B Exposé
des motifs par Mme Woldseth et M. Vareikis, corapporteurs
1 Introduction
1. Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, le 24 avril
2002, la Bosnie-Herzégovine a accepté d’honorer les obligations
qui incombent à tous les Etats membres en vertu de l’article 3 du
Statut de l’Organisation, ainsi qu’un certain nombre d’engagements
spécifiques énoncés dans l’
Avis
234 (2002) sur la demande d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine au
Conseil de l’Europe. Afin d’assurer le respect de ces engagements,
l’Assemblée parlementaire a décidé, aux termes de la
Résolution 1115 (1997), de suivre de près la situation en Bosnie-Herzégovine
dès son adhésion.
2. Le premier rapport de suivi, soumis à l’Assemblée le 23 juin
2004, a conduit à l’adoption de la
Résolution 1383 (2004) et de la
Recommandation 1664
(2004). Après l’échec de la réforme constitutionnelle en avril
2006, l’Assemblée a également décidé, en juin 2006, de tenir un
débat selon la procédure d’urgence sur la réforme constitutionnelle
en Bosnie-Herzégovine, et elle a adopté la
Résolution 1513 (2006). Le deuxième rapport de suivi complet, examiné en septembre
2008, a conduit à l’adoption de la
Résolution 1626 (2008).
3. Le 22 décembre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme
a rendu un arrêt dans l’affaire Sejdić et
Finci c. Bosnie-Herzégovine, reconnaissant l’existence
d’une violation du Protocole n° 12 (interdiction générale de la
discrimination) de la Convention européenne des droits de l'homme
(STE n° 5, «la Convention») et d’une violation de l’article 3 du
Protocole no 1 conjointement avec l’article 14 de la Convention
(droit à la tenue d’élections libres et interdiction de discrimination
en relation avec les autres droits protégés par la Convention).
M. Finci (juif) et M. Sejdić (rom) appartiennent tous deux à la
catégorie constitutionnelle des «autres» et, à ce titre, ne peuvent
se présenter aux élections à la Présidence du pays, ni être élus
à la Chambre des peuples de l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine.
4. Aux termes de la Constitution (annexe 4 des Accords de paix
de Dayton), la Présidence tripartite de l’Etat est élue au suffrage
direct tous les quatre ans et doit se composer des membres suivants:
un Serbe élu sur le territoire de la Republika Srpska, l’une des
deux entités, ainsi qu’un Croate et un Bosniaque (musulman) élus
sur le territoire de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, la seconde
entité, composée de dix cantons. Toujours aux termes de la Constitution,
la Chambre des peuples doit se composer de cinq Serbes (nommés par
l’Assemblée nationale de la Republika Srpska), et de cinq Croates
et cinq Bosniaques nommés par la Chambre des peuples de la Fédération.
Selon ce système, quiconque ne se déclare pas membre d’un «peuple constituant»
– soit parce qu’appartenant à l’une des 17 minorités officiellement
reconnues, soit parce que ne souhaitant pas se déclarer comme tel –
est exclu de toute participation à la vie politique du pays.
5. En janvier 2010, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1701 (2010) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Bosnie-Herzégovine, appelant instamment les autorités à adopter
les amendements constitutionnels et législatifs nécessaires afin,
tout au moins, de respecter l’arrêt
Sejdić
et Finci avant les prochaines élections générales, prévues
le 3 octobre 2010. L’Assemblée a suggéré également de tenir une conférence
multilatérale avec les principaux acteurs locaux et internationaux
(notamment les pays représentés au Conseil de mise en œuvre de la
paix, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, ainsi que les
pays voisins) pour examiner des moyens de surmonter l’impasse institutionnelle
et politique en Bosnie-Herzégovine.
6. Ni la Constitution ni la loi électorale n’ont été amendées
avant les élections de 2010
Note. Aussi, dans la
Résolution 1725 (2010) sur le besoin urgent d’une réforme constitutionnelle
en Bosnie‑Herzégovine, l’Assemblée s’est déclarée déçue que les
prochaines élections se déroulent selon des modalités contraires
à la Convention et à ses protocoles, et elle a appelé les autorités
à ne pas perdre de temps avant les élections et à lancer sans attendre
un processus institutionnel sérieux afin de préparer un ensemble
complet d’amendements constitutionnels à adopter immédiatement après
les élections. Là encore, rien n’a été fait car les membres du groupe
de travail de travail mixte
Sejdić et
Finci (trois ministres et neuf parlementaires) ne sont pas
parvenus à s’entendre sur le mandat et la composition de la commission
de réforme constitutionnelle et, en particulier, sur le fait de
savoir si cette commission devait être créée par texte de loi ou
par décision du parlement. Ainsi, le 26 août 2010, ayant dû constater
l’échec du groupe de travail, le Conseil des ministres a accepté
la proposition du groupe: ne reprendre le travail qu’après les élections.
7. En janvier 2012, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1855 (2012), dans laquelle elle dit regretter l’échec de la Commission
mixte provisoire de l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine,
créée en octobre 2011 (une année entière après les élections) pour
préparer des amendements constitutionnels avant le délai fixé au
31 décembre 2011. En outre, l’Assemblée avertit que la Bosnie-Herzégovine
pourra voir sa qualité de membre du Conseil de l’Europe remise en
cause si les amendements nécessaires n’étaient pas adoptés en temps
opportun avant les prochaines élections de 2014.
2 Les élections
de 2010
8. Des élections ont eu lieu à tous les niveaux (sauf
municipal) le 3 octobre 2010. Au niveau de l’Etat, les électeurs
devaient élire les trois membres de la Présidence de l’Etat et les
42 membres de la Chambre des représentants. Les électeurs de la
Republika Srpska ont élu le président (et les deux vice-présidents)
de l’entité et les 83 membres de son Assemblée nationale. Les électeurs
de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ont élu les 98 membres de
la Chambre des représentants de l’entité
Note.
Enfin, les électeurs de la Fédération ont aussi dû élire les membres
des 10 assemblées cantonales.
9. A l’exception du Parti social-démocrate (SDP), se présentant
officiellement comme un parti pluriethnique, les autres grands partis
demeurent en majorité des partis ethniques. Du côté serbe, les principaux
partis sont le SNSD (Alliance des sociaux-démocrates indépendants),
le SDS (Parti démocratique serbe) et le PDP (Parti du progrès démocratique).
Du côté croate, les principaux partis sont le HDZ (Union démocratique
croate de Bosnie-Herzégovine) et le HDZ 1990 (Union démocratique
croate 1990)
Note. Du côté bosniaque,
les principaux partis sont le SDA (Parti d’action démocratique),
le SBiH (Parti de la Bosnie-Herzégovine) et le SBB (Parti pour un
avenir meilleur en Bosnie-Herzégovine), de création récente. Le
jour du scrutin, la participation a atteint 56,28 %, soit une augmentation
de quelque 3 % par rapport à 2006.
2.1 Election de la
présidence tripartite de l’Etat
10. Les électeurs inscrits en Republika Srpska, indifféremment
de leur origine (Serbes, Croates, Bosniaques ou catégorie des «autres»),
pouvaient uniquement voter pour le membre serbe de la Présidence. Le
président sortant, Nebojša Radmanović (SNSD), a été réélu par 295 629
voix, soit 48,92 % des suffrages.
11. Les électeurs de la Fédération, là encore indifféremment de
leur appartenance ethnique, pouvaient uniquement voter pour le membre
croate de la Présidence ou pour le membre bosniaque. Le siège bosniaque a
été emporté par Bakir Izetbegović, qui a recueilli 162 831 voix
(34,86 % des suffrages). Le président sortant, Haris Silajdžić (SBiH),
s’est vu relégué en troisième position, avec tout juste 25,10 %
des voix. C’est le membre croate de la Présidence, Zeljko Komšić
(SDP), incontestablement l’homme politique le plus populaire de
la Fédération
Note,
qui a obtenu le meilleur résultat électoral à travers le pays. En
effet, il a été réélu pour un second mandat avec un score de 337 065
voix, soit 60,61 % des suffrages. Les candidats des plus importants
partis croates, Borjana Kristo (HDZ) et Martin Raguž (HDZ 1990),
n’ont recueilli respectivement que 19,74 % et 10,84 % des suffrages.
