C Exposé des motifs par Mme Azadeh
Rojhan, rapporteure pour avis
1 Introduction
1. Le 12 mai 2022, la Secrétaire
Générale du Conseil de l’Europe a reçu une demande d’adhésion au Conseil
de l’Europe du Kosovo. Le 24 avril 2023, le Comité des Ministres
a décidé de transmettre cette demande à l’Assemblée parlementaire
pour consultation
Note, afin qu’elle formule un Avis sur
cette demande. Le 19 juin 2023, la commission des questions politiques
et de la démocratie a désigné comme rapporteure Dora Bakoyannis
(Grèce, PPE/DC), qui s’est rendue au Kosovo du 1 au 3 novembre 2023
Note.
2. Le 21 juin 2023, j’ai été désignée rapporteure pour avis de
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.
Le 14 septembre 2023, Béatrice Fresko-Rolfo (Monaco, ADLE) a été
désignée rapporteure pour avis de la commission sur l’égalité et
la non-discrimination. Nous nous sommes toutes deux rendues au Kosovo
du 3 au 6 décembre 2023, dans le cadre de nos missions respectives
de rapporteures pour avis. Au cours de notre visite, nous avons
rencontré des représentants du gouvernement, du pouvoir judiciaire, de
l’Assemblée du Kosovo, du médiateur, du commissaire aux langues,
de la société civile et de la communauté internationale, et je les
remercie tous de leurs observations et du temps qu’ils ont bien
voulu nous consacrer. Le programme de la visite figure en annexe.
Avant la visite, nous avions également eu l’occasion de lire le
rapport des éminents juristes
Note.
3. Ma conclusion est que le Kosovo satisfait aux critères d’adhésion.
Il convient de continuer à progresser dans le respect de l’État
de droit et des droits humains, comme c’est le cas pour de nombreux
membres du Conseil de l’Europe. J’ai recensé ci-dessous les domaines
dans lesquels il pourrait être nécessaire de poursuivre les améliorations,
en particulier concernant l’attitude des représentants du gouvernement,
y compris au niveau ministériel, à l’égard de l’État de droit et
du respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
2 Critères d’adhésion
4. Les critères d’adhésion sont
énoncés à l’article 4 du Statut du Conseil de l’Europe, qui dispose
que «[t]out État européen considéré capable de se conformer aux
dispositions de l’article 3 et comme en ayant la volonté peut être
invité par le Comité des Ministres à devenir membre du Conseil de
l’Europe». L’article 3 du Statut précise que «[t]out Membre du Conseil
de l’Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit et le
principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction
doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il s’engage à collaborer sincèrement et activement à la poursuite
du but défini au chapitre Ier».
5. Le chapitre Ier (qui contient l’article
1) du Statut du Conseil de l’Europe dispose que «[l]e but du Conseil de
l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses Membres
afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes
qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique
et social», ce but devant être poursuivi au moyen des organes du
Conseil «par l’examen des questions d’intérêt commun, par la conclusion
d’accords et par l’adoption d’une action commune dans les domaines
économique, social, culturel, scientifique, juridique et administratif,
ainsi que par la sauvegarde et le développement des droits de l’homme
et des libertés fondamentales».
6. Pour adhérer au Conseil de l’Europe, le Kosovo doit donc être
(1) un État européen; (2) capable et désireux de collaborer sincèrement
et activement à la réalisation d’une union plus étroite entre ses
membres en vue de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les
principes de l’Organisation; et (3) capable et désireux de reconnaître
les principes d’État de droit et de respect des droits humains.
3 Un État européen
7. Les États membres du Conseil
de l’Europe n’ont pas tous reconnu le Kosovo comme un État. Par mesure
de prudence et pour éviter toute ambiguïté ou confusion, il convient
par conséquent d’aborder les critères constitutifs d’un État et
les implications de l’adhésion.
8. Les critères constitutifs d’un État sont les suivants: l’État,
comme sujet du droit international, se caractérise par (a) une population
permanente; (b) un territoire déterminé; (c) un gouvernement; et
(d) la capacité d’entrer en relation avec les autres États
Note.
Comme l’ont déclaré les éminents juristes, «leurs observations et
[leur] visite dans le pays montrent que les autorités kosovares
exercent leur juridiction sur un territoire et une population et
qu’elles mènent un nombre considérable d’activités internationales»
Note.
