Réduire la fracture numérique: promouvoir l’égalité d’accès aux technologies numériques
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 23 juin 2023 (19e séance)
(voir Doc. 15776, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination,
rapporteure: Mme Edite Estrela). Texte
adopté par l’Assemblée le 23 juin 2023 (19e séance).
1. Dès 2001, l’Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE) a défini la «fracture numérique»
comme désignant «l’écart entre les individus, les foyers, les entreprises
et les espaces géographiques à différents niveaux socio-économiques
en ce qui concerne à la fois leurs perspectives d’accès aux technologies
de l’information et de la communication (TIC) et leur utilisation
d’internet pour un large éventail d’activités».
2. Depuis lors, l’expansion continue des domaines d’utilisation
de ces technologies a eu pour conséquence l’élargissement des situations
d’inégalités qu’elles créent, et la pandémie de covid-19 a jeté
une lumière crue sur cette réalité. Dès les premières restrictions
à la circulation des personnes, les communications numériques ont
rapidement pris une importance sans précédent dans presque tous
les domaines de la vie. Les échanges commerciaux, les contacts avec
les administrations publiques, certains types de travail, les interactions
avec la famille, l’éducation, les rendez-vous médicaux: même dans
des sphères où les technologies de l’information jouaient encore
naguère un rôle modeste, la place de celles-ci s’est rapidement
agrandie.
3. Comme l’a souligné le Secrétaire général des Nations Unies
à l’époque, la pandémie a fait de la fracture numérique une question
de vie ou de mort pour les personnes qui n’avaient pas accès à des
informations essentielles en matière sanitaire. Aujourd’hui, cette
fracture menace de devenir le nouveau visage des inégalités car
elle renforce les désavantages sociaux et économiques auxquels sont
déjà confrontées les femmes et les filles, les personnes les plus
âgées et les plus jeunes, les minorités ethniques, les personnes défavorisées
sur le plan socio-économique, les personnes handicapées ainsi que
les personnes vivant dans des situations particulières, comme les
détenu·e·s, les majeur·e·s protégé·e·s et les demandeuses et demandeurs
d’asile.
4. Aujourd’hui, l’accès à internet et aux moyens matériels nécessaires
pour s’en servir et maîtriser des outils numériques de base est
devenu un besoin fondamental; l’exclusion numérique constitue un
obstacle majeur à l’égalité. Ne pas pouvoir bénéficier des technologies
numériques prive les personnes concernées d’accès aux services publics,
à l’éducation et à de nombreuses opportunités dans la vie. La prise
de conscience de cette problématique doit nous inciter à agir sans
attendre pour adopter une approche réellement inclusive dans le
domaine numérique.
5. Les individus qui subissent d’ores et déjà des inégalités
et des discriminations, et qui ont du mal à se faire entendre, sont
encore plus touchés par la fracture numérique. En tant que responsables
politiques, nous nous trouvons aujourd’hui à la croisée des chemins:
nous pouvons soit continuer à laisser les technologies aggraver
les disparités existantes, soit mobiliser ces technologies afin
de construire un avenir plus sûr, plus durable et plus équitable
pour toutes et tous.
6. La transition numérique ne peut avoir lieu sans un accompagnement
par les États. Pour garantir l’égal accès aux droits dans un monde
de plus en plus numérisé, les États doivent prendre des mesures
pour lutter contre l’illectronisme et pour accompagner de manière
efficace toutes les personnes qui ne maîtrisent pas, ou pas encore
suffisamment, les technologies numériques. Ils doivent garantir
l’égal accès de toutes et de tous à l’éducation et à une carrière
dans les domaines des sciences, des technologies, de l’ingénierie
et des mathématiques, et veiller à ce que chacun·e ait accès aux
supports et aux infrastructures nécessaires pour exercer pleinement
ses droits et participer à la société sur un pied d’égalité. Ils
doivent veiller à ce que les technologies, les outils et les services
numériques essentiels à la vie des citoyen·ne·s restent abordables
pour leurs utilisatrices et utilisateurs et à ce que des efforts
soient faits pour limiter leur empreinte environnementale. L’enseignement
en ligne pouvant s’avérer particulièrement difficile à suivre pour
certains enfants en situation de handicap, il est indispensable
que les États fournissent les outils et les mécanismes nécessaires
qui permettent à ces enfants de bénéficier de l’égalité et de la
liberté d’accès à l’éducation, en particulier en temps de crise.
7. L’Assemblée parlementaire souligne en outre que les autorités
ont une responsabilité toute particulière dans le domaine du numérique
lorsqu’elles procèdent elles-mêmes à la dématérialisation de services
publics. En effet, si des objectifs tels que la rationalisation
des coûts administratifs, la simplification de la gestion des dossiers
ou l’amélioration de l’efficacité ou de la rapidité de traitement
des dossiers peuvent être légitimes, la poursuite de ces buts ne
doit en aucun cas laisser pour compte les personnes n’ayant pas
facilement accès aux technologies numériques, car cela les priverait
d’accès à leurs droits et constituerait une rupture de l’obligation
d’assurer la continuité des services publics.
8. L’Assemblée rappelle les textes qu’elle a déjà adoptés et
qui permettent d’apporter des solutions importantes dans ce domaine,
notamment la
Résolution 2256
(2019) «Gouvernance de l’internet et droits de l’homme»,
la
Résolution 2343 (2020) «Prévenir
les discriminations résultant de l’utilisation de l’intelligence artificielle»
ainsi que la
Résolution 2144
(2017) «Mettre fin à la cyberdiscrimination et aux propos
haineux en ligne». Elle attire également l’attention des États sur
la Recommandation générale no 1 du Groupe
d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et
la violence domestique (GREVIO) sur la dimension numérique de la
violence à l’égard des femmes, qui contient des recommandations
cruciales à l’intention des gouvernements, afin que ceux-ci veillent
à ce que les mesures qu’ils prennent pour mettre en œuvre la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul») tiennent pleinement compte de la dimension numérique
des cas de figure que couvre la Convention d’Istanbul.