12. Etant donné la taille relativement modeste de la communauté
croate en Bosnie-Herzégovine – environ 760 000 personnes (17 % de
la population) au recensement de 1991 avant la guerre et, aujourd’hui,
selon le cardinal Puljić, environ 400 000 personnes (sur une population
totale d’environ 3 800 000) – il est clair qu’un grand nombre de
Bosniaques ont choisi de voter pour M. Komšić plutôt que pour leur
candidat bosniaque. De même qu’en 2006, nous voyons là un signe
positif indiquant que la vie politique en Bosnie-Herzégovine peut mettre
de côté les clivages ethniques.
13. Cependant, les partis croates classiques (HDZ et HDZ 1990)
considèrent que M. Komšić n’est pas un Croate «légitime» du fait
qu’il a été élu avec des voix musulmanes. Sans remettre en cause
son appartenance ethnique proprement dite, ils dénient à M. Komšić
le droit de représenter le peuple croate au sein de la Présidence.
Pour eux, il existe une différence majeure entre un représentant du peuple croate élu par des Croates
et un représentant issu du peuple
croate, élu avec les voix d’autres électeurs que les seuls Croates.
14. Nous maintenons notre entier désaccord avec ce point de vue:
il ne repose sur absolument aucun fondement constitutionnel et juridique,
et il dénote un total manque de respect envers la volonté du peuple exprimée
par la voie démocratique.
2.2 Election des parlements
au niveau de l’Etat et des entités
2.2.1 Au niveau de l’Etat
15. La Constitution de la Bosnie-Herzégovine stipule
que la Chambre des représentants du pays se compose de 42 délégués,
dont 28 élus sur le territoire de la Fédération et 14 sur le territoire
de la Republika Srpska. Cette fois, le grand gagnant parmi les partis
présentant des candidats aux 28 sièges de la Chambre des représentants
élus sur le territoire de la Fédération est le SDP de Zlatko Lagumžija.
Ce parti pluriethnique, dans l’opposition depuis 2002, a obtenu
26,07 % des voix et compte à présent huit délégués à la Chambre
des représentants. Les principaux partis bosniaques, le SDA de Sulejman
Tihić, le SBB de Fahrudin Radončić et le SBiH de Haris Silajdžić,
ont obtenu respectivement sept, quatre et deux sièges. Les principaux
partis croates, le HDZ et le HDZ 1990, ont obtenu respectivement
trois et un sièges. Deux petits partis croates, le HSP (Parti croate
des droits) et le NSRzB (Parti populaire pour le progrès par le
travail), ont emporté chacun un siège. Un autre siège est allé au
DNZ, petit parti à majorité bosniaque.
16. Les sièges des 14 députés élus sur le territoire de la Republika
Srpska se répartissent comme suit: huit pour le SNSD de Milorad
Dodik, quatre pour le SDS de Mladen Bosić, un pour le PDP de Mladen
Ivanić et un pour le DNS (Ligue populaire démocratique). Pour la
première fois, les 14 députés de la Republika Srpska sont tous d’appartenance
ethnique serbe. Le SNSD et le SDS ont décidé de former une alliance
au niveau de l’Etat, mais le SDS demeure dans l’opposition au niveau
de l’entité en Republika Srpska.
17. A la suite des élections, le SDP, le SDA et deux petits partis
croates (le HSP et le NSRzB) ont formé une coalition reposant sur
une plateforme commune de gouvernement. Ensemble, ils occupaient
17 sièges sur 42. Certes, cela ne constituait pas une majorité,
mais les «plateformistes», comme on les appelle, espéraient pouvoir
compter, au moins pour les questions d’importance majeure, sur les
quatre voix du SBB et sur les deux voix du SBiH, ces deux partis
ayant décidé de rester dans l’opposition.
18. Les députés nouvellement élus se sont réunis en session inaugurale
le 30 novembre 2010, mais uniquement pour prêter serment. Du fait
des négociations en cours sur la formation du gouvernement, il n’y
a eu aucun accord sur la désignation du président et des vice-présidents
de la Chambre. Finalement, la Chambre a élu un président (du SDP)
et deux vice-présidents (du SNSD et du HDZ 1990) le 20 mai 2011
et s’est mise au travail
Note.
En réalité, puisque tous les textes législatifs doivent aussi être
adoptés par la Chambre des peuples, laquelle n’a pas été constituée
avant le 4 juin 2011, aucun travail législatif n’a pu être réalisé durant
les huit mois qui ont suivi les élections.
19. La Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine se compose de
15 délégués dont, aux termes de la Constitution, deux tiers doivent
provenir de la Fédération (cinq Croates et cinq Bosniaques) et un
tiers de la Republika Srpska (cinq Serbes). Dans la Republika Srpska,
c’est l’Assemblée nationale qui désigne ses cinq délégués à la Chambre
des peuples – ce qui fut fait dès janvier 2011. Dans le cas de la
Fédération, le processus a subi un retard inadmissible du fait que
les 10 délégués devaient être nommés par la Chambre des peuples
de la Fédération.
20. La Chambre des peuples de la Fédération se compose de 58 délégués
(17 Bosniaques, 17 Serbes, 17 Croates et sept «autres»), nommés
par les 10 assemblées cantonales. Selon la Constitution de la Fédération
(article 10), les assemblées cantonales auraient dû envoyer leurs
délégués à la Chambre des peuples de la Fédération au plus tard
20 jours après les élections. Ce délai constitutionnel a été ignoré
par plusieurs cantons à majorité croate
Note jusqu’au 30 mai 2011. La Chambre
des peuples au niveau de l’Etat n’a donc été inaugurée que le 4 juin
2011.
2.2.2 Au niveau des entités
21. En Republika Srpska, bien qu’il ait perdu quatre sièges
par rapport à 2006, le SNSD de Milorad Dodik demeure le parti le
plus important
Note au sein
de l’Assemblée nationale, avec 37 sièges sur 83. Grâce à son alliance
avec le Parti socialiste et le DNS, le SNSD dispose d’une majorité
confortable de 47 sièges. Dans ces conditions, la formation du gouvernement
n’a pas posé de difficultés: le gouvernement de la Republika Srpska, composé
de 16 ministres, a été approuvé dès le 29 décembre 2010 et le Premier
ministre, Aleksandar Džombić, est entré en fonction le 1er février
2011
Note, suite à une décision
rendue, le 31 janvier, par le panel de la Cour constitutionnelle
de la Republika Srpska sur l’intérêt national vital, confirmant
que cette nomination n’était pas contraire à l’intérêt national
vital des Bosniaques
Note.
22. Dans la Fédération, les choses sont loin d’avoir été aussi
simples. La Chambre des représentants de la Fédération comprend
98 sièges: 28 pour le SDP, 23 pour le SDA et cinq pour le NSRzB.
Les partis de la Plateforme contrôlent donc 56 sièges et disposent
d’une nette majorité. Quant aux partis HDZ et HDZ 1990, ils ont
obtenu respectivement 12 et cinq sièges
Note.
Cependant, aux termes de la loi électorale
Note, le gouvernement
ne pouvait être formé avant que la composition de la Chambre des
peuples de la Fédération ne soit finalisée, c’est-à-dire avant que
les 10 assemblées cantonales aient toutes envoyé leurs délégués.
23. 23. Pour conserver un atout important en vue des négociations
sur la formation du gouvernement au niveau de l’Etat, trois cantons
à majorité HDZ-HDZ 1990 croate n’ont pas envoyé de délégués à la
Chambre des peuples de la Fédération. Le 17 mars 2011, les partis
de la Plateforme, qui disposaient d’une majorité de 33 délégués
cantonaux au sein de la Chambre des peuples (sur 58), ont convoqué
une session, prêté serment et élu le président
Note et les vice-présidents de la Fédération,
ainsi que le président et les vice-présidents de la Chambre des
peuples.
