.
11. Comme les Bélarussiens n’ont pas besoin de visa pour entrer
en Géorgie, ce pays a fini par devenir le refuge d’un nombre très
important de celles et ceux qui ont fui les répressions de l’État
en 2020 puis l’agression russe contre l’Ukraine en 2022. Ainsi,
en mars 2022, ce sont 19 898 Bélarussiens qui sont entrés en Géorgie depuis
l’Ukraine, dont 14 030 y sont toujours actuellement. En mars 2022,
si l’on compare avec mars 2019, le taux d’entrée des citoyens bélarussiens
en Géorgie a augmenté de 555 %
Note.
12. De nombreux Bélarussiens en exil ont dû quitter leur premier
pays de destination pour des questions de visa, de sécurité personnelle
ou à cause du déclenchement de la guerre en Ukraine. En d’autres
termes, ces personnes ont connu un double ou triple déplacement.
Selon une récente analyse quantitative et qualitative réalisée par
Vałdzis Fuhaš, l’un des fondateurs de l’organisation de défense
des droits humains «Human Constanta», auditionné par la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 24 janvier
2023, le nombre moyen de déplacements par pays et par groupe était
de 2,1.
13. Le refus pour Aliaksandr Loukachenka d’admettre sa défaite
aux élections présidentielles du 9 août 2020 a marqué le début de
profonds changements au sein de la société bélarussienne et du pays
lui-même. Son soutien et sa participation à la guerre en Ukraine
n’ont fait qu’exacerber le fait que le régime de Minsk n’est pas
en place pour servir le peuple bélarussien, mais pour conserver
sa propre position et ses privilèges. Dans le même temps, il met
en péril l’indépendance et la souveraineté du Bélarus. Depuis lors,
la gagnante la plus probable des élections, Sviatlana Tsikhanouskaya,
qui a été forcée de quitter le Bélarus, a assumé son rôle de leader
des forces démocratiques avec tout l’engagement et la compétence
appropriés pour une telle fonction. Plus de deux ans après les élections,
en exil en Lituanie, elle a fait de son Bureau et du Cabinet transitoire
uni un gouvernement de facto en
exil et, avec les moyens limités dont elle dispose, elle remplit
les fonctions que le régime de Loukachenka ne remplit pas, dans
l’intérêt de ses compatriotes qui vivent à l’étranger. En pratique,
les technologies modernes l’aident à construire un État parallèle
en attendant l’instauration d’un régime démocratique au Bélarus.
Le 6 mars 2023, un tribunal de Minsk a condamné Mme Tsikhanouskaya
par contumace à 15 ans d’emprisonnement.
14. L’expulsion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe
à la suite de l’agression de l’Ukraine a conduit le Comité des Ministres
à suspendre également toutes les relations avec le Bélarus le 17
mars 2022
Note. Cette décision a ouvert la porte
à des discussions sur la coopération avec les forces démocratiques.
Sviatlana Tsikhanouskaya a ensuite été invitée à prendre la parole
lors d’un panel de haut niveau organisé par l’Assemblée le 21 juin
2022, puis quelques semaines plus tard devant le Comité des Ministres,
le 7 juillet 2022. A cette occasion, elle a encouragé le Comité
des Ministres à sortir des sentiers battus en établissant un canal de
communication formel entre l’Organisation et les forces démocratiques
du Bélarus dans le but «d’amener plus de Bélarus en Europe et plus
d’Europe au Bélarus»
Note. Le Comité des Ministres a ainsi
créé un Groupe de contact sur la coopération entre le Conseil de
l’Europe et les forces démocratiques et la société civile du Bélarus,
dont l’objectif est d’apporter le soutien et l’expertise de l’Organisation
pour renforcer la société démocratique du Bélarus conformément aux
valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Les travaux du Groupe
de contact ont déjà abouti au lancement, le 1er février
2023, d’un plan d’action en 15 points pour soutenir la société civile
et les représentants de la démocratie qui œuvrent en faveur d’un
futur Bélarus libre et démocratique
Note.
15. Depuis octobre 2020, l’Union européenne a progressivement
imposé des mesures restrictives à l’encontre du Bélarus. Ces mesures
ont été adoptées en réponse aux élections présidentielles frauduleuses d’août
2020. Au total, 195 personnes et 34 entités ont été désignées dans
le cadre du régime de sanctions contre la Bélarus, y compris des
personnalités clés de la direction politique et du gouvernement,
des membres de haut niveau du système judiciaire et plusieurs acteurs
économiques de premier plan
Note. L’Union européenne a également
imposé des mesures restrictives au Bélarus à la suite de son implication
dans l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie le 24 février
2022. Non seulement des personnalités bélarussiennes ont été frappées par
le gel de leurs avoirs et l’interdiction de voyager, mais les flux
financiers, commerciaux et technologiques avec le Bélarus ont également
été restreints
Note. Le 27 février 2023, le Conseil
de l’Union européenne a décidé de prolonger d’un an l’application
des sanctions imposées jusqu’alors en raison de la «gravité persistante
de la situation intérieure dans le pays et de l’implication continue
du Bélarus dans l’agression russe contre l’Ukraine»
Note. En outre, depuis le 28 juin 2021,
le Bélarus a suspendu sa participation au Partenariat oriental.
16. Le 24 novembre 2022, le Parlement européen a adopté une résolution
sur «la répression continue de l’opposition démocratique et de la
société civile en Biélorussie», qui souligne notamment la nécessité
de «continuer d’aider l’opposition démocratique, la société civile
et les défenseurs des droits de l’homme, les représentants syndicaux
et les médias indépendants en Biélorussie et à l’étranger». Il a
également invité la Commission et les États membres «à élaborer
des règles et des procédures pour traiter les cas où des défenseurs
des droits de l'homme et d'autres militants de la société civile
sont privés de leur citoyenneté en Biélorussie, ainsi qu'à apporter
un soutien aux Biélorusses résidant dans l'Union européenne dont
les documents d'identité sont sur le point d'expirer et qui n'ont
aucun moyen de les renouveler, étant donné qu'ils ne peuvent retourner
en Biélorussie»
Note.
17. Pendant de nombreuses années, le seul mécanisme de protection
internationale offert aux Bélarussiens se résumait aux communications
envoyées au Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Cette
voie n’est plus possible depuis que le Bélarus s’est retiré de cette
procédure en novembre 2022
Note. Toutefois, les Bélarussiens qui
se trouvent sous la juridiction de l’un des 46 États membres du
Conseil de l’Europe sont protégés par l’article 1 de la Convention
européenne des droits de l’homme.
18. Dans son dernier rapport à l’Assemblée générale des Nations
Unies, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur le Bélarus,
Anaïs Marin, s’est concentrée sur «la situation des droits de l’homme
des ressortissants Bélarussiens contraints de quitter leur pays
et incapables de rentrer chez eux en toute sécurité en raison de
violations des droits de l’homme [...]»
Note. Elle a fourni une analyse approfondie
des personnes et des groupes ciblés qui ont été contraints de quitter
leur patrie par le régime en place, et j’invite les personnes intéressées
à lire son rapport détaillé. J’ai également eu le plaisir de la
rencontrer au cours de ma mission et je lui suis très reconnaissant
pour les informations supplémentaires qu’elle m’a fournies.
3 La
situation des Bélarussiens en exil
19. La nature de la diaspora bélarussienne
est diverse. Alors que jusqu’en 2020, il existait des organisations de
la diaspora de diverses orientations, certaines promouvant un programme
démocratique et d’autres étant fidèles au régime de Minsk, la grande
majorité de celles et ceux ayant fui dans le contexte des élections
de 2020 sont orientés vers la démocratie et nombre d’entre eux –
sans avoir nécessairement été engagés dans des mouvements de la
société civile au Bélarus – sont devenus de fait des militants.
20. Le poète en exil Dmitri Strotsev a rendu visite au secrétariat
de l’Assemblée, à l’occasion d’un voyage à Strasbourg pour présenter
la traduction française de son dernier recueil de poèmes
Note. Auparavant, il avait lancé
un appel sur sa page Facebook pour recueillir des témoignages de
ses compatriotes en exil. En quelques heures seulement, il a reçu
plus de 50 messages relatant des expériences individuelles, qui
illustrent les questions qui seront développées ci-dessous.
