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Relever les défis spécifiques auxquels sont confrontés les Bélarussiens en exil

Rapport | Doc. 15783 | 05 juin 2023

Commission
Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
Rapporteur :
M. Paul GALLES, Luxembourg, PPE/DC
Origine
Renvoi en commission: Doc. 15593, Renvoi 4680 du 10 octobre 2022. 2023 - Troisième partie de session

Résumé

Plusieurs centaines de milliers de Bélarussiennes et de Bélarussiens (ci-après «Bélarussiens»), contraints de fuir leur pays pour échapper à la répression exercée par le régime d’Aliaksandr Loukachenka à la suite des élections truquées du 9 août 2020, ont trouvé refuge dans des États membres du Conseil de l’Europe. Cet exil forcé a créé de nombreuses situations aboutissant au non-respect de leurs droits fondamentaux.

Le rapport examine les différents défis auxquels les Bélarussiens en exil doivent faire face, de la demande de visa à la régularisation de leur séjour, en passant par l’accès à l’éducation, à l’emploi et à la santé; ces obstacles de la vie quotidienne peuvent avoir des conséquences dramatiques s’ajoutant aux risques de représailles qui pèsent sur les membres de leur famille restés au Bélarus. Il souligne l’importance de distinguer les Bélarussiens du régime qu’ils ont fui, et constate le rôle fondamental joué par Sviatlana Tsikhanouskaya et les différents organes créés par les forces démocratiques pour répondre aux besoins de leurs compatriotes. Un autre aspect essentiel souligné dans le rapport est la renaissance de la langue et de la culture bélarussiennes, éléments vitaux de souveraineté, ainsi que la nécessité de la soutenir.

Constatant que plus les pays d’accueil sont géographiquement proches du Bélarus, plus les autorités respectives tentent de répondre aux besoins des Bélarussiens en exil par le biais de l’adoption de lois et la mise en œuvre de pratiques adéquates, le rapport invite les États membres du Conseil de l’Europe à mettre en place, en consultation étroite avec les forces démocratiques, des mesures qui rendront leur exil moins douloureux en attendant leur retour dans un Bélarus démocratique.

A Projet de résolutionNote

1. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par le sort de centaines de milliers de Bélarussiens qui sont en exil parce qu’ils n’ont eu d’autre choix que de fuir le régime d’Aliaksandr Loukachenka. Si des doutes persistaient sur la nature de ce dernier, l’élection présidentielle truquée du 9 août 2020 a montré son véritable caractère, transformant le Bélarus en une prison à ciel ouvert où les droits humains ont été réduits à néant.
2. L’Assemblée rappelle la Résolution 2433 (2022) «Conséquences de l’agression persistante de la Fédération de Russie contre l’Ukraine: rôle et réponse du Conseil de l’Europe» dans laquelle elle exprimait sa détermination à «intensifier son engagement avec la société civile, les défenseurs des droits humains, les journalistes indépendants, les milieux universitaires et les forces démocratiques du Bélarus (...) qui respectent les valeurs et les principes de l’Organisation (...)».
3. L’Assemblée se déclare impressionnée par la résilience, le courage et la détermination des Bélarussiens en exil qui luttent pour que la démocratie prévale dans leur pays. Elle est consciente qu’un nouvel obstacle est apparu pour eux le 24 février 2022 avec l’agression à grande échelle de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, à laquelle le régime de Loukachenka participe activement. Elle regrette que plus le temps passe depuis le 9 août 2020, jour où Loukachenka a, dans les faits, perdu les élections, plus le retour des Bélarussiens en exil s’éloigne dans le temps.
4. L’Assemblée est convaincue qu’un Bélarus démocratique contribuera à garantir la sécurité en Europe. Sans préjuger de l’issue de la situation actuelle et en reconnaissant que les Bélarussiens en exil devraient faire partie du processus de résolution de la crise, l’Assemblée ne peut qu’être impressionnée par le travail et les initiatives de Sviatlana Tsikhanouskaya, candidate très probablement victorieuse contre Aliaksandr Loukachenka à l’élection de 2020, qui visent à fournir à ses compatriotes les services auxquels le régime leur refuse délibérément l’accès.
5. Reconnaissant que le peuple bélarussien ne peut être assimilé au régime de Loukachenka, l’Assemblée considère que les Bélarussiens en exil ne devraient pas être traités de manière discriminatoire parce que ce régime participe à la guerre contre l’Ukraine.
6. L’Assemblée souligne que si la plupart des Bélarussiens qui ont été contraints de quitter leur pays dans le cadre de l’élection présidentielle de 2020 n’ont qu’un seul souhait: retourner dans un Bélarus démocratique, il est important que les pays d’accueil fassent tout leur possible pour que ces personnes puissent y séjourner légalement et soient accueillies dans des conditions dignes et respectueuses de leurs droits fondamentaux, tels que garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et d’autres instruments pertinents du Conseil de l’Europe, en attendant l’instauration d’un régime démocratique au Bélarus.
7. L’Assemblée déplore vivement que le régime de Loukachenka continue d’exercer des pressions sur celles et ceux qui ont quitté le pays, notamment en refusant de fournir des services consulaires à ses ressortissants et en menaçant leur sécurité.
8. Alors que de nombreux pays européens ont ouvert leurs frontières aux Bélarussiens, l’Assemblée constate que plus ces pays sont proches du Bélarus, plus ils comprennent la complexité de la situation de celles et ceux qui fuient.
9. L’Assemblée salue les efforts de la Lituanie et de la Pologne pour trouver des solutions juridiques et pratiques afin d’accueillir les Bélarussiens en exil, mais note qu’il est possible de faire plus.
10. Regrettant également que trop d’obstacles et d’entraves continuent d’affecter celles et ceux qui se sont retrouvés dans d’autres pays, l’Assemblée est convaincue qu’une meilleure connaissance de la situation au Bélarus et la volonté politique sont les deux préalables à l’adoption de mesures qui atténueront autant que possible la situation de celles et ceux qui se trouvent en exil.
11. Elle appelle les États membres à reconnaître la situation unique dans laquelle se trouvent les Bélarussiens en exil, ce qui nécessite d’apporter des solutions originales pour garantir que ces personnes puissent vivre leur vie aussi librement que possible en attendant leur retour dans un Bélarus démocratique.
12. L’Assemblée salue la création, par le Comité des Ministres, d’un groupe de contact sur la coopération entre le Conseil de l’Europe et les forces démocratiques et la société civile du Bélarus. Ce modèle de coopération sui generis, le premier établi avec les forces démocratiques du Bélarus par une organisation internationale, vise à apporter le soutien et l’expertise de l’Organisation pour renforcer la société démocratique du Bélarus conformément aux valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. L’Assemblée se réjouit également d’accueillir des représentants des forces démocratiques du Bélarus dans les travaux de ses commissions, sur décision du Bureau de l’Assemblée.
13. L’Assemblée est fermement convaincue qu’il est grand temps de traduire le soutien politique dont les forces démocratiques du Bélarus bénéficient parmi les États membres par des actions concrètes et que les mesures prises contre le régime de Loukachenka ne devraient pas affecter les personnes qui le combattent.
14. L’Assemblée est convaincue que, pour garantir le plein respect des droits humains des Bélarussiens en situation d’exil, les États membres du Conseil de l’Europe devraient mettre en place, pour ces personnes dans leur ressort territorial, des mesures relativement simples et peu coûteuses, et à terme, contribuer à la transition démocratique dans leur pays.
Entrée et séjour réguliers
15. Tout en respectant les exigences en matière de visas et en assurant les contrôles de sécurité nécessaires, les États membres devraient s’efforcer de maintenir leurs frontières ouvertes aux personnes fuyant le régime de Loukachenka en prenant notamment les mesures suivantes:
15.1 délivrer des visas humanitaires dans tous les consulats et ambassades encore en activité à Minsk et étendre les critères d’éligibilité à ces visas aux proches des prisonniers politiques;
15.2 ouvrir et garantir la possibilité, dans les États membres où les ressortissants bélarussiens n’ont pas besoin de visa, d’obtenir des visas pour les pays de l’Union européenne, sans qu’un permis de séjour dans le pays depuis lequel la demande est formulée ne soit exigé;
15.3 délivrer des visas Schengen à entrées multiples aux proches des Bélarussiens en exil qui viennent leur rendre visite pour de courts séjours et de manière temporaire;
15.4 délivrer des visas à entrées multiples de plus longue durée, à utiliser comme option de secours pour les personnes qui risquent d’être arrêtées au Bélarus.
16. Les États membres devraient également faciliter les discussions d’expert à expert entre leurs autorités compétentes en matière de migration et les représentants concernés issus des forces démocratiques bélarussiennes en exil afin de résoudre les problèmes qui se présentent, de manière pragmatique.
17. Les États membres sont encouragés à mettre en place des mesures visant à garantir la transparence du processus décisionnel lorsque des pouvoirs sont délivrés par des organisations non gouvernementales à l’appui de la délivrance de visas ou du processus de légalisation.
18. Les États membres qui ne l’ont pas encore fait devraient élaborer rapidement des instruments juridiques permettant de légaliser le séjour des Bélarussiens en exil.
19. Reconnaissant l’importance de la stabilité psychologique et du sentiment de sécurité pour celles et ceux qui ont quitté leur pays involontairement ou de force, l’Assemblée invite les États membres à assurer aux Bélarussiens en exil une régularisation de leur séjour à long terme, afin d’éviter les obstacles et le stress inutiles.
20. Afin de soutenir le travail de leurs bureaux de migration compétents, les États membres sont encouragés à préparer une fiche d’information sur le Bélarus et à former leur personnel à la situation réelle dans ce pays, de manière à leur permettre de prendre rapidement des décisions rapides et judicieuses sur les cas individuels.
Liberté de circulation
21. Les États membres sont encouragés, en coopération avec la Commission européenne, à trouver des solutions adéquates pour permettre aux Bélarussiens en exil de voyager dans l’Union européenne, notamment en systématisant l’utilisation du passeport étranger et/ou en continuant à reconnaître les passeports bélarussiens qui ont expiré.
22. L’Assemblée invite également les États membres, toujours en étroite coopération avec la Commission européenne et l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), à examiner avec les représentants compétents des forces démocratiques du Bélarus en exil la possibilité de délivrer aux ressortissants du Bélarus en exil un passeport qui serait reconnu par les États membres.
Sûreté et sécurité