24. La Chambre des peuples a immédiatement procédé à la nomination
du gouvernement, ensuite confirmée par la Chambre des représentants.
Le gouvernement de la Fédération comprend 16 ministres: Nermin Nikšic
(SDP) est Premier ministre, Jerko Ivanković-Lijanović (NSRzB) et
Desnica Radivojević (SDA) sont les Vice-Premier ministres. Les deux
partis HDZ n’occupent pas de fonction ministérielle.
25. Le 24 mars 2011, ces deux décisions ont été annulées par la
Commission électorale centrale
Note et, le 28 mars,
le Haut Représentant, Valentin Inzko, les a suspendues jusqu’à nouvel
ordre. A ce jour, cette suspension n’est pas levée.
26. Le Haut Représentant a été vivement critiqué pour ingérence
dans le processus de formation du gouvernement de la Fédération.
Reste qu’une mesure d’urgence s’imposait: le 26 janvier 2011, le
Haut Représentant avait dû prendre une décision relative à des fonds
budgétaires temporaires pour la période janvier‑mars (expirant le
31 mars), financement sans lequel les salaires, retraites et allocations
n’auraient pu être versés aux bénéficiaires par les autorités de
la Fédération. Le budget 2011 a été adopté par le nouveau gouvernement
le 26 mars 2011.
27. Le HDZ et le HDZ 1990, soutenus par le SNSD de Dodik, estiment
que la formation de la Chambre des peuples et la formation ultérieure
du gouvernement de la Fédération sont inconstitutionnelles, illégales
et illégitimes, car ils se considèrent comme étant les seuls représentants
légitimes des Croates de Bosnie-Herzégovine. Les deux partis, HDZ
et HDZ 1990, se sont sentis marginalisés et exclus. Ils appellent aujourd’hui
avec fermeté à créer une troisième entité et ont relancé le Conseil
national croate, organe regroupant tous les partis politiques avec
un préfixe croate.
3 L’enlisement de
la formation du gouvernement au niveau de l’Etat
28. Le Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine comprend
neuf ministres et un président. Selon la Constitution de Bosnie-Herzégovine,
le nombre de ministres provenant du territoire de la Fédération
ne peut dépasser les deux tiers, et le président peut nommer des
vice-ministres n'appartenant pas au même peuple constituant que
leurs ministres respectifs. En tout, 19 postes sont donc à partager.
Un accord implicite, non écrit, prévoit une rotation de la fonction
présidentielle entre les peuples constituants – le président précédent, Nikola
Špirić, était serbe, celui d’avant, Adnan Tersić, était bosniaque;
c’est donc un président croate qui était attendu pour le mandat
2010-2014.
29. La présidence transmet à la Chambre des représentants, au
plus tard 15 jours après sa session inaugurale, une proposition
pour la fonction de président du Conseil des ministres. Si la Chambre
des représentants confirme cette nomination, le président désigne
des ministres et des vice-ministres qui, à leur tour, doivent être
confirmés dans leurs fonctions par la Chambre des représentants.
Si le candidat proposé n’est pas approuvé par la Chambre des représentants,
la présidence dispose de huit jours pour proposer une nouvelle nomination.
30. Etant donné ses résultats électoraux, le SDP revendiqua d’abord
la présidence du Conseil des ministres, de préférence au profit
du président du parti
Note.
Les deux partis HDZ et les partis serbes s’opposèrent vigoureusement
à cette éventualité, invoquant la règle informelle de rotation mentionnée
précédemment. En tant que partis croates les plus importants, les
deux HDZ estimèrent que le poste leur revenait de droit. Ils revendiquèrent,
en outre, deux autres postes ministériels.
31. En tant que parti pluriethnique, le SDP proposa alors de nommer
un Croate non partisan, Slavo Kukić, professeur à Mostar. Le HDZ
proposa la candidature de Borjana Kristo, ancienne présidente de
la Fédération, tandis que le NSRzB, autre parti de la Plateforme,
avança le nom de Mladen Ivanković-Lijanović. Le 14 juin 2011, la
présidence examina ces candidatures et décida de soumettre la nomination
de Slavo Kukić à la Chambre des représentants pour confirmation.
Cependant, le 29 juin 2011, bien qu’ayant recueilli une majorité de
22 voix, la candidature de M. Kukić ne fut pas confirmée car la
majorité requise devait comprendre un tiers de votes favorables
de la Republika Srpska, ce qui n’était pas le cas. Aux termes de
la Constitution de Bosnie-Herzégovine, au deuxième tour du scrutin,
les votes des 14 délégués de la Republika Srpska ne doivent pas comprendre
deux tiers (ou plus) de voix contre la nomination. Le 14 juillet,
la nomination de M. Kukić fut donc finalement rejetée car plus des
deux tiers des délégués de la Republika Srpska avaient voté contre.
32. En vertu de la loi sur le Conseil des ministres, la présidence
disposait de huit jours pour soumettre une nouvelle proposition
de nomination à la Chambre des représentants. Elle n’en a rien fait.
Elle a préféré adresser aux principaux partis politiques une lettre
les invitant à désigner un candidat qui jouirait du soutien d’au
moins 22 délégués à la Chambre des représentants.
33. L’on s’attendait généralement à ce que, comme en 2006, les
négociations en vue de la formation du gouvernement au niveau de
l’Etat durent environ de trois à quatre mois, voire, au maximum,
jusqu’à six mois. En fait, l’Etat est resté sans gouvernement pendant
plus d’un an après les élections. Extrêmement préoccupés par cette
situation et par la paralysie institutionnelle en résultant, nous
avons effectué du 20 au 23 septembre 2011 une visite d’information
en Bosnie-Herzégovine – où nous avons rencontré, notamment, des
dirigeants des principaux partis politiques à Sarajevo et à Mostar –
pour essayer de mieux comprendre les raisons de ce blocage persistant.
34. Les dirigeants des six principaux partis (SDP, SDA, HDZ, HDZ
1990, SNSD et SDS) se sont ensuite réunis plusieurs fois mais sans
aboutir à un accord: la Republika Srpska revendiquait quatre ministères,
dont le ministère des Affaires étrangères
Note, les deux partis HDZ insistaient
pour obtenir la présidence et deux ministères, et le SDP continuait
à briguer, au moins, le ministère des Affaires étrangères. La répartition
des postes de vice-ministre a, elle aussi, donné lieu à des disputes:
à un moment donné, les partis de la Plateforme ont accepté de confier
des postes aux partis HDZ, y compris la présidence, mais en exigeant
qu’au moins un vice-ministre croate soit issu de la Plateforme.
Cette proposition a été rejetée. Le SDA a proposé de prendre en
compte non seulement les 19 postes du Conseil des ministres mais,
plus globalement, les 63 à 70 postes dans toutes les institutions
de l’Etat et de les répartir en fonction des taux d’appartenance
ethnique fournis par le recensement de 1991. Cette proposition a
également été rejetée parce que le HDZ revendiquait une égalité complète,
c’est-à-dire un tiers de tous les postes. A un moment donné, pour
faire montre d’une certaine souplesse, la Republika Srpska a accepté
que l’un des ministres désignés sur son territoire puisse être un Bosniaque
ou un Croate
Note.
35. Finalement, le 28 décembre 2011 – plus d’un an après les élections
d’octobre 2010 –, les dirigeants des six principaux partis (HDZ 1990,
HDZ, SDA, SDP, SDS et SNSD) sont parvenus à un large accord politique couvrant,
notamment, la formation du Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine.
Cet accord comportait également un engagement à adopter un budget
pour 2011 et deux lois importantes liées à l’Union européenne: l’une
sur les aides de l’Etat, l’autre sur le recensement.