Les éminents juristes n’ont pas signalé que l’adhésion du Kosovo
à l’Organisation posait un problème lié à sa qualité d’État, dans
la mesure où, «[d]e façon générale, la reconnaissance des États
et leur adhésion aux organisations internationales sont considérées
comme deux questions distinctes»
Note. De plus, il ressort clairement
des travaux entrepris dans le cadre de cet avis que le Kosovo a
une population permanente, un territoire déterminé, un gouvernement
et la capacité d’entrer en relation avec les autres États. Cette constatation
vaut même si certains États n’ont pas reconnu le Kosovo comme un
État. Par conséquent, le Kosovo satisfait aux critères d’adhésion,
bien que tous les membres du Conseil de l’Europe ne l’aient pas reconnu
comme un État.
9. Toutefois, l’admission d’un pays en qualité de membre du Conseil
de l’Europe ne devrait pas impliquer sa reconnaissance par les États
qui ne le reconnaissent pas. C’est ce qui ressort à la fois de la
pratique des États et de la doctrine juridique
Note.
10. Cela étant, conformément aux obligations qu’impose à un État
membre le Statut du Conseil de l’Europe, tous les membres du Conseil
de l’Europe ont l’obligation de «collaborer sincèrement et activement
à la poursuite du but» de l’Organisation (article 3 du Statut).
Il incombe donc à tous les membres de coopérer pleinement avec l’Organisation,
y compris avec les États membres de l’Organisation, lorsque cette
coopération est liée aux activités, au bon fonctionnement et au
but du Conseil de l’Europe.
11. Par conséquent, si l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe
n’implique pas la reconnaissance par un État qui ne le reconnaît
pas, tous les États membres doivent coopérer sincèrement, dans le
cadre de l’Organisation, avec le Kosovo en sa qualité de membre.
Dans le cas contraire, les États concernés risqueraient de manquer
aux obligations qui leur incombent en vertu du Statut et, en particulier,
au devoir de collaboration sincère et active énoncé en son article
3.
12. Il en découle que l’adhésion du Kosovo ne devrait être assortie
d’aucune condition discriminatoire qui équivaudrait, par exemple,
à une discrimination fondée sur la nationalité. Par exemple, les
passeports des membres de l’Assemblée parlementaire ou du Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux originaires du Kosovo doivent être
acceptés pour les déplacements nécessaires à l’exercice de leurs
fonctions; il en va de même pour les membres des organes de suivi
de l’Organisation nommés au titre du Kosovo. Cette attitude est également
exigée par l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil
de l’Europe.
4 Le Kosovo est-il
capable et désireux de collaborer sincèrement et activement à la
poursuite du but d’une union plus étroite entre les membres du Conseil
de l’Europe afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les
principes du Conseil de l’Europe?
13. À mon avis, la réponse devrait
être «oui». Le Kosovo est manifestement habitué à un niveau de coopération
relativement avancé avec la communauté internationale dans le domaine
de l’État de droit et des droits humains, compte tenu de son histoire
récente. Les difficultés que pourrait poser sa non‑reconnaissance par
une minorité d’États membres du Conseil de l’Europe peuvent être
surmontées par des mesures d’ordre pratique et en soulignant l’obligation
faite à tous les États membres de coopérer sincèrement et activement dans
le cadre de l’Organisation et à la réalisation de ses buts.
5 Le Kosovo est-il
capable et désireux de reconnaître les principes d’État de droit
et de respect des droits humains?
14. Ces dernières années, le Kosovo
a accompli des progrès substantiels en matière de respect de l’État de
droit et des droits humains. La Convention européenne des droits
de l’homme (STE n° 5), la Convention-cadre pour la protection des
minorités nationales (STE n° 157) et la Convention du Conseil de
l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (STCE n° 210, «Convention d’Istanbul»)
sont toutes directement applicables en vertu de la Constitution
et garanties par le droit du Kosovo. En effet, les juridictions
kosovares sont également tenues de prendre en compte la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elles statuent
et elles semblent globalement respecter cette obligation. Tous les
interlocuteurs ont souligné l’excellente qualité, en règle générale,
de la législation et des protections constitutionnelles du Kosovo
relatives au respect de l’État de droit et des droits humains. En
revanche, mes interlocuteurs ont clairement indiqué que la mise
en œuvre de ces normes et lois devait encore faire l’objet d’améliorations
pour que la législation et les protections soient effectives.