23. Soulignant que la privation de nationalité ne devrait pas conduire à l’apatridie et que, même si le Bélarus n’est pas partie aux conventions des Nations Unies sur l’apatridie, il s’agit là de principes de droit international et de droits humains qui s’imposent aux États; rappelant que le Bélarus a accepté la recommandation de la Géorgie dans le cadre du 3e cycle de l’Examen périodique universel des Nations Unies; et notant que le Bélarus s’est engagé à adhérer aux deux conventions des Nations Unies sur l’apatridie lors du Segment de haut niveau sur l’apatridie en 2019, l’Assemblée encourage vivement les États membres à faire tout leur possible pour reconnaître l’importance d’établir des procédures de détermination de l’apatridie, qui à leur tour fourniraient une protection dans les États d’accueil aux personnes devenues apatrides.
24. Étant donné que le fait d’adresser une demande à un consulat du Bélarus, par exemple pour obtenir un extrait de casier judiciaire nécessaire au processus de régularisation ou pour prolonger un passeport, peut entraîner des représailles ou des menaces à l’encontre des proches des demandeurs, restés au Bélarus, ou des demandeurs eux-mêmes, les États membres sont vivement encouragés à ne pas exiger des documents qui ne peuvent être obtenus que par les voies officielles bélarussiennes.
25. Les États membres devraient s’abstenir d’extrader des citoyennes et citoyens bélarussiens en exil sur la base de notices rouges émises par Interpol à la demande du régime de Loukachenka, étant donné l’utilisation de poursuites pénales à des fins politiques. En cas de doute, ils sont encouragés à vérifier les demandes d’Interpol émanant du Bélarus par l’intermédiaire du Bureau de rétablissement de l’ordre public du Cabinet uni de transition du Bélarus, qui comprend d’anciens agents des forces de l’ordre licenciés pour des raisons politiques et qui possèdent donc les qualifications, l’expérience et l’accès aux bases de données nécessaires.
26. L’Assemblée est préoccupée par le fait que des informations transférées par des banques européennes à des banques au Bélarus ont été utilisées par les services de sécurité du Bélarus pour cibler les défenseurs et défenseures des droits humains au Bélarus. L’Assemblée invite les États membres à encourager le secteur privé à tenir dûment compte des droits humains dans ses activités et à faire preuve de la diligence nécessaire pour protéger les défenseurs et défenseures des droits humains du Bélarus qui figurent parmi leurs clients contre les risques de persécutions supplémentaires résultant de leurs activités ou de leurs échanges d’informations. En outre, les États membres devraient faire tout leur possible pour éviter que les mesures de coopération pénale internationale ne soient utilisées de manière abusive par le régime de Loukachenka comme un outil supplémentaire de répression.
27. Plus généralement, les États membres ne devraient pas considérer le Bélarus comme un pays sûr. Ils sont invités à envoyer des lettres de saisine au procureur de la Cour pénale internationale pour lui faire part de leurs préoccupations concernant la situation au Bélarus et lui demander de répondre à une communication au titre de l’article 15, paragraphe 2, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale intitulée «La situation au Bélarus, en Lituanie, en Pologne, en Lettonie et en Ukraine: Crimes contre l’humanité de déportation et de persécution» déposée par le Partenariat international pour les droits de l’homme, le Comité Helsinki de Norvège, Global Diligence LPP et Truth Hounds le 19 mai 2021.
Forces démocratiques en exil
28. Compte tenu du rôle considérable que les consulats populaires peuvent jouer, notamment en tant que canaux de communication avec les autorités nationales, l’Assemblée est fermement convaincue que les États membres devraient établir des relations de travail avec eux en tant que représentants du Bélarus démocratique et envisager de les soutenir en leur fournissant une assistance organisationnelle, informative et matérielle, dans le but de développer leurs compétences et leur viabilité.
29. L’Assemblée encourage vivement les parlements des États membres qui n’en ont pas encore, à établir un groupe d’amitié parlementaire et à créer un réseau afin qu’ils puissent échanger sur les meilleures mesures à prendre pour soutenir les Bélarussiens en exil. Elle est convaincue qu’un tel réseau faciliterait également le dialogue avec les forces démocratiques bélarussiennes en exil, y compris le Bureau de Sviatlana Tsikhanouskaya, le Cabinet unifié de transition du Bélarus et le Conseil de coordination.
30. L’Assemblée invite également les États membres à fournir des fonds et à contribuer aux activités convenues dans le cadre du Groupe de contact du Conseil de l’Europe sur le Bélarus et en particulier à tirer parti des activités proposées par le Secrétariat de l’Assemblée, «Renforcer le dialogue politique».
Soutien à la société civile
31. L’Assemblée reste persuadée qu’il est indispensable de créer les conditions permettant d’assurer la pérennité des organisations de la société civile du Bélarus en exil, notamment en leur fournissant les outils et les moyens de mobiliser leurs compatriotes en exil, de mener leurs activités et de rester visibles. Cela devrait être particulièrement le cas pour les organisations visant à développer et à renforcer la langue et la culture bélarussiennes.
32. Soulignant le rôle joué par le Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales du Conseil de l’Europe (Conférence des OING) dans le soutien à la liberté d’association en Europe, l’Assemblée encourage vivement les États membres à solliciter ses avis sur les mesures affectant négativement le fonctionnement des organisations non gouvernementales bélarussiennes en exil et à adopter des politiques en conséquence.
33. Elle encourage également les membres constitutifs de la Conférence des OING à coopérer et à aider les ONG bélarussiennes en exil.
Soutien aux avocats en exil
34. Compte tenu de la répression à laquelle est confrontée la profession d’avocat au Bélarus et du fait que de nombreux avocats se trouvent à l’étranger, l’Assemblée appelle à la reconnaissance de l’Association bélarussienne des avocats de droits humains comme l’organisation chargée de promouvoir et de protéger les droits humains de leurs pairs privés de leur droit d’exercer au Bélarus, ainsi que d’améliorer l’assistance juridique disponible.
Accès à l’éducation et à la culture
35. Consciente que les enfants peuvent être fortement affectés par l’exil forcé de leurs parents, l’Assemblée encourage leur intégration rapide dans le pays d’accueil tout en renforçant leur identité et leur culture nationales. Lors de l’intégration des enfants bélarussiens récemment arrivés dans des classes ordinaires, l’Assemblée rappelle la pertinence des outils d’éducation linguistique et d’intégration linguistique pour les enfants, développés par le Conseil de l’Europe. Dans le même temps, elle soutient également la création de classes de langue bélarussienne dans les écoles où il y a suffisamment d’enfants bélarussiens, ouvertes non seulement aux membres de la minorité nationale bélarussienne mais aussi à ceux qui sont arrivés récemment.
36. L’Assemblée, impressionnée par la renaissance de l’intérêt pour la langue et la culture bélarussiennes, soutient fermement les initiatives des organisations de la société civile visant à les préserver et à les renforcer parmi les membres de la diaspora de longue date et les personnes arrivées plus récemment. Elle encourage donc vivement les États membres à faciliter la création de maisons d’édition bélarussiennes, l’enseignement de la langue et de la culture bélarussiennes dans les universités, le développement de nouveaux outils favorisant la diffusion de la langue et de la culture bélarussiennes parmi les personnes en exil, mais aussi au Bélarus même. Elle estime qu’il est crucial pour l’État bélarussien que sa culture et sa langue retrouvent la place qui leur revient.
37. L’Assemblée, consciente que la liberté académique est attaquée depuis plusieurs années au Bélarus, estime que la création d’une revue scientifique pour les universitaires libéraux, tant en exil qu’au Bélarus, qui serait incluse dans les bases de données de citations influentes, telles que Scopus, Web of Science ou Google Scholar, serait la bienvenue.
38. Reconnaissant le rôle joué par l’Université européenne des sciences humaines, comptant comme la seule université bélarussienne capable de fonctionner sur la base de la liberté académique et de l’adhésion aux valeurs européennes, en exil à Vilnius depuis 2005, l’Assemblée invite les États membres ainsi que l’Union européenne à pérenniser le soutien à cette institution et à lui ouvrir de nouvelles perspectives afin qu’elle continue à développer une pensée créative, libre et critique chez les étudiants bélarussiens et qu’elle puisse attirer des universitaires et des étudiants des pays du Partenariat oriental.
39. Comprenant l’importance de la terminologie et d’une translittération adéquate à partir de la langue bélarussienne, l’Assemblée encourage vivement les États membres à translittérer correctement toute la terminologie ayant trait au Bélarus.
Accès aux services financiers et exercice d’activités économiques
40. Reconnaissant les difficultés rencontrées par les particuliers, les entreprises et les organisations de la société civile pour ouvrir un compte bancaire dans certains États membres, l’Assemblée demande aux États membres d’encourager leurs banques à faire la distinction entre le régime de Loukachenka et les personnes qui l’ont fui, notamment en permettant que la procédure de diligence raisonnable «Know Your Customer» [connaissance du client] soit effectuée par des structures appropriées et pertinentes désignées par les forces démocratiques bélarussiennes en exil.
41. L’Assemblée est préoccupée par le fait que les comptes bancaires des journalistes bélarussiens qui avaient trouvé refuge en Ukraine et qui continuaient à fournir des informations indépendantes depuis ce pays ont été bloqués depuis que la Russie a lancé une guerre à grande échelle contre l’Ukraine. Après le déblocage de certains d’entre eux, elle encourage vivement le Service de sécurité de l’Ukraine (SBU) à autoriser le déblocage des quelque 50 comptes bancaires restants auxquels leurs propriétaires légaux n’ont pas accès.
42. L’Assemblée de félicite que de nombreuses entreprises aient pu se délocaliser hors du Bélarus, notamment en Géorgie, en Lituanie et en Pologne, mais note que des difficultés persistent. Elle encourage l’adoption de mesures qui faciliteront les processus de transfert, d’accréditation, d’acquisition, d’accès au crédit, aux services d’audit, etc. Dans ce contexte, elle estime que le Poland Business Harbour pourrait servir de pratique prometteuse dont d’autres États membres pourraient s’inspirer. En fin de compte, l’Assemblée est convaincue que ces entreprises, si elles sont autorisées à fonctionner et à payer des impôts – que leur activité relève du secteur des technologies de l’information, du commerce de détail, de la logistique, des petits services ou de la construction – contribueront à l’économie de leurs pays d’accueil et atténueront les efforts déployés par ces derniers pour accueillir les Bélarussiens qui y ont trouvé refuge contre la répression et la violence.