36. Le Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine a finalement
été désigné par la Chambre des représentants du pays le 10 février
2012, avec M. Vjekoslav Bevanda (Croate du parti HDZ) à la présidence. Le 3 février,
l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine adoptait la loi
sur le Recensement de la population, les ménages et les logements
en Bosnie-Herzégovine et la loi sur les Aides de l’Etat. Le 9 mars 2012,
autre bonne nouvelle: les chefs des six partis politiques formant
la coalition au pouvoir, au niveau de l’Etat, signèrent un accord
sur les principes à employer pour résoudre les problèmes de propriété
et l’utilisation des biens militaires et publics. La mise en œuvre
de l’accord sur les biens militaires ouvrirait la voie à la pleine participation
de la Bosnie-Herzégovine au Plan d’action pour l’adhésion à l’Organisation
du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
37. Nous nous sommes à nouveau rendus en Bosnie-Herzégovine du
3 au 7 juin 2012. Pour M. Egidijus Vareikis, corapporteur nouvellement
nommé, il s'agissait de la première visite dans le pays. Nous avons
été heureux d'apprendre que, le 31 mai 2012, juste avant notre mission,
la Chambre des représentants avait enfin adopté le budget de l'Etat
pour 2012 – au total, 1,3 milliards de KM (environ 650 millions
d'euros).
38. En revanche, à notre arrivée à Sarajevo, nous avons appris
que le SDA (le plus important parti bosniaque), l’un des principaux
partenaires de la coalition formée par le SDP (le parti officiellement pluriethnique)
et deux petits partis croates (le HSP et le NSRzB), avait voté contre
le budget.
39. Apparemment, ce refus du SDA a été la goutte d’eau qui a fait
déborder le vase, étant donné les relations de plus en plus tendues
entre ce parti et le SDP depuis la formation du gouvernement d’Etat,
en février 2012.
40. M. Zlatko Lagumdžija, chef du SDP et actuel ministre des Affaires
étrangères, a demandé la démission des trois ministres d’Etat affiliés
au parti SDA qui, respectivement, occupaient le ministère de la
Sécurité, celui de la Défense et la fonction de vice-ministre des
Finances. Par ailleurs, il a annoncé que l'accord de coalition conclu
avec le SDA et les deux petits partis croates était également caduc
pour le gouvernement et les dix cantons de la Fédération.
41. Opérant un revirement radical
Note,
le SDP décida de former une coalition avec les deux principaux partis croates
(HDZ et HDZ 1990) et avec le SBB (Parti pour un meilleur avenir),
dirigé par Fahrudin Radončić, magnat des médias également propriétaire
du quotidien au plus fort tirage,
Dnevni
Avaz. Sur un total de 42 sièges à la Chambre des Représentants
au niveau de l’Etat, les deux HDZ réunis et le SBB disposeraient de
quatre sièges chacun, et le SDP de huit, soit un total de 16 sièges.
La coalition précédente à la Chambre des Représentants en détenait
17, dont les sept sièges du SDA.
42. Apparemment, tant le SDA que les deux petits partis croates
ont décidé de lutter becs et ongles contre leur expulsion (voir
ci-dessous). Le nouvel accord de coalition n’a pas seulement rencontré
l’opposition du SDA; il a également fait des ravages au sein même
du SDP. Le 23 juillet 2012, M. Zejlko Komšić, vice-président du
SDP, réélu en octobre 2010 au siège croate à la présidence du pays,
a annoncé qu’il quittait le SDP. Homme politique le plus populaire
du pays, M. Komšić a alors créé son propre parti pluriethnique,
le Front démocratique.
43. Le 25 juin 2012, le président du Conseil des ministres demanda
officiellement au parlement de confirmer la révocation des trois
ministres SDA – ce qui nécessite une majorité simple dans les deux
Chambres. Le 5 juillet 2012, la Chambre des Représentants se prononça
en faveur de la révocation. Les choses furent plus compliquées à
la Chambre des Peuples, au sein de laquelle le SDA détient trois
des cinq sièges réservés aux Bosniaques. Lors de sa session du 19 juillet
2012, la faction bosniaque invoque «l’intérêt national vital» pour bloquer
le vote sur la révocation de ses ministres, ce qui fut rejeté par
la Cour constitutionnelle. Les efforts du SDP pour évincer le SDA
du Conseil des ministres au niveau de l’Etat aboutirent finalement
le 22 octobre 2012, grâce au vote de l’Assemblée parlementaire de
Bosnie-Herzégovine. Les nouveaux ministres prirent leurs fonctions
en novembre 2012.
44. Du fait de cette interminable crise politique et des querelles
politiques qu’elle a engendrées, les institutions communes au niveau
de l’Etat ont connu une productivité déplorable: d’octobre 2010
à juillet 2013, l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine
n’a adopté que sept nouvelles lois (dont trois liées au budget)
et 48 amendements à des lois existantes. Elle a rejeté huit projets
de loi soumis par le Conseil des ministres, dont cinq pour lesquelles
les députés de la Republika Srpska ont recouru au dispositif du
vote par entité.
45. Exemple frappant de la conduite totalement irresponsable des
acteurs politiques en Bosnie-Herzégovine: la loi sur le numéro d’identification
personnelle à 13 chiffres. La loi en vigueur devait être modifiée du
fait que la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine avait décidé,
en 2011, qu’il fallait changer les noms d’un certain nombre de municipalités.
Cette décision étant restée lettre morte, la Cour constitutionnelle
a décidé, en février 2013, d’abroger lesdites clauses. Résultat:
aucun numéro d’identification n’a pu être attribué aux 3 000 enfants
nés après février 2013, qui se trouvent donc privés de prestations
de santé ou de papiers pour se rendre à l’étranger.
46. Le 6 juin 2013, après la mort d'une fillette de trois mois
qui n’a pu passer la frontière pour recevoir d’urgence un traitement
médical à l'étranger, des manifestants se sont réunis dans le calme
devant le parlement, exigeant des députés qu’ils adoptent des amendements
à cette loi de toute urgence et, en tout cas, avant le 30 juin.
Ils ont empêché les parlementaires de quitter les lieux durant 14 heures.
Les députés de la Republika Srpska et plusieurs députés croates,
estimant alors ne plus se sentir en sécurité à Sarajevo, ont refusé
de se rendre aux sessions parlementaires tant que l’Etat et la police
cantonale ne seraient pas tenus responsables et les manifestants
poursuivis en justice. Ce boycott s’est poursuivi jusqu’au 9 juillet,
jour où toute la session fut consacrée à un débat sur la sécurité
des parlementaires.
47. La loi fut finalement adoptée selon la procédure d’urgence
le 23 juillet mais, à la Chambre des peuples, la faction bosniaque
invoqua l’intérêt national vital; l’adoption se trouva alors bloquée
jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine
prenne position, sans doute pas avant fin septembre 2013.
4 La crise politique
persistante dans la Fédération
48. Au niveau de l’Etat, les partis HDZ et HDZ 1990 ont
finalement obtenu les trois postes ministériels qu'ils réclamaient,
y compris la présidence du Conseil des Ministres. Mais, au niveau
de la Fédération, ils n’en n’ont pas obtenu un seul: les fonctions
ministérielles ont été confiées au SDA ou aux deux petits partis
croates (le HSP et le NSRzB), qui appartiennent à la «coalition
Plateforme». Le président de la Fédération fait partie, par exemple,
du HSP, et l’un des vice-présidents appartient au SDA. Depuis mai
2012, la nouvelle coalition tente en vain d’évincer le SDA tant
au niveau fédéral que cantonal
Note.
49. Le président et le vice-président de la Chambre des représentants
de la Fédération peuvent être révoqués par majorité simple. C’est
ce qui s’est produit le 26 juin 2012, lors d’une session convoquée
par le vice-président, ce qui a été déclaré inconstitutionnel par
la Cour constitutionnelle de la Fédération le 28 août, après quoi
le président révoqué (SDA) et le vice-président (HSP) ont été rétablis
dans leurs fonctions. Ils ont finalement été limogés, conformément
au règlement, le 6 septembre 2012. De son côté, la Chambre des peuples
de la Fédération a réussi à remplacer son président le 3 juillet
2012.
