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La protection des droits de l’homme en cas d’état d’urgence

Rapport | Doc. 11858 | 09 avril 2009

Commission
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
Rapporteur :
M. Holger HAIBACH, Allemagne
Origine
Renvoi en commission: Doc. 10985, Renvoi n° 3281 du 6 octobre 2006. 2009 - Deuxième partie de session

Résumé

Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, en particulier la Géorgie et l’Arménie, ont récemment eu recours à la déclaration de l’état d’urgence, qui s’est accompagné de graves violations des droits de l’homme – une situation jugée préoccupante par la commission des questions juridiques. Ces déclarations sont prévues par la Convention européenne des droits de l’homme, mais uniquement «en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation». Les mesures d’urgence ne doivent pas outrepasser ce qu’exige la situation et doivent rester dans le cadre du droit international. Ces pouvoirs exceptionnels entraînant des restrictions des libertés et des droits individuels, la commission estime qu’il ne doit y être recouru qu’en dernier ressort.

Ces mesures doivent également être mises en œuvre avec beaucoup de prudence. Ainsi, le pouvoir législatif doit jouer un rôle central dans le contrôle de ce type de déclaration, et le pouvoir judiciaire doit pouvoir statuer sur sa validité. En outre, les représentants des forces de l’ordre doivent être formés aux droits de l’homme et aux techniques non létales de contrôle des foules. Par ailleurs, il convient de limiter autant que possible les restrictions relatives à l’organisation de manifestations et de défilés, et d’éviter, si possible, toute restriction aux médias – la communication de faits et l’expression d’opinions ne devant jamais être considérées comme une «menace à la sécurité nationale».

La commission est d’avis que les pouvoirs exceptionnels devraient toujours être limités dans le temps et faire l’objet de mesures temporaires. Enfin, elle estime qu’en cas de déclaration d’état d’urgence, les organes du Conseil de l’Europe devraient surveiller attentivement la situation afin de prévenir tout abus et de garantir le respect des droits de l’homme.

A Projet de résolution

1. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par le recours récent à la déclaration de l’état d’urgence dans plusieurs Etats membres, en particulier la Géorgie et l’Arménie, qui s’est accompagné de graves violations des droits de l’homme.
2. Il incombe à l’Etat de prendre des mesures préventives pour protéger les intérêts de la société «[e]n cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation» (article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme). Les mesures d’urgence ne doivent pas outrepasser ce qu’exige strictement la situation et ne doivent pas être en contradiction avec les autres obligations de l’Etat découlant du droit international.
3. Dans certains cas très particuliers, la déclaration de l’état d’urgence peut constituer une méthode légale légitime pour faire face rapidement à des menaces de cette nature. Cependant, comme elle entraîne des restrictions des droits et des libertés des individus, cette méthode doit être utilisée avec la plus grande précaution et uniquement en dernier ressort. La déclaration de l’état d’urgence ne doit pas devenir un prétexte pour restreindre indûment l’exercice des droits fondamentaux.
4. Les allégations de recours abusif à ces dérogations doivent faire l’objet d’une enquête efficace et approfondie et la responsabilité du gouvernement doit être pleinement engagée.
5. Afin de renforcer le contrôle national du recours à la législation d’urgence, l’Assemblée est convaincue que le corps législatif doit avoir un contrôle effectif du processus de décision concerné.
6. L’Assemblée note que l’état d’urgence, lorsqu’il est déclaré de façon abusive ou appliqué de façon inappropriée, se traduit souvent par un usage excessif de la force et, en particulier, le musellement de la liberté de réunion et de la liberté d’expression.
7. Les autorités nationales devraient fournir aux représentants des forces de l’ordre une formation appropriée au sujet des droits non dérogeables, en particulier le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants et le principe «pas de peine sans loi», ainsi que sur l’emploi d’une force potentiellement létale uniquement en dernier recours lorsque tous les autres moyens ont échoué. Les forces de sécurité devraient disposer d’une panoplie complète de moyens non létaux et non violents de contrôle des foules et rester soumises à un contrôle administratif et juridictionnel rigoureux (selon les Principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (1990) et le Code européen d’éthique de la police du Conseil de l’Europe (2001)).
8. L’Assemblée est fermement d’avis qu’il est nécessaire de revoir de manière approfondie les règles d’engagement des forces de sécurité dans tous les pays du Conseil de l’Europe et, en particulier, dans ceux qui, comme la Fédération de Russie, ont hérité certaines règles de la période soviétique ou ont récemment adopté une législation ou une réglementation similaire, et de moderniser ces règles à la lumière des exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
9. S’agissant de la liberté de réunion, les restrictions à ce droit dans une situation d’urgence doivent être limitées conformément aux Lignes directrices du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE – BIDDH) sur la liberté de réunion pacifique (2007); des restrictions portant sur le moment, le lieu ou les modalités de la réunion sont nettement préférables à une interdiction totale.
10. S’agissant de la liberté d’expression, l’Assemblée rappelle les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur la protection de la liberté d’expression et d’information en temps de crise (2007) et souligne que la communication d’informations et l’expression d’opinions ne doivent jamais être considérées, en tant que telles, comme une menace pour la sécurité nationale, hormis dans des conditions strictement définies par la loi; dans une société démocratique, il convient de démontrer, pour toute restriction, que celle-ci est nécessaire pour protéger un intérêt légitime de sécurité nationale et respecte le principe de proportionnalité. De telles restrictions doivent être aussi claires et aussi limitées que possible. Le public doit avoir accès en permanence à des médias indépendants.
11. L’Assemblée condamne toute tentative d’introduire une législation relative aux manifestations qui conduirait inévitablement à des situations proches d’un état d’urgence en limitant de façon excessive les droits à la liberté de circulation ou à la liberté d’expression et en érigeant des obstacles indus à la délivrance des autorisations de manifester.
12. L’Assemblée considère que les garanties suivantes – outre celles prévues à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme – devraient toujours être respectées dans les situations d’état d’urgence:
12.1 limitation claire de la durée de tout état d’urgence et contrôle législatif efficace – par exemple au moyen de mesures temporaires dont la prolongation serait soumise à une nouvelle approbation du parlement –, en assurant à l’opposition la possibilité de jouer son rôle;
12.2 contrôle juridictionnel de la validité de l’état d’urgence et de sa mise en œuvre.
13. L’intégrité du système judiciaire – compétence, indépendance et impartialité – doit être garantie, notamment en ce qui concerne l’accès à la justice et à un recours effectif.
14. Au niveau international, la surveillance exercée par le Secrétaire Général et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur les états d’urgence déclarés devrait être renforcée. De plus, les Etats membres devraient envisager d’allonger la liste des droits actuellement non dérogeables, comme dans le cas d’autres mécanismes internationaux de défense des droits de l’homme.

B Projet de recommandation

1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa résolution … (2009) sur la protection des droits de l’homme en cas d’état d’urgence, l’Assemblée parlementaire est convaincue que le Conseil de l’Europe doit élever le niveau de surveillance des proclamations d’état d’urgence, renforcer le contrôle démocratique, veiller à ce que les organes et mécanismes de contrôle du respect des droits de l’homme de l’Organisation réagissent plus promptement à l’évolution rapide de la situation sur le terrain et condamner fermement les abus commis sous le couvert d’un prétendu état d’urgence.
2. L’Assemblée invite le Comité des Ministres à réfléchir aux moyens de parvenir à ce résultat en chargeant ses comités pertinents d’examiner:
2.1 l’opportunité d’accorder au Secrétaire Général, sur réception d’une déclaration de dérogation au titre de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, le pouvoir de requérir des informations complémentaires pendant et après l’état d’urgence et de transmettre ces informations à toutes les Parties contractantes, au Président du Comité des Ministres, au Président de la Cour européenne des droits de l’homme, au Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ainsi qu’aux Présidents de l’Assemblée parlementaire et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux;
2.2 la possibilité d’allonger la liste des droits ne pouvant faire l’objet d’une dérogation au titre de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, en y ajoutant en particulier les droits dont la suspension n’est pas essentielle même en cas d’état d’urgence, comme c’est le cas à l’article 27 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

C Exposé des motifs par M. Holger Haibach, rapporteur

1 Introduction

«Le recours fréquent aux pouvoirs d’exception pour faire face aux situations de crise, doublé de leur succès éventuel, tend à banaliser ce recours et à le rendre de plus en plus facile à imposer. Le danger étant que cette pratique se transmette comme efficace et irréprochable aux gouvernements successifs qui, dans un contexte de crise particulier, n’étudieront pas avec toute l’attention requise le recours possible à des mesures moins extrêmes. De plus, un certain degré d’acceptation sociale finit par se produire et le recours à des mesures d’exception par être perçu comme la norme, si bien qu’au fil du temps s’émousse la sensibilité à la question des droits de l’homme inévitablement liée à état d’urgence»Note.