B Exposé des motifs par M. Paul Galles, rapporteur

1 Introduction

1. Le nombre de Bélarussiens contraints de fuir leur pays en raison de la répression déclenchée dans le contexte de l’élection présidentielle truquée du 9 août 2020 reste incertain. Les chiffres varient entre 300 000 et 500 000, ce qui constitue sans aucun doute le plus grand mouvement migratoire de l’histoire du Bélarus depuis la seconde guerre mondiale. Si la plupart de ces personnes partagent un souhait commun – revenir le plus rapidement possible dans un Bélarus démocratique – elles ne se décrivent pas forcément de la même manière. Cependant, qu’il s’agisse de personnes migrantes, de membres de la diaspora ou de réfugiés, ces Bélarussiens vivant aujourd’hui à l’étranger sont confrontés à des défis communs qui découlent précisément des raisons qui les ont poussés à quitter leur pays. C’est la raison pour laquelle j’utilise la notion de «l’exil» dans mon rapport, car les Bélarussiens qui ont quitté leur pays l’ont fait contre leur gré, et parce qu’en restant au Bélarus, leur vie, leur sécurité et leur sûreté auraient été gravement menacéesNote.
2. Tous les Bélarussiens en exil ne sont pas nécessairement des défenseurs des droits humains. La situation de ces derniers a déjà été bien documentée, notamment par la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans un récent commentaire, dans lequel elle propose un certain nombre de mesures pour aller de l’avantNote. Cependant, la situation d’autres catégories de personnes, telles que les journalistes et les employés des médias, les opposants politiques, les avocats, les écrivains et les artistes, les parents de prisonniers politiques, les étudiants et les universitaires, les entrepreneurs et les athlètes, qui sont également confrontés à des difficultés les empêchant de mener une vie normale, est moins connue et reconnue.
3. La première chose que les Bélarussiens en exil doivent faire est d’expliquer clairement que le fait d’être Bélarussien ne fait pas d’eux des représentants ou des partisans du régime de Loukachenka. La perception est un facteur clé contribuant à la violation des droits des Bélarussiens en exil. L’application d’un traitement générique aux Bélarussiens illustre l’absence de compréhension individuelle – et donc d’évaluation – de leur situation, ce qui expose l’ensemble du groupe à des risques de discrimination et à d’autres violations des droits humains en raison de leur simple nationalité et de leurs affiliations politiques présumées.
4. Les récents développements au Bélarus – notamment l’implication du régime dans la guerre contre l’Ukraine, mais aussi la signature le 6 février 2023 par Aliaksandr Loukachenka du décret n° 25, créant une commission spéciale chargée de travailler avec les émigrants «politiques» qui souhaitent retourner dans leur pays d’origine – indiquent clairement que ceux qui ont trouvé la sécurité à l’étranger ne seront probablement pas en mesure de rentrer chez eux dans un avenir procheNote.
5. Le sort des Bélarussiens en exil et la grave crise humanitaire au Bélarus ont été quelque peu éclipsés par les terribles conséquences de l’agression russe contre l’Ukraine et mon rapport vise à mettre en lumière les défis auxquels ils et elles sont confrontés, les besoins spécifiques rencontrés dans les pays d’accueil et, plus important encore, à proposer des moyens d’y remédier, notamment grâce aux bonnes pratiques déjà existantes. Je crois que notre Assemblée est la mieux placée pour proposer des solutions concrètes aux États membres du Conseil de l’Europe afin de garantir que les demandeurs et demandeuses d’asile puissent rester légalement dans le pays d’asile/d’exil et soient accueillis dans des conditions dignes et respectueuses de leurs droits fondamentaux tels que garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), en attendant l’instauration d’un régime démocratique au Bélarus.
6. Au cours de la préparation de ce rapport, j’ai été impressionné par le courage, la détermination, la créativité et la résilience des Bélarussiens en exil que j’ai rencontrés, à commencer par la dirigeante des forces démocratiques, Sviatlana Tsikhanouskaya. Je ne doute pas que l’aspiration du peuple bélarussien à la démocratie, aux droits humains et à l’État de droit, dont il est privé depuis trop longtemps, se réalisera tôt ou tard. Je considère qu’il est de notre devoir, en tant que concitoyennes et citoyens européens de les aider sur cette voie, et j’espère que mon rapport y contribuera.
7. Pour préparer mon rapport, la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a procédé à plusieurs échanges de vues et m’a autorisé à effectuer une mission d’information à Varsovie et Vilnius (27 – 30 mars 2023). Je suis très reconnaissant à tous mes interlocuteurs et interlocutrices au sein des autorités lituaniennes et polonaises ainsi que les Bélarussiens en exil, qui ont partagé avec précision et passion leurs inquiétudes et leurs espoirs avec moi. Mon ambition pour ce rapport n’est pas de simplement refléter leur point de vue mais aussi d’apporter des solutions concrètes pour aider ces personnes à reconstruire leur vie en Europe alors que le régime, qui a détruit toutes les institutions civiles et politiques, est toujours en place. Je n’ai pas inclus d’informations qui pourraient les mettre en danger ou mettre en danger leurs proches.
8. Sviatlana Tsikhanouskaya, que j’ai rencontrée à Vilnius, a souligné l’importance de ce rapport car les défis auxquels sont confrontés les Bélarussiens en exil est un sujet négligé. L’aborder pourrait aider à clarifier le fait que le peuple bélarussien ne doit pas être confondu avec le régime de Minsk. Elle s’inquiète du fait que depuis l’agression russe contre l’Ukraine, les Bélarussiens en exil sont confrontés à des risques accrus de discrimination, voire à des menaces pour leur sécurité, car ils/elles sont assimilés au régime, allié de la Fédération de Russie. Elle espère que le rapport contribuera à atténuer les obstacles auxquels ses compatriotes doivent faire face en éclairant les États membres du Conseil de l’Europe sur les moyens de remédier aux lacunes existantes dans la législation et la pratique en matière d’accueil des personnes qui n’ont pas choisi de quitter leur pays mais ont été contraintes de le faire par un régime violent, dangereux et imprévisible.

2 Contexte général

9. Les estimations varient selon les sources concernant le nombre de Bélarussiens vivant à l’étrangerNote. Alors que Belsat donne le chiffre de 177 000 Bélarussiens ayant quitté le pays entre 1995 et 2016, d’autres sources estiment ce chiffre entre 1,5 million et 3,5 millions pour une population totale de 9 349 645 personnes au 1er janvier 2021Note.
10. La plupart de celles et ceux qui ont quitté leur pays dans le contexte des élections présidentielles de 2020 ont choisi de rester dans les pays voisins, la Lituanie et la Pologne. Bien qu’il soit difficile de connaître avec certitude leur nombre, en raison de la grande fluidité des arrivées et de l’absence de données claires sur les migrations, on estime qu’il y a environ 49 000 Bélarussiens en Lituanie à l’heure actuelle, et plus de 100 000 en PologneNote.
11. Comme les Bélarussiens n’ont pas besoin de visa pour entrer en Géorgie, ce pays a fini par devenir le refuge d’un nombre très important de celles et ceux qui ont fui les répressions de l’État en 2020 puis l’agression russe contre l’Ukraine en 2022. Ainsi, en mars 2022, ce sont 19 898 Bélarussiens qui sont entrés en Géorgie depuis l’Ukraine, dont 14 030 y sont toujours actuellement. En mars 2022, si l’on compare avec mars 2019, le taux d’entrée des citoyens bélarussiens en Géorgie a augmenté de 555 %Note.
12. De nombreux Bélarussiens en exil ont dû quitter leur premier pays de destination pour des questions de visa, de sécurité personnelle ou à cause du déclenchement de la guerre en Ukraine. En d’autres termes, ces personnes ont connu un double ou triple déplacement. Selon une récente analyse quantitative et qualitative réalisée par Vałdzis Fuhaš, l’un des fondateurs de l’organisation de défense des droits humains «Human Constanta», auditionné par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 24 janvier 2023, le nombre moyen de déplacements par pays et par groupe était de 2,1.
13. Le refus pour Aliaksandr Loukachenka d’admettre sa défaite aux élections présidentielles du 9 août 2020 a marqué le début de profonds changements au sein de la société bélarussienne et du pays lui-même. Son soutien et sa participation à la guerre en Ukraine n’ont fait qu’exacerber le fait que le régime de Minsk n’est pas en place pour servir le peuple bélarussien, mais pour conserver sa propre position et ses privilèges. Dans le même temps, il met en péril l’indépendance et la souveraineté du Bélarus. Depuis lors, la gagnante la plus probable des élections, Sviatlana Tsikhanouskaya, qui a été forcée de quitter le Bélarus, a assumé son rôle de leader des forces démocratiques avec tout l’engagement et la compétence appropriés pour une telle fonction. Plus de deux ans après les élections, en exil en Lituanie, elle a fait de son Bureau et du Cabinet transitoire uni un gouvernement de facto en exil et, avec les moyens limités dont elle dispose, elle remplit les fonctions que le régime de Loukachenka ne remplit pas, dans l’intérêt de ses compatriotes qui vivent à l’étranger. En pratique, les technologies modernes l’aident à construire un État parallèle en attendant l’instauration d’un régime démocratique au Bélarus. Le 6 mars 2023, un tribunal de Minsk a condamné Mme Tsikhanouskaya par contumace à 15 ans d’emprisonnement.
14. L’expulsion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe à la suite de l’agression de l’Ukraine a conduit le Comité des Ministres à suspendre également toutes les relations avec le Bélarus le 17 mars 2022Note. Cette décision a ouvert la porte à des discussions sur la coopération avec les forces démocratiques. Sviatlana Tsikhanouskaya a ensuite été invitée à prendre la parole lors d’un panel de haut niveau organisé par l’Assemblée le 21 juin 2022, puis quelques semaines plus tard devant le Comité des Ministres, le 7 juillet 2022. A cette occasion, elle a encouragé le Comité des Ministres à sortir des sentiers battus en établissant un canal de communication formel entre l’Organisation et les forces démocratiques du Bélarus dans le but «d’amener plus de Bélarus en Europe et plus d’Europe au Bélarus»Note. Le Comité des Ministres a ainsi créé un Groupe de contact sur la coopération entre le Conseil de l’Europe et les forces démocratiques et la société civile du Bélarus, dont l’objectif est d’apporter le soutien et l’expertise de l’Organisation pour renforcer la société démocratique du Bélarus conformément aux valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Les travaux du Groupe de contact ont déjà abouti au lancement, le 1er février 2023, d’un plan d’action en 15 points pour soutenir la société civile et les représentants de la démocratie qui œuvrent en faveur d’un futur Bélarus libre et démocratiqueNote.
15. Depuis octobre 2020, l’Union européenne a progressivement imposé des mesures restrictives à l’encontre du Bélarus. Ces mesures ont été adoptées en réponse aux élections présidentielles frauduleuses d’août 2020. Au total, 195 personnes et 34 entités ont été désignées dans le cadre du régime de sanctions contre la Bélarus, y compris des personnalités clés de la direction politique et du gouvernement, des membres de haut niveau du système judiciaire et plusieurs acteurs économiques de premier planNote. L’Union européenne a également imposé des mesures restrictives au Bélarus à la suite de son implication dans l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Non seulement des personnalités bélarussiennes ont été frappées par le gel de leurs avoirs et l’interdiction de voyager, mais les flux financiers, commerciaux et technologiques avec le Bélarus ont également été restreintsNote. Le 27 février 2023, le Conseil de l’Union européenne a décidé de prolonger d’un an l’application des sanctions imposées jusqu’alors en raison de la «gravité persistante de la situation intérieure dans le pays et de l’implication continue du Bélarus dans l’agression russe contre l’Ukraine»Note. En outre, depuis le 28 juin 2021, le Bélarus a suspendu sa participation au Partenariat oriental.
16. Le 24 novembre 2022, le Parlement européen a adopté une résolution sur «la répression continue de l’opposition démocratique et de la société civile en Biélorussie», qui souligne notamment la nécessité de «continuer d’aider l’opposition démocratique, la société civile et les défenseurs des droits de l’homme, les représentants syndicaux et les médias indépendants en Biélorussie et à l’étranger». Il a également invité la Commission et les États membres «à élaborer des règles et des procédures pour traiter les cas où des défenseurs des droits de l'homme et d'autres militants de la société civile sont privés de leur citoyenneté en Biélorussie, ainsi qu'à apporter un soutien aux Biélorusses résidant dans l'Union européenne dont les documents d'identité sont sur le point d'expirer et qui n'ont aucun moyen de les renouveler, étant donné qu'ils ne peuvent retourner en Biélorussie»Note.
17. Pendant de nombreuses années, le seul mécanisme de protection internationale offert aux Bélarussiens se résumait aux communications envoyées au Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Cette voie n’est plus possible depuis que le Bélarus s’est retiré de cette procédure en novembre 2022Note. Toutefois, les Bélarussiens qui se trouvent sous la juridiction de l’un des 46 États membres du Conseil de l’Europe sont protégés par l’article 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
18. Dans son dernier rapport à l’Assemblée générale des Nations Unies, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur le Bélarus, Anaïs Marin, s’est concentrée sur «la situation des droits de l’homme des ressortissants Bélarussiens contraints de quitter leur pays et incapables de rentrer chez eux en toute sécurité en raison de violations des droits de l’homme [...]»Note. Elle a fourni une analyse approfondie des personnes et des groupes ciblés qui ont été contraints de quitter leur patrie par le régime en place, et j’invite les personnes intéressées à lire son rapport détaillé. J’ai également eu le plaisir de la rencontrer au cours de ma mission et je lui suis très reconnaissant pour les informations supplémentaires qu’elle m’a fournies.

