B Exposé des motifs,
par Mme Marietta Karamanli, rapporteure
1 Introduction
1.1 Procédure
1. La proposition de résolution
intitulée «Garantir l’accès des détenus à un avocat» a été renvoyée
à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
pour rapport le 22 juin 2015. Lors
de sa réunion à Strasbourg le 29 septembre 2015, la commission m’a
désignée comme rapporteure. Le 21 juin 2016, la commission a procédé
à l’audition de trois experts: M. Mark Kelly, membre du Comité européen
pour la prévention de la torture et des traitements inhumains ou
dégradants (CPT) au titre de l’Irlande; Mme Heather McGill,
Amnesty International; et Mme Marie-Laure
Basilien-Gainche, membre du Réseau Trans Europe Experts, Professeure
de droit public à l’université Jean Moulin, Lyon 3. Par ailleurs,
en vue d’obtenir de plus amples informations sur certaines législations
anti-terroristes et sur l’état d’urgence, j’ai adressé un courrier aux
Présidents des délégations belge, française et turque auprès de
l’Assemblée le 25 octobre 2016. Je tiens à les remercier de m’avoir
répondu.
1.2 Questions
en jeu
2. La proposition de résolution
susmentionnée met l’accent sur l’accès à un avocat dans les conditions fixées
par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») à tous les stades de la procédure, à savoir pendant
la procédure judiciaire et pendant l’incarcération (aux fins des
procédures judiciaires en cours, notamment des affaires pendantes,
des recours et des plaintes relatives aux conditions de détention).
Les auteurs de cette proposition de résolution s’inquiètent que
certains États membres aient tendance à restreindre l’accès à un
avocat des personnes privées de liberté à différents stades de la procédure.
3. Rappelons que le droit d’accès à un avocat de son choix ou
d’être assisté gratuitement par un avocat commis d’office lorsque
l’on n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur est consacré par
l’article 6.3.c de la Convention.
Il remplit deux fonctions essentielles: d’une part, garantir l’égalité
des armes (entendue comme l’équilibre des conditions de procédures
et des moyens permettant à la personne soupçonnée, poursuivie ou emprisonnée,
de faire valoir ses droits) et un procès équitable; d’autre part,
assurer une présence indépendante qui peut permettre de prévenir
les mauvais traitements et ainsi de protéger le droit à la liberté
et à la sécurité.
4. Pour les besoins de ce rapport, le terme «détenu» sera compris
au sens large d’une «personne privée de liberté par une autorité
publique
Note».
Aux fins de la préparation de ce rapport, j’ai présenté à la commission les
différents instruments juridiques internationaux garantissant ce
droit, ainsi que les nombreuses composantes de ce droit tel qu’interprété
par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»). Dans un souci
de concision, je ne reviendrai pas ici sur ces éléments qui sont
accessibles sur le site internet de la commission dans une note
d’information (AS/Jur (2016) 34).
5. Je détaillerai ici les différents stades de la procédure pénale
ainsi que les restrictions observées au droit d’accès des détenus
à un avocat. Je me pencherai également sur les situations particulières
et d’actualité pour tous les États membres du Conseil de l’Europe que
sont: 1) l’accès à un avocat pour les migrants en situation irrégulière
et les demandeurs d’asile lorsqu’ils sont placés en rétention administrative;
et 2) cet accès pour les détenus dans le cadre de la lutte anti-terroriste
et de l’état d’exception. Il s’agit là de dispositifs d’exception
qui, par leur nature, tendent à échapper à la légalité ordinaire
régissant les poursuites. Enfin, je ne saurais faire l’impasse sur
la situation en Turquie depuis la tentative de coup d’État du 15
juillet 2016.
6. En dépit des nombreuses différences de régulation du droit
d’accès à un avocat entre les États membres, les obligations internationales
restent les mêmes pour tous les États membres du Conseil de l’Europe:
accès à un avocat dès l’interrogatoire et les premières heures de
privation de liberté; choix de son avocat; droit d’accès aux dossiers;
droit à l’aide juridictionnelle; droit à un interprète; confidentialité
des communications; effectivité de l’assistance de l’avocat; et
renonciation à ce droit selon des principes et des modalités claires.