1. Le présent rapport tire son origine d’une proposition de résolution (Doc. 10641) relative à la protection des droits de l’homme en cas d’état d’urgence présentée par Mme Renate Wohlwend et des collègues le 5 juillet 2005. En réponse à la violence qui a éclaté le 13 mai 2005 dans la ville ouzbèke d’Andijan, où les forces de sécurité de l’Etat ont brutalement dispersé une manifestation pacifique, causant la mort de plusieurs centaines de personnesNote, Mme Renate Wohlwend et ses collègues ont fait remarquer que de tels actes de répression étaient contraires à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après la Convention ou CEDH) et aux obligations des Etats membres du Conseil de l’Europe. De plus, ils ont rappelé qu’il est possible de déroger à la Convention dans les situations d’urgence au titre de l’article 15, mais qu’il faut garder un équilibre entre la menace à laquelle l’Etat doit faire face et les droits des individus garantis par la CEDH. La proposition demandait également à ce que les forces de sécurité aux prises avec des situations difficiles se voient remettre des instructions claires, qui les aident à agir dans le respect des droits de l’homme et de la primauté du droit.
2. Les événements survenus récemment à Erevan (Arménie) et à Tbilissi (Géorgie) ont renforcé la nécessité d’examiner cette question. Après dix jours de manifestations pacifiques, à la suite de l’élection du président arménien le 19 février 2008NoteNote, le président sortant, M. Robert Kotcharian a décrété l’état d’urgence le 1er mars alors que la police tentait de faire lever le camp aux manifestants de l’opposition et que des émeutes violentes s’en étaient ensuiviesNoteNote. De même, le 7 novembre 2007, après cinq jours de manifestations réclamant la démission du président géorgien Mikhail Saakashvili, ce dernier a déclaré quinze jours d’état d’urgence, finalement levé après huit joursNote, interdisant les rassemblements et la publication d’informations par tout média non contrôlé par l’Etat.
3. Dans les deux cas, il y a lieu de croire que des violations à la Convention ont eu lieu, notamment de l’article 3, non dérogeable, sur l’interdiction de la torture (la brutalité de la police pouvant être considérée comme un traitement inhumain et dégradant), de l’article 2, non dérogeable également, sur le droit à la vie (au vu des décès ayant résulté des violences policières) de l’article 5 sur la liberté et la sûreté (des détentions effectuées en dépit de la loi), de l’article 10 sur la liberté d’expression (censure excessive) et à l’article 11 sur la liberté de réunion et d’association (eu égard aux restrictions imposées aux réunions pacifiques)Note.
4. Ce rapport a pour but de présenter les principaux thèmes, questions et propositions relatifs à la protection des droits de l’homme en cas d’état d’urgence. En vue de la préparation de ce rapport, la commission a tenu une audition le 9 septembre 2008 avec les experts suivants: Mme Finola Flanagan, membre de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et chef du Bureau de l’Attorney General, Dublin; Mme Kirsten Mlacak, chef du Service des droits de l’homme, Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH), OSCE, Varsovie; Mme Anya Tsitsina, assistante du Programme Europe, International Crisis Group (ICG), Bruxelles et M. Avetik Ishkhanyan, président du Comité Helsinki d’Arménie, Erevan.

2 Quand est-il justifié de restreindre les droits de l’homme dans les situations d’urgence?

2.1 But légitime

5. Comme l’a reconnu le Comité des Ministres, les Etats ont l’obligation de «prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits fondamentaux des personnes relevant de leur juridiction à l’encontre des actes terroristes, tout particulièrement leur droit à la vie»Note. La Cour européenne des droits de l’homme (ci-après «la Cour») a en outre ajouté que la protection du droit à la vie peut également, dans certaines circonstances bien définies, «mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui»Note. Cela signifie que les droits de personnes ayant des intentions criminelles peuvent légitimement être restreints dans l’intérêt de la société dans son ensembleNote. Dans des circonstances spécifiques, déclarer l’état d’urgence est un moyen légitime et rapide d’y parvenir. Cependant, la nature même de l’état d’urgence implique que les droits et libertés de tous les individus – criminels ou non – se voient restreints.
6. Il n’existe pas de formule mathématique ni d’échelle préétablie permettant de trouver le juste équilibre entre la sécurité nationale et l’exercice des droits fondamentauxNote. Le contexte et le degré de l’urgence sont essentiels dans la détermination du bien-fondé des mesures à prendre lors des situations d’état d’urgence; les critiques admissibles dans une situation donnée peuvent ne pas l’être dans l’autre, même si les deux se ressemblent au premier abord. Cependant, c’est une norme impérative (jus cogens) du droit international que de garantir que «ces restrictions ne portent pas atteinte au noyau essentiel du droit ou de la liberté en question»Note. La législation d’exception devrait aider à préserver la primauté du droit et non pas la bafouer.

2.2 Définitions

7. A la lumière de la nécessaire flexibilité en matière de restriction sur les droits dans les situations d’urgence, tous les éléments devraient être définis aussi clairement que possible. Selon la Cour, une «situation d’urgence» est «une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’Etat»Note. L’Etat d’urgence ne peut être déclaré en vue de prévenir une menace à la loi et à l’ordre public limitée localement ou plus ou moins isolée, ni servir de prétexte pour imposer des restrictions vagues ou arbitrairesNoteNote.
8. L’affaire Lawless se caractérise par une approche tripolaire de l’identification et de l’évaluation de telles situations: «le Gouvernement de toute Haute Partie Contractante a le droit, en cas de guerre ou de danger public menaçant la vie de la nation, de prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la Convention […] et cela sous la condition que ces mesures soient strictement limitées aux exigences de la situation et qu’en outre elles ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international; […] il appartient à la Cour de vérifier si les conditions énumérées à l’article 15 pour l’exercice du droit exceptionnel de dérogation étaient réunies dans le cas présent»Note.
9. D’autres caractéristiques ont été définies par l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme: (1) le danger doit être réel ou imminent; (2) ses effets doivent toucher l’ensemble de la nation; (3) la continuité de la vie organisée de la communauté doit être menacée; (4) la crise ou le danger doivent être exceptionnels, c’est-à-dire que les mesures ou restrictions normales qu’autorise la Convention aux fins de la protection de la sûreté, de la santé et de l’ordre publics doivent être tout à fait insuffisantesNote.
10. En d’autres termes, même en cas d’examen des circonstances particulières entourant la déclaration éventuelle d’un état d’urgence, les questions essentielles à se poser sont les suivantes: (1) l’état d’urgence est-il justifié? (2) la réponse à la menace est-elle nécessaire et proportionnée?; et (3) les mesures prises sont-elles en contradiction avec d’autres obligations de l’Etat découlant du droit international? (conformité à l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou PIDCP, qui contient ses propres droits non dérogeables, similaires mais non identiques à ceux de la CEDHNote). Toutes ces questions font peser d’importantes restrictions et conditions sur les actions des gouvernements en cas d’état d’urgence.