3 La situation des Bélarussiens en exil

19. La nature de la diaspora bélarussienne est diverse. Alors que jusqu’en 2020, il existait des organisations de la diaspora de diverses orientations, certaines promouvant un programme démocratique et d’autres étant fidèles au régime de Minsk, la grande majorité de celles et ceux ayant fui dans le contexte des élections de 2020 sont orientés vers la démocratie et nombre d’entre eux – sans avoir nécessairement été engagés dans des mouvements de la société civile au Bélarus – sont devenus de fait des militants.
20. Le poète en exil Dmitri Strotsev a rendu visite au secrétariat de l’Assemblée, à l’occasion d’un voyage à Strasbourg pour présenter la traduction française de son dernier recueil de poèmesNote. Auparavant, il avait lancé un appel sur sa page Facebook pour recueillir des témoignages de ses compatriotes en exil. En quelques heures seulement, il a reçu plus de 50 messages relatant des expériences individuelles, qui illustrent les questions qui seront développées ci-dessous.
21. Sa propre expérience illustre certaines des situations auxquelles sont confrontés les Bélarussiens exilés, et qui peuvent se révéler kafkaïennes. Dmitri Strotsev vit actuellement en Allemagne. Il n’a pas pu y prolonger son visa ni en obtenir un nouveau, car l’Allemagne a exigé qu’il retourne dans le premier pays où le visa avait été délivré, à savoir la Suède. Or, pour obtenir un visa suédois, il aurait dû quitter l’Union européenne. Finalement, M. Strotsev a obtenu un visa en Lituanie grâce à l’organisation Freedom House, qui s’est portée garante pour lui. Une telle garantie fournie par une organisation non-gouvernementale est possible en Lituanie où le ministère des Affaires étrangères a spécifiquement délégué la tâche de se porter garant à cette organisation et où le bureau de Sviatlana Tsikhanouskaya est basé; mais cela n’est pas le cas dans d’autres États membres du Conseil de l’Europe. Cet exemple individuel reflète bien ce que j’ai entendu lors de mes échanges avec les Bélarussiens en exil, que ce soit lors des échanges de vues avec la commission ou au cours de ma mission d’enquête.
22. D’autres formes de discrimination peuvent se manifester sous forme d’insultes et de menaces, de refus de services, de difficultés d’accès aux soins de santé, d’obtention d’un logement convenable, de contrats de travail ou d’ouverture d’un compte bancaire. Selon une analyse quantitative récente, 39 % des Bélarussiens exilés en Géorgie, 31 % en Pologne et 16 % en Lituanie ont affirmé avoir subi diverses formes de discrimination dans leur pays de destination, en particulier depuis l’agression russe contre l’Ukraine. De tels cas ont également été enregistrés dans d’autres États membres du Conseil de l’EuropeNote.
23. Cette diaspora est confrontée à toute une série de défis, tant sur le plan juridique que pratique, qui découlent de la législation, des procédures administratives ou des pratiques en vigueur dans les pays d’accueil. Ces problèmes peuvent commencer dès la naissance, comme dans le cas des enfants nés de parents soumis à un régime de visa temporaire: parce qu’ils ne peuvent pas obtenir de documents bélarussiens, ils sont en fait des mineurs sans papiers et risquent l’apatridie. D’autres difficultés sont liées à des étapes importantes de la vie telles que la naissance, le mariage ou le divorce, mais elles peuvent aussi être très banales, comme le changement d’un permis de conduire bélarussien dont la date d’expiration est dépassée.
24. Les femmes bélarussiennes en exil peuvent être confrontées à davantage de formes de discrimination et d’obstacles à l’intégration que leurs compatriotes de sexe masculin à l’étranger. Il s’agit principalement de difficultés à trouver un emploi, à légaliser leur statut, à apprendre la langue locale ou à accéder aux services de santé. Parfois, leur dépendance financière à l’égard de leur mari accentue encore ces obstaclesNote.
25. Les Bélarussiens sont déterminés à s’aider eux-mêmes en premier lieu. Au moment où je rédige ce rapport, les bases sont jetées en vue de construire un État numérique pour le Bélarus, dispositif grâce auquel les médecins, les avocats, le personnel enseignant, etc. qui ont été licenciés par le régime pourraient être embauchés pour fournir des services en ligne. Cela permettrait également d’améliorer l’accès aux médias indépendants au Bélarus, de même que de développer des outils permettant aux petites entreprises d’accroître leurs services. Ces initiatives permettront de créer des emplois à distance pour des personnes à l’intérieur et à l’extérieur du Bélarus.
26. Un amendement à la loi sur la «citoyenneté de la République du Bélarus» du 10 janvier 2023 signé par Aliaksandr Loukachenka, qui entrera en vigueur le 10 juin 2023, introduit la possibilité de révoquer la citoyenneté d’une personne résidant à l’étranger et condamnée par un jugement définitif d’un tribunal bélarussien pour des activités «extrémistes» ou d’autres actes menaçant la sécurité de l’État. Loukachenka décidera personnellement de la privation de liberté. Lorsque cette législation sera appliquée, de nombreux Bélarussiens en exil risqueront de devenir apatrides. Ce sera un problème particulier pour celles et ceux vivant dans des pays, notamment comme la Pologne, qui n’ont pas ratifié la Convention de 1954 sur le statut des apatrides ou la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridieNote. Le HCR, dans ses observations de décembre 2022, a principalement recommandé que, d’une part, la privation de la nationalité ne conduise pas à l’apatridie et que, d’autre part, les principes de droit international et de droits humains s’imposent à tous les États même ceux (comme le Bélarus) qui ne sont pas parties aux conventions des Nations Unies sur l’apatridieNote. Il convient toutefois de noter que le Bélarus s’est engagé à adhérer aux deux conventions de l’ONU sur l’apatridie lors du segment de haut niveau sur l’apatridie en 2019Note.
27. Le 21 mai 2021, International Partnership for Human Rights (IPHR), Norwegian Helsinki Committee, Global Diligence LPP et Truth Hounds ont déposé une communication en vertu de l’article 15(2) du Statut de Rome auprès de la Cour pénale internationale (CPI) intitulée «La situation en Bélarus/Lituanie/Pologne/Lettonie et Ukraine: Crimes contre l’humanité de déportation et de persécution»Note. La communication demandait au procureur de la CPI d’ouvrir une enquête sur la situation au Bélarus, notamment sur le fait que le régime a déplacé de force des milliers de civils au-delà de ses frontières par la violence, l’intimidation et d’autres formes de coercition. Bien que le Bélarus ne soit pas un État partie à la CPI, celle-ci est compétente pour juger les crimes relevant du Statut de Rome qui ont lieu – au moins en partie – sur le territoire de ses voisins. La communication demande au procureur de la CPI d’ouvrir un examen préliminaire de la situation au Bélarus (ainsi qu’en Lituanie, en Pologne, en Lettonie et en Ukraine) en vue d’enquêter sur les crimes présumés et d’en poursuivre les auteurs. Cette demande est restée sans réponse jusqu’à présent.
28. Les parlements nationaux d’Europe et d’ailleurs ont joué un rôle important dans le soutien aux forces démocratiques du Bélarus. De nombreux parlementaires, y compris des membres de notre Assemblée, sont devenus les parrains de prisonniers politiques. En outre, un nombre croissant de parlements nationaux, 17 à ce jour, tels que la Belgique, l’Estonie, la Géorgie, la France, la Lettonie, la Lituanie et l’Ukraine ont créé des groupes d’amitié avec les forces démocratiques du Bélarus. Un réseau est en cours de construction pour les unir et coordonner leurs efforts.

3.1 Entrée et séjour réguliers

3.1.1 Accès au visa

29. L’obtention d’un visa pour se rendre dans les États membres de l’Union européenne a toujours été un défi pour les Bélarussiens. Les répressions massives qui ont suivi les élections frauduleuses de 2020 ont altéré les relations diplomatiques entre l’Union européenne et le régime. Cela a conduit à la réduction du personnel de certaines ambassades des États membres de l’Union européenne, ce qui a affecté leur capacité à traiter les demandes de visa.
30. Lorsque les répressions massives ont commencé après les élections, certains pays voisins ont ouvert leurs frontières aux personnes qui fuyaient, sans tenir compte des pandémies de covid-19 toujours en cours et, parfois, en l’absence d’un visa valide. Ainsi, un couloir humanitaire a été ouvert par la Lituanie, où les personnes ont été autorisées à entrer sans visa, après que l’organisation Freedom House, financée par les États-Unis, a fourni un bon de garantie sur les personnes cherchant à passer, au ministère des Affaires étrangères, qui a informé les points de contrôle frontaliers respectifs. Au nom du ministère des Affaires étrangères, Freedom House continue de se porter garant des personnes ayant soumis une demande de visas et de permis temporairesNote. Les vérifications sont effectuées en coopération avec des ONG bélarussiennes telles que Human Constanta, Belarus Helsinki Committee ou encore Viasna. Tous ceux qui demandent une garantie à Freedom House ne la reçoivent pas. La délivrance de visas par la Lituanie sera considérablement réduite après l’entrée en vigueur des lois sur les mesures restrictives visant à sauvegarder la sécurité nationale et les intérêts de la politique étrangère de la Lituanie (voir infra).
31. L’objectif de la Pologne est toujours de maintenir sa frontière ouverte aux Bélarussiens. Les autorités font la distinction entre le régime de Minsk et la population qui ne soutient pas Loukachenka. Cependant, après l’expulsion des diplomates polonais, la capacité de délivrance de visas est objectivement moindre à Minsk et dans les deux consulats polonais de Brest et Grodno. Selon les statistiques fournies par le ministère polonais des Affaires étrangères, entre le 10 août 2020 et le 31 décembre 2022, la Pologne leur a délivré 509 701 visas. En 2022, sur les 278 181 visas délivrés, 259 427 étaient de type D (visas nationaux) et 18 754 de type C (visas Schengen). La répression à l’encontre des Bélarussiens appartenant à la minorité polonaise a exacerbé les tensions entre les deux pays et a conduit à ce qu’un seul poste frontière, celui de Tiraspol, soit encore ouvert pour les particuliers, alors que les postes de fret ont été fermés par la PologneNote.
32. Quant aux autres pays européens, la plupart d’entre eux ont déjà réduit la capacité de leurs consulats d’ici juin 2021Note. Les pays du Conseil de l’Europe qui n’exigent pas de visa d’entrée sont l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Türkiye et l’Ukraine. Ceci explique pourquoi de nombreux Bélarussiens se sont rendus en Géorgie et en Ukraine, mais aussi en raison de la quasi-absence de barrière linguistique (voir infra).
33. Selon le Cabinet uni de transition du Bélarus, depuis le début de la guerre en Ukraine, certains États membres ont introduit de nouvelles restrictions à l’encontre des ressortissants du Bélarus. En Lettonie, Lituanie, Estonie, Finlande, Pologne, Norvège et Suède, les visas Schengen ne sont pas délivrés ou l’éligibilité est limitée, y compris aux parents proches vivant dans l’Union européenne. Aucun visa n’est délivré pour le Danemark et la République tchèque. Les visas pour l’Autriche, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne et la Suède ne peuvent être obtenus qu’à Moscou. La France, l’Allemagne, la Grèce et l’Italie délivrent des visas après une longue attente (jusqu’à 6-8 mois), avec des frais excessifs à payer à des intermédiaires officiellement désignés (jusqu’à 450 euros) et pour une courte durée, par exemple 15 joursNote.
34. Certains pays considèrent toujours le Bélarus comme un pays sûr. Par exemple, la Suède n’a pas mis à jour son rapport sur le Bélarus depuis 2019 et considère le Bélarus comme un pays sûr. Par conséquent, des personnes peuvent y être renvoyées ou se voir refuser le statut de réfugié. Les Bélarussiens en Allemagne rapportent également qu’on leur dit qu’ils peuvent retourner en toute sécurité au Bélarus.
35. Enfin, le régime strict des visas applicable aux ressortissants du Bélarus est préjudiciable au regroupement familial car il n’existe pas de dispositions spécifiques pour le faciliter, et encore moins la possibilité pour les parents de rendre visite à leurs proches qui vivent à l’étranger pour une courte durée. Plusieurs de mes interlocuteurs se sont plaints qu’aucun regroupement familial n’était possible sur la base d’un visa humanitaire, mais seulement sur la base d’un visa Schengen, difficile à obtenir, et seulement pour une durée de 90 jours. Dans certains pays, comme l’Allemagne, l’autorisation des propriétaires est nécessaire pour pouvoir demander un visa. Les personnes se sentent otages de situations fortuites qui les empêchent de jouir de leur droit à la vie familiale.
36. Dans l’ensemble, les chances des Bélarussiens de s’installer en dehors du pays et de circuler librement dans l’Union européenne ont considérablement diminué depuis 2020, alors que la nécessité de le faire est plus importante que jamais.