21. Sa propre expérience illustre certaines des situations auxquelles
sont confrontés les Bélarussiens exilés, et qui peuvent se révéler
kafkaïennes. Dmitri Strotsev vit actuellement en Allemagne. Il n’a
pas pu y prolonger son visa ni en obtenir un nouveau, car l’Allemagne
a exigé qu’il retourne dans le premier pays où le visa avait été
délivré, à savoir la Suède. Or, pour obtenir un visa suédois, il
aurait dû quitter l’Union européenne. Finalement, M. Strotsev a
obtenu un visa en Lituanie grâce à l’organisation Freedom House, qui s’est portée garante
pour lui. Une telle garantie fournie par une organisation non-gouvernementale
est possible en Lituanie où le ministère des Affaires étrangères
a spécifiquement délégué la tâche de se porter garant à cette organisation
et où le bureau de Sviatlana Tsikhanouskaya est basé; mais cela
n’est pas le cas dans d’autres États membres du Conseil de l’Europe.
Cet exemple individuel reflète bien ce que j’ai entendu lors de
mes échanges avec les Bélarussiens en exil, que ce soit lors des
échanges de vues avec la commission ou au cours de ma mission d’enquête.
22. D’autres formes de discrimination peuvent se manifester sous
forme d’insultes et de menaces, de refus de services, de difficultés
d’accès aux soins de santé, d’obtention d’un logement convenable,
de contrats de travail ou d’ouverture d’un compte bancaire. Selon
une analyse quantitative récente, 39 % des Bélarussiens exilés en
Géorgie, 31 % en Pologne et 16 % en Lituanie ont affirmé avoir subi
diverses formes de discrimination dans leur pays de destination,
en particulier depuis l’agression russe contre l’Ukraine. De tels cas
ont également été enregistrés dans d’autres États membres du Conseil
de l’Europe
Note.
23. Cette diaspora est confrontée à toute une série de défis,
tant sur le plan juridique que pratique, qui découlent de la législation,
des procédures administratives ou des pratiques en vigueur dans
les pays d’accueil. Ces problèmes peuvent commencer dès la naissance,
comme dans le cas des enfants nés de parents soumis à un régime
de visa temporaire: parce qu’ils ne peuvent pas obtenir de documents bélarussiens,
ils sont en fait des mineurs sans papiers et risquent l’apatridie.
D’autres difficultés sont liées à des étapes importantes de la vie
telles que la naissance, le mariage ou le divorce, mais elles peuvent
aussi être très banales, comme le changement d’un permis de conduire
bélarussien dont la date d’expiration est dépassée.
24. Les femmes bélarussiennes en exil peuvent être confrontées
à davantage de formes de discrimination et d’obstacles à l’intégration
que leurs compatriotes de sexe masculin à l’étranger. Il s’agit
principalement de difficultés à trouver un emploi, à légaliser leur
statut, à apprendre la langue locale ou à accéder aux services de
santé. Parfois, leur dépendance financière à l’égard de leur mari
accentue encore ces obstacles
Note.
25. Les Bélarussiens sont déterminés à s’aider eux-mêmes en premier
lieu. Au moment où je rédige ce rapport, les bases sont jetées en
vue de construire un État numérique pour le Bélarus, dispositif
grâce auquel les médecins, les avocats, le personnel enseignant,
etc. qui ont été licenciés par le régime pourraient être embauchés
pour fournir des services en ligne. Cela permettrait également d’améliorer
l’accès aux médias indépendants au Bélarus, de même que de développer
des outils permettant aux petites entreprises d’accroître leurs
services. Ces initiatives permettront de créer des emplois à distance
pour des personnes à l’intérieur et à l’extérieur du Bélarus.
26. Un amendement à la loi sur la «citoyenneté de la République
du Bélarus» du 10 janvier 2023 signé par Aliaksandr Loukachenka,
qui entrera en vigueur le 10 juin 2023, introduit la possibilité
de révoquer la citoyenneté d’une personne résidant à l’étranger
et condamnée par un jugement définitif d’un tribunal bélarussien
pour des activités «extrémistes» ou d’autres actes menaçant la sécurité
de l’État. Loukachenka décidera personnellement de la privation
de liberté. Lorsque cette législation sera appliquée, de nombreux Bélarussiens
en exil risqueront de devenir apatrides. Ce sera un problème particulier
pour celles et ceux vivant dans des pays, notamment comme la Pologne,
qui n’ont pas ratifié la Convention de 1954 sur le statut des apatrides
ou la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie
Note. Le HCR, dans ses observations de décembre
2022, a principalement recommandé que, d’une part, la privation
de la nationalité ne conduise pas à l’apatridie et que, d’autre
part, les principes de droit international et de droits humains
s’imposent à tous les États même ceux (comme le Bélarus) qui ne
sont pas parties aux conventions des Nations Unies sur l’apatridie
Note. Il convient toutefois de noter que
le Bélarus s’est engagé à adhérer aux deux conventions de l’ONU
sur l’apatridie lors du segment de haut niveau sur l’apatridie en
2019
Note.
27. Le 21 mai 2021, International Partnership for Human Rights
(IPHR), Norwegian Helsinki Committee, Global Diligence LPP et Truth
Hounds ont déposé une communication en vertu de l’article 15(2)
du Statut de Rome auprès de la Cour pénale internationale (CPI)
intitulée «La situation en Bélarus/Lituanie/Pologne/Lettonie et
Ukraine: Crimes contre l’humanité de déportation et de persécution»
Note. La communication demandait au procureur
de la CPI d’ouvrir une enquête sur la situation au Bélarus, notamment
sur le fait que le régime a déplacé de force des milliers de civils
au-delà de ses frontières par la violence, l’intimidation et d’autres
formes de coercition. Bien que le Bélarus ne soit pas un État partie
à la CPI, celle-ci est compétente pour juger les crimes relevant
du Statut de Rome qui ont lieu – au moins en partie – sur le territoire
de ses voisins. La communication demande au procureur de la CPI
d’ouvrir un examen préliminaire de la situation au Bélarus (ainsi
qu’en Lituanie, en Pologne, en Lettonie et en Ukraine) en vue d’enquêter
sur les crimes présumés et d’en poursuivre les auteurs. Cette demande
est restée sans réponse jusqu’à présent.
28. Les parlements nationaux d’Europe et d’ailleurs ont joué un
rôle important dans le soutien aux forces démocratiques du Bélarus.
De nombreux parlementaires, y compris des membres de notre Assemblée,
sont devenus les parrains de prisonniers politiques. En outre, un
nombre croissant de parlements nationaux, 17 à ce jour, tels que
la Belgique, l’Estonie, la Géorgie, la France, la Lettonie, la Lituanie
et l’Ukraine ont créé des groupes d’amitié avec les forces démocratiques
du Bélarus. Un réseau est en cours de construction pour les unir
et coordonner leurs efforts.
3.1 Entrée
et séjour réguliers
3.1.1 Accès
au visa
29. L’obtention d’un visa pour
se rendre dans les États membres de l’Union européenne a toujours
été un défi pour les Bélarussiens. Les répressions massives qui
ont suivi les élections frauduleuses de 2020 ont altéré les relations
diplomatiques entre l’Union européenne et le régime. Cela a conduit
à la réduction du personnel de certaines ambassades des États membres
de l’Union européenne, ce qui a affecté leur capacité à traiter les
demandes de visa.
30. Lorsque les répressions massives ont commencé après les élections,
certains pays voisins ont ouvert leurs frontières aux personnes
qui fuyaient, sans tenir compte des pandémies de covid-19 toujours
en cours et, parfois, en l’absence d’un visa valide. Ainsi, un couloir
humanitaire a été ouvert par la Lituanie, où les personnes ont été
autorisées à entrer sans visa, après que l’organisation
Freedom House, financée par les États-Unis,
a fourni un bon de garantie sur les personnes cherchant à passer,
au ministère des Affaires étrangères, qui a informé les points de
contrôle frontaliers respectifs. Au nom du ministère des Affaires étrangères,
Freedom House continue de se porter garant des personnes ayant soumis
une demande de visas et de permis temporaires
Note. Les vérifications sont effectuées
en coopération avec des ONG bélarussiennes telles que Human Constanta,
Belarus Helsinki Committee ou encore Viasna. Tous ceux qui demandent
une garantie à Freedom House ne la reçoivent pas. La délivrance
de visas par la Lituanie sera considérablement réduite après l’entrée
en vigueur des lois sur les mesures restrictives visant à sauvegarder
la sécurité nationale et les intérêts de la politique étrangère
de la Lituanie (voir infra).