2.3 Restrictions et conditions strictes

11. Toute discussion sur les situations d’urgence sous-entend la compréhension préalable qu’en temps de crise, l’article 15 de la CEDH libère les Etats parties de leurs obligations au titre de diverses dispositions, exprimant les principes essentiels de temporalité et de danger imminent dans ces situations (principes reflétés dans l’arrêt Lawless cité ci-dessus). Cet article est ainsi libellé:
«(1) En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
(2) La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7.
(3) Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application.»
12. Ainsi, un état d’urgence nécessitant de déroger à la Convention est formellement établi lorsque: (1) il est annoncé publiquement à la nation; (2) cette dérogation est formellement notifiée et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe tenu informé des mesures prises. Il convient cependant de garder à l’esprit la réserve du juge Lech Garlicki, juge à la Cour européenne des droits de l’homme, qu’aucune déclaration de situation d’urgence nationale ni d’invocation de l’article 15 ne sont nécessaires pour prendre des mesures raisonnables de protection de la sûreté nationale, de l’intégrité du territoire ni de tout autre intérêt public majeurNote. La cause des droits de l’homme en Europe a tout à gagner du maintien de la stabilité et de l’intégrité de la Convention. En conséquence, tant que ces mesures sont prévues par la loi, justifiées par la protection d’un intérêt public majeur et nécessaires dans une société démocratique, la Cour est susceptible d’admettre leur compatibilité avec les normes de la ConventionNote.
13. En termes de durée de l’état d’urgence, la jurisprudence ne fournit pas de précisions, mais les commentateurs laissent entendre que si la menace du danger varie en intensité selon diverses phases et degrés, les mesures prises durant chaque phase doivent varier en conséquenceNote. De plus, dans l’affaire De Becker c. Belgique, la commission a déclaré qu’une action découlant de mesures justifiées par un risque imminent ne peut se poursuivre une fois le risque disparuNote. L’applicabilité de l’article 15 est bien entendu également soumise à la restriction procédurale exigeant que le Secrétaire général du Conseil de l’Europe soit tenu informé de l’évolution de la situation – ce qui fournit une base susceptible de faciliter les évaluations subséquentesNote, bien que dans la pratique, cette restriction soit limitée dans la mesure où, contrairement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)et à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, elle ne précise aucun délai temporaire ni aucun autre paramètre concernant cette notification.
14. Pour ce qui est des motifs spécifiques, la Cour reste d’ordinaire en retrait sur la question de la justification; elle estime en effet que, se trouvant «en contact direct avec les réalités pressantes du moment, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur la présence de pareil danger comme sur la nature et l’étendue des dérogations nécessaires pour le conjurer. L’article 15 […] leur laisse en la matière une large marge d’appréciation»Note. Par cette décision, la Cour cherche à établir un équilibre approprié entre la flexibilité des restrictions imposées par les autorités nationales et la nécessité de donner une définition la plus claire possible de l’état d’urgence, tel qu’indiqué au paragraphe 7 ci-dessus.
15. Cependant, la Cour soumet la question de la proportionnalité à trois testsNote. Tout d’abord, l’application de la loi ordinaire doit se révéler insuffisante pour faire face au danger. Ensuite, les mesures prises doivent avoir pour but spécifique d’éliminer le danger. Enfin, des mesures relativement sévères sont acceptables, accompagnées de garanties adéquates (par ex. par des protections procédurales telles que l’habeas corpus ou protection similaire). Ainsi, comme la Cour l’a indiqué dans l’arrêt Brannigan et McBride c. Royaume-Uni: «Les Etats ne jouissent pas pour autant d’un pouvoir illimité en ce domaine. La Cour a compétence pour décider, notamment, s’ils ont excédé la “stricte mesure” des exigences de la crise. La marge nationale d’appréciation s’accompagne donc d’un contrôle européen. Quand elle exerce celui-ci, la Cour doit en même temps attacher le poids qui convient à des facteurs pertinents tels que la nature des droits touchés par la dérogation, la durée de l’état d’urgence et les circonstances qui l’ont créé»Note.
16. En tant que dernière et plus importante restriction à la possibilité de dérogation dans les situations d’état d’urgence, l’article 15 interdit la prise de mesures non compatibles avec les autres obligations des Etats au titre du droit international (comme le PIDCP), les dérogations au droit à la vie (article 2), à l’interdiction de la torture (article 3) et de l’esclavage (article 4) et au principe «pas de peine sans loi» (article 7). Ces dispositions garantissent que l’état d’urgence est respectueux de la légalité, non seulement eu égard à la Convention mais à tous les accords internationaux de protection des droits de l’homme, et que les droits humains les plus fondamentaux demeurent intacts en toute circonstance.
17. Ainsi, pour résumer, les conditions suivantes doivent toujours être respectées lors d’un état d’urgence: (1) temporalité, (2) danger imminent, (3) déclaration publique, (4) notification internationale, (5) proportionnalité, (6) légalité et (7) intangibilité des droits non dérogeablesNote.

3 Conséquences de la déclaration de l’état d’urgence et normes applicablesNote

18. La situation en Arménie et en Géorgie est emblématique des conséquences que peut entraîner un état d’urgence mal géré. En Arménie, le Conseil de l’Europe avait certes été informé de dérogations spécifiques à l’article 15Note, mais la police s’est rendue coupable d’attaques violentes contre des manifestants en repli, lors d’une opération quasi-militaire à l’aide de blindés, gaz lacrymogène, passages à tabac, détentions et tirs massifs et aveugles ayant duré «plus d’une heure»NoteNote. Au moins huit personnes ont été tuées, y compris un garçon de 12 ansNote. L’état d’urgence, qui a pris fin le 20 mars, a également permis au Président Kotcharian d’interdire les réunions et d’imposer des restrictions aux médiasNote. Les organes d’information arméniens ont reçu l’ordre de ne communiquer que les informations fournies par le gouvernement; les stations locales de radio-télédiffusion ont été encouragées à ne plus programmer des contenus provenant de l’étrangerNote. Enfin, la loi arménienne sur les rassemblements et les manifestations a été amendée en vue de renforcer encore l’interdiction des réunions spontanées et de limiter les contrôles judiciaires indépendants concernant les restrictions sur les rassemblements. Dans une déclaration conjointe de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (BIDDH), les amendements ont été reconnus comme inacceptables car contraires au droit d’associationNote et ce n’est que sous la pression de la Commission de Venise et de la commission de suivi de l’Assemblée parlementaireNote que l’Arménie a levé ces restrictionsNote.
19. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, s’est ensuite rendu en Arménie pour s’entretenir avec les principaux protagonistes à la suite de la crise et tenter de savoir si des droits fondamentaux non dérogeables ont été suspendus durant l’état d’urgenceNote. Il a conclu que «certaines restrictions [n’avaient pas contribué] à stabiliser la situation et à apaiser les tensions sociales en cette période post-électorale et qu’elles [n’avaient pas davantage renforcé] les institutions et le processus démocratiques». Il a également relevé un accroissement des violences policières, peut-être dans le cadre de la violation de l’interdiction de la torture, disposition non dérogeableNote.
20. Dans sa Résolution 1609 (2008) adoptée à la suite des événements, l’Assemblée formule quatre exigences, notamment la mise en place d’une enquête «indépendante, transparente et crédible» sur les événements de mars et la libération de toutes les personnes qui, à titre personnel, n’ont commis ni acte de violence ni infraction graves. Dans une autre résolution adoptée en janvier 2009, la Résolution 1643 (2009), l’Assemblée se félicite de la décision du Président arménien de créer «un groupe d’experts chargé d’enquêter sur les événements des 1er et 2 mars 2008», en soulignant que «c’est la manière dont ce groupe conduira ses travaux, ainsi que l’accès à l’information qu’il obtiendra des institutions de l’Etat à tous les niveaux, qui détermineront en fin de compte la crédibilité dont jouira ce groupe d’enquête»Note.
21. Par ailleurs, Louise Arbour, qui occupait le poste de Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a qualifié de disproportionné l’usage de la force à Tbilissi (notamment le recours aux canons à eau, aux matraques, aux balles en caoutchouc et au gaz lacrymogène) et a souligné l’importance du respect des droits de l’homme même en cas d’état d’urgence, rappelant les obligations de la Géorgie au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de ses dispositions non dérogeables concernant le droit à la vie et l’interdiction de la torture (à l’évidence non dérogeables aussi au titre de la ConventionNote). De plus, les rassemblements et la communication d’informations par tout média non contrôlé par l’Etat ont également été interdits.
22. Ainsi, alors qu’une mauvaise gestion de l’état d’urgence peut entraîner plusieurs conséquences néfastes, trois sont particulièrement fréquentes: restriction du droit d’association, restriction de la liberté d’expression et usage excessif de la force.