Le droit international et européen encadre de manière détaillée
et précise le droit d’accès à l’avocat dans le cadre des procédures
pénales; l’encadrement de ce droit dans les cas de rétention administrative,
notamment pour les migrants en situation irrégulière et les demandeurs
d’asile, n’est pas développé ou est moins détaillé
Note.
Dans le cadre des procédures pénales, on a observé en Europe, ces dernières
années, une érosion du droit d’accès à un avocat dans le cadre des
lois de lutte contre le terrorisme.
7. L’accès à un avocat peut également être restreint de manière
plus insidieuse par des intimidations contre les avocats pour les
décourager de défendre certains détenus, notamment les défenseurs
des droits de l’homme. Ainsi en Azerbaïdjan, ces techniques d’intimidation
ont eu pour conséquence de limiter le nombre d’avocats prêts à risquer
leur sécurité pour défendre certains détenus
Note. Ce problème significatif
a été exposé en détail par notre collègue Mme Mailis
Reps (Estonie, ADLE) dans son rapport «Renforcer la protection et
le rôle des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres
du Conseil de l’Europe
Note» ainsi que dans de précédents documents de
l’Assemblée sur ce sujet
Note. Ces intimidations peuvent
prendre entre autres la forme de harcèlement judiciaire, de diverses
menaces mettant en cause la personne de l’avocat, ses droits ou encore
son indépendance, de peines d’emprisonnement ou de radiation du
barreau. On peut citer à titre d’exemple le cas de Rasul Jafarov,
un militant des droits de l’homme azéri, et de son avocat M. Khalid Bagirov
Note. En l’espèce, M. Bagirov
a fait l’objet d’une procédure disciplinaire et a été suspendu du
barreau. Les autorités l’ont également empêché de rencontrer son
client en prison. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe a soumis à la Cour européenne des droits de l’homme
des observations écrites en qualité de tierce partie. Il indique
que la «radiation [de M. Bagirov] est un exemple type d’une pratique
plus générale qui empêche les avocats de poursuivre leur travail
de défense des droits de l’homme ou les sanctionne pour ce travail,
faisant fi des obligations internationales de l’Azerbaïdjan»
Note.
Par ailleurs, Elchin Sadigov, avocat azéri de défenseurs de droits
de l’homme tels que Leyla Yunus et Anar Mammadli, rapporte avoir
été la cible de menaces répétées par la police. Le 2 novembre 2016,
de telles menaces auraient été directement formulées à son encontre
par un enquêteur relevant du ministère de l’Intérieur afin qu’il
ne soulève pas les allégations de torture et de mauvais traitements
dont fait état son client, le journaliste Fikret Farmazoglu
Note. Notre ancien collègue
Michael McNamara (Irlande, SOC) a également constaté combien il
est dangereux pour les avocats de travailler dans le Caucase du
Nord, en Russie. Il résume ainsi dans son rapport: «La situation
des avocats dans le Caucase du Nord est révélatrice de l’ensemble
du système judiciaire dans la région: si les avocats, dont la profession
est précisément de défendre autrui, ne sont pas en mesure de se protéger
eux-mêmes contre de telles atteintes aux droits de l’homme, que
peuvent espérer leurs clients?» Le projet de résolution y afférant
note en effet que: «Les avocats qui défendent les victimes de violations
des droits de l’homme sont eux-mêmes devenus la cible d’agressions,
d’actes d’intimidation et de chefs d’accusation fabriqués de toutes
pièces en représailles à leur action»
Note. La
Recommandation 2085 (2016) de l’Assemblée «Renforcer la protection et le rôle des
défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de
l’Europe» inclut un point particulier sur les avocats qui représentent
leurs clients devant la Cour européenne des droits de l’homme et
demande au Comité des Ministres de «procéder régulièrement à des
échanges d’information avec le Greffe de la Cour sur les représailles
ou intimidations dont sont victimes ces avocats».