3.1.2 Régularisation du séjour

37. Au moment de leur départ au lendemain des élections, la plupart des Bélarussiens pensaient qu’ils reviendraient dans quelques semaines, persuadés que la démocratie l’emporterait comme la raison l’exigerait. C’était sans compter sur la détermination de Loukachenka à rester au pouvoir à tout prix et sur l’aide de Vladimir Poutine pour y parvenir (au prix de la perte de la souveraineté du pays). Cependant, au bout d’un certain temps, il est apparu clairement que leur exil se prolongerait, posant la question de la régularisation de leur séjour à l’étranger. Je peux tirer deux conclusions claires de mon travail sur ce rapport: premièrement, plus le temps passe, plus la perspective du retour des Bélarussiens dans leur pays d’origine s’éloigne dans le temps, en particulier depuis le 24 février 2022. Deuxièmement, plus les pays sont proches du Bélarus, mieux ils comprennent les enjeux et sont prêts à adapter leur législation et leurs pratiques pour accueillir celles et ceux qui tentent d’échapper à la violence du régime de Loukachenka.
38. En effet, on trouve de bonnes pratiques de régularisation en Lituanie et en Pologne, où vivent le plus grand nombre de Bélarussiens en exil, et dont les autorités comprennent bien «le casse-tête que représente un voisin aussi imprévisible», comme me l’a dit l’un de mes interlocuteurs lituaniens. Rappelons que le Bélarus est situé à moins de 40 km de Vilnius.
39. La Lituanie a adopté des conditions d’octroi de visa favorables après les élections de 2020 en accordant des visas de 6 mois gratuits, des permis humanitaires pour les personnes victimes de l’oppression politique, ainsi que des visas nationaux donnant droit à un permis de séjour temporaire. La procédure de transfert d’entreprises (principalement informatiques) a également été assouplie, permettant le transfert en Lituanie de tous les employés.
40. Le nombre de Bélarussiens vivant en Lituanie n’a cessé d’augmenter ces dernières années : ils étaient 18 000 en 2020, 31 000 en 2021 et 49 000 en 2022. Il existe trois sources de régularisation : avec un permis de travail, pour des raisons humanitaires ou avec le statut de réfugié. Des droits différents dérivent de chacun de ces statuts. Très peu de Bélarussiens ont demandé le statut de réfugié (160 uniquement) en raison de la longueur de la procédure, qui dure de 12 à 15 mois et pendant laquelle il est interdit de travailler. Le permis de séjour temporaire doit être renouvelé chaque année, une procédure lourde et coûteuse qui empêche effectivement la liberté de circulation puisque le passeport de l’étranger y est attaché.
41. Mes interlocuteurs bélarussiens ont souligné que la Lituanie avait fait preuve d’une grande solidarité envers leur peuple qui avait fui pour défendre la démocratie et les droits humains, en les accueillant après les élections truquées. Cependant, le nouveau projet de régularisation en discussion au moment de ma visite à Vilnius sur les mesures restrictives à adopter en conséquence de l’agression de la Russie contre l’Ukraine, suscitait de profondes inquiétudes parmi les Bélarussiens, car perçu comme «mettant le peuple bélarussien et le régime de Minsk dans le même panier». Les Bélarussiens de Lituanie étaient inquiets, interprétant ce projet de loi comme une réaction à leur présence en Lituanie. L’un d’entre eux a posé la question suivante: «Pourquoi la Lituanie nous punit-elle? Qu’avons-nous fait de mal?».
42. Les représentants du ministère de l’Intérieur rencontrés à Vilnius m’ont assuré que les autorités n’avaient pas l’intention d’affecter négativement la vie des personnes qui résistent au régime de Minsk et qui ont trouvé refuge en Lituanie, y vivent, y apprennent et y travaillent; mes interlocuteurs ont cependant souligné que les autorités devaient prendre des mesures pour préserver la sécurité nationale après l’agression russe contre l’Ukraine. Pour eux, les régimes russe et bélarussien sont responsables à parts égales de la guerre en Ukraine.
43. Le 20 avril 2023, le Parlement lituanien a adopté la loi sur les mesures restrictives, visant à sauvegarder la sécurité nationale et les intérêts de la politique étrangère de la Lituanie, suite au rejet du véto apposé par le Président quelques jours plus tôtNote. Un projet précédent établissait de sérieuses restrictions pour les Bélarussiens en ce qui concerne la possibilité d’obtenir des visas, de demander des permis de séjour, des citoyennetés, des statuts de résidence électronique et d’obtenir des signatures électroniques.
44. La loi, telle qu’amendée par le parlement, n’affecte finalement pas les Bélarussiens qui vivent déjà en Lituanie. Elle introduit plutôt des restrictions pour celles et ceux qui n’y résident pas. Ainsi, elle prévoit de ne plus accepter : les demandes de visa auprès des services lituaniens des visas à l’étranger, sauf si le ministère des Affaires étrangères joue le rôle de médiateur; les demandes de visa national par l’intermédiaire d’un prestataire de services externe à l’étranger (cette restriction entrera en vigueur le 1er juillet 2023); et les demandes de statut de résident électronique (sauf pour les personnes titulaires d’un permis de séjour permanent ou temporaire en Lituanie). Cette nouvelle législation affectera donc les éventuels nouveaux arrivants, y compris les parents de ceux qui résident déjà en Lituanie.
45. Lors d’une réunion tenue le 5 avril 2023, le ministère de l’Intérieur et le bureau de Sviatlana Tsikhanouskaya ont convenu de former un groupe de travail chargé de simplifier les procédures et d’aborder d’autres questions pratiques concernant les Bélarussiens en Lituanie. Cette proximité physique est sans aucun doute propice à la résolution à la source des problèmes potentiels qui peuvent émerger.
46. Une telle équipe ad hoc chargée de résoudre les problèmes des Bélarussiens en exil en Pologne est déjà en place depuis mars 2022. Lors de ma visite à Varsovie, le ministère de l’Intérieur m’a fourni des informations détaillées et des données statistiques. La législation et la pratique ont été modifiées pour permettre aux Bélarussiens fuyant le régime de séjourner et de travailler légalement en Pologne. Depuis janvier 2023, celles et ceux venus en Pologne sur la base d’un visa humanitaire ont été autorisés à régulariser leur séjour ultérieur sur la base d’un permis de séjour temporaire.
47. Cela a ouvert la possibilité de leur accorder un document de voyage polonais pour étrangers, habituellement délivré aux étrangers séjournant en Pologne sur la base d’un permis de séjour à durée indéterminée, lorsqu’ils ou elles ont perdu leur document de voyage, qu’il a été détruit ou qu’il a expiré, et qu’il n’est pas possible d’obtenir un nouveau document de voyageNote.
48. En outre, conformément à la loi du 9 mars 2023 modifiant la loi sur les étrangers et certaines autres lois, à partir du 1 juin 2023, la possibilité de délivrer ce document sera également ouverte aux Bélarussiens séjournant en Pologne sur la base d’un permis de séjour temporaire, d’une protection subsidiaire ou d’un permis de séjour pour raisons humanitaires. Le document, valable un an, sera délivré gratuitement par le voïvodeNote.
49. La Pologne et la Lituanie sont les deux seuls pays à avoir adopté des dispositions spécifiques pour faire face au grand nombre d’arrivées de Bélarussiens. Leurs efforts considérables et leur bonne volonté n’ont cependant pas éliminé tous les soucis et les obstacles que les Bélarussiens doivent endurer. Que dire alors de celles et ceux qui vivent dans d’autres États membres du Conseil de l’Europe, où la situation du Bélarus n’est pas très bien comprise? La plupart de ces derniers ne disposent pas d’une législation favorable pour régulariser les Bélarussiens sur la base des motifs humanitaires pour lesquels ils et elles sont entrés dans l’Union européenne ou pour prévoir la possibilité d’obtenir des motifs légaux de séjour sur la base d’études ou d’un travail, y compris pour les spécialistes hautement qualifiés.
50. N’oublions jamais que si ces personnes sont parties, c’est parce qu’elles n’avaient pas d’autre choix. Beaucoup ont connu l’emprisonnement, la torture et les menaces. Elles n’ont qu’un seul souhait: retourner dans leur pays pour y construire un nouvel État démocratique. Leur vie devrait être facilitée autant que possible par les pays d’accueil, le temps de leur séjour à l’étranger. Il existe de nombreux exemples où le départ tardif d’experts, d’activistes, de journalistes, de défenseurs des droits humains, réticents à quitter leur pays d’origine, s’est soldé par des arrestations et de longues périodes d’emprisonnement.

3.1.3 Demander le statut de réfugié ou non?

51. Très peu de Bélarussiens en exil ont demandé le statut de réfugié, car ils/elles ne souhaitent pas rompre leurs liens avec leur pays d’origine qu’ils/elles n’ont pas quitté par choix. L’obtention du statut de réfugié a également des conséquences pratiques, comme l’impossibilité de vendre un bien immobilier au Bélarus par exemple.
52. En Pologne, par exemple, qui dispose d’un régime très libéral en matière d’octroi de la protection internationale, entre le 9 août 2020 et le 31 décembre 2022, 5 775 Bélarussiens ont demandé une protection internationale. Cela ne représente que 5 % de celles et ceux ayant demandé différents types de permis de séjour en Pologne. Plus de 99 % des demandes ont été acceptées, celles qui ont été rejetées l’ont été pour des raisons de sécurité. La Pologne a enregistré environ 70 % des demandes de protection en Europe émanant de ressortissants bélarussiens. La Lituanie et l’Allemagne ont accepté chacune environ 10 % des autres demandes.
53. Mais pour celles et ceux qui souhaitent demander une protection internationale, les règles et procédures nationales font souvent de ce voyage un long périple sans autorisation d’accéder au marché de l’emploi. En Lituanie, un pays où la vie est chère pour les Bélarussiens, certaines personnes sont obligées d’utiliser des moyens illégaux pour gagner de l’argent afin de survivre pendant la procédure d’obtention du statut de réfugié, qui prend plus d’un an, même si elles souhaitent respecter la loi et payer des impôts.
54. Dans des pays comme la France, l’Espagne et le Portugal, il est presque impossible d’obtenir le statut de réfugié car les autorités concernées ne sont pas au courant de la situation au Bélarus. Il est arrivé qu’un fonctionnaire du service d’immigration pose la question suivante à un demandeur: «Quel est le problème avec le Bélarus?»Note. Tant que les autorités nationales et les fonctionnaires qui traitent les dossiers d’immigration des demandeurs et demandeuses bélarussiens ne seront pas au courant de la situation au Bélarus, il est peu probable que la situation s’améliore.