50. Le président de la Fédération peut seulement être révoqué
pour violation de son serment ou pour indignité, selon l’article 16.2
de la Constitution, par décision de la Cour constitutionnelle et
à la demande des deux chambres avec majorité des deux tiers. Comme
la nouvelle coalition ne peut pas réunir cette majorité des deux
tiers, jusqu’à présent, le président est resté en fonction. Le 26 avril
2013, accusé d’avoir vendu des grâces présidentielles à des délinquants
condamnés, il s’est vu arrêté et placé en détention provisoire par
la police d’Etat sur demande du procureur de l’Etat. L’ordre de
détention ayant été annulé par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine,
le président a repris ses fonctions environ un mois plus tard.
51. Le gouvernement de la Fédération doit se composer de huit Bosniaques,
cinq Croates et trois Serbes
Note. Le cabinet peut être révoqué
soit par le président (avec l’accord du vice-président), soit par
motion de censure adoptée par une majorité de chaque chambre législative.
Le président révoque les ministres sur proposition du Premier ministre
(sauf en cas de démission, comme décrit plus loin). Le SDA détient
neuf postes ministériels au sein du gouvernement de la Fédération,
alors que le SDP en occupe huit, Premier ministre y compris. Tous
les ministres SDA ont refusé de démissionner et le président de
la Fédération (parti HSP) a refusé de les révoquer.
52. Le 22 juin 2012, le président de la Fédération acceptait la
démission du ministre de l’Aménagement du territoire, passé du SDA
au SDP. Le ministre a prétendu ne pas avoir démissionné: le président
de la Fédération aurait agi en utilisant une lettre de démission
vierge
Note que lui, ministre,
avait signée à la demande du SDA lors de sa prise de fonction ministérielle.
Ce même jour, sept ministres SDP, ainsi que le ministre de l’Aménagement
du territoire, votaient le lancement de changements dans le personnel
de plusieurs entreprises publiques de la Fédération. Un recours
fut alors déposé auprès de la Cour constitutionnelle de la Fédération qui,
le 9 octobre 2012, déclara que la décision de démission du ministre
restait valable tant que lui-même ne la contestait pas.
53. En novembre 2012, le SDA et les deux petits partis croates
(HSP et NSRzB) quittèrent une séance du gouvernement pour protester
contre une décision concernant la gestion de la Banque de développement
de la Fédération. Le gouvernement ne put alors réunir le quorum
nécessaire pour adopter le budget 2013, condition préalable requise
pour que le Fonds monétaire international (FMI) débloque des fonds.
54. Puisqu’il se révélait impossible d’écarter les ministres SDA
du gouvernement, restait une seule solution: la motion de censure.
Ainsi la Chambre des représentants vota une motion de défiance le
12 février 2013, imitée par la Chambre des peuples le 15 février,
mais la faction bosniaque de la Chambre des peuples invoquant l’intérêt
national vital, la décision ne put être considérée comme étant adoptée
ou en vigueur.
55. La Cour constitutionnelle de la Fédération doit se prononcer
sur l’invocation de l’intérêt national vital. Cette cour se compose
de neuf membres, dont cinq sont nécessaires comme quorum minimum
pour prendre des décisions. Depuis quatre ans, le président et les
vice-présidents de la Fédération, tant actuels que passés, n'ont
proposé aucune nomination pour les quatre juges manquant
Note à
la Cour constitutionnelle, nominations à confirmer par la Chambre
des peuples de la Fédération. En outre, au sein de la Cour constitutionnelle
de la Fédération, le panel sur l’intérêt national vital doit se
composer de sept membres – deux de chaque peuple constituant, plus
un «autre» – élus par les deux chambres du parlement de la Fédération
et ne pouvant se prononcer, pour chaque invocation de l’intérêt
national vital, que par une majorité de deux tiers. A l’heure actuelle,
la Cour constitutionnelle de la Fédération connaît un arriéré de
18 cas d’intérêt national vital, tous liés à des plaintes déposées
par des assemblées législatives.
56. Finalement, un juge a été élu en mars et un autre en juillet
2013. Une autre nomination a été bloquée par la faction bosniaque
à la Chambre des peuples. La Cour comptant à présent sept juges
sur les neuf requis, il n’y avait pas de raison de différer les
nominations au panel sur l’intérêt national vital; ce qu’ont fait
les deux chambres parlementaires à la fin juillet 2013.
57. Par conséquent, nous attendons de la Cour constitutionnelle
de la Fédération qu’elle traite en priorité l’invocation de l’intérêt
national vital au sujet du vote de la motion de censure.
5 La situation à
Mostar
58. Mostar est une ville divisée
Note,
dont le statut a été imposé par le Haut Représentant en 2004. Avec Sarajevo
et Brčko, c’est la seule ville de Bosnie-Herzégovine où le maire
est élu au suffrage indirect.
59. Nous nous sommes rendus à Mostar en juin 2012, quelques mois
avant les élections locales prévues le 7 octobre 2012. Nos réunions
ont essentiellement porté sur l'exécution de la décision rendue,
en novembre 2010, par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine,
qui avait jugé inconstitutionnelles plusieurs dispositions spécifiques
au système électoral de Mostar
Note. La Cour constitutionnelle
avait fixé un délai de six mois à l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine
pour rectifier les dispositions concernées de la loi électorale.
Après expiration du délai, la Cour constitutionnelle a décidé, en
février 2012, d’abroger les dispositions qu’elle avait auparavant
jugées inconstitutionnelles.
60. Etant donné le vide juridique existant, la Commission électorale
centrale a estimé ne pas pouvoir organiser d’élections à Mostar.
Nous avons rencontré le maire actuel, le Conseil municipal, le Premier
ministre cantonal et le mufti de Mostar. La situation est très tendue:
les Bosniaques refusent d'accepter la proposition croate visant
à modifier la loi électorale pour faire de la ville une seule circonscription
électorale, car les Croates auraient alors la majorité – qui était
bosniaque avant la guerre.
61. Les partis croates (HDZ et HDZ 1990) estiment que les décisions
de la Cour constitutionnelle peuvent uniquement être appliquées
en accordant la même valeur à tous les suffrages. Aucun accord n’est
en vue: le groupe de travail mis en place par le Conseil municipal
n'est pas parvenu à un consensus; quant au groupe de travail intersectoriel
au niveau de l’Etat, dont le mandat s'est achevé le 1er mai
2012, lui non plus n'est pas parvenu à un accord sur les amendements.
Le Bureau du Haut Représentant a organisé une centaine de réunions
avec les divers partis politiques, en vain.
62. Le mandat des 35 membres du Conseil municipal a expiré le
5 novembre 2012. Sur ce point, la loi électorale est parfaitement
claire: le Conseil municipal ne peut absolument pas agir par intérim
jusqu’à l’organisation d’élections. La décision des conseillers
municipaux – prolonger leur propre mandat ainsi que celui du maire –
est donc légalement discutable, pour le moins, de même que les deux
décisions du Conseil municipal concernant un financement provisoire
durant le premier trimestre 2013, sans participation des membres
croates. Le maire par intérim, un Croate, a contesté ces deux décisions
devant la Cour constitutionnelle de la Fédération.
63. Sous la forte pression des syndicats, le maire par intérim
a ensuite annoncé un budget pour 2013, le 8 avril. Faisant l’objet
de poursuites pénales pour abus de pouvoir, il a décidé de cesser
tout paiement. C’est seulement une fois les accusations levées qu’est
intervenu le premier paiement des salaires de janvier, en mai 2013.
64. Ni la Commission électorale centrale de Bosnie-Herzégovine
ni la Cour constitutionnelle n’ont statué sur la question du mandat
des conseillers municipaux de Mostar. Plus de trois ans après, l’Assemblée parlementaire
de Bosnie-Herzégovine n’a toujours pas adopté les amendements nécessaires
à la loi électorale; elle n’a pas même répondu à une demande qui
lui a été soumise, en décembre 2012, pour une interprétation authentique
de la loi électorale.
65. La situation de Mostar est inacceptable et extrêmement pénible
pour la population, en particulier les personnes les plus vulnérables.
