Lignes directrices procédurales sur les droits et devoirs de l’opposition dans un parlement démocratique
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 23 janvier 2008 (6e séance)
(voir Doc. 11465, rapport de la commission du Règlement, des immunités
et des affaires institutionnelles, rapporteur: M. Van Overmeire). Texte adopté par l’Assemblée le
23 janvier 2008 (6e séance).
- Thesaurus
1. «Fondée sur
le droit de chacun de participer à la gestion des affaires publiques,
la démocratie implique l’existence d’institutions représentatives
à tous les niveaux et notamment d’un parlement, représentatif de toutes
les composantes de la société et doté des pouvoirs ainsi que des
moyens requis pour exprimer la volonté du peuple en légiférant et
en contrôlant l’action du gouvernement» (Déclaration universelle
sur la démocratie, Union interparlementaire, 1997). Un parlement
politiquement représentatif doit incarner la société dans la diversité
de ses composantes et doit fonctionner dans le respect de la pluralité
des opinions.
2. La promotion et la consolidation de la démocratie pluraliste
constituent l’un des buts principaux du Conseil de l’Europe et de
son Assemblée parlementaire. Les Etats membres de l’Organisation
doivent s’attacher à développer des normes et pratiques communes
garantissant une démocratie parlementaire libre et pluraliste, et
les moyens de leur mise en oeuvre dans les parlements nationaux.
La qualité démocratique d’un parlement se mesure aux moyens mis
à la disposition de l’opposition ou de la minorité parlementaire
dans l’accomplissement de ses tâches.
3. Une opposition parlementaire et extraparlementaire est un
rouage indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. L’une
des fonctions principales de l’opposition est de constituer une
alternative politique crédible à la majorité en place en proposant
d’autres options politiques au débat public. En participant au contrôle
et à la critique du travail gouvernemental, en évaluant de manière
continue l’action du gouvernement et en exigeant de ce dernier qu’il
rende compte, l’opposition concourt à assurer la transparence de
la décision publique et l’efficacité dans la gestion des affaires
publiques, contribuant ainsi à la défense de l’intérêt public et
à prévenir des dysfonctionnements et des abus.
4. L’Assemblée parlementaire considère qu’il convient de donner
une suite concrète dans les parlements nationaux à sa
Résolution 1547 (2007) sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie
en Europe, dans laquelle elle rappelle notamment que le droit de
former une opposition politique est considéré comme un élément essentiel
d’une démocratie véritable. Elle rappelle ainsi sa
Résolution 1154 (1998) sur le fonctionnement démocratique des parlements nationaux,
dans laquelle elle appelait, entre autres, les parlements nationaux
à «créer un statut de l’opposition qui permette à cette dernière
de jouer son rôle de manière responsable et constructive (…)».
5. Accorder à l’opposition parlementaire un statut comportant
des droits contribue à l’effectivité de la démocratie représentative
et au respect du pluralisme politique, et, ce faisant, à l’adhésion
et à la confiance des citoyens dans le bon fonctionnement des institutions.
Instaurer un cadre juridique et procédural équitable, et des conditions
matérielles permettant à la minorité parlementaire de remplir ses
fonctions est une condition au bon fonctionnement de la démocratie
représentative. Les membres de l’opposition doivent être en mesure d’exercer
pleinement leur mandat au moins dans les mêmes conditions que celles
des membres du parlement qui soutiennent le gouvernement; ils doivent
pouvoir participer aux activités parlementaires de manière active et
effective, et jouir des mêmes droits. L’égalité de traitement des
membres du parlement doit être garantie dans toutes leurs activités
et prérogatives.
6. L’Assemblée rappelle que, dans sa
Résolution 1547 (2007), elle a appelé les partis de l’opposition et leurs membres
à ne pas réclamer seulement des droits et des ressources mais également
à faire preuve de responsabilité et de leur volonté de faire usage
au mieux de ces droits et ressources pour accroître l’efficacité du
parlement tout entier, et ne pas se borner à simplement critiquer
le pouvoir en place.
7. L’Assemblée se félicite du fait que la question des droits
procéduraux de l’opposition suscite aujourd’hui l’intérêt politique
de plusieurs parlements nationaux. Elle rappelle, dans ce contexte,
les conclusions adoptées par le Forum du Conseil de l’Europe pour
l’avenir de la démocratie, lors de sa dernière réunion à Stockholm/Stigtuna
du 13 au 15 juin 2007, s’agissant du rôle et des responsabilités
de l’opposition. Elle considère que ces conclusions doivent désormais
faire l’objet d’un suivi approprié dans les parlements nationaux.