8. Comme cela a été mis en exergue dans le rapport de notre collègue
Marieluise Beck (Allemagne, ADLE) sur les «Recours juridiques contre
les violations des droits de l’homme commises dans les territoires
ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes»
(
Doc. 14139), l’accès à la justice sur ces territoires est profondément
préoccupant. La situation dans les territoires se trouvant hors
du contrôle des autorités ukrainiennes soulève donc naturellement
également des inquiétudes en matière d’accès des détenus à un avocat.
La Mission spéciale d’observation de l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe en Ukraine (SMM/OSCE) constate que,
en général, les personnes détenues dans les «républiques populaires» autoproclamées
de Donetsk et Lougansk («RPD» et «RPL») n’ont qu’un accès limité,
voire même aucun accès à un système judiciaire efficace. La SMM/OSCE
rapporte par ailleurs que l’accès à l’aide juridictionnelle est
de fait limité aux territoires sous le contrôle des autorités ukrainiennes,
les avocats ne se sentant pas suffisamment en sécurité pour se rendre
dans la «RPD»
Note.
2 Un droit garanti à différents stades
de la procédure pénale
9. Le droit d’accès à un avocat
doit être garanti à tous les stades de la procédure pénale, dès
le début de la garde à vue. Cette exigence est rappelée dans le
principe 1 des «Principes de base relatifs au rôle du barreau de
l’ONU» et l’article 6.3.c de
la Convention. Je constate une tendance à restreindre l’accès des détenus
à un avocat à différents stades de la procédure pénale et notamment
dans les premières heures de la privation de liberté.
2.1 Pendant
la garde à vue
10. L'accès à un avocat pour les
personnes détenues par la police comprend le droit de prendre contact avec
l’avocat sans retard indu et de s’entretenir avec lui, tout comme,
en principe, le droit pour la personne concernée de bénéficier de
la présence de l'avocat durant les interrogatoires. Le CPT défend
clairement cet accès à l’avocat en tant que garantie fondamentale
contre les mauvais traitements pendant la période de garde à vue
pour les personnes privées de liberté par la police
Note.
11. La Cour pose fermement l’exigence d’accès à un avocat lors
des phases d’interrogatoires, notamment policières, durant la garde
à vue et conçoit restrictivement les exceptions à ce principe; le
manque d’accès à un avocat pendant la garde à vue est régulièrement
sanctionné par la Cour. Elle a rendu en 2008 un arrêt marquant quant
au droit d’être assisté par un avocat lors des interrogatoires de
personnes placées en garde à vue et ce dès le premier interrogatoire
(
Salduz c.Turquie)Note. Inculpé,
puis condamné pour avoir participé à une manifestation non autorisée
de soutien au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le requérant
avait fait en garde à vue, en l’absence d’un avocat, une déposition
dans laquelle il se reconnaissait coupable. Dans son arrêt
Dayanan c. Turquie, la Cour a par
la suite précisé que l’accès à l’avocat devait se faire dès le début
de la garde à vue, et non pas seulement au moment des interrogatoires: «En
effet, l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir
toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil.
À cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense,
la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des
interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle
des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la
défense que l'avocat doit librement exercer
Note.»
12. La jurisprudence
Salduz a
eu un impact positif sur la législation de plusieurs pays membres
du Conseil de l’Europe et a renforcé le droit d’accès à un avocat:
la Belgique, la France, l’Irlande, Monaco, les Pays-Bas, le Royaume-Uni
(Ecosse) ainsi que le pays directement concerné par le jugement:
la Turquie. Selon le nouveau Code de Procédure Pénale turque, entré
en vigueur le 1 juillet 2015, un suspect ou un accusé a le droit
de consulter un avocat en privé avant d’être interrogé et a le droit
d’avoir son avocat présent pendant l’interrogatoire. De manière
similaire en Belgique, le parlement a adopté une loi le 13 août
2011 (appelée loi «Salduz») qui prévoit certains droits – comme
le droit de consulter un avocat et d’être assisté par un avocat pour
toute personne interrogée et qui est privée de sa liberté. Cette
loi belge a été suivie de mesures pour rendre les droits effectifs,
y compris l’adaptation du système étatique d’aide juridictionnelle.