Elle illustre une tendance grandissante à ne pas respecter les arrêts
rendus par la Cour constitutionnelle, qui, en vertu de la Constitution,
sont définitifs et contraignants. Nous avons appris que, entre 2005
et 2013, la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a rendu
compte au parquet de 80 cas où ses arrêts étaient restés lettre
morte. Il s’agit là normalement d’une infraction pénale, passible
de cinq ans d’emprisonnement. Pourtant, à ce jour personne n’a été
poursuivi.
66. La situation de Mostar témoigne de la montée en puissance
des luttes de pouvoir à caractère ethnique qui se livrent en Bosnie-Herzégovine
à tous les niveaux, ainsi que la totale incapacité des acteurs politiques
à endosser leurs responsabilités.
67. Autre événement négatif: la décision prise par le tribunal
cantonal de Mostar, le 19 juin 2013, d’annuler un jugement important
rendu par le tribunal municipal, le 27 avril 2012, appelant les
communes et les écoles de Stolac et de Caplijna
Note à
cesser d’organiser deux écoles sous un même toit et les sommant
de proposer aux enfants un programme d’enseignement intégré et commun
pour le 1er septembre 2012. Ce jugement
a été annulé parce que l’action en justice était intentée à l'initiative
d'une organisation non gouvernementale (ONG) et non des parents
eux-mêmes. Nous tenons à rappeler à la Bosnie-Herzégovine que la
suppression de la ségrégation à l’école fait partie des engagements
souscrits au moment de l’adhésion.
6 La situation à
Srebrenica et dans le district de Brčko
68. Nous nous sommes rendus, début juin 2013, à Srebrenica
et dans le district de Brčko. A Tuzla, nous avons visité la morgue
et le laboratoire d’identification par l’ADN de la Commission internationale
pour les personnes disparues qui, depuis la guerre, a réussi à identifier
environ deux tiers des 30 000 personnes portées disparues en Bosnie-Herzégovine.
69. Nous nous sommes également rendus sur le site du mémorial
de Potocari pour rendre hommage aux 8 000 victimes du génocide perpétré
sur les lieux et dans des villages voisins, en juillet 1995, ainsi
que pour rencontrer des représentants des associations de victimes.
A noter que 520 victimes récemment exhumées ont reçu une sépulture
le 11 juillet 2012, et 409 autres le 11 juillet 2013
Note.
Aussi condamnons-nous dans les termes les plus vigoureux les déclarations
des autorités de la Republika Srpska qui continuent de nier le génocide.
Les responsables politiques de la Republika Srpska devraient être
obligés à se rendre à la morgue de Tuzla et au mémorial de Potocari
tous les ans.
70. Srebrenica, ville comptant parmi les plus grandes municipalités
de Bosnie-Herzégovine (546 kilomètres carrés) et aujourd’hui située
dans la Republika Srpska, est un lieu souffrant de conditions économiques
et sociales difficiles. La guerre a détruit 6 400 maisons, l’infrastructure
industrielle a été détruite et laissée à l’abandon et la population
d’avant-guerre a chuté, passant de 36 000 à 7 000 habitants. Dans
cette municipalité au budget d’environ 2 millions d’euros, les emplois
sont absents et la situation économique est désastreuse (de plus,
en 2012, la région a été isolée en raison d’importantes chutes de
neige, suivies de sécheresse, d’incendies et d’inondations).
71. Les élections locales de 2012 se sont déroulées à Srebrenica
sans les modalités spéciales en vigueur depuis la fin de la guerre
(renouvelées pour la dernière fois en 2008) selon lesquelles toutes
les personnes résidant à Srebrenica en 1991, où qu’elles vivent
au moment des élections, pouvaient voter. Cette disposition était
très importante pour les Bosniaques, car ils ne pouvaient pas accepter
qu'un Serbe devienne maire d'une ville qui avait été le théâtre
d'un génocide. Les Serbes sont aujourd'hui majoritaires à Srebrenica,
ce qui n'était pas le cas avant la guerre.
72. En mai 2012, une coalition de groupes civils bosniaques a
organisé une campagne invitant les anciens habitants de Srebrenica
à s’inscrire en tant qu’habitants ou en tant qu’électeurs par correspondance.
Cette campagne s’est révélée fructueuse, bien qu’attaquée en justice
par les autorités de la Republika Srpska
Note. Le maire
nouvellement élu, un jeune Bosniaque que nous avons rencontré, entend
privilégier le développement économique de la municipalité.
73. Comme le notaient déjà nos prédécesseurs dans leur rapport
de 2004 à l’Assemblée, le district de Brčko nous a apporté une bouffée
d’air frais à l’occasion de notre visite. Certes, les gens ne s’aiment
pas nécessairement entre eux, mais ils sont pragmatiques et tournés
vers le bien commun. Dans l’école primaire que nous avons visitée,
pas de ségrégation et l’enseignement est dispensé dans les deux
écritures, latin et cyrillique. L’on pourrait s’interroger… Pourquoi
le modèle de Brčko ne peut-il être reproduit partout ailleurs en Bosnie-Herzégovine,
notamment dans la Fédération?
74. Peut-être cela est-il dû au rôle important joué par le superviseur
de Brčko (toujours un Américain), conformément à la décision d’arbitrage
final de 1999, laquelle lui conférait des pouvoirs comparables à
ceux du Haut Représentant (imposer des lois ou limoger des élus).
En tout état de cause, nous notons avec satisfaction que le Haut
Représentant a décidé, le 31 août 2012, de fermer le bureau d’arbitrage
final de Brčko, parallèlement à la décision du superviseur de suspendre
Note l’exercice
de ses fonctions de supervision ce même jour.
7 Réforme constitutionnelle
7.1 La mise en œuvre
de l’arrêt rendu dans l’affaire Sejdić et Finci
75. Inutile de le préciser, l’impasse politique actuelle
a également eu une incidence sur la réforme constitutionnelle. La
Commission mixte provisoire des deux chambres du parlement a finalement
été créée début octobre 2011, soit une année entière après les élections
sans qu’aucun travail de réforme ne soit réalisé. Elle s’est vue
imposer des délais excessivement brefs: le 30 novembre pour proposer
des amendements à la Constitution et le 31 décembre pour des amendements
à la loi électorale. La commission s’est réunie dix fois, notamment
pour auditionner des représentants de la société civile et des minorités,
mais le 1er décembre 2011, il a été officiellement
annoncé qu’aucun consensus n’avait pu être atteint sur les amendements constitutionnels.
76. Le Groupe de travail provisoire conjoint des deux chambres
parlementaires, chargé d'élaborer des amendements en vue de l'exécution
de l'affaire Sejdić et
Finci, ne s'est pas réuni depuis parce qu'il attend un accord
politique entre les dirigeants des partis.
77. Si aucun consensus n’a pu être atteint, la raison semblerait
en être une profonde divergence et incompatibilité des avis, tant
sur la portée que sur le contenu des amendements. La Republika Srpska
n’est prête à accepter que des amendements a
minima et à la seule condition qu’ils soient nécessaires
pour respecter l’arrêt. Elle propose de purement et simplement supprimer
le préfixe ethnique dans la Constitution de la Bosnie-Herzégovine:
un membre de la présidence continuerait d’être élu dans le territoire
de la Republika Srpska, tandis que deux seraient élus dans le territoire
de la Fédération. Cette proposition est inacceptable pour les partis
HDZ de la Fédération.
78. En ce qui concerne l’élection à la Présidence, la Republika
Srpska souhaite conserver le système d’élection directe du membre
de la Republika Srpska, alors que les partis croates, désireux que
leur candidat soit élu, veulent que l’élection des membres FBiH
se fasse indirectement via le parlement. Si ce point n’est pas satisfait,
ils appellent à la création d’une troisième entité pour que les
Croates disposent de leur propre circonscription électorale. Quant
aux «autres», aucun accord n’a été trouvé sur la manière de leur
garantir le droit à se porter candidats à la présidence. Le SDA
semble prêt à accepter la proposition serbe, mais sous réserve qu’il
ne soit pas possible d’élire plus de deux candidats issus du même
peuple constituant ou des autres.