31. L’objectif de la Pologne est toujours de maintenir sa frontière
ouverte aux Bélarussiens. Les autorités font la distinction entre
le régime de Minsk et la population qui ne soutient pas Loukachenka.
Cependant, après l’expulsion des diplomates polonais, la capacité
de délivrance de visas est objectivement moindre à Minsk et dans
les deux consulats polonais de Brest et Grodno. Selon les statistiques
fournies par le ministère polonais des Affaires étrangères, entre
le 10 août 2020 et le 31 décembre 2022, la Pologne leur a délivré
509 701 visas. En 2022, sur les 278 181 visas délivrés, 259 427
étaient de type D (visas nationaux) et 18 754 de type C (visas Schengen).
La répression à l’encontre des Bélarussiens appartenant à la minorité
polonaise a exacerbé les tensions entre les deux pays et a conduit
à ce qu’un seul poste frontière, celui de Tiraspol, soit encore
ouvert pour les particuliers, alors que les postes de fret ont été
fermés par la Pologne
Note.
32. Quant aux autres pays européens, la plupart d’entre eux ont
déjà réduit la capacité de leurs consulats d’ici juin 2021
Note. Les pays du Conseil de
l’Europe qui n’exigent pas de visa d’entrée sont l’Arménie, l’Azerbaïdjan,
la Géorgie, la Türkiye et l’Ukraine. Ceci explique pourquoi de nombreux
Bélarussiens se sont rendus en Géorgie et en Ukraine, mais aussi
en raison de la quasi-absence de barrière linguistique (voir infra).
33. Selon le Cabinet uni de transition du Bélarus, depuis le début
de la guerre en Ukraine, certains États membres ont introduit de
nouvelles restrictions à l’encontre des ressortissants du Bélarus.
En Lettonie, Lituanie, Estonie, Finlande, Pologne, Norvège et Suède,
les visas Schengen ne sont pas délivrés ou l’éligibilité est limitée,
y compris aux parents proches vivant dans l’Union européenne. Aucun
visa n’est délivré pour le Danemark et la République tchèque. Les
visas pour l’Autriche, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne et la Suède
ne peuvent être obtenus qu’à Moscou. La France, l’Allemagne, la
Grèce et l’Italie délivrent des visas après une longue attente (jusqu’à
6-8 mois), avec des frais excessifs à payer à des intermédiaires officiellement
désignés (jusqu’à 450 euros) et pour une courte durée, par exemple
15 jours
Note.
34. Certains pays considèrent toujours le Bélarus comme un pays
sûr. Par exemple, la Suède n’a pas mis à jour son rapport sur le
Bélarus depuis 2019 et considère le Bélarus comme un pays sûr. Par
conséquent, des personnes peuvent y être renvoyées ou se voir refuser
le statut de réfugié. Les Bélarussiens en Allemagne rapportent également
qu’on leur dit qu’ils peuvent retourner en toute sécurité au Bélarus.
35. Enfin, le régime strict des visas applicable aux ressortissants
du Bélarus est préjudiciable au regroupement familial car il n’existe
pas de dispositions spécifiques pour le faciliter, et encore moins
la possibilité pour les parents de rendre visite à leurs proches
qui vivent à l’étranger pour une courte durée. Plusieurs de mes
interlocuteurs se sont plaints qu’aucun regroupement familial n’était
possible sur la base d’un visa humanitaire, mais seulement sur la
base d’un visa Schengen, difficile à obtenir, et seulement pour
une durée de 90 jours. Dans certains pays, comme l’Allemagne, l’autorisation
des propriétaires est nécessaire pour pouvoir demander un visa.
Les personnes se sentent otages de situations fortuites qui les
empêchent de jouir de leur droit à la vie familiale.
36. Dans l’ensemble, les chances des Bélarussiens de s’installer
en dehors du pays et de circuler librement dans l’Union européenne
ont considérablement diminué depuis 2020, alors que la nécessité
de le faire est plus importante que jamais.
3.1.2 Régularisation
du séjour
37. Au moment de leur départ au
lendemain des élections, la plupart des Bélarussiens pensaient qu’ils reviendraient
dans quelques semaines, persuadés que la démocratie l’emporterait
comme la raison l’exigerait. C’était sans compter sur la détermination
de Loukachenka à rester au pouvoir à tout prix et sur l’aide de Vladimir
Poutine pour y parvenir (au prix de la perte de la souveraineté
du pays). Cependant, au bout d’un certain temps, il est apparu clairement
que leur exil se prolongerait, posant la question de la régularisation
de leur séjour à l’étranger. Je peux tirer deux conclusions claires
de mon travail sur ce rapport: premièrement, plus le temps passe,
plus la perspective du retour des Bélarussiens dans leur pays d’origine
s’éloigne dans le temps, en particulier depuis le 24 février 2022.
Deuxièmement, plus les pays sont proches du Bélarus, mieux ils comprennent
les enjeux et sont prêts à adapter leur législation et leurs pratiques
pour accueillir celles et ceux qui tentent d’échapper à la violence
du régime de Loukachenka.
38. En effet, on trouve de bonnes pratiques de régularisation
en Lituanie et en Pologne, où vivent le plus grand nombre de Bélarussiens
en exil, et dont les autorités comprennent bien «le casse-tête que
représente un voisin aussi imprévisible», comme me l’a dit l’un
de mes interlocuteurs lituaniens. Rappelons que le Bélarus est situé
à moins de 40 km de Vilnius.
39. La Lituanie a adopté des conditions d’octroi de visa favorables
après les élections de 2020 en accordant des visas de 6 mois gratuits,
des permis humanitaires pour les personnes victimes de l’oppression
politique, ainsi que des visas nationaux donnant droit à un permis
de séjour temporaire. La procédure de transfert d’entreprises (principalement
informatiques) a également été assouplie, permettant le transfert
en Lituanie de tous les employés.
40. Le nombre de Bélarussiens vivant en Lituanie n’a cessé d’augmenter
ces dernières années : ils étaient 18 000 en 2020, 31 000 en 2021
et 49 000 en 2022. Il existe trois sources de régularisation : avec
un permis de travail, pour des raisons humanitaires ou avec le statut
de réfugié. Des droits différents dérivent de chacun de ces statuts.
Très peu de Bélarussiens ont demandé le statut de réfugié (160 uniquement)
en raison de la longueur de la procédure, qui dure de 12 à 15 mois
et pendant laquelle il est interdit de travailler. Le permis de séjour
temporaire doit être renouvelé chaque année, une procédure lourde
et coûteuse qui empêche effectivement la liberté de circulation
puisque le passeport de l’étranger y est attaché.
41. Mes interlocuteurs bélarussiens ont souligné que la Lituanie
avait fait preuve d’une grande solidarité envers leur peuple qui
avait fui pour défendre la démocratie et les droits humains, en
les accueillant après les élections truquées. Cependant, le nouveau
projet de régularisation en discussion au moment de ma visite à Vilnius
sur les mesures restrictives à adopter en conséquence de l’agression
de la Russie contre l’Ukraine, suscitait de profondes inquiétudes
parmi les Bélarussiens, car perçu comme «mettant le peuple bélarussien
et le régime de Minsk dans le même panier». Les Bélarussiens de
Lituanie étaient inquiets, interprétant ce projet de loi comme une
réaction à leur présence en Lituanie. L’un d’entre eux a posé la
question suivante: «Pourquoi la Lituanie nous punit-elle? Qu’avons-nous
fait de mal?».
42. Les représentants du ministère de l’Intérieur rencontrés à
Vilnius m’ont assuré que les autorités n’avaient pas l’intention
d’affecter négativement la vie des personnes qui résistent au régime
de Minsk et qui ont trouvé refuge en Lituanie, y vivent, y apprennent
et y travaillent; mes interlocuteurs ont cependant souligné que
les autorités devaient prendre des mesures pour préserver la sécurité
nationale après l’agression russe contre l’Ukraine. Pour eux, les
régimes russe et bélarussien sont responsables à parts égales de
la guerre en Ukraine.
43. Le 20 avril 2023, le Parlement lituanien a adopté la loi sur
les mesures restrictives, visant à sauvegarder la sécurité nationale
et les intérêts de la politique étrangère de la Lituanie, suite
au rejet du véto apposé par le Président quelques jours plus tôt
Note. Un projet précédent établissait
de sérieuses restrictions pour les Bélarussiens en ce qui concerne
la possibilité d’obtenir des visas, de demander des permis de séjour,
des citoyennetés, des statuts de résidence électronique et d’obtenir
des signatures électroniques.