La Cour suprême néerlandaise a, quant à elle, adapté sa jurisprudence
en fonction de la jurisprudence
Salduz de
la Cour européenne des droits de l’homme; et a décidé, dans un arrêt
du 30 juin 2009
Note, qu’un suspect avait le droit de
consulter un avocat avant d’être interrogé, et que les mineurs arrêtés
avaient le droit d’avoir un avocat présent pendant les interrogatoires
Note. La loi pénale écossaise
a également été modifiée pour se mettre en conformité avec l’arrêt
Salduz et exige à présent de la
police qu’elle donne l’opportunité aux personnes arrêtées de consulter
un avocat avant l’interrogatoire, comme c’était déjà le cas dans
le reste du Royaume-Uni
Note; à Monaco, la loi
du 25 juin 2013 a imposé la présence de l’avocat dès le début de
la garde à vue. La jurisprudence
Salduz a
également été prise en compte dans la directive de l’Union européenne
relative au droit d’accès à un avocat
Note.
13. Lors de l’audition devant la commission, Heather McGill, d’Amnesty
International, a souligné les difficultés pratiques auxquelles les
avocats sont confrontés pour avoir accès à leurs clients en garde
à vue en Russie. Elle a notamment indiqué que cet accès est conditionné
par une confirmation écrite de leur nomination en tant qu’avocats
de la défense sur la base de laquelle le procureur peut alors leur
donner l’autorisation de rencontrer leurs clients. Même lorsque
cette autorisation est accordée, les avocats doivent souvent faire
la queue des heures durant en raison de l’absence de salles de réunion
adéquates dans les centres de détention provisoire. Mme McGill
a cité l’exemple de Pyotr Pavlensky qui n’a pas pu rencontrer ses
avocats de décembre 2015 jusqu’au 26 février 2016, malgré le fait
que ses avocats aient à de nombreuses reprises fait la queue devant
le centre de détention provisoire de Butyrka dans lequel il était
détenu. Le cas de Stanislav Klykh, condamné à 20 ans de prison pour
avoir prétendument organisé un groupe de volontaires armés pour combattre
en Tchétchénie en 1994-1995, est également parlant. Durant ses dix
mois de détention d’août 2014 à juin 2015, il n’a pas eu accès à
un avocat. L’avocat engagé par sa famille n’est jamais parvenu à
savoir auprès des autorités où son client était détenu et l’avocate
qui lui a été commise d’office n’a assisté à aucun des interrogatoires
(bien que sa signature figure sur les rapports d’interrogatoire,
alors même qu’elle était officiellement en congé maternité à ces
dates). M. Klykh soutient avoir été torturé et forcé de «confesser» durant
ces interrogatoires
Note.
Le jour de sa condamnation, le juge a exprimé l’opinion que ses
avocats devraient être rayés du barreau pour violation du code d’éthique
du barreau (pour avoir prétendument été absente à l’occasion d’une
audition de son client pour l’une d’entre elles, et pour avoir élevé
la voix envers le procureur et le juge pour l’autre).
14. Selon l’experte d’Amnesty International, ces pratiques ne
sont pas spécifiques à la Russie, mais sont répandues dans d’autres
pays dans la région. Amnesty International rapporte qu’en Azerbaïdjan
les avocats n’ont souvent accès à leurs clients que 48 heures ou
plus après leur arrestation, durée durant laquelle ces derniers
sont interrogés, menacés et amenés à signer des «confessions» sous
la contrainte
Note. Le cas de Khalid
Khanlarov en est une illustration. Cet étudiant a été interpellé
suite à la création d’une page Facebook satirique à l’égard du gouvernement
qu’il avait mise en place avec un ami. Khalid Khanlarov a refusé
de révéler l’identité des administrateurs de cette page. Il a alors
été placé en détention provisoire pour refus de coopérer avec la
police. Son avocat n’a pas pu lui rendre visite en prison pendant
plus d’une semaine. Selon Khalid Khanlarov, il a été menacé et frappé
durant cette période, ainsi contraint de donner les noms des administrateurs
de la page Facebook en question
Note. Elvin Abdullayev, arrêté et questionné
par la police au sujet de ses engagements politiques et de ses activités
sur Facebook, n’a pas eu accès à son avocat pendant 48 heures durant
lesquelles il dit avoir fait l’objet de mauvais traitements par
la police et avoir été forcé à renier ses convictions politiques
et à s’engager à arrêter de publier des éléments de critiques sur
Facebook. Rovshan et Rufat Zahidov (respectivement cousin et neveu
de Ganimat Zahid éditeur en chef de
Azadliq,
un important journal d’opposition), arrêtés pour possession et trafic
de stupéfiants, allèguent également avoir signé des confessions
sous la contrainte au commissariat de police, en l’absence de leur
avocat qui n’a pas pu les voir pendant les cinq premiers jours de
leur détention
Note.