8. Des différences existent entre les parlements des Etats membres
du Conseil de l’Europe quant au degré d’institutionnalisation de
l’opposition, depuis une reconnaissance informelle dans leur Règlement,
lorsque ce dernier accorde des droits à la minorité parlementaire,
jusqu’à une reconnaissance formelle de l’opposition dans la Constitution
de l’Etat. Cependant, au-delà de la diversité des systèmes parlementaires
en Europe, tous les parlements des Etats membres octroient des droits
à la minorité parlementaire, que cette opposition soit organisée
au sein de groupes politiques ou non. L’Assemblée constate que la
notion d’opposition parlementaire évolue, parallèlement à la modernisation
du débat politique. Plusieurs bonnes pratiques innovantes ont ainsi
été développées dans certains Etats, qui méritent d’être largement
diffusées. L’Assemblée se félicite donc de la tendance actuelle
dans certains parlements à assurer la parité complète entre la majorité et
l’opposition s’agissant de certains droits, indépendamment de la
force qu’elles ont au parlement.
9. En conséquence, l’Assemblée invite les parlements des Etats
membres à réviser ou à mettre à jour leurs règles concernant les
droits de l’opposition ou de la minorité parlementaire, et les encourage
à élaborer une charte des droits de l’opposition ou à définir un
statut de l’opposition au parlement, en s’inspirant des lignes directrices
ci-dessous.
10. Tout en gardant à l’esprit la diversité des institutions parlementaires
démocratiques en Europe, l’Assemblée encourage les Etats membres
du Conseil de l’Europe à entamer dès que possible une réflexion sérieuse
et approfondie sur la modernisation des institutions démocratiques
et l’adaptation de l’institution parlementaire aux exigences de
la société contemporaine. A cet effet, les Etats membres devraient
prendre en compte les lignes directrices ci-dessous, ainsi que les
bonnes pratiques instaurées dans les parlements nationaux les plus
novateurs.
11. L’Assemblée invite également la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise) à effectuer une
étude sur le rôle de l’opposition dans une société démocratique
moderne.
Annexe Lignes directrices sur les droits
et les responsabilités de l’opposition dans un parlement démocratique:
1. Les parlementaires
doivent exercer leur mandat en toute indépendance. Ils ne doivent
être liés par aucune consigne ni recevoir de mandat impératif. Nul
ne saurait reprocher à un parlementaire de défendre des idées qui
vont à l’encontre de la politique officielle du gouvernement ou
qui sont mal perçues par la majorité de la population.
2. Les parlements nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe
reconnaissent les droits suivants à l’opposition ou à la minorité
parlementaire:
2.1 liberté d’expression
et liberté d’opinion; les membres de l’opposition ont droit à la
parole; ils doivent pouvoir exprimer leurs opinions librement;
2.2 l’opposition participe à la surveillance, à la vérification
et au contrôle de l’action et de la politique gouvernementales:
2.2.1 les membres de l’opposition
ont droit à l’information; les membres de l’opposition et les membres
de la majorité doivent obtenir la même information de la part du
gouvernement;
2.2.2 les membres de l’opposition ont le droit de poser des
questions écrites et orales, et de recevoir une réponse à ces questions;
2.2.3 les membres de l’opposition doivent être favorisés durant
la séance de questions au gouvernement (ils doivent notamment bénéficier
du droit d’ouvrir la séance et de poser un plus grand nombre de
questions au gouvernement que les membres appartenant à la majorité);
2.2.4 les membres de l’opposition ont le droit d’interpellation
(droit de poser des questions orales avec débat) et le droit de
déposer une motion de censure/défiance;
2.2.5 les membres de l’opposition ont le droit de demander la
convocation de séances plénières du parlement/de la chambre, qui
doit être accordée si un quorum d’un quart des membres est atteint;
2.2.6 les membres de l’opposition ont le droit de fixer l’ordre
du jour des séances plénières, à intervalles réguliers, et de choisir
les sujets à débattre, y compris les propositions de loi déposées par
eux, le contrôle des actions du gouvernement et l’évaluation des
politiques et des dépenses publiques; les points sélectionnés durant
ces journées prévalent sur l’agenda gouvernemental;
2.2.7 les membres de l’opposition ont le droit de demander la
tenue de débats, y compris de débats d’actualité ou d’urgence, qui
doit être accordée si un quorum d’un quart des membres est atteint;
2.2.8 les membres de l’opposition ont le droit de demander la
constitution d’une commission d’enquête ou d’une mission parlementaire
d’information, et d’en être membres; celle-ci doit être accordée
si un quorum d’un quart des membres est atteint; la présidence ou
la charge de rapporteur de toute commission d’enquête constituée