44. La loi, telle qu’amendée par le parlement, n’affecte finalement
pas les Bélarussiens qui vivent déjà en Lituanie. Elle introduit
plutôt des restrictions pour celles et ceux qui n’y résident pas.
Ainsi, elle prévoit de ne plus accepter : les demandes de visa auprès
des services lituaniens des visas à l’étranger, sauf si le ministère des
Affaires étrangères joue le rôle de médiateur; les demandes de visa
national par l’intermédiaire d’un prestataire de services externe
à l’étranger (cette restriction entrera en vigueur le 1er juillet 2023);
et les demandes de statut de résident électronique (sauf pour les
personnes titulaires d’un permis de séjour permanent ou temporaire
en Lituanie). Cette nouvelle législation affectera donc les éventuels
nouveaux arrivants, y compris les parents de ceux qui résident déjà
en Lituanie.
45. Lors d’une réunion tenue le 5 avril 2023, le ministère de
l’Intérieur et le bureau de Sviatlana Tsikhanouskaya ont convenu
de former un groupe de travail chargé de simplifier les procédures
et d’aborder d’autres questions pratiques concernant les Bélarussiens
en Lituanie. Cette proximité physique est sans aucun doute propice
à la résolution à la source des problèmes potentiels qui peuvent
émerger.
46. Une telle équipe ad hoc chargée
de résoudre les problèmes des Bélarussiens en exil en Pologne est déjà
en place depuis mars 2022. Lors de ma visite à Varsovie, le ministère
de l’Intérieur m’a fourni des informations détaillées et des données
statistiques. La législation et la pratique ont été modifiées pour permettre
aux Bélarussiens fuyant le régime de séjourner et de travailler
légalement en Pologne. Depuis janvier 2023, celles et ceux venus
en Pologne sur la base d’un visa humanitaire ont été autorisés à
régulariser leur séjour ultérieur sur la base d’un permis de séjour
temporaire.
47. Cela a ouvert la possibilité de leur accorder un document
de voyage polonais pour étrangers, habituellement délivré aux étrangers
séjournant en Pologne sur la base d’un permis de séjour à durée indéterminée,
lorsqu’ils ou elles ont perdu leur document de voyage, qu’il a été
détruit ou qu’il a expiré, et qu’il n’est pas possible d’obtenir
un nouveau document de voyage
Note.
48. En outre, conformément à la loi du 9 mars 2023 modifiant la
loi sur les étrangers et certaines autres lois, à partir du 1 juin
2023, la possibilité de délivrer ce document sera également ouverte
aux Bélarussiens séjournant en Pologne sur la base d’un permis de
séjour temporaire, d’une protection subsidiaire ou d’un permis de
séjour pour raisons humanitaires. Le document, valable un an, sera
délivré gratuitement par le voïvode
Note.
49. La Pologne et la Lituanie sont les deux seuls pays à avoir
adopté des dispositions spécifiques pour faire face au grand nombre
d’arrivées de Bélarussiens. Leurs efforts considérables et leur
bonne volonté n’ont cependant pas éliminé tous les soucis et les
obstacles que les Bélarussiens doivent endurer. Que dire alors de
celles et ceux qui vivent dans d’autres États membres du Conseil
de l’Europe, où la situation du Bélarus n’est pas très bien comprise?
La plupart de ces derniers ne disposent pas d’une législation favorable
pour régulariser les Bélarussiens sur la base des motifs humanitaires
pour lesquels ils et elles sont entrés dans l’Union européenne ou
pour prévoir la possibilité d’obtenir des motifs légaux de séjour
sur la base d’études ou d’un travail, y compris pour les spécialistes
hautement qualifiés.
50. N’oublions jamais que si ces personnes sont parties, c’est
parce qu’elles n’avaient pas d’autre choix. Beaucoup ont connu l’emprisonnement,
la torture et les menaces. Elles n’ont qu’un seul souhait: retourner dans
leur pays pour y construire un nouvel État démocratique. Leur vie
devrait être facilitée autant que possible par les pays d’accueil,
le temps de leur séjour à l’étranger. Il existe de nombreux exemples
où le départ tardif d’experts, d’activistes, de journalistes, de
défenseurs des droits humains, réticents à quitter leur pays d’origine, s’est
soldé par des arrestations et de longues périodes d’emprisonnement.
3.1.3 Demander
le statut de réfugié ou non?
51. Très peu de Bélarussiens en
exil ont demandé le statut de réfugié, car ils/elles ne souhaitent
pas rompre leurs liens avec leur pays d’origine qu’ils/elles n’ont
pas quitté par choix. L’obtention du statut de réfugié a également
des conséquences pratiques, comme l’impossibilité de vendre un bien
immobilier au Bélarus par exemple.
52. En Pologne, par exemple, qui dispose d’un régime très libéral
en matière d’octroi de la protection internationale, entre le 9
août 2020 et le 31 décembre 2022, 5 775 Bélarussiens ont demandé
une protection internationale. Cela ne représente que 5 % de celles
et ceux ayant demandé différents types de permis de séjour en Pologne.
Plus de 99 % des demandes ont été acceptées, celles qui ont été
rejetées l’ont été pour des raisons de sécurité. La Pologne a enregistré
environ 70 % des demandes de protection en Europe émanant de ressortissants
bélarussiens. La Lituanie et l’Allemagne ont accepté chacune environ
10 % des autres demandes.
53. Mais pour celles et ceux qui souhaitent demander une protection
internationale, les règles et procédures nationales font souvent
de ce voyage un long périple sans autorisation d’accéder au marché
de l’emploi. En Lituanie, un pays où la vie est chère pour les Bélarussiens,
certaines personnes sont obligées d’utiliser des moyens illégaux
pour gagner de l’argent afin de survivre pendant la procédure d’obtention
du statut de réfugié, qui prend plus d’un an, même si elles souhaitent
respecter la loi et payer des impôts.
54. Dans des pays comme la France, l’Espagne et le Portugal, il
est presque impossible d’obtenir le statut de réfugié car les autorités
concernées ne sont pas au courant de la situation au Bélarus. Il
est arrivé qu’un fonctionnaire du service d’immigration pose la
question suivante à un demandeur: «Quel est le problème avec le
Bélarus?»
Note. Tant que les autorités
nationales et les fonctionnaires qui traitent les dossiers d’immigration des
demandeurs et demandeuses bélarussiens ne seront pas au courant
de la situation au Bélarus, il est peu probable que la situation
s’améliore.
3.2 Menaces
sur la liberté de circulation
55. La liberté de circulation est
une question très sensible qui touche de nombreux Bélarussiens à
l’étranger. Même les personnes qui remplissent les conditions nécessaires
pour voyager à l’étranger se heurtent après un certain temps à un
problème pratique : soit leur passeport arrive à expiration, soit
il ne contient pas suffisamment de pages pour être tamponné. Nous,
ressortissants de l’espace Schengen, avons presque oublié ce que
signifie faire tamponner son passeport à chaque passage de frontière,
mais si nous nous souvenons de ce que cela signifie, nous réalisons
à quel point les pages vierges peuvent être importantes dans un
passeport en cours de validité.
56. Cette situation ne concerne pas les bénéficiaires d’une protection
internationale qui disposent d’un document de voyage et ceux qui
disposent d’un permis de séjour temporaire accompagné d’un passeport d’étranger
de même durée, comme en Lituanie et en Pologne. Ces personnes constituent
cependant une minorité.
57. Il existe de nombreuses preuves anecdotiques que les consulats
bélarussiens à l’étranger refusent les demandes de prolongation
de la validité des passeports de leurs ressortissants. Au lieu de
cela, ils exigent que ces personnes retournent au Bélarus pour obtenir
un nouveau document de voyage. Cela n’est évidemment pas possible
pour toutes celles et tous ceux qui ont échappé au régime en place.
Il y a déjà eu trop d’exemples de Bélarussiens arrêtés à leur retour
malgré le chant des sirènes de Loukachenka pour les attirer chez
eux. Pour le régime, le contrôle des passeports est clairement utilisé
comme un moyen de contrôler la vie de celles et ceux qui vivent
à l’étranger. Cette pratique constitue également un abandon de fait
par le régime de Loukachenka de l’un des services fondamentaux de
l’État, à savoir la délivrance de documents à ses ressortissants.