3.2 Menaces sur la liberté de circulation

55. La liberté de circulation est une question très sensible qui touche de nombreux Bélarussiens à l’étranger. Même les personnes qui remplissent les conditions nécessaires pour voyager à l’étranger se heurtent après un certain temps à un problème pratique : soit leur passeport arrive à expiration, soit il ne contient pas suffisamment de pages pour être tamponné. Nous, ressortissants de l’espace Schengen, avons presque oublié ce que signifie faire tamponner son passeport à chaque passage de frontière, mais si nous nous souvenons de ce que cela signifie, nous réalisons à quel point les pages vierges peuvent être importantes dans un passeport en cours de validité.
56. Cette situation ne concerne pas les bénéficiaires d’une protection internationale qui disposent d’un document de voyage et ceux qui disposent d’un permis de séjour temporaire accompagné d’un passeport d’étranger de même durée, comme en Lituanie et en Pologne. Ces personnes constituent cependant une minorité.
57. Il existe de nombreuses preuves anecdotiques que les consulats bélarussiens à l’étranger refusent les demandes de prolongation de la validité des passeports de leurs ressortissants. Au lieu de cela, ils exigent que ces personnes retournent au Bélarus pour obtenir un nouveau document de voyage. Cela n’est évidemment pas possible pour toutes celles et tous ceux qui ont échappé au régime en place. Il y a déjà eu trop d’exemples de Bélarussiens arrêtés à leur retour malgré le chant des sirènes de Loukachenka pour les attirer chez eux. Pour le régime, le contrôle des passeports est clairement utilisé comme un moyen de contrôler la vie de celles et ceux qui vivent à l’étranger. Cette pratique constitue également un abandon de fait par le régime de Loukachenka de l’un des services fondamentaux de l’État, à savoir la délivrance de documents à ses ressortissants.
58. Cette dépendance est préjudiciable aux Bélarussiens vivant à l’étranger, qui ont montré qu’ils et elles ne voulaient pas perdre leur citoyenneté. Leurs passeports ne devraient pas être utilisés par les autorités comme un instrument de contrôle de leur vie.
59. Une possibilité serait d’autoriser les ressortissants Bélarussiens à continuer d’utiliser leurs documents de voyage qui ont expiré. Toutefois, l’Union européenne traite la délivrance des documents de voyage et leur crédibilité avec une extrême prudence. Les documents doivent également répondre aux exigences strictes de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en matière de sécurité des voyages. En outre, la prolongation de la période de validité d’un document de voyage est une tâche extrêmement longue et délicate à réaliser dans l’Union européenne. Cela serait contraire aux règles de l’OACI, qui s’appliquent dans le monde entier et ne prévoient aucune dérogation.
60. Afin de répondre à la demande du peuple de ne pas être pris en otage par un régime illégitime qui l’empêche de jouir de la liberté de mouvement, le Bureau de Sviatlana Tsikhanouskaya et le Cabinet transitoire uni du Bélarus ont eu l’idée de créer un nouveau passeport bélarussien qui serait délivré par eux. De nombreuses difficultés politiques, pratiques, financières et sécuritaires sont liées à une telle initiative, mais la situation actuelle de création d’un État bélarussien de facto en exil est unique. Il faut donc trouver une solution originale et les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que l’Union européenne, pourraient trouver des moyens inédits de soutenir ces efforts.

3.3 Refus des services consulaires

61. Les services consulaires sont également refusés lorsqu’une apostille est nécessaire, notamment pour la procédure de régularisation. On m’a dit qu’après avoir fait de longues files d’attente, les gens se voient répondre qu’ils doivent retourner au Bélarus, ce qui n’est évidemment pas faisable puisque, comme je l’ai déjà dit, ils seraient rapidement arrêtés, ou alors leur demande reste sans réponse.
62. Les enfants nés à l’étranger qui ne peuvent pas obtenir de documents parce que les consulats ne peuvent pas s’occuper de cette question sont particulièrement préoccupants. Comme leurs parents ne sont pas en mesure de retourner au Bélarus pour obtenir des documents en bonne et due forme, ces enfants nés à l’étranger risquent de devenir apatrides.
63. Parce que le régime continue d’utiliser ce levier contre ses citoyens et parce que les pays d’accueil exigent des documents qui sont, de fait, impossibles à obtenir, les Bélarussiens en exil se retrouvent soit contraints de rentrer et risquent d’être arrêtés pour des raisons politiques, soit dans l’impossibilité de légaliser leur séjour, de faire reconnaître leurs diplômes, et se voient refuser l’accès aux services sociaux et aux soins de santé. Il y a une contradiction à exiger une apostille d’un régime non reconnu, et des solutions doivent être trouvées pour éviter le recours aux services consulaires.

3.4 Menaces pour la sûreté et la sécurité

64. Le passage de la frontière n’est pas toujours suffisant pour assurer la sécurité des Bélarussiens qui ont fui le régime, mais les risques les plus importants demeurent pour ceux qui sont restés sur place. De toute évidence, le Bélarus est devenu une immense prison à ciel ouvert, où n’importe qui peut devenir la cible du régime, à l’exception de ceux qui lui restent fidèles. Il est difficile de maintenir des relations avec les parents et les amis restés au pays, précisément pour ne pas les mettre en danger. Nombre de mes interlocuteurs ont souligné que l’un des défis consiste à rétablir le lien entre celles et ceux qui se trouvent hors du pays et celle et ceux qui s’y trouvent encore.
65. La simple communication devient un véritable défi. Le sociologue français Roman Hervouet en donne un exemple magnifique et touchant dans son dernier livre, où il raconte sa correspondance avec un vieil ami qui vit toujours à Minsk, et qui se sent comme l’Albatros de Charles Baudelaire, «exilé sur terre»Note.
66. Tous les Bélarussiens en exil craignent de rentrer car toute déclaration publique et tout message personnel pourraient être utilisés comme preuve en vue de leur détention. Chaque jour, au Bélarus, environ 15 à 20 personnes sont arrêtées et, rien qu’en 2022, 5 000 détentions pour motifs politiques ont été enregistrées. Cependant, les Bélarussiens en exil ne craignent pas seulement pour leur vie, mais aussi pour d’éventuelles représailles de l’État sur leurs proches qui se trouvent encore sur le territoire bélarussien. Lorsque ils/elles sont condamnés par contumace à une peine d’emprisonnement ou à des sanctions civiles, les autorités prennent toutes les mesures qu’elles jugent nécessaires pour les pousser à rentrer au Bélarus et à se faire arrêter. Par exemple, il y a eu des cas où des proches de Bélarussiens en exil ont été kidnappés ou détenusNote. Il arrive que ces proches soient eux-mêmes torturés pour les forcer à transmettre des informations sur des Bélarussiens qui se trouvent à l’étranger. Dans d’autres cas, les maisons des Bélarussiens en exil ont été fouillées de fond en comble, pour ne pas dire vandalisées, à la recherche de preuves qui pourraient être utilisées dans leurs procès, tandis que les bureaux des ONG ont été perquisitionnés en guise de message de menaceNote.
67. Les organisations qui soutiennent les militants et les familles de prisonniers politiques en leur apportant un soutien financier dans le pays doivent agir très prudemment pour éviter le risque d’arrestation des bénéficiaires. Certaines ont été reconnues comme des «organisations extrémistes» et lorsque les banques du Bélarus ont divulgué la liste des personnes qui ont fait des dons par ce biais, elles ont également été déclarées extrémistes. En conséquence, des personnes au Bélarus ont été arrêtées et ont fait l’objet de chantage.
68. Il y a suffisamment d’affaires retentissantes qui montrent que la sécurité numérique n’est pas correctement prise en compte. Par exemple, le contenu de l’ordinateur et du téléphone du journaliste Raman Pratasevich a été utilisé comme preuve pour l’arrêter et le poursuivre en justice après le détournement du vol Ryanair Athènes – Vilnius en avril 2021.
69. J’ai entendu deux versions différentes au sujet du livre «I am going out» [Je sors], qui contient des photos des manifestations ayant suivi les élections du 9 août 2020Note: les autorités utilisent ces photos pour identifier les opposants au régime et les arrêter, en se servant des photos comme preuve que ces personnes ont participé à des manifestations anti-Loukachenka, et au contraire, Freedom House utilise les photos pour trouver des preuves que celles et ceux qui cherchent à entrer en Lituanie sont de véritables opposants au régime, et non des agents infiltrés.
70. Il est difficile de dire dans quelle mesure les services spéciaux bélarussiens sont actifs à l’étranger, mais on m’a dit dans différents contextes que l’utilisation de récits faux et discréditant à l’encontre des activistes est en hausse, ce qui contribue notamment à créer un sentiment de méfiance parmi les différentes organisations.
71. Dans un cas, un avocat lituanien a été accusé d’avoir été recruté par le KGB pour espionner une organisation basée à VilniusNote. On m’a également dit qu’il y avait des cas de Bélarussiens en exil recrutés par le KGB bélarussien en échange d’un retour sain et sauf au Bélarus et de l’acquittement de toute accusation éventuelle à leur encontre. Selon une source, rien qu’en décembre 2022, 58 d’entre eux ont été arrêtés après être rentrés au Bélarus, alors que les autorités leur avaient promis un retour en toute sécuritéNote.
72. Les procédures pénales engagées au Bélarus contre des opposants politiques peuvent avoir d’énormes répercussions sur la vie des Bélarussiens en exil si Interpol émet une notice rouge à la demande du régime de Loukachenka. Il y a déjà eu de nombreux cas où des procédures pénales ont été engagées sous prétexte de persécution politique. Par exemple, des délits économiques tels que le non-paiement d’impôts, l’octroi ou l’acceptation de pots-de-vin, la fraude, le blanchiment d’argent sont utilisés pour persécuter des opposants politiques à la fois au Bélarus (au moins 15 prisonniers politiques ont été condamnés en vertu de ces dispositions du Code pénal, y compris le lauréat du prix Nobel Ales Bialiatski) et en dehors du Bélarus (Dmitri Glazer a été accusé d’avoir accepté des pots-de-vin, mais a été libéré par un tribunal slovène)Note. En outre, des procédures pénales pour menace à la sécurité nationale, extrémisme, haute trahison, incitation à la haine nationale, trouble à l’ordre public, etc. sont engagées contre des opposants politiques et des journalistes qui protestent contre la guerre en UkraineNoteNote.
73. À la suite d’amendements législatifs, depuis mai 2022, la peine de mort peut être imposée non seulement pour avoir commis un acte terroriste, mais aussi pour l’avoir préparé. La liste des soi-disant terroristes au Bélarus comprend des participants aux manifestations de 2020, notamment Sviatlana Tsikhanouskaya et Pavel Latoushka. En 2022, des personnes ont été arrêtées pour avoir saboté la voie ferrée afin d’empêcher les trains militaires russes de se rendre en Ukraine. La plupart des personnes arrêtées ont été accusées d’avoir commis un acte de terrorisme ou de l’avoir préparé.
74. Les Bélarussiens en exil ne peuvent se sentir en sécurité que s’ils/elles savent avec certitude qu’il n’y aura pas de risque d’extradition à la suite d’une notice rouge d’Interpol. Il est donc essentiel de fournir des informations adéquates aux autorités nationales respectives auxquelles ces notices rouges sont adressées. Les ministères de la Justice et de l’Intérieur devraient systématiquement prendre connaissance des rapports pertinents qui justifieront une réponse négative à une notice rouge d’Interpol ou une demande d’extraditionNote. À cet égard, il convient de noter que le Bélarus est le seul pays européen où une demande adressée à Interpol ne nécessite pas de décision de justice; le bureau du procureur utilise cette lacune pour poursuivre des opposants politiques.