3.1 Usage de la forceNote

23. Malgré l’obligation de ne pas déroger aux articles 2 et 3 de la CEDH, le recours à la force est un problème persistant dans la réponse des Etats aux situations d’exception et, comme mentionné ci-dessus, la violence est souvent la preuve la plus tangible qu’un état d’urgence a dégénéréNote.
24. Les méthodes de contrôle de la foule et autres actions policières doivent donc toujours être «proportionnées et adaptées» afin de préserver l’inviolabilité du droit à la vieNote. La jurisprudence de la Cour est claire sur ce point: la force déployée pour disperser les manifestants ne doit pas dépasser le strict nécessaireNote. Cette règle vaut même dans les cas de manifestations pas entièrement pacifiques. Le recours aux armes doit toujours être proportionné à la force exercée par les civilsNote. De plus, la Cour a conclu que les Etats doivent fournir les précautions adéquates pour préserver la sécurité des civils durant les opérations anti-terroristesNote. De plus, l’obligation d’éviter ou de réduire au maximum le risque de perte de vies humaines ne s’applique pas seulement aux forces de sécurité dans le cadre de la planification et de l’exécution d’une opération, mais aussi aux autorités du pouvoir exécutif et législatif, à qui il incombe de mettre en place un cadre administratif et législatif à même de réguler l’usage de la forceNote.
25. Les divers organes internationaux ont commenté et recommandé de bonnes pratiques en matière d’usage de la force par la police et les forces de sécurité. A cet égard, deux documents guides ont été publiés, l’un par les Nations Unies: les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (1990)Note, et l’autre par le Conseil de l’Europe: le Code européen d’éthique de la police (2001)Note.
26. Les principes de base établis par les Nations Unies recommandent, entre autres suggestions, de recourir autant que possible à des moyens non violents; de se faire connaître et de donner un avertissement clair de leur intention d’avoir recours à la force; de développer des pratiques permettant «un usage différencié de la force», y compris «d’équipements défensifs […] afin qu’il soit de moins en moins nécessaire d’utiliser des armes de tout genre»; de fournir une «assistance et des secours médicaux aussi rapidement que possible à toute personne blessée»; et de «réglementer le contrôle, l’entreposage et la délivrance des armes à feu». De plus, les principes appellent à la transparence dans le rapport d’incidents, à la responsabilité des supérieurs hiérarchiques et la sanction pénale de la violation manifeste de normes fondamentales. Enfin, les Nations Unies en appellent aux instances pertinentes pour mettre en place des procédures d’évaluation de l’aptitude de leurs agents et d’accorder une «attention particulière aux questions d’éthique policière et de respect des droits de l’homme», ainsi que d’assurer une aide psychologique aux agents impliqués dans des situations de crise.
27. Le Code européen d’éthique de la police, promulgué par le Conseil de l’Europe, fournit des recommandations similaires. Il ajoute cependant que les services de police doivent être sous la responsabilité des autorités civilesNote et bénéficier d’une indépendance opérationnelle vis-à-vis des autres organes de l’EtatNote. Le Code souligne en particulier que la police doit être soumise à des «contrôles externes efficaces», que «le contrôle de la police par l’Etat doit être réparti entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire»Note et que des «codes de déontologie de la police devraient être élaborés dans les Etats membres […] et supervisés par des organes appropriés»Note. Le Code réitère également le principe simple, devant présider à toute discussion sur l’usage de la force, que la bonne conduite de la police est «fondamentale pour l’Etat de droit et donc pour la signification et l’objet de la mission de la police en démocratie»Note.
28. Au vu de ces principes, le rapporteur s’inquiète de l’existence d’ordonnances secrètes du ministère de l’Intérieur russe (notamment l’ordonnance n° 870 du 10 septembre 2002 approuvant le «Manuel de planification des interventions dans les situations d’urgence et de préparation du personnel des organes des Affaires intérieures et des troupes du ministère de l’Intérieur russe») qui mentionnent la «destruction» éventuelle des émeutiers et leur internement sans autorisation judiciaire dans des centres de «filtration». L’existence de ces ordonnances secrètes a été révélée par la Commission publique d’enquête sur les événements de décembre 2004 à Blagovechtchensk, lors desquels plusieurs centaines de citoyens ont été violemment frappés par la milice locale. On connaissait l’utilisation de centres de «filtration» à l’époque de l’URSS. En 1990 et 1991, leur existence avait été rapportée en relation avec la guerre en Afghanistan et le conflit dans la région transcaucasienne. De tels centres auraient également été utilisés dans le Caucase du Nord et auraient été le lieu de nombreuses violations des droits de l’homme, y compris des actes de torture et des disparitions forcéesNote.
29. Il est particulièrement troublant de noter que les «mesures spéciales» prévues dans les ordonnances secrètes sont très similaires aux mesures prises par les forces de sécurité à Andijan. Ceci tend à indiquer que, dans certains pays issus de l’Union soviétique, de telles ordonnances secrètes seraient toujours en place.
30. Le rapporteur, par conséquent, insiste vigoureusement sur le fait que, dans tous les pays du Conseil de l’Europe et en particulier dans les pays qui ont hérité de règles datant de la période soviétique, les règles d’engagement des forces de sécurité doivent être revues de manière approfondie et, le cas échéant, modernisées à la lumière des exigences de la CEDH.