2.2 Pendant
la détention provisoire et la procédure judiciaire
15. Je n’entrerai pas dans les
détails sur ce sujet important qui est couvert en grande partie
dans un rapport de M. Pedro Agramunt (Espagne, PPE/DC) sur «L’abus
de la détention provisoire dans les États parties à la Convention
européenne des droits de l’homme» (
Doc. 13863). Dans la
Résolution
2077 (2015), adoptée en octobre 2015, qui accompagne ce rapport,
l’Assemblée encourage les États Parties à mettre en œuvre des mesures
qui visent à diminuer le recours à la détention provisoire «en garantissant
une meilleure égalité des armes entre le ministère public et la
défense, y compris en autorisant les avocats de la défense à jouir
d’un accès illimité aux détenus, en leur permettant de consulter
le dossier de l’enquête avant la décision qui ordonne ou prolonge
la détention provisoire et en consacrant des fonds suffisants à
l’aide juridictionnelle, y compris pour les procédures relatives
à la détention provisoire».
16. La
Recommandation
Rec(2006)13 du Comité des Ministres établit un ensemble de normes
minimales relatives aux garanties qui doivent être apportées pendant
leur détention provisoire aux personnes arrêtées et inclut des normes
précises quant à l’assistance d’un avocat pendant la détention provisoire
Note, comme par exemple «l’accès, en temps
utile, aux documents en rapport avec la décision à prendre» (paragraphe 26), l’aide
juridique gratuite (paragraphe 25.3), et la possibilité adéquate
de consulter ledit avocat pour préparer sa défense (paragraphe 25.2).
2.3 Pendant
l’incarcération
17. Pendant l’incarcération, c’est-à-dire
après la condamnation à une peine de prison, l’accès à un avocat doit
être garanti aux fins des procédures judiciaires en cours, notamment
des affaires pendantes, des recours et des plaintes relatives aux
conditions de détention. Dans une recommandation de 2012, le Comité
des Ministres a rappelé que le «personnel pénitentiaire doit veiller
à ce que les détenus puissent exercer leur droit à un accès régulier
et adéquat à leurs avocats et leur famille tout au long de leur
incarcération
Note».
18. En Turquie, à la prison de l’île d’Imralı, les avocats n’ont,
sous divers motifs et prétextes, pas été autorisés à rencontrer
leurs clients, notamment Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK, depuis
le 27 juin 2011. Je me suis entretenue le 21 juin 2016 à Strasbourg
avec des avocats d’Abdullah Öcalan au sujet des difficultés auxquelles
ils sont confrontés pour avoir accès à leur client. Selon les informations
qu’ils m’ont transmises, contrairement à la loi en vigueur jusqu’à
récemment, qui prévoyait que les rencontres entre un client et son avocat
pouvaient avoir lieu sans limitation en terme de périodicité, ni
de durée
Note,
les rencontres entre M. Öcalan et ses avocats doivent toujours être
autorisées à l’avance, font l’objet de restrictions strictes en termes
de quantité et de durée (une heure par semaine), et sont enregistrées.
Par ailleurs, l’accès ne leur est pas refusé globalement mais s’avère
à chaque fois impossible sous divers prétextes (tels que des raisons
«de météo» qui empêcheraient le bateau d’assurer les liaisons avec
le continent)
Note.