6 Conclusions du
rapport des éminents juristes
15. Le rapport des éminents juristes
a conclu qu’au Kosovo «les dispositions juridiques sont généralement conformes
aux normes internationales» ou vont même au-delà de ces normes
Note.
Il existe cependant des tensions avec la Serbie et la communauté
serbe du Kosovo. Les éminents juristes ont estimé qu’une coopération
accrue avec le Conseil de l’Europe, notamment l’extension de la
compétence de la Cour européenne des droits de l’homme, pourrait
contribuer à améliorer la situation. En matière de démocratie, ils ont
conclu que le Kosovo était une démocratie parlementaire qui fonctionne
et qui offre un niveau d’autonomie conforme aux normes du Conseil
de l’Europe, mais que la situation pourrait être améliorée si l’on
progressait dans la mise en place d’une Association des municipalités
à majorité serbe. Pour ce qui concerne l’État de droit, ils ont
constaté que le cadre juridique du Kosovo correspondait généralement
aux normes du Conseil de l’Europe, avec de solides garanties d’indépendance
du pouvoir judiciaire, mais que la durée des procédures, la non-exécution
de l’arrêt Decani, la gestion des tensions dans le nord du pays
et le fait que l’exécutif ne respecte pas toujours pleinement l’indépendance
du pouvoir judiciaire en le critiquant injustement sont autant de
problèmes particuliers qui subsistent. Pour ce qui concerne les
droits humains, ils ont formulé des recommandations relatives à
l’éducation, aux droits linguistiques et aux droits des minorités.
7 Mon évaluation
à la lumière du rapport des éminents juristes, des résultats de
la visite d’information au Kosovo et du projet d’Avis établi par
la commission des questions politiques et de la démocratie
16. Tous les interlocuteurs que
j’ai rencontrés au Kosovo ont estimé que, de manière générale, le
rapport des éminents juristes donnait une image équilibrée et juste
de la situation de la démocratie, de l’État de droit et des droits
humains dans le pays. Certains éléments du rapport méritent peut-être
plus d’attention que d’autres, sachant que, pour certains d’entre
eux, la situation a évolué depuis la publication du rapport.
17. Recommandation relative à la question de l’Association des
municipalités à majorité serbe: les éminents juristes ont recommandé
que «les autorités du Kosovo renoncent à leur opposition à la création
de cette association et entament des négociations de bonne foi sur
le statut possible d’une telle association, qui devra être pleinement
conforme à l’ordre juridique kosovar». Le Premier ministre Albin
Kurti a depuis accepté la création de cette association et a donc
apparemment renoncé à son «opposition» à ce sujet. Cette situation est
conforme aux obligations internationales du Kosovo découlant de
l’acceptation, en 2013, de l’Accord de Bruxelles, comme le rappelle
à juste titre le projet d’Avis. Il convient également de noter que
la réussite des progrès dans le domaine ne dépend pas uniquement
du gouvernement central du Kosovo et que toute recommandation de
l’Assemblée sur ce point devra donc être soigneusement calibrée
afin de tenir compte de cet état de fait. Il convient également
de rappeler que l’existence d’une association de ce type n’est généralement
pas une condition d’adhésion au Conseil de l’Europe, ni une expression
des normes juridiques minimales du Conseil de l’Europe. Par conséquent,
si cette initiative peut être encouragée à condition qu’elle soit
susceptible de déboucher sur des progrès constructifs, nous devrions
nous abstenir d’être trop prescriptifs sur les détails, afin d’éviter
qu’une telle exigence ne devienne l’otage des circonstances ou qu’elle
interfère avec les négociations distinctes sur la normalisation
des relations ou encore qu’elle nuise à ces négociations.
18. Pour ce qui concerne le respect de l’État de droit, les éminents
juristes et mes interlocuteurs au Kosovo m’ont indiqué que le cadre
juridique était satisfaisant, mais que, par endroits, la mise en
œuvre du droit posait des problèmes. Dans l’ensemble, je suis convaincue
que l’État de droit est respecté au niveau exigé pour l’adhésion.