3.2 Restrictions à la liberté de réunion

31. L’article 11 de la CEDH étant dérogeable, les restrictions à la liberté de réunion sont fréquentes dans les législations d’exception des Etats membres du Conseil de l’Europe. Par exemple:
  • La loi constitutionnelle fédérale sur l’état d’urgence (du 30 mai 2001, telle qu’amendée jusqu’en 2005, n°3­FKZ) de la Fédération de RussieNote prévoit dans son article 11 l’interdiction ou la restriction des réunions, rassemblements, manifestations, défilés, piquets de grève et autres événements publics de masse.
  • La loi ukrainienne n°1550-III sur le régime juridique de l’état d’urgence (mars 2000)Note autorise, dans son article 15, l’instauration de la loi martiale, qui rend possible l’interdiction des activités des partis politiques et des organisations publiques si elles menacent la souveraineté de l’Etat, la sûreté et l’indépendance nationales, l’intégrité du territoire ukrainien et la vie de personnes.
  • L’article 46 de la Constitution géorgienne de 1995, telle qu’amendée en 2004, prévoit que la liberté de rassemblement pacifique peut être restreinte en cas d’état d’urgence.
  • Une loi française de 1955 sur l’état d’urgence (en termes d’ordre public et de sûreté nationale), appliquée pour la première fois le 8 novembre 2005 en réponse à des émeutes dans un certain nombre de villes françaises, interdit les réunions publiques pendant l’état d’urgence pour une durée pouvant aller jusqu’à 12 jours.
  • La loi turque sur l’état d’urgence (25 octobre 1983, Loi n°2935)Note prévoit, dans son article 11, l’interdiction, l’ajournement ou l’obligation d’obtenir une autorisation concernant les réunions et les manifestations tant en intérieur qu’en extérieur, la réglementation de la durée et du lieu des réunions et manifestations autorisées et la supervision et, si jugé nécessaire, la dispersion de tout type de réunion autorisée.
32. Cependant, tous les Etats membres sont liés par l’obligation générale, en tant que parties à la Convention européenne des droits de l’homme, de respecter les libertés fondamentales des personnes relevant de leur juridiction. Il est donc impératif que toute dérogation légale à ces principes s’effectue avec la plus grande circonspection, en d’autres termes, que la présomption de liberté de réunion soit maintenue autant que possible durant l’état d’urgence, et que toute restriction à cette liberté soit fondée sur une base légaleNote. Comme l’a déclaré la Cour européenne des droits de l’homme, «des mesures radicales de nature préventive visant à supprimer la liberté de réunion et d’expression en dehors des cas d’incitation à la violence ou de rejet des principes démocratiques – aussi choquants et inacceptables que peuvent sembler certains points de vue ou termes utilisés aux yeux des autorités, et aussi illégitimes les exigences en question puissent-elles être – desservent la démocratie, voire, souvent, la mettent en péril»Note.
33. Dans cette optique, plusieurs normes internationales relatives au droit de réunion ont été adoptées. L’analyse la plus récente et la plus approfondie sur ce sujet provient de l’OSCE-BIDDH/Commission de Venise; il s’agit des Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique (2007)Note. Ce document précise en particulier (c’est nous qui soulignons) que toute restriction légale au titre de la CEDH doit être conçue de manière à garantir à la fois que les responsabilités des services de sécurité concernés soient correctement assumées et que toute confiance placée par le public dans leur neutralité soit préservéeNote. Le document fait également remarquer qu’il existe aussi des solutions de rechange à l’interdiction absolue de réunion, tout à fait susceptibles de préserver l’ordre public: le moment, le lieu et le déroulement prévus pour un événement peuvent faire l’objet de réglementations sans qu’il soit atteint le moins du monde à ce droit fondamentalNote.
34. La jurisprudence de la Cour a également souligné que l’arrestation et la poursuite après les faits de fauteurs de trouble lors d’un rassemblement est préférable à la restriction a priori au droit de se réunirNote. Les Lignes directrices réitèrent qu’en général, les lois régissant la liberté de réunion ne devraient comporter aucune disposition générale relative à la responsabilité pénale ou administrative, sauf lorsque les infractions reprochées ont spécifiquement à voir avec la liberté de réunion, et que nul ne saurait être poursuivi uniquement pour s’être rendu à un rassemblementNote.
35. Ainsi, comme l’a déclaré la Commission de Venise, «l’article 11 de la Convention est un droit ’qualifié’, ce qui signifie que l’Etat est habilité à justifier ce qui, à première vue, est une entrave à l’exercice de ce droit. […] Cependant, dans sa conception et son application, ce régime ne doit pas remettre en cause le droit de réunion lui-même: toute interdiction d’une réunion doit reposer sur des motifs prévus explicitement par l’article 11(2) de la CEDH [disposition autorisant des restrictions à l’exercice de ce droit] tel qu’il est interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme»Note.
36. Le rapporteur se félicite à cet égard de l’adoption par l’Arménie d’une loi modifiant et complétant la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations, conformément aux normes du Conseil de l’Europe, mais note que, malgré l’adoption de cette loi, l’Assemblée a dû rappeler une nouvelle fois que «la liberté de réunion doit également être garantie dans la pratique en Arménie», en insistant «auprès des autorités arméniennes pour qu’elles veillent à ce qu’aucune restriction injustifiée ne soit imposée aux rassemblements organisés par l’opposition dans le respect de la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations, notamment au regard des lieux demandés»Note.

3.3 Restrictions à la liberté d’expression

37. Les dispositions visant à restreindre la liberté d’expression sont également courantes dans les législations d’exception des Etats membres:
  • La loi russe sur les situations d’urgenceNote prévoit que lorsqu’un état d’urgence est instauré suite à des émeutes de grande ampleur, les autorités peuvent imposer des restrictions à la liberté de la presse et autres médias d’information de masse.
  • L’article 15 de la loi ukrainienne sur la loi martialeNote permet aux autorités de contrôler la production des sociétés de communication, des imprimeries, des maisons d’édition, des entreprises de radio-télédiffusion, des théâtres, des sociétés d’organisation de spectacles et de concerts, de contrôler le fonctionnement des institutions et des organisations, de réquisitionner les stations de radio et de télévision et les services d’imprimerie à des fins militaires et explicatives à l’égard des troupes et de la population, de réguler le fonctionnement des centres civils d’émission de programmes radio et télédiffusés, d’interdire le fonctionnement des récepteurs et émetteurs amateurs individuels et collectifs ainsi que la transmission d’information par réseau informatique; et, en cas de violation des exigences ou du non-respect des mesures imposées légalement au titre de la loi martiale, de saisir les émetteurs radio, le matériel audio-vidéo et de télévision, les ordinateurs et, si nécessaire, tout moyen de télécommunication détenu – indépendamment du régime de propriété – par les entreprises, les institutions, les organisations ou les particuliers.
  • Le 17 octobre 1997, la Géorgie a promulgué une loi sur l’état d’urgenceNote dont l’article 4 autorise les autorités à soumettre les médias à leur contrôle et à édicter des règles spécifiques en matière d’utilisation des moyens de communication.
  • De façon similaire, la loi française de 1955 mentionnée ci-dessus autorise la police à contrôler la circulation des informations.
  • Pendant l’état d’urgence, les autorités turquesNote sont habilitées à interdire ou à exiger la permission concernant la publication (y compris la réimpression et l’édition) et la diffusion de journaux, de périodiques, de brochures, de livres, etc.; l’importation et la diffusion de publications publiées ou réimprimées en dehors des régions soumises à l’état d’urgence; à confisquer livres, périodiques, journaux, brochures, affiches et autres matériel dont la publication ou la diffusion aura été interdite; et, si jugé nécessaire, à contrôler, à restreindre ou à interdire la diffusion de quelque façon que ce soit de mots, de textes, d’images, de films, d’enregistrements, d’images et de son enregistrés (cassettes).
38. Les principes de Johannesburg sur la sécurité nationale, la liberté d’expression et l’accès à l’information (Nations Unies, 1996) soulignent que de telles restrictions sont rarement nécessaires – que la communication de faits et l’expression d’opinions ne doivent pas être considérées comme une menace à la sécurité nationale (y compris la militance en faveur d’un changement de gouvernement ou de politique gouvernementale) si cette militance ne provoque pas de violations immédiates et substantielles de la loi ni ne constitue un risque sérieux et imminent de telles violationsNote. Un avis similaire a été exprimé par la Cour européenne des droits de l’homme, qui estime qu’«il est de l’essence de la démocratie de permettre la proposition et la discussion de projets politiques divers, même ceux qui remettent en cause le mode d’organisation actuel d’un Etat»Note.
39. Le 11e Principe de Johannesburg, «Règle générale de l’accès à l’information», établit également que: «Toute personne a le droit d’obtenir des informations des autorités publiques, y compris des informations concernant la sécurité nationale. Aucune restriction de ce droit ne peut être imposée pour des raisons de sécurité nationale à moins que le gouvernement ne puisse prouver que cette restriction est prévue par la loi et est nécessaire dans une société démocratique pour protéger un intérêt légitime de sécurité nationale».
40. Le Conseil de l’Europe s’est également penché sur ce sujet. Dans ses Lignes directrices sur la protection de la liberté d’expression et d’information en temps de crise (2007)Note, le Comité des Ministres insiste sur les points suivants: (1) la sécurité personnelle des professionnels des médias devrait être assurée en temps de crise; (2) en temps de crise, les Etats membres devraient garantir aux professionnels des médias la liberté de circulation et l’accès aux zones concernées; (3) les instances militaires et civiles devraient informer régulièrement tous les professionnels des médias sans discrimination et (4) les législations nationales devraient offrir des garanties contre l’utilisation abusive des lois sur la diffamation et protéger le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information. De plus, le Comité des Ministres a insisté sur la nécessité de ne pas employer de termes vagues dans le libellé des restrictions à la liberté d’expression et d’instituer la responsabilité pénale ou administrative des fonctionnaires qui tentent d’utiliser les media pour manipuler l’opinion publique.

