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Une approche européenne commune pour lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes

Résolution 2568 (2024)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 1er octobre 2024 (27e séance) (voir Doc. 16032, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteur: Lord Simon Russell). Texte adopté par l’Assemblée le 1er octobre 2024 (27e séance).Voir également la Recommandation 2283 (2024).
1. Se référant à la Déclaration de Reykjavík et à l’engagement renouvelé par les chef·fes d’État et de gouvernement, lors du 4e Sommet du Conseil de l’Europe, de lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes, l’Assemblée parlementaire considère que le trafic illicite de personnes migrantes est une activité criminelle transnationale qui compromet le droit souverain des États à contrôler leurs frontières et accroît la vulnérabilité des personnes qui migrent.
2. L’Assemblée considère que l’une des clés de la lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes est de faire en sorte que l’activité des trafiquant·es ne soit pas rentable et d’améliorer l’accès effectif à des voies sûres et légales pour la migration de main-d’œuvre, le regroupement familial et celles et ceux qui sont en quête d’une protection internationale. L’approche suivie par les États devrait, d’une part, viser à réglementer et à protéger la mobilité des personnes, et, d’autre part, renforcer les moyens destinés à enquêter sur les groupes criminels transfrontaliers organisés qui se livrent au trafic illicite de personnes migrantes et à sanctionner ces groupes criminels.
3. L’Assemblée est convaincue que toute stratégie efficace de lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes devrait impliquer une approche pluridisciplinaire faisant intervenir les administrations compétentes d’un même État membre, mais aussi de différents États membres. De même, la coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination des mouvements migratoires devrait être structurée autour d’une réponse couvrant à la fois les aspects criminels et les aspects humains, et visant, d’une part, à s’attaquer aux facteurs qui favorisent le trafic illicite de personnes migrantes par des campagnes d’information et le développement effectif de voies de migration sûres et légales, et, d’autre part, à protéger les droits fondamentaux des personnes qui migrent, notamment celles qui font l’objet d’un trafic illicite.
4. L’Assemblée souligne que le trafic illicite de personnes migrantes est une infraction transnationale et que seules la coordination et la coopération internationales permettront aux pays d’origine, de transit et de destination d’apporter à cette infraction une réponse ancrée dans la primauté de l’État de droit et enracinée dans les cadres internationaux des droits humains, permettant ainsi de défendre à la fois le droit souverain des États à contrôler leurs frontières et les droits des personnes qui migrent.
5. L’Assemblée se félicite que la grande majorité des États du monde entier aient approuvé le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (le «Protocole contre le trafic illicite de migrants»), qui prévoit l’harmonisation des législations grâce à une définition internationalement reconnue du trafic illicite de personnes migrantes, à savoir «le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État» (article 3).
6. L’Assemblée considère que les initiatives prises par le Conseil de l’Europe, y compris l’adoption d’un instrument régional sur la question du trafic illicite de personnes migrantes, ne devraient pas avoir pour objet de créer de nouvelles infractions, mais plutôt d’apporter un complément au Protocole contre le trafic illicite de migrants, en facilitant son interprétation cohérente et sans équivoque, compte tenu des défis auxquels le monde est confronté aujourd’hui.
7. L’Assemblée rappelle que l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes n’est pas de même nature que le franchissement irrégulier des frontières. De plus, conformément à l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, les États ne doivent pas appliquer «de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée […], entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières». Le besoin de protection internationale de chaque personne devrait être examiné de manière individualisée et équitable. Les États ne devraient pas non plus appliquer de sanctions pénales aux individus contraints de commettre un acte illégal, conformément à l’article 26 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197).
8. L’Assemblée souligne que le trafic illicite de personnes migrantes et la traite des êtres humains sont des infractions pénales de nature différente et distincte. L’Assemblée met en garde contre le risque d’un amalgame entre ces infractions qui entrave la capacité des États à apporter une réponse efficace à ces activités criminelles et à y mettre fin.