Toutefois, il est évident que des améliorations sont possibles et
que les travaux à cet égard doivent se poursuivre.
19. Selon moi, les questions suivantes méritent une attention
particulière:
a S’agissant de l’exécution
attendue depuis longtemps de l’arrêt de la Cour constitutionnelle
du Kosovo dans l’affaire relative au monastère de Visoki Decani,
le 14 mars 2024, il convient de rappeler dans ce contexte que les
décisions de la Cour constitutionnelle ont force exécutoire pour
le pouvoir judiciaire comme pour toutes les personnes physiques
et morales et les institutions au Kosovo (article 116(1) de la Constitution).
Il est à noter que, selon la Cour constitutionnelle, sur les quelque
2 000 arrêts qui ont fait l’objet d’une décision de non-exécution
rendue par la Cour constitutionnelle et notifiée au procureur d’État,
tous sauf trois ont été exécutés
Note. Cela témoigne
d’une capacité générale à respecter l’État de droit et de procédures
efficaces d’exécution et laisse présager de la capacité du Kosovo
à exécuter les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.
Toutefois, dans de rares cas, des retards inexcusables et une réticence
à l’égard d’une exécution rapide et effective des arrêts ont été
constatés, comme l’illustre, par exemple, l’affaire du monastère
de Visoki Decani. Le service du cadastre de la municipalité persiste
dans ce cas à ne pas inscrire le nom du monastère dans le registre
foncier correspondant, malgré l’obligation qui lui en est clairement
faite et l’arrêt sans équivoque de la Cour constitutionnelle. Ce
manque de respect persistant et flagrant de l’État de droit est
préoccupant, en particulier au vu de l’intransigeance de l’exécutif,
qui semble plus enclin à exposer les raisons de la non-exécution
qu’à prendre des mesures pour encourager un meilleur respect de
l’État de droit. C’est pourquoi j’ai soutenu la position de Mme
Bakoyannis, qui a fait de l’exécution de cet arrêt une condition préalable
à la présentation de son avant-projet d’Avis à la commission des
questions politiques et de la démocratie. Il est néanmoins encourageant
de noter que cette affaire, ainsi que d’autres, démontre l’indépendance
du pouvoir judiciaire et le fait qu’il respecte l’État de droit
(en particulier au niveau des juridictions supérieures), puisqu’il
s’est montré parfaitement capable de statuer dans des affaires indépendamment
des intérêts et des souhaits du gouvernement. À l’avenir, le ministère
public devrait agir plus rapidement et en priorité face à un refus
aussi flagrant et persistant de la part de fonctionnaires de se
conformer à des décisions de justice exécutoires.
b Respect par l’exécutif de l’indépendance du pouvoir judiciaire:
le rapport des éminents juristes recommandait que les autorités
du Kosovo «respecte[nt] pleinement l’indépendance du pouvoir judiciaire,
notamment en s’abstenant d’émettre des critiques injustifiées susceptibles
de saper la confiance dans le pouvoir judiciaire». Il est donc extrêmement
regrettable que, même lors de nos réunions, certains ministres aient
semblé ne pas comprendre l’importance du respect de l’indépendance du
pouvoir judiciaire et, plus particulièrement, la nécessité de s’abstenir
de chercher à faire pression ou d’exercer une influence sur le pouvoir
judiciaire par des attaques personnelles contre des juges et des critiques
polémiques d’arrêts ou d’autres décisions de justice, y compris
à propos des procès pénaux en cours. On ne sait pas exactement s’il
s’agit d’un problème propre à certains ministres actuels ou d’un problème
plus large dû au fait que les responsables politiques ne savent
pas faire preuve de retenue. Il convient d’encourager une meilleure
culture du respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de
la séparation des pouvoirs, en mettant l’accent sur une plus grande
retenue. J’apprécie par conséquent que les autorités kosovares se
soient engagées à respecter pleinement l’indépendance du pouvoir judiciaire,
notamment en s’abstenant de toute critique injustifiée susceptible
de saper la confiance dans celui-ci, comme il ressort du projet
d’Avis.
c Respect des procédures administratives et adéquation de
la prise de décisions: les exemples cités lors de notre visite ne
se limitent pas à l’expropriation, mais portent également sur des
questions plus générales relatives au respect de l’État de droit
et à la nécessité de suivre des procédures juridiques adéquates.