Dans son arrêt
Öcalan c. Turquie de
2014, la Cour européenne des droits de l’homme constate en effet
des restrictions plus importantes que pour les détenus d’autres
prisons à la communication entre Abdullah Öcalan et ses avocats.
Elle ajoute cependant concernant ce point que «alors que les personnes
privées de leur liberté pour activités terroristes ne sauraient
être soustraites au champ des dispositions de la Convention et qu’on
ne peut porter atteinte à la substance de leurs droits et libertés
ainsi reconnus, les autorités nationales peuvent leur imposer des “restrictions
légitimes” dans la mesure où ces restrictions sont strictement nécessaires
pour protéger la société contre la violence»
Note. Mme Josette
Durrieu (France, SOC), ancienne rapporteure de la Commission de
suivi pour le dialogue postsuivi avec la Turquie, a constaté que
Abdullah Öcalan n’avait toujours pas accès à ses avocats malgré
les procédures judiciaires le concernant toujours en cours au niveau
national et devant la Cour européenne des droits de l’homme
Note. Le CPT a vivement
critiqué cette situation particulière dans plusieurs de ses rapports
et a appelé les autorités turques à prendre les mesures nécessaires
pour que tous les prisonniers de la prison d’Imralı puissent recevoir
la visite d’un avocat si ils le souhaitent
Note.
Le CPT s’est rendu les 28 et 29 avril 2016 sur l’ile d’Imralı. À
l’occasion de cette visite, la délégation du CPT a examiné le traitement
et les conditions de détention des quatre détenus, en accordant
une attention particulière à la mise en œuvre du droit de visite
par leurs avocats
Note.
À ce jour, les autorités turques n’ont pas autorisé la publication
du rapport du CPT et nous ne pouvons que le regretter.
19. Autre élément inquiétant, il semblerait que les mesures restrictives
concernant le droit d’accès à un avocat appliquées pendant longtemps
spécifiquement à Imralı aient désormais été exportées vers d’autres prisons.
Les prisonniers Nasrullah Kuran et Çetin Arkaş ont été transferés
d’Imrali à la prison Silivri no 9, dans la
province d’Istanbul, dans laquelle les restrictions concernant les
visites y ont également été appliquées avant même la tentative de
coup d’État du 15 juillet 2016 (rencontre uniquement une fois par
semaine, après autorisation préalable de l’administration pénitentiaire)
Note.
2.4 Le
statut de témoin
20. La plupart des législations
en vigueur dans les États membres du Conseil de l’Europe reposent
sur le principe du témoignage volontaire. Cependant, à l’instar
du statut de «material witness» aux États-Unis, certaines législations
en vigueur permettent d’obliger un témoin à témoigner, et ce au
sein même des locaux de la police. Ce système, en plus de risquer
d’intimider les témoins potentiels, peut avoir pour conséquence
la «détention» dans des locaux de police de personnes pour être
entendues en tant que témoins. Ces personnes ne sont alors pas officiellement
en garde-à-vue et leur «détention» peut pourtant se prolonger plusieurs
heures, voire plusieurs jours. Les garanties procédurales pour les
témoins sont alors particulièrement limitées. C’est d’autant plus
inquiétant que certains témoins peuvent à l’issue de leur interrogatoire
en tant que témoins glisser vers le statut de suspects sans avoir
bénéficié des garanties procédurales adéquates pendant l’interrogatoire
Note.
C’était encore récemment le cas en Géorgie et le Commissaire aux
droits de l’homme s’était inquiété du report de l’entrée en vigueur
de la réforme qui prévoyait d’abolir la procédure de témoignage obligatoire
en dehors des tribunaux
Note.
Le 20 février 2016 la réforme du Code de procédure pénale adoptée
par le Parlement géorgien en décembre 2015 est entrée en vigueur.