58. Cette dépendance est préjudiciable aux Bélarussiens vivant
à l’étranger, qui ont montré qu’ils et elles ne voulaient pas perdre
leur citoyenneté. Leurs passeports ne devraient pas être utilisés
par les autorités comme un instrument de contrôle de leur vie.
59. Une possibilité serait d’autoriser les ressortissants Bélarussiens
à continuer d’utiliser leurs documents de voyage qui ont expiré.
Toutefois, l’Union européenne traite la délivrance des documents
de voyage et leur crédibilité avec une extrême prudence. Les documents
doivent également répondre aux exigences strictes de l’Organisation
de l’aviation civile internationale (OACI) en matière de sécurité
des voyages. En outre, la prolongation de la période de validité
d’un document de voyage est une tâche extrêmement longue et délicate à
réaliser dans l’Union européenne. Cela serait contraire aux règles
de l’OACI, qui s’appliquent dans le monde entier et ne prévoient
aucune dérogation.
60. Afin de répondre à la demande du peuple de ne pas être pris
en otage par un régime illégitime qui l’empêche de jouir de la liberté
de mouvement, le Bureau de Sviatlana Tsikhanouskaya et le Cabinet
transitoire uni du Bélarus ont eu l’idée de créer un nouveau passeport
bélarussien qui serait délivré par eux. De nombreuses difficultés
politiques, pratiques, financières et sécuritaires sont liées à
une telle initiative, mais la situation actuelle de création d’un
État bélarussien de facto en
exil est unique. Il faut donc trouver une solution originale et
les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que l’Union européenne,
pourraient trouver des moyens inédits de soutenir ces efforts.
3.3 Refus
des services consulaires
61. Les services consulaires sont
également refusés lorsqu’une apostille est nécessaire, notamment
pour la procédure de régularisation. On m’a dit qu’après avoir fait
de longues files d’attente, les gens se voient répondre qu’ils doivent
retourner au Bélarus, ce qui n’est évidemment pas faisable puisque,
comme je l’ai déjà dit, ils seraient rapidement arrêtés, ou alors
leur demande reste sans réponse.
62. Les enfants nés à l’étranger qui ne peuvent pas obtenir de
documents parce que les consulats ne peuvent pas s’occuper de cette
question sont particulièrement préoccupants. Comme leurs parents
ne sont pas en mesure de retourner au Bélarus pour obtenir des documents
en bonne et due forme, ces enfants nés à l’étranger risquent de
devenir apatrides.
63. Parce que le régime continue d’utiliser ce levier contre ses
citoyens et parce que les pays d’accueil exigent des documents qui
sont, de fait, impossibles à obtenir, les Bélarussiens en exil se
retrouvent soit contraints de rentrer et risquent d’être arrêtés
pour des raisons politiques, soit dans l’impossibilité de légaliser leur
séjour, de faire reconnaître leurs diplômes, et se voient refuser
l’accès aux services sociaux et aux soins de santé. Il y a une contradiction
à exiger une apostille d’un régime non reconnu, et des solutions
doivent être trouvées pour éviter le recours aux services consulaires.
3.4 Menaces
pour la sûreté et la sécurité
64. Le passage de la frontière
n’est pas toujours suffisant pour assurer la sécurité des Bélarussiens
qui ont fui le régime, mais les risques les plus importants demeurent
pour ceux qui sont restés sur place. De toute évidence, le Bélarus
est devenu une immense prison à ciel ouvert, où n’importe qui peut
devenir la cible du régime, à l’exception de ceux qui lui restent
fidèles. Il est difficile de maintenir des relations avec les parents
et les amis restés au pays, précisément pour ne pas les mettre en
danger. Nombre de mes interlocuteurs ont souligné que l’un des défis
consiste à rétablir le lien entre celles et ceux qui se trouvent
hors du pays et celle et ceux qui s’y trouvent encore.
65. La simple communication devient un véritable défi. Le sociologue
français Roman Hervouet en donne un exemple magnifique et touchant
dans son dernier livre, où il raconte sa correspondance avec un
vieil ami qui vit toujours à Minsk, et qui se sent comme l’Albatros
de Charles Baudelaire, «exilé sur terre»
Note.
66. Tous les Bélarussiens en exil craignent de rentrer car toute
déclaration publique et tout message personnel pourraient être utilisés
comme preuve en vue de leur détention. Chaque jour, au Bélarus,
environ 15 à 20 personnes sont arrêtées et, rien qu’en 2022, 5 000
détentions pour motifs politiques ont été enregistrées. Cependant,
les Bélarussiens en exil ne craignent pas seulement pour leur vie,
mais aussi pour d’éventuelles représailles de l’État sur leurs proches
qui se trouvent encore sur le territoire bélarussien. Lorsque ils/elles
sont condamnés par contumace à une peine d’emprisonnement ou à des
sanctions civiles, les autorités prennent toutes les mesures qu’elles
jugent nécessaires pour les pousser à rentrer au Bélarus et à se
faire arrêter. Par exemple, il y a eu des cas où des proches de
Bélarussiens en exil ont été kidnappés ou détenus
Note.
Il arrive que ces proches soient eux-mêmes torturés pour les forcer
à transmettre des informations sur des Bélarussiens qui se trouvent
à l’étranger. Dans d’autres cas, les maisons des Bélarussiens en
exil ont été fouillées de fond en comble, pour ne pas dire vandalisées,
à la recherche de preuves qui pourraient être utilisées dans leurs
procès, tandis que les bureaux des ONG ont été perquisitionnés en
guise de message de menace
Note.
67. Les organisations qui soutiennent les militants et les familles
de prisonniers politiques en leur apportant un soutien financier
dans le pays doivent agir très prudemment pour éviter le risque
d’arrestation des bénéficiaires. Certaines ont été reconnues comme
des «organisations extrémistes» et lorsque les banques du Bélarus
ont divulgué la liste des personnes qui ont fait des dons par ce
biais, elles ont également été déclarées extrémistes. En conséquence,
des personnes au Bélarus ont été arrêtées et ont fait l’objet de
chantage.
68. Il y a suffisamment d’affaires retentissantes qui montrent
que la sécurité numérique n’est pas correctement prise en compte.
Par exemple, le contenu de l’ordinateur et du téléphone du journaliste
Raman Pratasevich a été utilisé comme preuve pour l’arrêter et le
poursuivre en justice après le détournement du vol Ryanair Athènes
– Vilnius en avril 2021.
69. J’ai entendu deux versions différentes au sujet du livre «I
am going out» [Je sors], qui contient des photos des manifestations
ayant suivi les élections du 9 août 2020
Note: les autorités utilisent ces photos
pour identifier les opposants au régime et les arrêter, en se servant
des photos comme preuve que ces personnes ont participé à des manifestations
anti-Loukachenka, et au contraire, Freedom House utilise les photos
pour trouver des preuves que celles et ceux qui cherchent à entrer
en Lituanie sont de véritables opposants au régime, et non des agents
infiltrés.
70. Il est difficile de dire dans quelle mesure les services spéciaux
bélarussiens sont actifs à l’étranger, mais on m’a dit dans différents
contextes que l’utilisation de récits faux et discréditant à l’encontre
des activistes est en hausse, ce qui contribue notamment à créer
un sentiment de méfiance parmi les différentes organisations.
71. Dans un cas, un avocat lituanien a été accusé d’avoir été
recruté par le KGB pour espionner une organisation basée à Vilnius
Note. On m’a également
dit qu’il y avait des cas de Bélarussiens en exil recrutés par le
KGB bélarussien en échange d’un retour sain et sauf au Bélarus et
de l’acquittement de toute accusation éventuelle à leur encontre.
Selon une source, rien qu’en décembre 2022, 58 d’entre eux ont été
arrêtés après être rentrés au Bélarus, alors que les autorités leur
avaient promis un retour en toute sécurité
Note.
72. Les procédures pénales engagées au Bélarus contre des opposants
politiques peuvent avoir d’énormes répercussions sur la vie des
Bélarussiens en exil si Interpol émet une notice rouge à la demande
du régime de Loukachenka. Il y a déjà eu de nombreux cas où des
procédures pénales ont été engagées sous prétexte de persécution
politique. Par exemple, des délits économiques tels que le non-paiement
d’impôts, l’octroi ou l’acceptation de pots-de-vin, la fraude, le
blanchiment d’argent sont utilisés pour persécuter des opposants politiques
à la fois au Bélarus (au moins 15 prisonniers politiques ont été
condamnés en vertu de ces dispositions du Code pénal, y compris
le lauréat du prix Nobel Ales Bialiatski) et en dehors du Bélarus
(Dmitri Glazer a été accusé d’avoir accepté des pots-de-vin, mais
a été libéré par un tribunal slovène)
Note. En outre,
des procédures pénales pour menace à la sécurité nationale, extrémisme,
haute trahison, incitation à la haine nationale, trouble à l’ordre
public, etc. sont engagées contre des opposants politiques et des
journalistes qui protestent contre la guerre en Ukraine
NoteNote.