Il s’agissait notamment d’un manque de volonté de remédier véritablement
à la situation lorsque les procédures adéquates n’ont pas été suivies.
Les personnes ayant fait l’objet de telles décisions sont souvent
obligées de s’en remettre aux tribunaux pour remédier aux erreurs,
ce qui ne fait qu’alourdir davantage la charge de travail des tribunaux
et retarder les décisions de justice. Par exemple, les procédures
adéquates n’ont pas été suivies dans des expropriations déclarées
dans le nord du Kosovo (et les autorités administratives n’ont pas
adopté d’approche proactive pour remédier à ces manquements, ce
qui a contraint les tribunaux à intervenir). Nous avons également
eu connaissance de craintes quant à l’ingérence politique excessive
dans les processus de nomination de fonctionnaires et quant au fait
que les fonctionnaires ne soient pas en mesure de prendre des décisions effectives,
ce qui aurait des conséquences sur la possibilité pour les citoyens
d’obtenir un résultat concernant leurs droits (par exemple, en matière
de pensions ou d’autres indemnités) sans avoir à saisir les tribunaux.
Cela étant, des initiatives importantes sont manifestement en cours
pour lutter contre la corruption et améliorer les procédures, il
faudra du temps pour que certaines d’entre elles portent leurs fruits.
Une culture plus développée du respect des procédures légales et
du caractère approprié et adéquat de la prise de décisions profiterait
grandement aux citoyens du Kosovo et à l’État de droit. Concrètement,
les mesures correctives pourraient consister notamment à mettre
en place un mécanisme interne de réclamation administrative similaire
au Widerspruchsverfahren allemand,
ce qui permettrait aux échelons supérieurs des autorités administratives
compétentes de corriger rapidement les erreurs des échelons inférieurs
sans qu’il soit nécessaire de saisir les tribunaux, étant donné
que le recours aux tribunaux devrait toujours être une mesure de
dernier ressort.
d Lutte contre la corruption et la criminalité organisée:
malgré les constats de progrès du Kosovo dans la lutte contre la
corruption et la criminalité organisée, sa pleine participation
en tant qu’État partie à l’Accord élargi sur le Groupe d’États contre
la corruption (GRECO) et au Comité d’experts sur l’évaluation des
mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement
du terrorisme (MONEYVAL) mérite d’être poursuivie sans tarder. Le
Kosovo retirerait de grands avantages du processus d’examen par
les pairs mis en place par ces organes et d’une mise en œuvre rapide
de leurs recommandations. L’adhésion au GRECO est la conséquence
automatique de la ratification de la Convention pénale et de la
Convention civile du Conseil de l’Europe sur la corruption. La ratification
de ces instruments dans les meilleurs délais, incluses comme engagement
en faveur de la Convention civile sur la corruption (STE n° 174)
et de recommandation dans le projet d’Avis, est donc particulièrement
importante.
20. Pour ce qui concerne le respect des droits humains, le cadre
général de protection de ces droits est satisfaisant, en particulier
les garanties constitutionnelles et la consécration de la Convention
européenne des droits de l’homme («la Convention»). Toutefois, dans
des domaines particuliers, si le Kosovo devait adhérer à la Convention,
sa législation et/ou ses pratiques risqueraient fort de ne pas respecter
les exigences de la Convention, selon l’interprétation et l’application
qu’en fait la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour). Bien
que ces problèmes ne fassent pas obstacle à l’adhésion, le Kosovo
devra très probablement s’efforcer de les résoudre, afin d’éviter
que la Cour ne constate des violations des droits garantis par la
Convention, en particulier dans les domaines suivants:
a Détention avant inculpation et
détention provisoire (article 5 de la Convention). Il semble qu’il
y ait un recours excessif à la détention avant inculpation et à
la détention provisoire pour des périodes excessivement longues,
fondées sur une motivation insuffisante de la privation de liberté,
souvent assorties de droits de la défense mal respectés (y compris
du fait de l’absence de traduction en temps utile des informations
qui justifient la détention) et d’une prise en compte insuffisante
d’autres possibilités que la détention avant inculpation et la détention
provisoire. Plus préoccupant encore, il a été fait état de manœuvres
de responsables politiques consistant à critiquer publiquement des
membres de l’appareil judiciaire et à faire pression sur eux afin
de les intimider et de les amener à placer des suspects en détention
dans des cas où celle-ci n’aurait pas été nécessaire (et risquait
donc d’être arbitraire). Une action concertée s’impose pour remédier
à ces défaillances et améliorer les pratiques.
b Durée excessive des procédures (article 6 de la Convention).