4 Nécessité de renforcer la supervision de l’état d’urgence

41. La meilleure façon d’éviter les conséquences potentiellement désastreuses d’un état d’urgence mal géré est de s’assurer que tous les Etats membres instituent les garanties adéquates dans leur législation nationale (par exemple l’obligation d’observer les normes de conduite internationales décrites ci-dessus) et que ces garanties soient effectivement mises en place par le biais d’une supervision efficace, tant des mesures et que des institutions. Les trois éléments principaux de cette supervision reposent sur la limitation constitutionnelle de l’état d’urgence, la supervision judiciaire et, en dernier ressort, le contrôle international.

4.1 Limitation de la durée de l’état d’urgence et contrôle législatif

42. Les limites temporelles constituent la première ligne de défense contre les éventuels débordements de l’état d’urgence. Il convient d’aider la population à adopter des attitudes saines et de renforcer la société civile et les groupes d’opposition afin que les dirigeants soient tenus de répondre de leurs actes. Il est essentiel que les autorités s’abstiennent de faire complaisamment passer l’état d’urgence comme un mode de vie ordinaire aux yeux des citoyens. Respecter la durée annoncée de l’état d’urgence, c’est indiquer clairement le caractère exceptionnel des mesures qui l’accompagnent.
43. Le concept a été reconnu par de nombreux Etats membres tels que la Russie et l’Ukraine, qui limitent cette durée à 30 joursNote, ces limitations allant de quatorze jours à un an dans d’autres Etats membresNote. Ces périodes sont souvent renouvelablesNote, ce qui offre un moyen simple d’exercer un contrôle législatif sur le processus – allant lui-même de pair avec la notion qu’une attitude saine de la population vis-à-vis de l’état d’urgence ainsi qu’une opposition qui se fait entendre sont le meilleur rempart contre les abus menaçant les droits de l’homme. Mais tout contrôle par la société civile requiert l’accès du public à l’information, accès que les mesures imposées par l’état d’urgence ne doivent donc pas restreindre exagérément.
44. Dans de nombreux pays, tels que l’Allemagne, c’est la partie la plus démocratiquement légitime de gouvernement, le Parlement, qui décrète l’état d’urgence; mais dans de nombreux autres, tels que la France, la Russie, la Lituanie, la Slovaquie et la Roumanie, c’est le Chef de l’Etat qui proclame l’état d’exceptionNote. Instituer des limites constitutionnelles sur l’état d’urgence, telles que des mesures temporaires prorogeables sur approbation parlementaire régulière et périodique est, comme l’a fait remarquer la Commission de Venise, un élément «important pour la réalisation de l’état de droit et de la démocratie». La Commission ajoute en outre que «la question de savoir qui met fin à l’état d’exception, à quel moment et selon quelles modalités ne peut être laissée à l’appréciation d’un exécutif qui est en train d’exercer un pouvoir accru. C’est une question qui s’adresse au parlement. D’où la nécessité de la continuation de la vie parlementaire pendant la période d’exception»Note. La conclusion de la Commission de Venise que le Parlement doit impérativement instituer des limitations en matière d’état d’urgence ne saurait être trop soulignée. Même un projet de loi pointilleux sur les droits de l’homme doit être élaboré dans cet esprit. Requérir que les parlements jouent un rôle central dans la gestion d’un état d’urgence contribue à préserver l’intégrité de la législation élaborée.

4.2 Contrôle juridictionnel

45. Le maintien de l’état de droit, que visent toutes les lignes directrices pour la protection des droits de l’homme dans les situations d’urgence, dépend nécessairement du contrôle juridictionnel exercé et du bon fonctionnement du système juridictionnel en général. Dans de nombreux pays, le décret proclamant l’état d’exception ne fait pas l’objet d’un contrôle juridictionnel, mais seulement des mesures prises au titre de cet état. Cependant, comme mentionné ci-dessus, la Cour s’est régulièrement déclarée compétente pour examiner les situations d’exception sous l’angle de l’article 15, d’où il découle, en raison du rôle subsidiaire de la Cour, que les pouvoirs judiciaires des Etats devraient être habilités à exercer ce même contrôle. L’approbation par l’appareil juridictionnel de la constitutionnalité d’un état d’urgence constitue un obstacle supplémentaire à sa déclaration illicite (susceptible d’entraîner la violation de droits) et établit également une compétence juridictionnelle solide à l’égard de toutes les mesures d’exception et de leurs effetsNote.
46. L’instauration de garanties juridictionnelles effectives et de mécanismes de contrôle sont essentiels dans le cadre de toute situation d’urgence pour permettre de poursuivre les responsables en cas de violation des droits mentionnés ci-dessus et des nombreux autres droits parfois violés dans les situations d’urgencesNote. Le maintien d’un système juridictionnel performant est d’autant plus fondamental que certaines législations d’exception d’Etats membres du Conseil de l’Europe posent problème à ce sujetNote. Heureusement, c’est dans le domaine des protections juridiques et du respect du droit dans les situations d’urgence que la communauté internationale s’est le plus clairement exprimée.
47. En 2001, la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme a élaboré une observation générale sur l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en réponse aux recommandations de M. Leandro Despouy, alors rapporteur spécial des Nations Unies sur les états d’exceptionNote. L’observation générale n°29 souligne que l’état d’urgence ne saurait servir de prétexte pour justifier des actes attentatoires aux normes impératives du droit international – y compris celles de l’article 3 commun des Conventions de Genève. L’observation générale met également en exergue que la garantie d’un recours utile est une obligation fondamentale à laquelle il ne peut être dérogé (par exemple, les droits procéduraux); elle indique en particulier que, bien que non mentionnés par l’article 4 § 2, les droits suivants sont non-dérogeables:
  • Les principes fondamentaux garantissant un procès équitable au titre du droit humanitaire international, en particulier la présomption d’innocenceNote.
  • Le droit à des recours effectifs contre toute violation des dispositions du Pacte, en particulier le droit de contester la légalité de la privation de liberté par un tribunalNote.
Ces deux droits sous-entendent donc que le déni d’accès à un avocat constitue également une violation; et dans l’observation générale n°32 (adoptée en 2007), le caractère non dérogeable du droit à un procès équitable est réitéré, la Commission estimant que «la garantie de compétence, d’indépendance et d’impartialité du tribunal […] est un droit absolu qui ne souffre aucune exception»Note.
48. Les Principes à suivre pour la rédaction de législations relatives aux états d’exception élaborés par M. Despouy (1991) soulignent le point important que dans la plupart des circonstances, le seul droit (dans la sphère judiciaire) éventuellement dérogeable devrait être le droit à un procès dans un délai raisonnable. Etant donné que les états d’urgence sont censés être de courte durée, si leurs exigences permettent difficilement de juger certains suspects selon les procédures ordinaires, la solution qui entraînera le moins de répercussions sur les droits de ces personnes est d’ajourner le procès jusqu’à ce qu’il puisse avoir lieu dans le plein respect des garanties de procédureNote.
49. De façon similaire, il est intéressant de noter que les Normes minimales de Paris concernant les droits humains sous l’état d’urgence, élaborées par L’Association de droit international (1984)Note incluent des protections juridiques précises telles que le droit pour un prévenu de communiquer avec un avocat, le droit de voir son dossier examiné dans les 30 jours par une instance judiciaire, le droit d’habeas corpus et autres dispositions relatives au droit à un procès équitable. De plus, ces normes soulignent amplement l’importance du maintien de l’indépendance, de la fiabilité et des pouvoirs de l’appareil judiciaire en temps de crise. Elles stipulent par exemple que:
«Le pouvoir judiciaire a compétence: premièrement, pour décider si la législation d’exception d’un Etat est conforme à sa Constitution; deuxièmement, pour s’assurer que l’exercice d’un pouvoir exceptionnel particulier est conforme à la législation d’exception; troisièmement, pour garantir qu’il ne sera dérogé à aucun droit intangible et que les mesures d’exception dérogeant aux autres droits respectent le principe de proportionnalité; et quatrièmement, de s’assurer que les lois et décrets municipaux existants ne sont pas spécifiquement restreints ou suspendus, ils restent pleinement en vigueur. Les tribunaux ont les pleins pouvoirs pour annuler les mesures d’exception (législatives ou exécutives) et/ou toute modalité d’application de ces dernières si elles ne sont pas conformes aux exigences énoncées»Note.
50. Pour ce qui est de la Convention européenne des droits de l’homme en particulier, les dérogations admises au titre de l’article 15 peuvent légalement s’étendre aux droits protégés par l’article 6 (droit à l’accès à un procès équitable) et par l’article 13 (droit à un recours effectif), mais, conformément aux normes internationales citées plus haut, elles ne doivent pas dépasser à cet égard ce qui est strictement nécessaire. De plus, il importe que le mécanisme de contrôle interne (de préférence tel qu’exercé par les tribunaux existants) continue de fonctionner, en tant que dispositif au moyen duquel, ainsi que la Cour l’a indiqué, «l’on peut, sous réserve des limitations découlant du contexte, obtenir l’application des lois applicables»Note. Le Comité des Nations Unies des droits de l’homme ajoute que «même si les Etats parties peuvent […] apporter […] des ajustements aux modalités concrètes de fonctionnement de leurs procédures relatives aux recours judiciaires et autres recours, ils doivent se conformer à l’obligation fondamentale de garantir un recours utile»Note. Ainsi, pour résumer, l’intégrité du système judiciaire doit être sauvegardée autant que possible.
51. D’autre part, il est nécessaire que toutes les allégations de violation des droits de l’homme qui se seraient produites pendant ou après l’état d’urgence fassent l’objet d’une enquête effective et approfondie. Il s’agissait là de l’une des exigences formulées par l’Assemblée parlementaire à propos des événements de mars 2008 en Arménie; le 24 octobre 2008, les corapporteurs ont salué, la création d’un groupe d’enquête sur ces événements et les circonstances qui y ont conduitNote. Les gouvernements devraient aussi être rendus responsables des violations des droits de l’homme qu’ils auraient pu empêcher.