73. À la suite d’amendements législatifs, depuis mai 2022, la
peine de mort peut être imposée non seulement pour avoir commis
un acte terroriste, mais aussi pour l’avoir préparé. La liste des
soi-disant terroristes au Bélarus comprend des participants aux
manifestations de 2020, notamment Sviatlana Tsikhanouskaya et Pavel
Latoushka. En 2022, des personnes ont été arrêtées pour avoir saboté
la voie ferrée afin d’empêcher les trains militaires russes de se
rendre en Ukraine. La plupart des personnes arrêtées ont été accusées
d’avoir commis un acte de terrorisme ou de l’avoir préparé.
74. Les Bélarussiens en exil ne peuvent se sentir en sécurité
que s’ils/elles savent avec certitude qu’il n’y aura pas de risque
d’extradition à la suite d’une notice rouge d’Interpol. Il est donc
essentiel de fournir des informations adéquates aux autorités nationales
respectives auxquelles ces notices rouges sont adressées. Les ministères
de la Justice et de l’Intérieur devraient systématiquement prendre
connaissance des rapports pertinents qui justifieront une réponse
négative à une notice rouge d’Interpol ou une demande d’extradition
Note. À
cet égard, il convient de noter que le Bélarus est le seul pays
européen où une demande adressée à Interpol ne nécessite pas de
décision de justice; le bureau du procureur utilise cette lacune
pour poursuivre des opposants politiques.
3.5 Solidarité
avec le Bélarus
75. Les liens entre les Bélarussiens
en exil et leurs compatriotes qui n’ont pas quitté le pays restent
très étroits, même en l’absence de contacts physiques. Les médias
sociaux et les technologies modernes ont joué un rôle déterminant
à cet égard. Il existe de nombreuses initiatives visant à soutenir
différents groupes au Bélarus, dont je ne dresserai pas le catalogue,
car elles mériteraient un rapport à elles seules
Note.
76. Valentin Stefanovic, vice-président de
Viasna,
vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme
(FIDH) et partenaire de longue date du Conseil de l’Europe sur la
question de l’abolition de la peine de mort, condamné à 9 ans de
colonie, a écrit en avril 2023: «[L]a prison, c’est comme la mort
[...] On n’est peut-être pas mort, mais on est effacé de la vie
pour longtemps, et la vie continue; elle continue, mais sans vous.
Mais j’ai la ferme intention de tout endurer et de revenir dans
ce monde»
Note.
77. Le nombre de prisonniers politiques augmente quotidiennement
et il est devenu primordial de les soutenir, ainsi que leurs proches.
Outre l’horreur de l’emprisonnement, les prisonniers font face à
de nombreuses difficultés après leur libération. La liste des différents
types de soutien matériel nécessaires est sans fin, de la nourriture
à l’argent (pour payer les factures de gaz et d’électricité accumulées
pendant la période d’emprisonnement), en passant par les vêtements,
les médicaments, etc. Un afflux régulier de dons est nécessaire
pour pouvoir soutenir tous ceux qui sont dans le besoin, en gardant
également à l’esprit que quelque 300 à 400 prisonniers politiques
condamnés au lendemain des élections à 2 ou 3 ans de prison devraient
être libérés en 2023 – 2024.
78. Après leur libération, la santé mentale et physique des prisonniers
politiques est mise à mal et des efforts considérables sont déployés
pour assurer leur resocialisation. On m’a dit qu’en raison de leurs
mauvaises conditions de détention, beaucoup ont perdu leurs dents
et que leur remplacement est considéré comme une étape importante
vers la resocialisation
Note.
79. Une autre catégorie de personnes ayant besoin du soutien de
leurs compatriotes à l’étranger est celle des personnes licenciées
et sans aucune source de revenus réguliers, comme les médecins et
les enseignants.
80. Des alternatives sûres et sécurisées sont mises en place pour
transférer de l’argent vers le Bélarus afin de surmonter les obstacles
liés aux problèmes de sécurité, aux réglementations bancaires et
aux sanctions. Le volume d’argent concerné, les priorités divergentes
et les initiatives concurrentes ont provoqué des tensions entre
certaines organisations non gouvernementales bélarussiennes en exil.
3.6 Accès
à l’éducation
81. Contraints de fuir le pays
sans avoir organisé leur départ au préalable, de nombreux Bélarussiens
ont souvent oublié leurs diplômes et n’ont pas apostillé leurs certificats
professionnels. L’absence de documents officiels représente donc
un obstacle important à l’accès au marché du travail qualifié ou
aux programmes éducatifs. En outre, ne connaissant pas la ou les
langues de leurs pays d’accueil ou devant s’adapter à de nouveaux
contextes, les Bélarussiens en exil rencontrent souvent des difficultés
à trouver des écoles adaptées pour leurs enfants.
82. Des cas de discrimination ont également été enregistrés dans
les écoles et les universités. En particulier, les universités européennes
ont parfois refusé aux Bélarussiens la possibilité de s’inscrire,
par exemple en avançant des raisons de sécurité. D’autres discutent
de l’expulsion possible d’étudiants Bélarussiens en exil déjà inscrits
Note.
83. Les élèves du Pranciskaus Skorinos Gymnasium ont le privilège
d’étudier dans la seule école de 10 classes où l’enseignement est
dispensé en bélarussien en dehors du Bélarus. Ainsi, ces élèves
suivent le programme lituanien mais dans leur langue maternelle.
Ouvert en 1919, fermé en 1944 et rouvert en 1994, il compte pour
cette année scolaire 381 élèves, dont la moitié est arrivée après
les élections de 2020. Outre leur langue maternelle et le lituanien,
ils apprennent l’anglais et le russe
Note. Certains de leurs professeurs sont
eux-mêmes des Bélarussiens en exil. L’intégration n’y est pas un
problème, contrairement à d’autres écoles où les élèves bélarussiens
doivent s’adapter à une nouvelle langue et à un nouveau programme.
En Pologne, pour l’année scolaire en cours, certains d’entre eux
ont étudié dans des classes d’adaptation avec des enfants ukrainiens,
ce qui a provoqué des tensions et des brimades dans certains cas.
On m’a également dit que les classes destinées à la minorité bélarussienne
en Pologne n’étaient pas ouvertes aux nouveaux arrivants.
84. Étant donné que le monde scientifique et universitaire du
Bélarus a vécu en vase clos pendant des années, fonctionnant selon
ses propres critères, les universitaires Bélarussiens n’ont pratiquement
pas pu prendre part à des projets scientifiques internationaux.
Par conséquent, non seulement n’ont-ils n’ont aucun lien avec leurs
pairs au niveau international, leurs CV ne répondent pas aux exigences
des institutions universitaires en dehors du Bélarus mais la reconnaissance
de leurs diplômes est également problématique. Les universitaires
en exil ont donc du mal à s’installer ailleurs.
85. Le report du service militaire ne sera plus possible à partir
de cette année pour les jeunes hommes qui étudient à l’étranger.
Par conséquent, soit les étudiants iront à l’armée à l’âge de 18
ans et reprendront leurs études deux ans plus tard, soit, s’ils
restent dans leur université, ils seront considérés comme s’étant
soustraits au service militaire. L’Université européenne des sciences
humaines, la seule université bélarussienne capable de fonctionner
sur la base de la liberté académique et de l’adhésion aux valeurs
européennes, en exil à Vilnius depuis 2005, est particulièrement
préoccupée par le fait que les visas et les permis de séjour de
ces jeunes hommes expireront une fois qu’ils auront obtenu leur
diplôme.
3.7 Poursuivre
une carrière professionnelle en exil
86. Outre les obstacles structurels,
les exilés Bélarussiens sont souvent victimes de discrimination
au travail en raison de leur nationalité. Ils signalent des cas
de surcharge de travail, de diffusion de fausses informations à
leur sujet et de rejet de leurs demandes d’emploi
Note. Selon une analyse quantitative
récente, 17 % de celles et ceux qui se trouvent en Pologne et qui
ont été interrogés ont essuyé un refus d’embauche
Note.