La durée excessive des procédures suscite des inquiétudes notoires,
en particulier le renvoi d’affaires par la cour d’appel pour qu’elles
soient rejugées (souvent à de multiples reprises). Toutefois, le
pouvoir judiciaire a réellement reconnu l’ampleur du problème et
y a répondu par des projets de formation des juges, des modifications
de la législation applicable et des lignes directrices, ainsi que
des projets de lutte contre les mauvaises pratiques qui persistent.
La création d’un recours spécifique en cas de durée excessive des
procédures sur le modèle de la législation similaire d’autres États
membres et la mise en œuvre des améliorations des pratiques administratives
recommandées ci-dessus (voir paragraphe 18*) pourraient contribuer
à améliorer la situation.
c Crimes de haine et violence domestique (articles 2 et
3 en conjonction avec l’article 14 de la Convention). La législation
et les pratiques de la police semblent satisfaisantes pour ce qui
concerne la lutte contre les crimes de haine, mais des mesures supplémentaires
doivent être prises pour garantir qu’on enquête sur les éventuelles
motivations haineuses de ces crimes et qu’on en poursuive les auteurs.
Des formations et des initiatives supplémentaires s’imposent pour
favoriser la prise de conscience et pour sensibiliser davantage
à ce sujet. Il convient d’améliorer les orientations données au ministère
public et à l’appareil judiciaire, afin de mieux les informer sur
les crimes de haine, de leur permettre de mieux reconnaître les
éléments haineux des infractions et de veiller à ce que les victimes de
ces infractions soient traitées avec tact. La police, le ministère
public et le pouvoir judiciaire devraient également améliorer leur
réponse à la violence domestique et aux infractions qui y sont liées,
y compris la violence à l’égard des femmes. À cet égard, je tiens
à souligner que, dès septembre 2020, l’Assemblée du Kosovo a rendu
la Convention d’Istanbul directement applicable au Kosovo
Note.
d Lutte contre la discrimination et droits des personnes
LGBTI (articles 8 et 14 de la Convention et Protocole n° 12 à la
Convention (STE n° 177)). Conformément à la jurisprudence de la
Cour, les partenariats entre personnes de même sexe devraient être
reconnus. Le projet de Code civil fait référence à ces partenariats,
qui doivent être régis par une loi distincte, mais n’a pas encore
été adopté par l’Assemblée du Kosovo. Faute de reconnaissance juridique,
les couples homosexuels ne peuvent bénéficier des mêmes droits que
les couples hétérosexuels. Pour ce qui est des droits des personnes transgenres,
si les juridictions kosovares ont admis la reconnaissance du genre,
il n’existe toujours pas de législation permettant d’obtenir cette
reconnaissance sans passer par les tribunaux (par exemple, par l’inscription
sur un registre). Des mesures supplémentaires devront également
être prises pour éviter toute discrimination en matière de droit
à la vie familiale, par exemple, pour l’adoption. Étant donné le caractère
sensible de toutes les questions relatives à la discrimination,
il faudrait également demander au Kosovo de signer et de ratifier
le Protocole no 12 à la Convention ajoutant
une interdiction générale autonome de la discrimination à la protection
prévue par l’article 14 de la Convention, qui est accessoire aux
droits garantis par ses autres dispositions. Je note avec satisfaction
que la ratification de ces protocoles figure déjà dans la liste
des recommandations énoncées au paragraphe 15 du projet d’Avis. Pour
ce qui concerne le projet de Code civil, je m’en remets à l’avis
de la commission sur l’égalité et la non-discrimination quant à
l’éventuel ajout d’une recommandation spécifique.
e Recommandations relatives à la police: je partage l’avis
des éminents juristes et de la commission des questions politiques
et de la démocratie selon lequel le recours aux forces de police
spéciales dans le nord du Kosovo est manifestement source de tension,
mais je considère également qu’il s’agit d’une question complexe.