à la demande de membres ou d’un groupe politique de l’opposition
doit être attribuée à un membre de l’opposition;
2.2.9 le temps de parole durant les séances plénières doit être
alloué au moins en fonction du poids de chacun des groupes politiques;
les membres de l’opposition devraient bénéficier d’un temps de parole
égal à celui de la majorité, indépendamment de leur force respective,
dans certaines circonstances;
2.3 l’opposition participe à l’organisation des travaux législatifs:
2.3.1 les membres de l’opposition
participent à la gestion des affaires parlementaires; ils ont accès
aux postes de viceprésidents et aux autres fonctions de responsabilité
au sein du parlement; la composition des organes dirigeants du parlement
doit respecter le principe de la représentation proportionnelle
et refléter la composition politique du parlement ou de la chambre;
2.3.2 les membres de l’opposition ont le droit de demander la
convocation d’une session extraordinaire, qui doit être accordée
si un quorum d’un quart des membres est atteint;
2.4 l’opposition participe à la procédure législative:
2.4.1 les membres de l’opposition
ont le droit de déposer des propositions de loi et des propositions
sur des matières relevant de la compétence législative;
2.4.2 les membres de l’opposition ont le droit de parole et
de vote dans tous les débats;
2.4.3 les membres de l’opposition ont le droit d’amendement;
2.4.4 les membres de l’opposition ont le droit de présenter
des motions de procédure (modification du projet d’ordre du jour
ou de l’ordre du jour adopté; demande de vérification du quorum;
demande de renvoi d’un rapport en commission, etc.);
2.5 l’opposition participe aux travaux des commissions parlementaires:
2.5.1 les présidences des commissions
générales/permanentes doivent être réparties entre les groupes politiques
suivant le principe de la représentation proportionnelle; la présidence
d’au moins une commission parlementaire doit être attribuée à un
membre de l’opposition; la présidence de commissions responsables
du contrôle de l’action gouvernementale, telles que les commissions
en charge du budget et des finances, du contrôle des comptes ou
de la surveillance des services secrets et de sécurité, devrait
être attribuée à un membre de l’opposition;
2.5.2 toute commission, permanente ou non, doit être composée
sur la base de la représentation proportionnelle;
2.5.3 les membres de l’opposition jouissent, en commission,
du droit de parole et du droit de vote, du droit de déposer des
amendements et du droit de présenter des motions de procédure; ils
ont la possibilité d’annexer un avis divergent à un rapport adopté
en commission, ou de présenter un rapport minoritaire;
2.5.4 les membres de l’opposition ont le droit de demander la
tenue d’auditions parlementaires en commission; elle doit être accordée
si un quorum d’un quart des membres est atteint;
2.5.5 les membres de l’opposition ont le droit d’être désignés
rapporteurs de commission; en toute hypothèse, les fonctions de
rapporteur de commission sont attribuées selon le principe de la
représentation proportionnelle;
2.6 l’opposition participe à la décision politique; l’opposition
ou la minorité parlementaire doit être consultée avant toute décision
tendant à la dissolution du parlement;
2.7 l’opposition participe au contrôle de la constitutionnalité
des lois:
2.7.1 les membres de l’opposition
ont le droit de saisir la Cour constitutionnelle ou l’organe compétent
en matière de contrôle de constitutionnalité des lois adoptées;
2.7.2 les membres de l’opposition ont le droit de soumettre
une loi avant son adoption ou un acte parlementaire à un contrôle
de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle ou l’organe compétent
en la matière;
2.7.3 les membres de l’opposition ont le droit de saisir la
Cour des comptes et de demander son avis s’agissant des affaires
budgétaires et financières.
3. Les parlements nationaux doivent fournir aux groupes politiques
ou membres individuels de l’opposition les ressources et moyens
financiers, matériels et techniques appropriés, de sorte qu’ils
puissent exercer leurs fonctions et obligations convenablement.
Les membres de l’opposition doivent avoir un accès équitable aux financements
et subventions publics, ainsi qu’un accès libre et égal aux médias,
y compris aux organismes de radiodiffusion et de télévision publics,
et aux sources d’information.
4. Les dispositions du règlement relatives aux droits des parlementaires,
notamment ceux de la minorité, ne doivent pas être modifiées après
chaque élection législative afin de les adapter aux résultats de
cette dernière.
5. L’opposition politique au parlement doit montrer sa maturité
politique et exercer son opposition de manière responsable et constructive,
en agissant dans le respect mutuel et en faisant usage de ses droits
dans le but d’accroître l’efficacité du parlement dans son ensemble.