9. L’Assemblée note avec inquiétude le manque de cohérence entre les législations des États membres destinées à lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur les droits humains. Elle rappelle que les lois ou les mesures relatives au trafic illicite de personnes migrantes ne devraient jamais être utilisées pour intimider ou sanctionner pénalement les personnes migrantes et les défenseur.es de leurs droits. Ces pratiques n’améliorent en rien l’efficacité de l’action politique [SE1]pour prévenir et combattre l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes, et mettent en danger, de surcroît, les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), en particulier aux articles 3 et 11, par exemple lorsqu’elles aboutissent à faire obstruction à l’assistance humanitaire.
10. L’Assemblée réaffirme sa position, comme elle l’a exprimé dans sa Résolution 2323 (2020) et sa Recommandation 2171 (2020), «Action concertée contre la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants», qu’un instrument du Conseil de l’Europe apporterait un complément utile aux normes internationales énoncées dans le Protocole contre le trafic illicite de migrants, et recommande qu’une définition rigoureuse soit adoptée et transposée en droit interne par les États membres afin d’assurer la plus grande cohérence possible dans la compréhension et l’interprétation de cette infraction. Cet instrument devrait en particulier:
10.1 être conforme à la définition de l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes et au champ d’application de l’incrimination tels qu’ils figurent aux articles 3 et 6 du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, y compris en ce qui concerne les circonstances aggravantes;
10.2 reconnaître la diversité des profils des personnes impliquées dans la commission ou la facilitation de l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes ainsi que la nécessité de poursuivre les trafiquant·es en suivant une approche proportionnée, graduelle et nuancée des sanctions pénales;
10.3 rappeler que le «fait d’assurer» l’entrée illégale n’est pas synonyme de franchissement irrégulier d’une frontière et que l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes implique nécessairement que les trafiquant·es en tirent un avantage matériel ou immatériel;
10.4 indiquer expressément que les personnes migrantes ne sont pas celles qui commettent l’infraction de trafic illicite et que la réduction ou l’exonération du droit de passage en échange de l’aide au franchissement non autorisé d’une frontière ne devrait pas être considérée comme un acte délictueux commis par la personne objet du trafic si elle a agi sous la contrainte ou la menace, ou s’il est établi qu’elle a besoin d’une forme de protection (personne réfugiée, personne ayant besoin d’une protection humanitaire, personne risquant d’être victime de la traite des êtres humains ou personne victime de celle-ci);
10.5 préciser que les personnes ayant besoin d’une protection ne devraient jamais être incriminées pénalement ou sanctionnées administrativement pour avoir franchi une frontière sans autorisation, conformément à l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et à l’article 26 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains;
10.6 exonérer expressément de toute forme de responsabilité pénale l’assistance humanitaire ainsi que toute aide apportée aux personnes migrantes pour faciliter l’exercice de leurs droits fondamentaux, lorsque ces actes sont accomplis sans rechercher un quelconque avantage financier;
10.7 préciser que les États membres sont juridiquement liés par l’obligation de protéger et de sauvegarder le droit de quitter n’importe quel pays, y compris le sien, conformément à l’article 2 du Protocole n° 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention (STE n° 46), et à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
11. L’Assemblée reconnaît les défis particulièrement complexes que posent les enquêtes sur les passeurs et passeuses de personnes migrantes et l’application de sanctions à ces personnes, et recommande vivement que les efforts de coopération européenne soient principalement axés sur le renforcement des actions de justice pénale visant à s’attaquer au trafic illicite de personnes migrantes par le démantèlement des organisations criminelles et la suppression des incitations financières à commettre cette infraction. À cet égard, l’Assemblée se félicite de la création du Réseau de procureurs du Conseil de l’Europe sur le trafic de migrants et de la coopération entre ce réseau et le Groupe de réflexion des procureurs et des juges luttant contre le trafic de migrants de l’Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust).