4.3 Renforcement du contrôle exercé par la communauté internationale et par le Conseil de l’Europe

52. Le contrôle international des situations d’urgence est également susceptible d’amélioration, sous l’égide du Conseil de l’Europe. Il importe au plus haut point que l’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres soulignent que la communauté internationale attend des Etats membres qu’ils prennent au sérieux les normes fondamentales – en insistant particulièrement sur le caractère non dérogeable (dans la mesure du possible) des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’Assemblée pourrait en particulier prendre l’initiative en matière de contrôle de la gestion des situations d’urgence et continuer à exprimer publiquement son avis sur la conduite des Etats: en effet, l’émission de résolutions critiques est susceptible d’exercer une pression politique efficace sur les Etats membres. La résolution récemment adoptée suite aux événements survenus en Arménie constitue un bon exemple en la matièreNote. Laisser l’expression de la plupart des critiques indispensables au Comité des Ministres risque d’ensevelir les abus sous le discours – souvent nécessairement conciliant du Comité, ou de retarder la réponse à ces abusNote.
53. D’autres réformes possibles pourraient inclure le renforcement de la surveillance exercée par le Commissaire aux droits de l’hommeNote ou le Secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les états d’urgence déclarés. Le Secrétaire général se trouve dans une position unique à cet égard, en tant que destinataire des notifications de dérogations effectuées au titre de l’article 15. Ce rôle passif pourrait être étendu à l’avenir afin de permettre au Secrétaire Général non seulement de recevoir notification de la déclaration de dérogation au titre de l’article 15 de la CEDH mais aussi, le cas échéant, de requérir des informations complémentaires pendant et après l’état d’urgenceNote. Il devrait ensuite transmettre ces informations à toutes les Parties contractantes, au Président du Comité des Ministres, au Président de la Cour européenne des droits de l’homme, au Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ainsi qu’aux Présidents de l’Assemblée parlementaire et du Congrès des pouvoirs locaux et régionauxNote.
54. De même, la compétence consultative de la Cour pourrait s’élargir de façon à ressembler à celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et être habilitée à exprimer sa désapprobation relative à des situations de crise ouverte (sur signalement éventuel par le Commissaire aux droits de l’homme ou le Secrétaire général), de façon à endiguer la vague de violations avant qu’elle n’atteigne son paroxysme. Ceci contraste avec la situation actuelle où les responsables de violences sont souvent traduits en justice des années après avoir brisé des vies. Enfin, les Etats membres pourraient envisager d’allonger la liste des droits actuellement non dérogeablesNote.
55. Pour compléter ce processus, le contrôle exercé par le Conseil de l’Europe devrait être renforcé pendant un certain temps après la levée de l’état d’urgence, puisqu’il semble que des violations continuent à se produire postérieurement. Il est inquiétant de constater, par exemple, que la loi arménienne sur la tenue de réunions, d’assemblées, de rassemblements et de manifestations, modifiée à la suite de l’état d’urgence de mars 2008, a depuis été invoquée des dizaines de fois par la municipalité d’Erevan pour refuser d’autoriser un rassemblement parrainé par l’opposition. Dans sa Résolution 1609 (2008), l’Assemblée avait spécifiquement demandé la suppression des amendements récents à cette loi, conformément aux recommandations de la Commission de Venise.
56. Plus simplement, le Conseil de l’Europe doit créer de nouvelles façons, ou rechercher parmi celles de son cadre existant celles qui permettraient d’élever et d’élargir le niveau de contrôle des proclamations d’états d’urgence, d’augmenter la vitesse de réaction des divers organes du Conseil à l’évolution rapide de la situation sur le terrain et d’exprimer sa stricte et ferme condamnation d’abus commis sous couvert d’état d’urgence.

5 Prévention

57. Lors de l’audition d’experts organisée par la commission le 9 septembre 2008, la question de la prévention du recours (et du recours abusif) aux dispositions relatives à l’état d’urgence a été soulevée.
58. Comme l’a indiqué l’un des experts, la pratique a montré que des signes avant-coureurs (par exemple, violations des droits de l’homme par les forces de sécurité, restrictions de la liberté de parole, corruption judiciaire) sont généralement perceptibles à un stade suffisamment précoce pour permettre aux acteurs internationaux pertinents de prendre des mesures visant à empêcher l’aggravation de la situation jusqu’à une déclaration de l’état d’urgenceNote.
59. Les experts sont convenus que trois conditions essentielles doivent être remplies pour empêcher le recours abusif aux dispositions relatives à l’état d’urgence: une démocratie qui fonctionne, la protection des droits de l’homme et la prééminence du droit. Il s’agit là des domaines d’excellence du Conseil de l’Europe, sur lesquels celui-ci devrait faire porter tous ses efforts.
60. Il a été souligné qu’il convient aussi d’accorder une attention particulière au système judiciaire, qui doit être indépendant, ainsi qu’à la liberté d’expression. Lorsque le droit à un procès indépendant et équitable n’existe pas, les autres droits cessent également d’être effectifs.
61. L’état d’urgence étant souvent, semble-t-il, déclaré en période électorale, en particulier dans les démocraties en transition, une attention spéciale devrait être accordée à ces périodes particulièrement sensibles. L’OSCE-BIDDH apporte son expertise dans de telles situations et est en mesure de déployer des missions d’observation pendant une période plus longue, avant et après les élections, que ne peut le faire l’Assemblée parlementaire. Une coopération est déjà établie en ce domaine entre les deux Organisations, mais elle devrait sans doute être renforcée en cas de déclaration de l’état d’urgence avant, pendant ou peu après des élections.
62. L’examen des projets de loi est aussi de la plus haute importance. Les Etats membres devraient être encouragés à soumettre les projets législatifs pertinents à la Commission de Venise et à tenir compte pleinement de ses avisNote. Ceci, bien entendu, est particulièrement important s’agissant de la législation nationale relative à l’état d’urgence et aussi des législations élaborées à la suite de situations d’urgence.