79. Cependant, il semble qu’un consensus se soit dégagé au sujet
de la Chambre des peuples: un certain nombre d’«autres» seraient
ajoutés. Comment cela fonctionnerait-il dans la pratique? Rien n’est
clair, mais les constitutions des entités envisagent une solution
semblable.
80. Le 27 juin 2012, les représentants du pouvoir exécutif et
les principaux partis politiques ont assisté au lancement du «Dialogue
de haut niveau sur le processus d'adhésion à l'Union européenne»
(HLAP), à Bruxelles, à l'invitation du Commissaire européen chargé
de l’Elargissement et de la Politique de voisinage, Štefan Füle.
Cette nouvelle initiative visait à aider la Bosnie-Herzégovine dans
le processus d'adhésion à l’Union européenne, en expliquant les
exigences et la méthodologie des négociations d'adhésion et en indiquant
concrètement ce qui est attendu de la Bosnie-Herzégovine dans le
cadre de ce processus. Cet événement a marqué le début d’une approche
beaucoup plus proactive de la part de la délégation de l’Union européenne
à Sarajevo, laquelle a organisé un grand nombre de réunions avec
des partis politiques, afin de faciliter un consensus sur la mise
en œuvre de l’arrêt Sejdić et Finci.
Cette condition est nécessaire à l’entrée en vigueur de l’Accord
de stabilisation et d’association conclu en 2008, déjà ratifié par
les 27 Etats membres de l’Union européenne (d’alors), ainsi qu’à
la crédibilité d’une candidature d’adhésion à l’Union européenne.
81. Tous les participants ont approuvé une feuille de route qui,
si elle avait été dûment appliquée, aurait pu permettre au pays
de soumettre une candidature d'adhésion crédible à l'Union européenne
avant la fin 2012.
82. Les autorités et les partis politiques de Bosnie-Herzégovine
sont convenus, entre autres, de parvenir à un accord politique sur
l’exécution de l'arrêt Sejdić et Finci rendu
par la Cour européenne des droits de l’homme en 2009, de soumettre
au parlement des propositions d'amendements constitutionnels d’ici
au 31 août 2012 et de modifier la Constitution d’ici au mois de
novembre 2012. Ils ont également accepté de mettre en place un dispositif
de coordination, autre demande de l’Union européenne.
83. Les dirigeants de sept partis politiques se sont réunis à
Banja Luka, le 13 juillet 2012, pour examiner comment mettre en
œuvre la feuille de route; mais, une fois de plus, aucun accord
ne s’est fait autour des amendements constitutionnels. Pour essayer
de faire croire à l’application de la feuille de route, trois projets d’amendements
à la Constitution ont été déposés devant le parlement avant la date
limite du 31 août 2012: un par le SNSD – pour simplement supprimer
le préfixe ethnique – un autre par le SDA et un troisième par les principaux
partis croates – pour proposer un système très complexe d’élections
indirectes à la présidence. A ce jour, aucune de ces propositions
n’a été soumise au vote.
84. Une seconde réunion dans le cadre du «Dialogue de haut niveau
sur le processus d'adhésion à l'Union européenne» a eu lieu le 27
novembre 2012 pour discuter principalement de problèmes techniques.
La troisième réunion programmée pour avril 2013 a été annulée par
l’Union européenne, aucun progrès n’ayant été réalisé dans l’affaire
Sejdić et Finci ou en ce qui concerne
le mécanisme de coordination requis. Lors de notre visite à Sarajevo,
au début juillet 2013, nous avons appris que l’Union européenne
était extrêmement déçue que la mise en œuvre de la feuille de route
convenue n’ait pas fait l’objet d’un consensus. Le Commissaire européen
chargé de l’Elargissement, M. Füle, aurait déclaré que la porte
de l’Union européenne restait ouverte, mais que les autorités de
Bosnie-Herzégovine devaient d’abord faire leurs devoirs
Note.
85. Nous savons pertinemment que, dans un climat politique aussi
tendu, marqué par un manque de confiance manifeste et par des appels
répétés à la sécession d’une partie du pays, même des hommes politiques
animés des meilleures intentions auront du mal à respecter les obligations
internationales essentielles du pays. Au demeurant, les options
disponibles sont limitées: soit la Bosnie-Herzégovine respecte l’arrêt
rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, soit elle finira
par devoir quitter le Conseil de l’Europe. Le respect de la Convention
européenne des droits de l’homme est la condition première d’appartenance
au Conseil de l’Europe, et il serait impensable que les prochaines
élections, prévues en 2014, se déroulent sous ce même régime discriminatoire.
86. Pour notre part, nous voyons mal pourquoi la nomination d’un
président unique pour tout le pays serait pour les trois principaux
groupes ethniques une aberration, alors que certains proposent même
d’ajouter un quatrième membre à la présidence afin de supprimer
la discrimination à l’égard des «autres». Une présidence tripartite,
qui plus est avec rotation tous les huit mois, est une chose jamais
vue dans aucun Etat membre de l’Union européenne.
87. Nous pensons que la Constitution de Dayton devra en définitive
être entièrement réécrite. Rétrospectivement, il apparaît qu’annexer
une constitution à un traité de paix était probablement une erreur. De
fait, la «camisole» de Dayton a eu bon dos depuis ces 18 dernières
années, à telle enseigne que l’obstruction et l’immobilisme sont
devenus la norme plutôt que l’exception.
7.2 Réforme constitutionnelle
dans les entités
88. Une réforme constitutionnelle n’est pas seulement
nécessaire au niveau de l’Etat; elle s’impose aussi au niveau des
entités. Nous sommes vivement préoccupés par l’échec de la Republika
Srpska, le 26 avril 2012, à adopter les amendements à sa Constitution.
Les travaux préparatoires à ces amendements ont débuté en 2006,
la Commission européenne pour la Démocratie par le droit (Commission
de Venise) a rendu un avis en 2008 et, enfin, l'Assemblée nationale
de la Republika Srpska a voté favorablement en 2009. Mais les 29 amendements
ont finalement été rejetés par le Conseil des peuples de la Republika
Srpska où, pour être adoptés, ils devaient obtenir la majorité de
chaque faction (Serbes, Croates, Bosniaques et Autres). Dans la faction
bosniaque, le SDA a voté contre chacun des 29 amendements, y compris
celui abolissant la peine de mort. Le président de l'Assemblée nationale
de la Republika Srpska nous a indiqué que, pour l’heure, le Gouvernement
de la Republika Srpska n'avait aucune intention de relancer le processus
de réforme constitutionnelle.
89. La Constitution de la Fédération date de 1994 et elle a fait
l’objet de fréquents amendements par décisions du Haut Représentant.
Elle comporte toujours des clauses concernant l’institution du médiateur
de l’entité, abolie en 2008 depuis la création d’une institution
de médiation unifiée au niveau de l’Etat. Avec ses 10 cantons, chacun
doté de son propre parlement, de son propre appareil judiciaire
et de sa propre constitution, le système est beaucoup trop lourd
et coûteux. C’est pourquoi nous saluons l’initiative, soutenue par
les Etats-Unis, consistant à faire des propositions en vue d’une
profonde révision de la Constitution de la Fédération. Un groupe
d’experts locaux, avec la large participation de la société civile,
a dressé une liste de 185 recommandations et les a soumises aux
autorités en juin dernier. Nous espérons que ces recommandations
offriront une base solide à une réforme constitutionnelle dans la
Fédération.
8 Conclusions
90. Nous le savons tous, la Bosnie-Herzégovine est un
Etat très complexe, se caractérisant par une forte décentralisation
et par la grande faiblesse de ses institutions centrales. Elle comprend
deux entités: la Republika Srpska, couvrant 49 % du territoire,
et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, divisée en dix cantons conformément
à l’accord de Washington de 1994. Elle comprend également le district
autonome de Brčko, dont le statut est le fruit d’un arbitrage international
(décision d’arbitrage final de Brčko, en 1999).