3.7.1 Entreprises
87. Plus de 80% des entreprises
bélarussiennes en exil sont basées en Pologne grâce au Poland Business Harbour.
10% sont basées en Lituanie et le reste ailleurs dans le monde,
en particulier en Géorgie, qui compte un grand nombre de petites
entreprises et d’indépendants.
88. La délocalisation des entreprises informatiques est généralement
une réussite. Par exemple, parmi les trois premières entreprises
de technologies de l’information en Lituanie, deux sont bélarussiennes.
Toutefois, la majorité des entreprises bélarussiennes délocalisées
se trouvent dans le secteur du commerce de détail, de la logistique
et du transport, des petits services et de la construction.
89. Les sanctions internationales contre le régime de Loukachenka
ont été accueillies favorablement par les forces démocratiques.
Cependant, elles ont également eu un impact sur le fonctionnement
des entreprises dirigées par des Bélarussiens non affiliés au régime
de Minsk, qui ont quitté le pays
Note.
90. L’ouverture d’un compte bancaire est le plus grand défi auquel
ces entreprises sont confrontées. Bien que deux banques polonaises
soient disposées à ouvrir des comptes pour ces entreprises, si une
demande est rejetée, l’entreprise sera placée sur une liste noire,
et une nouvelle demande de sa part nécessitera en fait la création
d’une nouvelle société. En outre, les adresses temporaires ne sont
pas acceptées, ce qui pose un problème particulier pour les entreprises
du secteur des technologies de l’information qui fonctionnent souvent en
mode nomade. La limitation des dépôts est également problématique,
car elle affecte les personnes qui souhaitent rapatrier dans leur
pays d’accueil les fonds provenant de la vente d’un bien immobilier
au Bélarus. Cela n’affecte pas seulement les entreprises, mais aussi
les prisonniers politiques libérés qui ont quitté le pays.
91. Les entreprises bélarussiennes sont moins compétitives car
il leur est difficile d’obtenir un crédit ou des services de comptabilité.
De plus, dans certains pays comme l’Estonie ou la Lettonie, les
actionnaires locaux deviennent les principaux actionnaires car il
est pratiquement impossible pour les Bélarussiens de posséder une
entreprise dans ces pays.
92. L’Association of Belarus Businesses Abroad, créée en 2021,
apporte son soutien aux entreprises bélarussiennes qui souhaitent
se délocaliser ou qui l’ont déjà fait
Note. Un système d’accréditation a été
mis au point, dans lequel les entreprises qui souhaitent adhérer
doivent signer un code d’éthique, confirmant qu’elles sont contre
la guerre en Ukraine et qu’elles soutiennent les valeurs démocratiques.
Trois de ses membres font partie de l’équipe économique de Sviatlana
Tsikhanouskaya et ont participé au Forum de Davos 2023 pour présenter
les besoins du secteur privé bélarussien en exil. Bien que l’association
soutienne pleinement les sanctions de l’Union européenne contre
le Bélarus, elle estime que ceux qui s’opposent au régime de Loukachenka
devraient être soutenus et autorisés à payer des impôts dans leur
pays d’accueil.
3.7.2 Journalistes
93. L’Association des journalistes
du Bélarus (BAJ) est une association professionnelle de journalistes
de médias indépendants, créée en 1995 pour protéger la liberté d’expression
et d’information, promouvoir les normes professionnelles du journalisme,
assurer le suivi de la presse bélarussienne et offrir un soutien juridique
à tous les travailleurs des médias
Note. Quelque 400 à 500 de ses 1300 membres
ont quitté le pays après la perquisition des bureaux de la BAJ en
février 2021. En août 2021, la Cour suprême du Bélarus a accédé
à la demande du ministère de la Justice de liquider l’association,
mais celle-ci continue bien sûr de fonctionner en exil. En mars
2023, la BAJ et son personnel ont été désignés comme «formation
extrémiste» par les autorités
Note.
94. La plupart des journalistes en exil se trouvent en Géorgie
(environ 50), en Allemagne (entre 20 et 30), en Lituanie (environ
150) et en Pologne (plus de 200). Ils et elles travaillent pour
des médias bélarussiens, leur principal objectif étant de fournir
des informations objectives et vérifiées au sein du pays afin de
briser la machine de propagande. Pour ceux qui ne sont pas déjà
emprisonnés – 33 sont des prisonniers politiques – travailler comme
journaliste indépendant au Bélarus est devenu impossible, les risques
étant trop élevés
Note.
95. Les journalistes sont confrontés aux mêmes difficultés que
leurs autres compatriotes en termes de régularisation, d’accès aux
comptes bancaires, etc. Il arrive fréquemment que leurs salaires
soient bloqués jusqu’à ce que les contrôles anti-blanchiment soient
effectués. Pendant cette période, ces personnes n’ont pas accès
à leur salaire.
96. Ce qui les aiderait sans aucun doute à informer leurs compatriotes,
c’est que les moteurs de recherche, tels que Google, veillent à
ce que leurs informations, plutôt que celles provenant de sources
officielles, soient placées en tête des recherches. Le fait que
le Bélarus soit un petit marché ne devrait pas dissuader les grandes entreprises
informatiques de contribuer à garantir un internet équitable et
sûr au Bélarus même, en permettant à des informations indépendantes
et objectives de circuler.
3.7.3 Avocats
97. Les avocats sont une catégorie
professionnelle particulièrement menacée au Bélarus. Ces professionnels
du droit font l’objet d’un large éventail d’attaques de la part
du régime: utilisation abusive des procédures disciplinaires, détention
arbitraire et poursuites pénales, traitement de leurs conversations
sur Telegram comme «extrémistes», ingérence dans les communications
confidentielles entre avocats et clients, et retrait de leur licence
d’exercice.
98. En conséquence, nombre de ces personnes ont été contraintes
de quitter le Bélarus et se trouvent aujourd’hui en exil. Outre
la question de la régularisation du séjour, leur principal défi
est de faire reconnaître leur autorisation d’exercer dans leur pays
d’accueil. Bien qu’il n’existe pas de solution simple et évidente,
la reconnaissance de l’Association bélarusienne des avocats spécialisés
dans les droits humains, un nouveau type de barreau établi sur le
territoire d’autres États, pourrait permettre aux avocats en exil
de continuer à fournir des services juridiques à leurs clients au
Bélarus. Son objectif principal est de promouvoir et de protéger les
droits humains des avocats privés du droit d’exercer leur profession
au Bélarus, ainsi que d’élever les normes de l’assistance juridique.
99. Le rapport «The Crisis of the Legal Profession in Bélarus:
How to Return the Right to Defense» [La crise de la profession d’avocat
au Bélarus: comment rendre le droit à la défense] initié par le
Center for Constitutionalism and Human Rights of the European Humanities
University en partenariat avec le projet «Right to Defense» (defenders.by),
l’organisation de défense des droits humains Human Constanta et
Polish Helsinki Foundation for Human Rights contient un programme
d’action intéressant, visant à restaurer la profession d’avocat
et l’environnement juridique [Action Program for the Restoration
of the Institute of Advocacy in Belarus] et constitue donc une précieuse
feuille de route pour l’avenir
Note.
3.8 Préserver
l’identité et la culture bélarussiennes
100. Pendant de nombreuses années,
la langue et la culture du Bélarus sont restées dans l’ombre de
celles de la Russie. Même son nom n’a pas été correctement translittéré
dans les langues étrangères, car aucune distinction n’a été faite
entre «руський / рускі», qui désigne le peuple, les langues, les
cultures et la religion des Slaves orientaux à l’époque de l’État
de la Rus’, et «російський / расейскі», qui désigne aujourd’hui
le peuple, la langue, la culture et l’État russe. C’est ainsi que
de nombreux pays désignent encore à tort le Bélarus comme la «Biélorussie»
ou la «Russie blanche» au lieu de Bélarus/bélarussien, translitération
en français de Беларусь/ Беларускі.
101. La crise politique née après les élections de 2020 a entraîné
une renaissance de l’intérêt pour la langue et la culture bélarussiennes
parmi les Bélarussiens en exil, alors que dans le même temps, cet
intérêt a été réprimé au Bélarus même. Ainsi, de nombreux artistes
et écrivains qui se sont joints aux manifestations de masse après
les élections ont été détenus pour des motifs administratifs ou
poursuivis au pénal. Le régime a censuré et interdit la publication
de certains livres considérés comme extrémistes, tels que ceux de
Sviatlana Aleksievich, lauréate du prix Nobel de littérature
Note.