Des cas notables de troubles et de risques mortels ont été observés
dans le nord du Kosovo, avec des stocks d’armes, des niveaux importants
de criminalité et le meurtre d’un policier. De plus, le retrait
des Serbes du Kosovo des institutions (et, par la suite, l’intimidation
des Serbes qui étaient restés ou avaient rejoint les institutions)
a eu des répercussions sur la composition de la police dans le nord
du Kosovo. Compte tenu des risques pour la sécurité dans la région,
l’État a le devoir d’assurer une sécurité suffisante afin de prévenir
les risques pour la vie et la sécurité. Cela étant, le maintien
de l’ordre doit être un moyen de réduire les risques et non une
source d’aggravation de ceux-ci. Je suggère donc de mettre davantage
l’accent sur la qualité du maintien de l’ordre. Le recrutement devrait
être encouragé, en principe, au sein de la population locale. Plus
précisément, la police déployée dans le nord du Kosovo devrait employer
(et être nécessairement formée à) des techniques de maintien de
l’ordre de nature à désamorcer les tensions, idéalement en s’appuyant
sur la police de proximité. Seuls des policiers parlant la langue
locale (qui est aussi une langue officielle) devraient être déployés dans
le nord du Kosovo. J’ai appris de multiples sources que peu de policiers
parlaient les deux langues; il faut s’attaquer à ce problème, qui
peut d’ailleurs être réglé en améliorant la formation linguistique obligatoire
de la police. Je recommande par conséquent que seuls les policiers
parlant suffisamment la langue locale soient déployés dans le nord
du Kosovo et qu’ils soient formés aux techniques policières d’apaisement
des tensions, mais aussi que tout soit mis en œuvre pour que les
policiers soient recrutés à l’échelon local.
f Emploi des langues dans le système judiciaire: il est
manifestement indispensable d’améliorer la formation et l’enseignement
en matière de langues afin de disposer d’un nombre suffisant de
traducteurs et d’interprètes pour satisfaire aux exigences constitutionnelles
de bilinguisme. Les manquements à cet égard peuvent avoir des conséquences
négatives pour tous ceux qui sont en contact avec le système judiciaire,
non seulement avec la police (voir ci-dessus), mais aussi avec le
ministère public, les tribunaux et les services de probation ainsi
que dans les lieux de privation de liberté. Les personnes moins
à même d’interagir de manière constructive avec les autorités à
cause de la barrière de la langue sont exposées aux risques d’injustices
dans leurs contacts avec la police et le système judiciaire. Je laisserai
toutefois à la rapporteure de la commission sur l’égalité et la
non-discrimination le soin de commenter en détail cette recommandation
générale.
g Protection du droit au respect des biens et du droit à
l’éducation: bien que la Constitution du Kosovo transpose dans la
législation nationale le Protocole n° 1 à la Convention (STE n°
9), qui porte notamment sur le droit à la propriété et le droit
à l’éducation, la signature et la ratification de cet instrument,
en plus de la signature et de la ratification de la Convention elle-même,
sont nécessaires pour que la Cour européenne des droits de l’homme
ait compétence pour statuer sur toute violation présumée. Compte tenu
de l’ampleur des questions de propriété au Kosovo, surtout dans
les régions où il y a une forte présence de populations minoritaires,
j’insiste sur l’importance de l’engagement demandé dans le projet d’Avis
de signer et de ratifier le Protocole n° 1. Il convient de noter
que l’article 1 du Protocole n° 1, tel qu’interprété par la Cour,
prévoit une protection contre les expropriations sans garanties
procédurales suffisantes et sans indemnisation ni justification
de finalité d’intérêt général. Le Plan Ahtisaari, dont la mise en
œuvre est demandée à juste titre dans le projet d’Avis proposé par
la commission des questions politiques et de la démocratie, va au-delà
de ces protections. Les biens de l’Église orthodoxe sont protégés
contre toute expropriation, y compris à des fins et selon des procédures
qui seraient généralement conformes à l’article 1 du Protocole no 1.
Les garanties et les procédures prévues par la loi doivent être
respectées à tout moment. Ce point importe tout particulièrement
lorsqu’il s’agit d’expropriations dans des zones de minorités nationales,
où les sensibilités sont exacerbées. Il importe que l’exécutif prenne
conscience des erreurs qui ont été commises et qu’il les reconnaisse.