91. Etant donné la complexité de cette structure, régler la moindre
question oblige à passer par cinq présidents, 13 premiers ministres,
quelque 180 ministres au niveau de l’Etat, des entités et des cantons, et
par 14 assemblées ou parlements élus (y compris le district de Brčko,
mais à l’exclusion du niveau municipal). Malheureusement, il existe
un grave manque de coordination et de coopération, et même de communication,
entre les différents niveaux de gouvernement, et les processus décisionnels
sont gênés par une pléiade de dispositifs complexes visant à empêcher
que l’un ou l’autre des trois «peuples constituants» (Bosniaques,
Serbes et Croates) ne soit mis en minorité. Les lois de l’Etat ne
s’appliquent pas automatiquement à l’ensemble du pays, dans de multiples
domaines, la législation n’est pas harmonisée et varie parfois considérablement
et, enfin, l’Etat ne dispose d’aucun mécanisme pour obliger les
niveaux infra-étatiques à respecter sa législation ou ses politiques.
92. Nous n’approuvons pas les déclarations affirmant que la Bosnie-Herzégovine
est un pays spécial, soumis à un carcan institutionnel imposé par
des étrangers, à Dayton, au terme d’un conflit long et sanglant, et
qui, de ce fait, mérite un traitement particulier. A notre avis,
le cadre issu de Dayton s’est considérablement resserré du fait
même des responsables politiques locaux depuis la guerre; par exemple,
en abusant de la double majorité qualifiée appelé «vote par entité».
Cette majorité s’applique à tous les aspects des procédures parlementaires:
définition de l’ordre du jour, approbation des rapports annuels,
dépôt des motions et certaines nominations – celle du président
du Conseil des ministres, par exemple. Rien n’a été fait, non plus,
pour essayer de limiter l’utilisation de l’«intérêt national vital»
à certaines questions spécifiques concernant effectivement les intérêts
nationaux vitaux des trois principaux groupes ethniques. Les institutions
communes au niveau de l’Etat sont constamment contestées, critiquées
ou systématiquement affaiblies, en particulier par la Republika
Srpska.
93. Bien que la Bosnie-Herzégovine traîne des pieds dans son processus
de réformes depuis environ 2006 – malgré quelques signes positifs:
par exemple, la signature d’un accord de stabilisation et d’association
(ASA) avec l’Union européenne en juin 2008, et une invitation de
l’OTAN, en avril 2010, à entamer un plan d’action pour l’adhésion –
l’impasse actuelle représente la crise la plus grave traversée par
le pays depuis la fin de la guerre, en 1995.
94. La question fondamentale que devra se poser la Bosnie-Herzégovine
est de savoir si le pouvoir doit être partagé entre des représentants
des peuples constituants ou entre
des représentants
issus des peuples constituants,
et s’il doit être partagé sur une base proportionnelle
Note ou sur la
base d’une totale égalité entre les trois peuples constituants.
Nous estimons que le concept d’égalité des peuples constituants
est employé à mauvais escient et que, aujourd’hui, il est à l’origine
d’arrangements non démocratiques pour le partage du pouvoir.
95. Comme l’Assemblée l’a souligné à maintes reprises, apporter
une solution exige un climat de confiance, une vision commune de
l’avenir du pays et la volonté politique de tous les acteurs politiques
locaux. Or, tous ces ingrédients ont fait défaut, à telle enseigne
que les gens perçoivent la situation comme «la guerre par d’autres
moyens». Cela ne peut continuer ainsi pour encore un autre cycle
électoral, en prenant les citoyens en otage.
96. Se borner à s’en tirer tant bien que mal et miser uniquement
sur des luttes de pouvoir stériles, tout en comptant sur la patience
apparemment illimitée de la communauté internationale, voilà qui
ne mènera le pays nulle part. La Republika Srpka doit comprendre
qu’elle n’a pas d’avenir en dehors de la Bosnie-Herzégovine. Elle
doit mettre fin à ses appels répétés à l’indépendance, arrêter d’affaiblir
et d’attaquer les institutions au niveau de l’Etat et, au parlement
de l’Etat, cesser de recourir systématiquement au dispositif du
vote par entité à seule fin de bloquer toute législation qui lui
déplaît. De son côté, le principal parti bosniaque doit arrêter d’invoquer
pour un oui pour un non le mécanisme de l’intérêt national vital,
tandis que les principaux partis croates doivent comprendre que
leurs demandes maximalistes en ce qui concerne une totale égalité,
sous couvert d'exécuter l’arrêt Sejdić
et Finci, risquent de saper dangereusement la démocratie.
97. Par ailleurs, nous souhaitons lancer un avertissement: la
crise actuelle risque d’avoir des conséquences graves non seulement
pour la Bosnie-Herzégovine elle-même, mais aussi au regard de sa
participation, présente ou future, à des organisations internationales
telles que l’OTAN ou l’Union européenne.
98. Nous sommes au regret de déclarer que, en tant qu’Etat membre
du Conseil de l’Europe, la Bosnie-Herzégovine ne s’est pas montrée
à la hauteur des attentes de l’Organisation et n’a pas suffisamment
profité de son adhésion pour tirer des enseignements de l’expérience
et des bonnes pratiques des autres Etats membres. Du fait des sempiternels
désaccords sur la répartition des postes entre les différents groupes ethniques,
y compris au sein d’organisations internationales, la présidence
doit encore nommer ou désigner des candidats à certains postes stratégiques
du Conseil de l’Europe, tels que le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants
(CPT), la Commission de Venise, la Commission européenne contre
la racisme et l’intolérance (ECRI), les organes de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (STE n° 57), etc. La
nouvelle délégation de Bosnie-Herzégovine à l’Assemblée, finalement
désignée à temps pour la partie de session de l’Assemblée prévue
en juin 2011 (presque un an après les élections de 2010), n’a toujours
pas élu son président.
99. La totale irresponsabilité des partis qui représentent les
trois principaux groupes ethniques mènera le pays à un complet isolement.
Déjà durement frappé au plan économique et financier, avec un taux
de chômage atteignant aujourd’hui 44 %, le pays ne survit qu'en
empruntant des fonds au FMI pour financer ses déficits budgétaires.
L’accession de la Croatie à l’Union européenne, le 1er juillet
2013 – la Bosnie-Herzégovine a donc à présent une frontière de 1 000 kilomètres
avec l’Union européenne – posera de lourds défis que, jusqu’alors, la
Bosnie-Herzégovine n’a pas su relever: c’est en toute dernière minute,
le 18 juin 2013, qu’elle a signé un accord frontalier avec la Croatie;
de plus, en l’absence de ministère de l’Agriculture au niveau de
l’Etat, elle sera dans l’incapacité de satisfaire aux normes et
aux règles de l’Union européenne en matière de sécurité alimentaire;
elle ne pourra donc plus exporter ses produits agricoles vers la
Croatie.
100. Les trois dernières années ont vu la pire crise politique
depuis la guerre. Des institutions sont paralysées, une tendance
inquiétante à ne pas respecter l’Etat de droit se généralise et,
inutile de le préciser, cette situation a aussi une incidence sur
le respect des droits de l’homme. La corruption sévit à tous les niveaux.
101. A notre avis, l’Assemblée ne doit pas continuer de tolérer
une autre élection contraire à la Convention européenne des droits
de l’homme, plus de quatre ans après l’arrêt Sejdić
et Finci. D’autre part, nous estimons qu’il est grand
temps que les acteurs politiques se montrent à la hauteur de leurs
obligations et de leurs engagements envers le Conseil de l’Europe.
Si l’on n’enregistre aucun progrès sérieux en temps voulu avant les
élections d’octobre 2014, nous suggérons de ne pas ratifier les
pouvoirs d’une délégation qui aura été désignée en violation de
la Convention européenne des droits de l’homme, et de demander au
Comité des Ministres d'envisager de suspendre la Bosnie-Herzégovine
de son droit de représentation, conformément à l'article 8 du Statut
du Conseil de l’Europe (STE n° 1), compte tenu de son manquement
persistant à honorer ses obligations et ses engagements.