19/01/2021 Questions juridiques et droits de l'homme
L’empoisonnement d’Alexeï Navalny, figure de l’opposition russe, a été le thème central d’une audition parlementaire virtuelle de l’APCE diffusée aujourd’hui en direct et au cours de laquelle il a été expliqué aux participants que M. Navalny avait été surveillé par une équipe des services de sécurité russes comprenant notamment des experts en armes chimiques, avant d’être empoisonné avec un produit neurotoxique à usage militaire mis au point en Union soviétique.
La Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’APCE, qui a organisé cette audition dans le cadre d’un rapport préparé actuellement par Jacques Maire (France, ADLE), a entendu le chef de bureau de M. Navalny, qui représentait celui-ci, détenu à Moscou, ainsi que l’enquêteur en chef du média d’investigation en ligne Bellingcat, qui enquête sur cette affaire. Le gouvernement russe a été invité à envoyer un représentant.
Jacques Maire, rapporteur sur cette affaire, a indiqué que de nombreux faits entourant l’empoisonnement n’étaient pas contestés, à l’exception de la question cruciale : qui a empoisonné M. Navalny et quand ? Il a expliqué que M. Navalny, une fois rétabli, a piégé au téléphone l’un des membres de l’équipe des services de renseignements russes qui l’avait surveillé, lequel « a semblé reconnaître que l’équipe du FSB avait empoisonné M. Navalny en mettant du Novichok sur ses sous-vêtements ». Les autorités russes n’ont pas encore réagi à cet aveu, a souligné M. Maire, ni expliqué la présence de médecins et d’experts en armes chimiques dans l’équipe chargée de surveiller M. Navalny. Il a indiqué ne pas être encore parvenu à une conclusion sur les questions en suspens, ajoutant que « la situation est malheureusement bloquée, car les autorités russes disent ne pas avoir de preuves qu’un crime a été commis en Russie et refusent d’ouvrir une enquête ».
Leonid Volkov, chef de bureau de M. Navalny, remplaçant celui-ci détenu à Moscou, a indiqué qu’il aurait préféré que M. Navalny soit présent à l’audition. « Le Président Poutine a ordonné l’assassinat d’Alexeï Navalny, son principal opposant politique, par empoisonnement au moyen de l’agent chimique Novichok », a expliqué M. Volkov à la commission. Le crime de M. Navalny est qu’il ait « osé survivre » – et pas seulement survivre, mais prendre part à l’enquête concernant son empoisonnement, a ajouté M. Volkov. M. Navalny est accusé d’avoir violé les termes de sa condamnation avec sursis en ne se présentant pas aux services pénitentiaires de Moscou, bien que cela ne constitue pas un motif d’emprisonnement en vertu du droit russe. De plus, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le premier verdict avait en réalité été fabriqué, jugement que la Russie a accepté. La Cour devrait y voir un argument pour exiger la remise en liberté immédiate de M. Navalny, selon M. Volkov. « À l’instant où je vous parle, Alexeï est incarcéré illégalement, il est dans les mains de ceux-là mêmes qui l’ont empoisonné, et cela, bien sûr, met sa vie en danger ». M. Volkov a affirmé que le changement en Russie ne pouvait pas venir de l’étranger et que les citoyens russes devront résister et se battre pour leurs droits, et qu’ils le feront. « Mais dans cette affaire, a-t-il ajouté, je pense qu’il est aussi de la responsabilité de l’Europe de nous aider. Les citoyens russes lui en seront reconnaissants ».
Christo Grozev, qui a mené une enquête sur l’empoisonnement de M. Navalny à la demande des journalistes d’investigation open source de Bellingcat, a présenté à la commission ses conclusions détaillées. Il a expliqué que son équipe avait utilisé les données et métadonnées téléphoniques de huit agents du FSB ayant participé à des empoisonnements par le passé, ainsi que des documents du domaine public et les résultats d’une précédente enquête montrant que la Russie mène actuellement un « programme secret d’armes chimiques ». En retraçant les déplacements de M. Navalny et ceux de l’équipe du FSB, ils ont découvert des « recoupements frappants et statistiquement significatifs » indiquant que cette équipe, qui comprenait des médecins et des experts en armes chimiques, surveillait M. Navalny depuis longtemps, notamment au moment de son empoisonnement à Tomsk. « L’un des agents a utilisé son téléphone dans la nuit du 19 au 20 août. Les métadonnées montrent que peu après minuit, il se trouvait à deux pas de l’hôtel d’où M. Navalny sortirait quelques heures plus tard, juste avant de s’effondrer. » M. Grozev a indiqué que les conclusions de son équipe « révèlent non seulement une tentative d’assassinat sur la personne de M. Navalny, mais aussi l’existence d’une unité structurée au sein du FSB, qui comprend des spécialistes de l’empoisonnement par arme chimique et des médecins, et dont la mission est manifestement d’assassiner des citoyens russes [...]. Jusqu’ici, nous avons mis en évidence au moins trois empoisonnements réussis. Et nous prévoyons de publier nos résultats dans les prochains jours ».
À l’issue de l’audition, la commission a demandé qu’un débat d’urgence soit organisé à la prochaine session « hybride » de l’Assemblée sur l’arrestation et la détention d’Alexeï Navalny en janvier 2021. M. Maire a en outre été autorisé par la commission à se rendre en Russie dans un avenir proche, dans le cadre de son rapport, qu’il présentera à l’Assemblée en temps voulu, en vue d’un débat en plénière.