12. L’Assemblée prend note du maillage particulièrement dense des initiatives de coopération régionale et internationale qui contribuent déjà à soutenir les États membres et leurs partenaires internationaux dans la lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes. Elle est convaincue qu'une telle coopération gagnerait beaucoup à ce que les États membres du Conseil de l'Europe s'engagent autour d'une définition convenue d'un commun accord. L’Assemblée propose que cette définition soit systématiquement adoptée dans l’utilisation et le suivi de normes telles que la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale et ses protocoles additionnels (STE no 30, no 99 et no 182), la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel et son Protocole d’amendement (STE no 108 et STCE no 223, “Convention 108+”), la Convention pénale et la Convention civile sur la corruption (STE nos 173 et 174), la Convention sur la cybercriminalité (STE no 185) et la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198).
13. L’Assemblée rappelle que les États membres ont l’obligation de protéger les droits fondamentaux des personnes migrantes qui font l’objet d’un trafic illicite, y compris des enfants, dont la vulnérabilité peut être accrue au cours de leur transit par les filières de trafic.
13.1 La gestion des frontières et les politiques migratoires devraient s’appuyer sans réserve sur les instruments du Conseil de l’Europe, en particulier la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197), la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201), et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210).
13.2 L’Assemblée rappelle les obligations découlant de la Charte sociale européenne dans sa version d’origine (STE no 35) et de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE no 93), laquelle assure la protection des travailleuses et travailleurs migrants ressortissants de l’une des Parties contractantes, en particulier en ses articles 4 et 5. Elle rappelle également la Recommandation CM/Rec(2022)21 du Comité des Ministres aux États membres sur la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail et l’importance de veiller à ce que des inspections du travail soient effectuées pour s’assurer que toutes les personnes migrantes, y compris les travailleuses et travailleurs migrants, sont traitées avec dignité.
13.3 En ce qui concerne la protection des personnes migrantes objets d’un trafic illicite, l’Assemblée rappelle également la pertinence des conventions de l’Organisation internationale du travail, en particulier la Convention (no 143) sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires) et la Convention (no 105) sur l’abolition du travail forcé, et de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. L’Assemblée encourage vivement les États membres à ratifier ces conventions.
14. L’Assemblée souligne le rôle stratégique important de l’Union européenne. Elle considère que l’harmonisation des normes selon des critères communs en matière de droits humains est essentielle, non seulement dans un souci de cohérence entre les lois en vigueur dans les États membres de l’Union européenne – lesquels sont également membres du Conseil de l’Europe –, mais aussi en raison de l’influence que le droit communautaire exerce sur les États non membres de l’Union européenne, en particulier dans le domaine des migrations et de la gestion des frontières. De telles normes devraient, de plus, être en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe et il est essentiel que le Conseil de l’Europe agisse de manière proactive pour renforcer la coordination avec l’Union européenne dans ce domaine.
15. En ce qui concerne la récente proposition de la Commission européenne visant à réviser le «train de mesures relatives aux passeurs», l’Assemblée met en garde contre le champ d’application excessivement large des infractions qui relèvent de la définition du trafic illicite de personnes migrantes figurant dans la proposition de directive destinée à remplacer la Directive 2002/90/CE du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers. Cette définition augmente en effet le risque que les États européens manquent de cohérence dans leur compréhension et leur interprétation de ce que devrait et ne devrait pas constituer une infraction de trafic illicite de personnes migrantes.
16. L’Assemblée fait siennes les préoccupations exprimées par le Contrôleur européen de la protection des données sur la proposition de règlement visant à améliorer la coopération policière en ce qui concerne la prévention, la détection et les enquêtes en matière de trafic de migrants et de traite des êtres humains, et à renforcer le soutien apporté par Europol pour prévenir et combattre ces formes de criminalité, et modifiant le Règlement (UE) 2016/794 (Avis 4/2024). L’Assemblée est en accord avec l’opinion du contrôleur qu’il n’est pas établi que la proposition soit conforme aux normes internationales en matière de protection des données et de droits fondamentaux, ce qui pourrait conduire à l’adoption de normes contradictoires dans les États membres de l’Union européenne, liés par les normes du Conseil de l’Europe. L’Assemblée considère que cette proposition est peut-être prématurée et qu’elle touche à des domaines de l’action publique qui dépassent la seule question du trafic illicite de personnes migrantes. Elle recommande que les discussions sur ce texte législatif soient déconnectées des discussions concernant la révision de la Directive 2002/90/CE.