3.5 Solidarité avec le Bélarus

75. Les liens entre les Bélarussiens en exil et leurs compatriotes qui n’ont pas quitté le pays restent très étroits, même en l’absence de contacts physiques. Les médias sociaux et les technologies modernes ont joué un rôle déterminant à cet égard. Il existe de nombreuses initiatives visant à soutenir différents groupes au Bélarus, dont je ne dresserai pas le catalogue, car elles mériteraient un rapport à elles seulesNote.
76. Valentin Stefanovic, vice-président de Viasna, vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et partenaire de longue date du Conseil de l’Europe sur la question de l’abolition de la peine de mort, condamné à 9 ans de colonie, a écrit en avril 2023: «[L]a prison, c’est comme la mort [...] On n’est peut-être pas mort, mais on est effacé de la vie pour longtemps, et la vie continue; elle continue, mais sans vous. Mais j’ai la ferme intention de tout endurer et de revenir dans ce monde»Note.
77. Le nombre de prisonniers politiques augmente quotidiennement et il est devenu primordial de les soutenir, ainsi que leurs proches. Outre l’horreur de l’emprisonnement, les prisonniers font face à de nombreuses difficultés après leur libération. La liste des différents types de soutien matériel nécessaires est sans fin, de la nourriture à l’argent (pour payer les factures de gaz et d’électricité accumulées pendant la période d’emprisonnement), en passant par les vêtements, les médicaments, etc. Un afflux régulier de dons est nécessaire pour pouvoir soutenir tous ceux qui sont dans le besoin, en gardant également à l’esprit que quelque 300 à 400 prisonniers politiques condamnés au lendemain des élections à 2 ou 3 ans de prison devraient être libérés en 2023 – 2024.
78. Après leur libération, la santé mentale et physique des prisonniers politiques est mise à mal et des efforts considérables sont déployés pour assurer leur resocialisation. On m’a dit qu’en raison de leurs mauvaises conditions de détention, beaucoup ont perdu leurs dents et que leur remplacement est considéré comme une étape importante vers la resocialisationNote.
79. Une autre catégorie de personnes ayant besoin du soutien de leurs compatriotes à l’étranger est celle des personnes licenciées et sans aucune source de revenus réguliers, comme les médecins et les enseignants.
80. Des alternatives sûres et sécurisées sont mises en place pour transférer de l’argent vers le Bélarus afin de surmonter les obstacles liés aux problèmes de sécurité, aux réglementations bancaires et aux sanctions. Le volume d’argent concerné, les priorités divergentes et les initiatives concurrentes ont provoqué des tensions entre certaines organisations non gouvernementales bélarussiennes en exil.

3.6 Accès à l’éducation

81. Contraints de fuir le pays sans avoir organisé leur départ au préalable, de nombreux Bélarussiens ont souvent oublié leurs diplômes et n’ont pas apostillé leurs certificats professionnels. L’absence de documents officiels représente donc un obstacle important à l’accès au marché du travail qualifié ou aux programmes éducatifs. En outre, ne connaissant pas la ou les langues de leurs pays d’accueil ou devant s’adapter à de nouveaux contextes, les Bélarussiens en exil rencontrent souvent des difficultés à trouver des écoles adaptées pour leurs enfants.
82. Des cas de discrimination ont également été enregistrés dans les écoles et les universités. En particulier, les universités européennes ont parfois refusé aux Bélarussiens la possibilité de s’inscrire, par exemple en avançant des raisons de sécurité. D’autres discutent de l’expulsion possible d’étudiants Bélarussiens en exil déjà inscritsNote.
83. Les élèves du Pranciskaus Skorinos Gymnasium ont le privilège d’étudier dans la seule école de 10 classes où l’enseignement est dispensé en bélarussien en dehors du Bélarus. Ainsi, ces élèves suivent le programme lituanien mais dans leur langue maternelle. Ouvert en 1919, fermé en 1944 et rouvert en 1994, il compte pour cette année scolaire 381 élèves, dont la moitié est arrivée après les élections de 2020. Outre leur langue maternelle et le lituanien, ils apprennent l’anglais et le russeNote. Certains de leurs professeurs sont eux-mêmes des Bélarussiens en exil. L’intégration n’y est pas un problème, contrairement à d’autres écoles où les élèves bélarussiens doivent s’adapter à une nouvelle langue et à un nouveau programme. En Pologne, pour l’année scolaire en cours, certains d’entre eux ont étudié dans des classes d’adaptation avec des enfants ukrainiens, ce qui a provoqué des tensions et des brimades dans certains cas. On m’a également dit que les classes destinées à la minorité bélarussienne en Pologne n’étaient pas ouvertes aux nouveaux arrivants.
84. Étant donné que le monde scientifique et universitaire du Bélarus a vécu en vase clos pendant des années, fonctionnant selon ses propres critères, les universitaires Bélarussiens n’ont pratiquement pas pu prendre part à des projets scientifiques internationaux. Par conséquent, non seulement n’ont-ils n’ont aucun lien avec leurs pairs au niveau international, leurs CV ne répondent pas aux exigences des institutions universitaires en dehors du Bélarus mais la reconnaissance de leurs diplômes est également problématique. Les universitaires en exil ont donc du mal à s’installer ailleurs.
85. Le report du service militaire ne sera plus possible à partir de cette année pour les jeunes hommes qui étudient à l’étranger. Par conséquent, soit les étudiants iront à l’armée à l’âge de 18 ans et reprendront leurs études deux ans plus tard, soit, s’ils restent dans leur université, ils seront considérés comme s’étant soustraits au service militaire. L’Université européenne des sciences humaines, la seule université bélarussienne capable de fonctionner sur la base de la liberté académique et de l’adhésion aux valeurs européennes, en exil à Vilnius depuis 2005, est particulièrement préoccupée par le fait que les visas et les permis de séjour de ces jeunes hommes expireront une fois qu’ils auront obtenu leur diplôme.

3.7 Poursuivre une carrière professionnelle en exil

86. Outre les obstacles structurels, les exilés Bélarussiens sont souvent victimes de discrimination au travail en raison de leur nationalité. Ils signalent des cas de surcharge de travail, de diffusion de fausses informations à leur sujet et de rejet de leurs demandes d’emploiNote. Selon une analyse quantitative récente, 17 % de celles et ceux qui se trouvent en Pologne et qui ont été interrogés ont essuyé un refus d’embaucheNote.

3.7.1 Entreprises

87. Plus de 80% des entreprises bélarussiennes en exil sont basées en Pologne grâce au Poland Business Harbour. 10% sont basées en Lituanie et le reste ailleurs dans le monde, en particulier en Géorgie, qui compte un grand nombre de petites entreprises et d’indépendants.
88. La délocalisation des entreprises informatiques est généralement une réussite. Par exemple, parmi les trois premières entreprises de technologies de l’information en Lituanie, deux sont bélarussiennes. Toutefois, la majorité des entreprises bélarussiennes délocalisées se trouvent dans le secteur du commerce de détail, de la logistique et du transport, des petits services et de la construction.
89. Les sanctions internationales contre le régime de Loukachenka ont été accueillies favorablement par les forces démocratiques. Cependant, elles ont également eu un impact sur le fonctionnement des entreprises dirigées par des Bélarussiens non affiliés au régime de Minsk, qui ont quitté le paysNote.
90. L’ouverture d’un compte bancaire est le plus grand défi auquel ces entreprises sont confrontées. Bien que deux banques polonaises soient disposées à ouvrir des comptes pour ces entreprises, si une demande est rejetée, l’entreprise sera placée sur une liste noire, et une nouvelle demande de sa part nécessitera en fait la création d’une nouvelle société. En outre, les adresses temporaires ne sont pas acceptées, ce qui pose un problème particulier pour les entreprises du secteur des technologies de l’information qui fonctionnent souvent en mode nomade. La limitation des dépôts est également problématique, car elle affecte les personnes qui souhaitent rapatrier dans leur pays d’accueil les fonds provenant de la vente d’un bien immobilier au Bélarus. Cela n’affecte pas seulement les entreprises, mais aussi les prisonniers politiques libérés qui ont quitté le pays.
91. Les entreprises bélarussiennes sont moins compétitives car il leur est difficile d’obtenir un crédit ou des services de comptabilité. De plus, dans certains pays comme l’Estonie ou la Lettonie, les actionnaires locaux deviennent les principaux actionnaires car il est pratiquement impossible pour les Bélarussiens de posséder une entreprise dans ces pays.
92. L’Association of Belarus Businesses Abroad, créée en 2021, apporte son soutien aux entreprises bélarussiennes qui souhaitent se délocaliser ou qui l’ont déjà faitNote. Un système d’accréditation a été mis au point, dans lequel les entreprises qui souhaitent adhérer doivent signer un code d’éthique, confirmant qu’elles sont contre la guerre en Ukraine et qu’elles soutiennent les valeurs démocratiques. Trois de ses membres font partie de l’équipe économique de Sviatlana Tsikhanouskaya et ont participé au Forum de Davos 2023 pour présenter les besoins du secteur privé bélarussien en exil. Bien que l’association soutienne pleinement les sanctions de l’Union européenne contre le Bélarus, elle estime que ceux qui s’opposent au régime de Loukachenka devraient être soutenus et autorisés à payer des impôts dans leur pays d’accueil.

3.7.2 Journalistes

93. L’Association des journalistes du Bélarus (BAJ) est une association professionnelle de journalistes de médias indépendants, créée en 1995 pour protéger la liberté d’expression et d’information, promouvoir les normes professionnelles du journalisme, assurer le suivi de la presse bélarussienne et offrir un soutien juridique à tous les travailleurs des médiasNote. Quelque 400 à 500 de ses 1300 membres ont quitté le pays après la perquisition des bureaux de la BAJ en février 2021. En août 2021, la Cour suprême du Bélarus a accédé à la demande du ministère de la Justice de liquider l’association, mais celle-ci continue bien sûr de fonctionner en exil. En mars 2023, la BAJ et son personnel ont été désignés comme «formation extrémiste» par les autoritésNote.
94. La plupart des journalistes en exil se trouvent en Géorgie (environ 50), en Allemagne (entre 20 et 30), en Lituanie (environ 150) et en Pologne (plus de 200). Ils et elles travaillent pour des médias bélarussiens, leur principal objectif étant de fournir des informations objectives et vérifiées au sein du pays afin de briser la machine de propagande. Pour ceux qui ne sont pas déjà emprisonnés – 33 sont des prisonniers politiques – travailler comme journaliste indépendant au Bélarus est devenu impossible, les risques étant trop élevésNote.
95. Les journalistes sont confrontés aux mêmes difficultés que leurs autres compatriotes en termes de régularisation, d’accès aux comptes bancaires, etc. Il arrive fréquemment que leurs salaires soient bloqués jusqu’à ce que les contrôles anti-blanchiment soient effectués. Pendant cette période, ces personnes n’ont pas accès à leur salaire.
96. Ce qui les aiderait sans aucun doute à informer leurs compatriotes, c’est que les moteurs de recherche, tels que Google, veillent à ce que leurs informations, plutôt que celles provenant de sources officielles, soient placées en tête des recherches. Le fait que le Bélarus soit un petit marché ne devrait pas dissuader les grandes entreprises informatiques de contribuer à garantir un internet équitable et sûr au Bélarus même, en permettant à des informations indépendantes et objectives de circuler.