9. Au vu de ces considérations, et afin de remédier aux inégalités
existant déjà dans ce domaine et d’empêcher l’apparition de nouvelles,
l’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil
de l’Europe, ainsi que tous les États dont le parlement bénéficie
du statut de partenaire pour la démocratie:
9.1 à considérer l’ensemble des politiques de lutte contre
la fracture numérique comme une priorité;
9.2 à axer ces politiques sur l’objectif de rendre les technologies,
outils et services numériques inclusifs, équitables, accessibles,
abordables et sûrs pour toutes et tous;
9.3 à fournir un soutien fort, structuré et durable aux initiatives
locales visant à atteindre cet objectif, afin d’éviter de laisser
pour compte toutes celles et tous ceux qui ne savent pas ou ne souhaitent
pas utiliser les technologies numériques;
9.4 à accompagner les politiques de lutte contre la fracture
numérique d’un financement adéquat;
9.5 à soumettre ces politiques à l’examen régulier des parlements
nationaux;
9.6 à supprimer les obstacles empêchant certains enfants en
situation de handicap de bénéficier de l’égalité d’accès à l’éducation
lorsque cette dernière s’appuie sur des technologies et outils numériques.
10. En ce qui concerne le développement des réseaux de téléphonie
mobile et d’internet à haut ou à très haut débit, l’Assemblée, rappelant
la Résolution 2256 (2019) mentionnée ci-dessus, recommande aux États:
10.1 de mettre en œuvre des politiques
nationales d’investissement public cohérentes, avec pour objectif
d’assurer un accès universel à internet;
10.2 de viser en particulier à corriger les déséquilibres géographiques
(par exemple entre les zones urbaines et les zones rurales ou isolées);
10.3 de mettre en œuvre des politiques de déploiement des réseaux
qui permettent d’atteindre cet objectif.
11. En ce qui concerne la lutte contre l’illectronisme et l’accès
à l’éducation et à une carrière dans les domaines des sciences,
des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques, l’Assemblée
appelle les États:
11.1 à considérer
comme un investissement la formation au numérique de toutes et de
tous, quels que soient le genre, l’âge, le statut social, la situation
économique, le handicap et toute autre caractéristique personnelle;
11.2 à promouvoir l’accès de toutes et de tous aux études et
aux carrières dans le domaine des sciences, des technologies, de
l’ingénierie et des mathématiques, selon les lignes déjà énoncées
par l’Assemblée dans la
Résolution 2343
(2020) mentionnée ci-dessus;
11.3 à proposer et à rendre accessibles des formations continues,
afin que l’ensemble de la population puisse bénéficier des avantages
des outils numériques;
11.4 à assurer l’égalité d’accès au financement de démarrage,
au capital-risque et à l’acquisition de compétences commerciales
dans le domaine des technologies numériques.
12. En ce qui concerne la dématérialisation des services publics,
et considérant que l’exercice des droits en ligne impose aux utilisatrices
et utilisateurs de disposer, notamment, d’une connexion internet,
d’un appareil, d’une capacité de stockage, d’un système d'exploitation
et d’un abonnement payant appropriés, et qu’il exige également que
les services publics eux-mêmes disposent d’appareils, de serveurs
et d'outils fonctionnant correctement, conçus pour tenir compte
des différentes situations de l’ensemble des usagères et usagers potentiel·le·s,
l’Assemblée appelle les États:
12.1 à
passer d'une logique de services publics entièrement dématérialisés
à une logique de services publics entièrement accessibles, y compris
en maintenant un accès non numérisé aux services publics dans chaque
cas où cela est nécessaire à garantir l’égalité d’accès aux services
publics, leur continuité et leur adaptation aux usagères et usagers;
12.2 à prendre en compte, dès la conception de tout nouveau
service en ligne, les besoins de toutes les usagères et tous les
usagers potentiel·le·s du service et les obstacles auxquels elles
et ils pourraient être confronté·e·s, afin de garantir l’égalité
d’accès pour toutes et tous;
12.3 à veiller à ce que les individus aient toujours accès
à une aide efficace pour réaliser leurs démarches administratives,
non seulement pour remplir et soumettre des formulaires en ligne,
mais aussi pour bénéficier des conseils d’agent·e·s des services
publics en mesure de répondre à des questions spécialisées sur les
droits et les procédures en jeu;
12.4 à développer les points d’accès gratuits à internet ainsi
que les services permettant d’accompagner les individus dans leurs
démarches administratives en ligne;
12.5 à favoriser le développement d’une filière de production,
de réutilisation et de reconditionnement d’appareils et d’outils
numériques, à condition que ceux-ci fonctionnent correctement et
soient disponibles à un prix abordable;
12.6 à garantir à chaque individu la possibilité de corriger,
par des procédures simples et accessibles, toute erreur dans les
données le concernant et dans les démarches entreprises en ligne.
13. Compte tenu du fait qu’environ 3,6 milliards de personnes
dans le monde n’ont pas accès à internet, l’Assemblée estime par
ailleurs que les États doivent prendre en compte, dans les mesures
d’aide au développement, l’importance de la réduction de la fracture
numérique comme moyen de faciliter l’atteinte des objectifs de développement
durable.