6 Conclusions et propositions

63. Déclarer l’état d’urgence peut constituer un acte légitime de la part des Etats, mais exige les plus grandes précautions. Les gouvernements doivent exercer leurs pouvoirs d’exception en gardant à l’esprit que l’état d’urgence a pour but de préserver la démocratie et la primauté du droit. Il ne doit pas servir de prétexte pour bafouer ces normes.
64. Il s’ensuit que l’état d’urgence (et les mesures dérogeant à la CEDH, si nécessaire) ne devrait être décrété que dans les circonstances les plus dramatiques, menaçant la vie de la nation. Les mesures d’exception ne devraient jamais excéder ce qui est strictement requis par la situation, et les Etats garder à l’esprit que déroger aux exigences de la CEDH ne les dégage pas de leurs autres obligations envers les droits de l’homme contractées au titre du droit international. Les principes de temporalité, de danger imminent, de déclaration publique, de notification internationale, de proportionnalité, de légalité et d’intangibilité des droits non dérogeables devraient toujours être respectés.
65. Les autorités nationales devraient former comme il se doit les forces chargées d’intervenir dès le début de la situation d’urgence concernant les comportements légalement acceptables – à savoir respect du droit à la vie et interdiction de la torture et des traitements inhumains, exigences non dérogeables – et le recours à la force en tant que solution de dernier ressort. Les forces de sécurité devraient également mettre en œuvre autant que possible des techniques de contrôle de la foule non violentes et non létales. Les forces de police devraient toujours bénéficier d’une indépendance opérationnelle vis-à-vis du gouvernement et faire l’objet de sanctions administratives et judiciaires en cas de mauvaise conduite; de plus, leur neutralité en cas d’intervention d’urgence de leur part devrait être garantie auprès de la population.
66. La présomption de liberté de réunion doit prévaloir quelle que soit la situation et toute restriction faite à ce droit qualifié pour des raisons de situation de crise doit être justifiée en droit. Il est donc préférable d’imposer des restrictions sur les lieux, dates/heures et modes de réunions que de frapper celles-ci purement et simplement d’interdit.
67. La communication d’informations et l’expression d’opinions ne devraient pas être en soi considérées comme une menace pour la sécurité nationale. En conséquence, il importe que toute restriction à la liberté d’expression soit prouvée nécessaire dans une société démocratique pour protéger un intérêt légitime de sécurité nationale. Ces restrictions devraient être aussi claires et limitées que possibles. En temps de crise, le public devrait avoir un accès permanent à des médias indépendants et les manipulateurs d’information faire l’objet de sanctions.
68. Les garanties au niveau national sont de la plus haute importance. Dans les situations de crise, les Etats devraient être à même de faire face sans s’en prendre à leur propre population, et répondre aux risques d’atteinte aux droits de l’homme, de préférence sans l’intervention de la communauté internationale.
69. La durée de tout état d’urgence devrait être clairement limitée et faire l’objet d’un contrôle législatif, par exemple par le biais de mesures temporaires prorogeables sur approbation parlementaire régulière et périodique. La voix de la société civile et celle de l’opposition ne devraient pas être injustement bâillonnées. Il peut également être pertinent de requérir l’approbation juridictionnelle de la constitutionnalité d’un état d’urgence. L’intégrité du système judiciaire – sa compétence, son indépendance et son impartialité – devraient être garantie autant que possible, en préservant tout particulièrement le droit d’accès à la justice et le droit à un recours utile.
70. Le Conseil de l’Europe devrait envisager d’étendre son rôle de superviseur à celui de diffuseur de ces bonnes pratiques auprès des Etats membres. Les organes du Conseil de l’Europe peuvent contribuer à élever le niveau de contrôle exercé sur les situations d’urgence à la fois politiquement et sous l’angle du droit international. Si les garanties nationales se révèlent insuffisantes pour protéger les droits fondamentaux des individus sous l’état d’urgence, il importe de faire en sorte qu’en dernier ressort, la responsabilité des gouvernements qui violent les droits de l’homme de leurs propres citoyens puisse être rapidement et fermement engagée.
71. Enfin, l’Assemblée devrait inviter le Comité des Ministres à réfléchir aux moyens de parvenir à ce résultat en chargeant ses comités pertinents:
  • d’examiner l’opportunité d’accorder au Secrétaire Général, sur réception d’une déclaration de dérogation au titre de l’article 15 de la CEDH, le pouvoir de requérir des informations complémentaire pendant et après l’état d’urgence et de transmettre cette information à toutes les Parties contractantes, au Président du Comité des Ministres, au Président de la Cour européenne des droits de l’homme, au Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ainsi qu’aux Présidents de l’Assemblée parlementaire et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux;
  • de réfléchir à la possibilité d’allonger la liste des droits ne pouvant faire l’objet d’une dérogation au titre de l’article 15 de la CEDH, en y ajoutant en particulier les droits dont la suspension n’est pas essentielle même en cas d’état d’urgence, comme dans le cas de l’article 27 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Renvoi en commission: Doc. 10985, Renvoi n° 3281 du 6 octobre 2006

Projet de résolution et projet de recommandation adoptés à l’unanimité par la commission le 24 mars 2009

Membres de la commission: Mme Herta Däubler-Gmelin (Présidente), M. Christos Pourgourides, M. Pietro Marcenaro, M. Rafael Huseynov (Vice-présidents), M. José Luis Arnaut, Mme Meritxell Batet Lamaña (remplaçant: M. Arcadio Díaz Tejera), Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, Mme Anna Benaki, M. Erol Aslan Cebeci, Mme Ingrīda Circene, Mme Ann Clwyd (remplaçant: M. Christopher Chope), Mme Alma Čolo (remplaçante: Mme Milica Marković), M. Joe Costello, Mme Lydie Err, M. Renato Farina, M. Valeriy Fedorov, M. Joseph Fenech Adami (remplaçante: Mme Marie-Louise Coleiro Preca), Mme Mirjana Ferić-Vac, M. György Frunda, M. Jean-Charles Gardetto, M. Jószef Gedei, Mme Svetlana Goryacheva (remplaçant: M. Alexey Aleksandrov), Mme Carina Hägg, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajibayli, M. Serhiy Holovaty, M. Johannes Hübner, M. Michel Hunault, Mme Fatme Ilyaz, M. Kastriot Islami, M. Želiko Ivanji, Mme Iglica Ivanova, Mme Kateřina Jacques, M. András Kelemen, Mme Kateřina Konečná, M. Franz Eduard Kühnel, M. Eduard Kukan (remplaçant: M. József Berényi), Mme Darja Lavtižar-Bebler, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Aleksei Lotman, M. Humfrey Malins, M. Andrija Mandic, M. Alberto Martins, M. Dick Marty, Mme Ermira Mehmeti, M. Morten Messerschmidt, M. Akaki Minashvili, M. Philippe Monfils, M. Alejandro Muñoz Alonso, M. Felix Müri, M. Philippe Nachbar, M. Valery Parfenov, Mme Maria Postoico, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Valeriy Pysarenko, M. Janusz Rachoń, Mme Marie-Line Reynaud (remplaçant: M. René Rouquet), M. François Rochebloine, M. Paul Rowen, M. Armen Rustamyan, M. Kimmo Sasi, M. Ellert Schram, M. Dimitrios Stamatis (remplaçant: M. Emmanouil Kefaloyiannis), M. Fiorenzo Stolfi, M. Christoph Strässer, Lord John Tomlinson, M. Mihai Tudose, M. Tuğrul Türkeş, Mme Özlem Türköne, M. Viktor Tykhonov, M. Øyvind Vaksdal, M. Giuseppe Valentinon (remplaçant: M. Gianni Farina), M. Hugo Vandenberghe, M. Egidijus Vareikis, M. Luigi VItali, M. Klaas de Vries, Mme Nataša Vučković, M. Dimitry Vyatkin, Mme Renate Wohlwend, M. Jordi Xuclà i Costa

N.B. Les noms des membres qui ont participé à la réunion sont indiqués en gras.

Secrétariat de la commission: M. Drzemczewski, M. Schirmer, Mme Maffucci-Hugel, Mme Heurtin