Ces erreurs doivent être rectifiées et faire l’objet d’explications
appropriées et d’une procédure équitable. L’exécutif doit remédier
aux défaillances survenues en relançant la procédure d’expropriation ab initio, si nécessaire. Pour ce
qui concerne le nouveau projet de loi sur l’expropriation, il pourrait
être envisagé de saisir la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) pour avis afin d’aider à répondre
aux préoccupations ou aux critiques qui pourraient être formulées.
h Abolition de la peine de mort en toutes circonstances:
compte tenu de la position de longue date de l’Assemblée contre
la peine de mort, je tiens également à appuyer la recommandation
figurant dans le projet d’Avis que le Kosovo signe et ratifie le
Protocole no 13 à la Convention (STE
n° 187).
i Protocole additionnel n° 16 à la Convention (STCE n° 214):
si l’on ne peut raisonnablement exiger la signature et la ratification
du Protocole no 16 au titre d’engagement
ferme, étant donné qu’un certain nombre d’États membres du Conseil
de l’Europe ne l’ont pas encore signé cinq ans après son entrée en
vigueur, on ne peut que vivement conseiller au Kosovo le faire.
Le Protocole no 16 permet aux plus hautes
juridictions nationales d’adresser à la Cour européenne des droits
de l’homme des demandes d’avis consultatifs sur l’interprétation
de la Convention. Cette possibilité serait particulièrement utile
pour le Kosovo, qui est un pays doté d’un système judiciaire relativement
jeune et tenu par sa propre constitution d’appliquer directement
la Convention telle qu’interprétée par la Cour. Je suis donc tout
à fait favorable à la recommandation sur ce point, qui figure au
paragraphe 15 du projet d’Avis.
8 Conclusions et
recommandations
21. Je soutiens la recommandation
de la commission des questions politiques et de la démocratie d’inviter le
Kosovo à devenir membre du Conseil de l’Europe.
22. Le Kosovo est un «État européen» au sens de l’article 4 du
Statut du Conseil de l’Europe et selon les critères constitutifs
d’un État en vertu du droit international. Il n’est cependant pas
reconnu comme tel par tous les membres du Conseil de l’Europe.
23. L’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe ne préjuge pas
de la reconnaissance juridique et politique bilatérale de son statut
d’État par les États membres de l’Organisation.
24. Cela étant, l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe imposerait
à tous les États membres de «collaborer sincèrement et activement»
en le traitant comme un membre de l’Organisation et en travaillant
de manière opérationnelle dans le cadre de l’Organisation avec le
Kosovo en sa qualité de membre. Le non-respect de cette obligation
pourrait constituer une violation de l’article 3 du Statut.
25. Le Kosovo est capable et désireux de reconnaître les principes
de l’État de droit et du respect des droits humains. Il dispose
d’un cadre juridique solide pour la protection de l’État de droit
et des droits humains et, bien que des progrès restent à faire dans
la mise en œuvre de ces protections, cela ne constitue pas un obstacle
à l’adhésion.
26. Le Kosovo est capable et désireux de collaborer sincèrement
et activement à la réalisation d’une union plus étroite entre les
membres du Conseil de l’Europe afin de sauvegarder et de promouvoir
les idéaux et les principes de l’Organisation.
27. Le Kosovo satisfait par conséquent aux critères d’adhésion;
celle-ci devrait être encouragée afin d’améliorer l’impact positif
de l’adhésion au Conseil de l’Europe dans l’ensemble de la région
également.
28. La présente évaluation se fonde sur l’acceptation, par le
Kosovo, de la liste des engagements figurant au paragraphe 14 du
projet d’Avis soumis par la commission des questions politiques
et de la démocratie et sur la perspective d’une mise en œuvre en
temps voulu des recommandations formulées au paragraphe 15 du projet
d’Avis et de celles formulées au nouveau paragraphe 16 proposé,
en vue de renforcer davantage l’État de droit et la protection des
droits humains au Kosovo. La mise en œuvre de ces recommandations
devrait être suivie par la commission pour le respect des obligations
et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission
de suivi), comme proposé par un amendement au paragraphe 20 du projet
d’Avis.