3.7.3 Avocats

97. Les avocats sont une catégorie professionnelle particulièrement menacée au Bélarus. Ces professionnels du droit font l’objet d’un large éventail d’attaques de la part du régime: utilisation abusive des procédures disciplinaires, détention arbitraire et poursuites pénales, traitement de leurs conversations sur Telegram comme «extrémistes», ingérence dans les communications confidentielles entre avocats et clients, et retrait de leur licence d’exercice.
98. En conséquence, nombre de ces personnes ont été contraintes de quitter le Bélarus et se trouvent aujourd’hui en exil. Outre la question de la régularisation du séjour, leur principal défi est de faire reconnaître leur autorisation d’exercer dans leur pays d’accueil. Bien qu’il n’existe pas de solution simple et évidente, la reconnaissance de l’Association bélarusienne des avocats spécialisés dans les droits humains, un nouveau type de barreau établi sur le territoire d’autres États, pourrait permettre aux avocats en exil de continuer à fournir des services juridiques à leurs clients au Bélarus. Son objectif principal est de promouvoir et de protéger les droits humains des avocats privés du droit d’exercer leur profession au Bélarus, ainsi que d’élever les normes de l’assistance juridique.
99. Le rapport «The Crisis of the Legal Profession in Bélarus: How to Return the Right to Defense» [La crise de la profession d’avocat au Bélarus: comment rendre le droit à la défense] initié par le Center for Constitutionalism and Human Rights of the European Humanities University en partenariat avec le projet «Right to Defense» (defenders.by), l’organisation de défense des droits humains Human Constanta et Polish Helsinki Foundation for Human Rights contient un programme d’action intéressant, visant à restaurer la profession d’avocat et l’environnement juridique [Action Program for the Restoration of the Institute of Advocacy in Belarus] et constitue donc une précieuse feuille de route pour l’avenirNote.

3.8 Préserver l’identité et la culture bélarussiennes

100. Pendant de nombreuses années, la langue et la culture du Bélarus sont restées dans l’ombre de celles de la Russie. Même son nom n’a pas été correctement translittéré dans les langues étrangères, car aucune distinction n’a été faite entre «руський / рускі», qui désigne le peuple, les langues, les cultures et la religion des Slaves orientaux à l’époque de l’État de la Rus’, et «російський / расейскі», qui désigne aujourd’hui le peuple, la langue, la culture et l’État russe. C’est ainsi que de nombreux pays désignent encore à tort le Bélarus comme la «Biélorussie» ou la «Russie blanche» au lieu de Bélarus/bélarussien, translitération en français de Беларусь/ Беларускі.
101. La crise politique née après les élections de 2020 a entraîné une renaissance de l’intérêt pour la langue et la culture bélarussiennes parmi les Bélarussiens en exil, alors que dans le même temps, cet intérêt a été réprimé au Bélarus même. Ainsi, de nombreux artistes et écrivains qui se sont joints aux manifestations de masse après les élections ont été détenus pour des motifs administratifs ou poursuivis au pénal. Le régime a censuré et interdit la publication de certains livres considérés comme extrémistes, tels que ceux de Sviatlana Aleksievich, lauréate du prix Nobel de littératureNote.
102. Un certain nombre d’initiatives ont été lancées pour promouvoir l’apprentissage de la langue, de l’histoire et de la culture bélarussiennes, notamment au sein du Belarus Youth Club, dont l’objectif est de veiller à ce que les Bélarussiens qui retourneront au Bélarus le fassent avec des connaissances et des compétences accruesNote. La priorité du centre est de préserver et de renforcer l’identité bélarussienne parmi les Bélarussiens en exil et leurs enfants. Outre les cours de langues et de musique, la production de dessins animés en bélarussien disponibles sur YouTube est l’une de ses initiatives réussies.
103. Le Conseil bélarussien pour la culture est une organisation non gouvernementale qui réunit les acteurs culturels formant l’infrastructure durable de la culture bélarussienne libre. Ses activités se concentrent sur la promotion de la culture bélarussienne (mécénat d’artistes, d’interprètes et de gestionnaires d’art), le développement de nouveaux projets culturels, l’unification de la communauté culturelle et la promotion de la culture bélarussienne dans le monde entier. Il est en train de préparer une feuille de route pour la Commission européenne sur la préservation de la culture bélarussienne. Cette feuille de route a pour but d’exposer les besoins de la société civile bélarussienne dans le domaine de la culture, d’expliquer pourquoi cette demande correspond aux intérêts des citoyens européens et de recommander aux donateurs comment agir – combien d’argent allouer à ce domaine, comment structurer l’aide et quels résultats attendre. L’objectif est que cette proposition soit prise en considération dans la période de programmation de la Commission européenne pour les trois prochaines annéesNote.
104. Entre-temps, la littérature bélarussienne et les livres en bélarussien ont pratiquement disparu au Bélarus. Des efforts sont déployés pour créer un Institut du livre bélarussien à l’étranger afin de faire connaître la littérature bélarussienne et de traduire davantage de livres en bélarussien. Un certain nombre d’auteurs, d’illustrateurs et d’éditeurs discutent du statut d’une telle organisation, qui prendrait la forme d’une plateforme dans un premier temps. Les personnes à l’initiative de l’Institut sont confrontées à des problèmes pratiques tels que le manque d’espace pour stocker les livres. Toutefois, le premier problème est d’ordre financier: quels investisseurs seraient intéressés par le très petit marché du livre bélarussien?
105. La culture ne devrait pas être soumise aux lois du marché, elle ne peut être traduite en chiffres sur un fichier Excel. Il est essentiel d’apporter tout le soutien nécessaire pour permettre aux troupes de théâtre de jouer leurs pièces, aux musiciens de jouer, aux livres d’être publiés et lus, afin que l’art devienne le ciment de l’identité bélarussienne et que la langue et la culture bélarussiennes retrouvent leur place au soleil, car elles sont la clé de l’existence même de l’État bélarussien.

3.9 Double exil après avoir fui l’Ukraine

106. L’Ukraine est l’un des pays qui a accueilli un grand nombre de Bélarussiens, notamment en raison de son régime d’exemption de visa et de l’absence d’une barrière linguistique importante. On estime que 20 à 30 000 d’entre eux ont franchi la frontière chaque mois après les élections de 2020 et que quelque 171 000 Bélarussiens vivaient en Ukraine en 2021. On m’a rapporté qu’environ 50 000 personnes étaient parties en Pologne après l’agression russe contre l’Ukraine, un grand nombre en Géorgie et en Lituanie, et qu’il en resterait peut-être environ 5 000 en Ukraine.
107. Au départ, les Bélarussiens étaient autorisés à rester en Ukraine pendant 90 jours, mais après une campagne menée par des organisations de la société civile, cette durée a été portée à 180 jours, puis à nouveau prolongée un an plus tardNote. Malgré un processus de régularisation compliqué, la plupart des Bélarussiens qui vivaient en Ukraine avant la guerre étaient bien intégrés et n’avaient pas l’intention de partir. Ils et elles ont été contraints de le faire à la suite de l’attaque russe.
108. Comme d’autres ressortissants de pays tiers ayant fui l’Ukraine, ces Bélarussiens n’ont pas eu accès au même régime de protection et d’accueil que celui prévu pour les citoyens ukrainiens en vertu de la directive 2001/55/CE de l’Union européenne (directive sur la protection temporaire) et se sont retrouvés dans une situation de double exil.
109. Cependant, certains Bélarussiens sont restés en Ukraine pour aider les Ukrainiens à résister à l’agression russe, notamment le régiment Kastuś Kalinoŭski et d’autres.
110. Une centaine de journalistes bélarussiens étaient exilés en Ukraine au début de la guerre. La plupart d’entre eux sont partis, mais il reste un certain nombre de correspondants qui couvrent la guerre pour les médias bélarussiens en exil, tels que Belsat, Nasha Niva et Zerkalo. J’ai été informé d’un problème très spécifique concernant les journalistes vivant en Ukraine: leurs comptes bancaires ont été bloqués par les services de sécurité ukrainiens, le SBU, et ils ne peuvent plus accéder à leur argent. Si environ la moitié de ces comptes ont été débloqués depuis, une cinquantaine d’autres restent inaccessibles à leurs propriétaires. Plusieurs tentatives ont été faites pour contacter les autorités ukrainiennes en leur nom, mais sans succès jusqu’à présent. J’espère que si les comptes sont correctement vérifiés et qu’il n’y a pas d’irrégularités, ils seront rendus accessibles à leurs propriétaires, dont la situation de double exil rend l’accès à leurs propres ressources encore plus crucial.
111. La participation du régime de Loukachenka à la guerre en Ukraine, la menace qu’il fait peser sur la sécurité de l’Ukraine et au-delà, avec son accord pour accueillir des armes nucléaires tactiques russes, ne devraient pas être considérées comme une justification pour imposer des mesures discriminatoires aux Bélarussiens, en particulier à ceux qui ont quitté le pays pour des raisons politiques, pour une situation dont ils ne sont pas responsables. Les Bélarussiens n’ont pas ménagé leurs efforts pour apporter leur soutien aux Ukrainiens, notamment par le biais de collectes de fonds menées par des organisations en exilNote. Si l’Ukraine craint à juste titre l’ouverture d’un front nord, elle doit reconnaître que la majorité des Bélarussiens ne soutient pas l’agression de la Russie contre l’UkraineNote.

4 Conclusions et recommandations

112. Les Bélarussiens qui ont quitté leur pays après les élections présidentielles truquées d’août 2020 y ont été contraints par le régime de Loukachenka. Cet exil imposé les a exposés à des violations de leurs droits dans les pays d’accueil où ils et elles ont trouvé refuge, parfois comme conséquence involontaire des sanctions imposées au régime de Loukachenka.
113. Si leur principal souhait est de retourner dans un Bélarus démocratique, plus le temps passe, plus cette perspective semble s’éloigner. La levée des obstacles juridiques, administratifs et pratiques auxquels ces personnes sont confrontées et le soutien aux Bélarussiens en exil devraient être une priorité pour les États membres du Conseil de l’Europe, car un Bélarus démocratique et sûr est partie intégrante de la sécurité en Europe.
114. Il est inutile d’ignorer le fait que les forces démocratiques cherchent à créer un «nouveau Bélarus» en exil. Il convient de soutenir les efforts qu’elles déploient pour atténuer les difficultés auxquelles sont confrontés leurs compatriotes. Dans le même temps, l’intégration des Bélarussiens en exil dans les sociétés d’accueil reste essentielle pour éviter la ghettoïsation et la perte du sens de la réalité.
115. Ce rapport propose des solutions concrètes aux États membres où les Bélarussiens fuyant le régime de Loukachenka ont trouvé refuge, afin qu’ils et elles puissent vivre le plus normalement possible, du moins sans entrave à la jouissance de leurs droits fondamentaux. Il devrait servir de base aux parlements nationaux des États concernés et aux autorités compétentes pour que les 46 États membres du Conseil de l’Europe offrent un niveau de protection équivalent, voire harmonisé, aux Bélarussiens en exil, leur permettant de s’intégrer tout en préservant et en renforçant leur identité nationale.