102. Un certain nombre d’initiatives ont été lancées pour promouvoir
l’apprentissage de la langue, de l’histoire et de la culture bélarussiennes,
notamment au sein du
Belarus Youth Club,
dont l’objectif est de veiller à ce que les Bélarussiens qui retourneront
au Bélarus le fassent avec des connaissances et des compétences accrues
Note. La priorité du centre est de préserver
et de renforcer l’identité bélarussienne parmi les Bélarussiens en
exil et leurs enfants. Outre les cours de langues et de musique,
la production de dessins animés en bélarussien disponibles sur YouTube
est l’une de ses initiatives réussies.
103. Le Conseil bélarussien pour la culture est une organisation
non gouvernementale qui réunit les acteurs culturels formant l’infrastructure
durable de la culture bélarussienne libre. Ses activités se concentrent
sur la promotion de la culture bélarussienne (mécénat d’artistes,
d’interprètes et de gestionnaires d’art), le développement de nouveaux
projets culturels, l’unification de la communauté culturelle et
la promotion de la culture bélarussienne dans le monde entier. Il
est en train de préparer une feuille de route pour la Commission européenne
sur la préservation de la culture bélarussienne. Cette feuille de
route a pour but d’exposer les besoins de la société civile bélarussienne
dans le domaine de la culture, d’expliquer pourquoi cette demande correspond
aux intérêts des citoyens européens et de recommander aux donateurs
comment agir – combien d’argent allouer à ce domaine, comment structurer
l’aide et quels résultats attendre. L’objectif est que cette proposition
soit prise en considération dans la période de programmation de
la Commission européenne pour les trois prochaines années
Note.
104. Entre-temps, la littérature bélarussienne et les livres en
bélarussien ont pratiquement disparu au Bélarus. Des efforts sont
déployés pour créer un Institut du livre bélarussien à l’étranger
afin de faire connaître la littérature bélarussienne et de traduire
davantage de livres en bélarussien. Un certain nombre d’auteurs,
d’illustrateurs et d’éditeurs discutent du statut d’une telle organisation,
qui prendrait la forme d’une plateforme dans un premier temps. Les
personnes à l’initiative de l’Institut sont confrontées à des problèmes
pratiques tels que le manque d’espace pour stocker les livres. Toutefois,
le premier problème est d’ordre financier: quels investisseurs seraient
intéressés par le très petit marché du livre bélarussien?
105. La culture ne devrait pas être soumise aux lois du marché,
elle ne peut être traduite en chiffres sur un fichier Excel. Il
est essentiel d’apporter tout le soutien nécessaire pour permettre
aux troupes de théâtre de jouer leurs pièces, aux musiciens de jouer,
aux livres d’être publiés et lus, afin que l’art devienne le ciment
de l’identité bélarussienne et que la langue et la culture bélarussiennes
retrouvent leur place au soleil, car elles sont la clé de l’existence
même de l’État bélarussien.
3.9 Double
exil après avoir fui l’Ukraine
106. L’Ukraine est l’un des pays
qui a accueilli un grand nombre de Bélarussiens, notamment en raison
de son régime d’exemption de visa et de l’absence d’une barrière
linguistique importante. On estime que 20 à 30 000 d’entre eux ont
franchi la frontière chaque mois après les élections de 2020 et
que quelque 171 000 Bélarussiens vivaient en Ukraine en 2021. On
m’a rapporté qu’environ 50 000 personnes étaient parties en Pologne
après l’agression russe contre l’Ukraine, un grand nombre en Géorgie
et en Lituanie, et qu’il en resterait peut-être environ 5 000 en
Ukraine.
107. Au départ, les Bélarussiens étaient autorisés à rester en
Ukraine pendant 90 jours, mais après une campagne menée par des
organisations de la société civile, cette durée a été portée à 180
jours, puis à nouveau prolongée un an plus tard
Note. Malgré un processus de régularisation
compliqué, la plupart des Bélarussiens qui vivaient en Ukraine avant
la guerre étaient bien intégrés et n’avaient pas l’intention de
partir. Ils et elles ont été contraints de le faire à la suite de
l’attaque russe.
108. Comme d’autres ressortissants de pays tiers ayant fui l’Ukraine,
ces Bélarussiens n’ont pas eu accès au même régime de protection
et d’accueil que celui prévu pour les citoyens ukrainiens en vertu
de la directive 2001/55/CE de l’Union européenne (directive sur
la protection temporaire) et se sont retrouvés dans une situation
de double exil.
109. Cependant, certains Bélarussiens sont restés en Ukraine pour
aider les Ukrainiens à résister à l’agression russe, notamment le
régiment Kastuś Kalinoŭski et d’autres.
110. Une centaine de journalistes bélarussiens étaient exilés en
Ukraine au début de la guerre. La plupart d’entre eux sont partis,
mais il reste un certain nombre de correspondants qui couvrent la
guerre pour les médias bélarussiens en exil, tels que Belsat, Nasha
Niva et Zerkalo. J’ai été informé d’un problème très spécifique
concernant les journalistes vivant en Ukraine: leurs comptes bancaires
ont été bloqués par les services de sécurité ukrainiens, le SBU,
et ils ne peuvent plus accéder à leur argent. Si environ la moitié
de ces comptes ont été débloqués depuis, une cinquantaine d’autres
restent inaccessibles à leurs propriétaires. Plusieurs tentatives
ont été faites pour contacter les autorités ukrainiennes en leur
nom, mais sans succès jusqu’à présent. J’espère que si les comptes
sont correctement vérifiés et qu’il n’y a pas d’irrégularités, ils seront
rendus accessibles à leurs propriétaires, dont la situation de double
exil rend l’accès à leurs propres ressources encore plus crucial.
111. La participation du régime de Loukachenka à la guerre en Ukraine,
la menace qu’il fait peser sur la sécurité de l’Ukraine et au-delà,
avec son accord pour accueillir des armes nucléaires tactiques russes,
ne devraient pas être considérées comme une justification pour imposer
des mesures discriminatoires aux Bélarussiens, en particulier à
ceux qui ont quitté le pays pour des raisons politiques, pour une
situation dont ils ne sont pas responsables. Les Bélarussiens n’ont
pas ménagé leurs efforts pour apporter leur soutien aux Ukrainiens,
notamment par le biais de collectes de fonds menées par des organisations
en exil
Note. Si l’Ukraine craint à juste titre
l’ouverture d’un front nord, elle doit reconnaître que la majorité
des Bélarussiens ne soutient pas l’agression de la Russie contre
l’Ukraine
Note.
4 Conclusions
et recommandations
112. Les Bélarussiens qui ont quitté
leur pays après les élections présidentielles truquées d’août 2020
y ont été contraints par le régime de Loukachenka. Cet exil imposé
les a exposés à des violations de leurs droits dans les pays d’accueil
où ils et elles ont trouvé refuge, parfois comme conséquence involontaire
des sanctions imposées au régime de Loukachenka.
113. Si leur principal souhait est de retourner dans un Bélarus
démocratique, plus le temps passe, plus cette perspective semble
s’éloigner. La levée des obstacles juridiques, administratifs et
pratiques auxquels ces personnes sont confrontées et le soutien
aux Bélarussiens en exil devraient être une priorité pour les États membres
du Conseil de l’Europe, car un Bélarus démocratique et sûr est partie
intégrante de la sécurité en Europe.
114. Il est inutile d’ignorer le fait que les forces démocratiques
cherchent à créer un «nouveau Bélarus» en exil. Il convient de soutenir
les efforts qu’elles déploient pour atténuer les difficultés auxquelles
sont confrontés leurs compatriotes. Dans le même temps, l’intégration
des Bélarussiens en exil dans les sociétés d’accueil reste essentielle
pour éviter la ghettoïsation et la perte du sens de la réalité.
115. Ce rapport propose des solutions concrètes aux États membres
où les Bélarussiens fuyant le régime de Loukachenka ont trouvé refuge,
afin qu’ils et elles puissent vivre le plus normalement possible,
du moins sans entrave à la jouissance de leurs droits fondamentaux.
Il devrait servir de base aux parlements nationaux des États concernés
et aux autorités compétentes pour que les 46 États membres du Conseil
de l’Europe offrent un niveau de protection équivalent, voire harmonisé,
aux Bélarussiens en exil, leur permettant de s’intégrer tout en
préservant et en renforçant leur identité nationale.