Cette réforme bannit la pratique des interrogatoires forcés. En
France, le code de procédure pénale prévoit que «si les nécessités
de l'enquête le justifient» des témoins dans le cadre du statut
de «l’audition libre» puissent être retenus sous contrainte «le temps
strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée puisse
excéder quatre heures» (article 62). Si au cours de l’audition des
raisons plausibles de considérer la personne entendue en tant que
suspect devaient apparaître, elle ne pourrait être alors être détenue
que sous le régime de la garde à vue. Suite à une réforme, depuis
le 1er janvier 2015, toute convocation
en vue d’une audition libre doit mentionner le droit de la personne
concernée à être assistée dès le début de la procédure par un avocat
et de bénéficier de l’aide juridictionnelle (ce qui n’était pas
le cas auparavant)
Note.
21. Je note également avec inquiétude la pratique qui consisterait
à convoquer des avocats en qualité de témoins dans des affaires
dans lesquelles ils défendent un accusé. Le statut de témoin les
oblige à se dessaisir de l’affaire et ils ne sont plus en mesure
de défendre leur(s) client(s). Cette pratique m’a notamment été rapportée
concernant la Bosnie-Herzégovine. Une requête, dont la requérante
m’a transmise une copie, est actuellement pendante devant la Cour
européenne des droits de l’homme
Note.
La requérante y dénonce la violation de ses droits, en tant qu’avocate,
à assurer la défense de ses clients. En effet, la requérante a été convoquée
par le bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine en qualité de témoin
dans la même affaire. Elle allègue que seules des questions d’ordre
procédural lui ont été posées, mais aucune question relative au
crime allégué de ses clients. Selon la requérante, elle a été convoquée
en qualité de témoin dans le but de la disqualifier en tant qu’avocate
dans cette affaire. La requérante allègue qu’il ne s’agit pas d’un
cas isolé mais d’une pratique courante du bureau du Procureur de
Bosnie-Herzégovine afin de disqualifier les avocats de la défense
dans certaines affaires.
3 La
rétention administrative des migrants en situation irrégulière et
des demandeurs d’asile et le droit d’accès à un avocat
22. Le problème d’accès à un avocat
se pose de plus en plus dans le contexte de la rétention administrative des
migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile. La
Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur cette
question sous l’angle de l’article 5.4 de la Convention, notamment
dans l’affaire
Rahimi c. GrèceNote, concernant la détention
d’un mineur étranger non accompagné dans un centre pour adultes.
En l’espèce, elle a conclu à une violation de cet article, notamment
parce que le requérant ne pouvait en pratique contacter aucun avocat
Note.
23. En outre, sans ses «Vingt principes directeurs sur le retour
forcé», le Comité des Ministres a énoncé les garanties procédurales
auxquelles les personnes placées en rétention ont droit, y compris
le droit d’être informées sur les recours dont elles disposent,
ainsi que sur la possibilité immédiate de contacter un avocat
Note.
24. Selon les Normes du CPT, «De la même manière que d'autres
catégories de personnes privées de liberté, les étrangers retenus
devraient, dès le début de leur privation de liberté, être en droit
d'informer de leur situation une personne de leur choix et avoir
accès à un avocat (…). Le CPT a constaté que ces exigences étaient
respectées dans certains pays, mais pas dans d'autres. (…) Le droit
à l'accès à un avocat devrait s'appliquer au cours de toute la période
de rétention et inclure à la fois, le droit de s'entretenir en privé
avec l'avocat et celui de bénéficier de sa présence pendant des
auditions avec les autorités compétentes»
Note.
Le CPT précise que «[l]e droit d’accès à un avocat doit comprendre
le droit de s’entretenir sans témoin avec l’avocat, ainsi que d’avoir
accès à des conseils juridiques pour les questions liées au séjour,
à la rétention et à l’expulsion. Cela implique que, lorsque les
étrangers en situation irrégulière ne sont pas en mesure de choisir et
rémunérer eux-mêmes un avocat, ils doivent bénéficier de l’accès
à une aide juridictionnelle»
Note.
25. L’Assemblée s’est penchée sur cette question à plusieurs reprises.
Notamment, dans sa
Résolution 1707 (2010) sur la rétention administrative des migrants en
situation irrégulière en Europe, elle constate que «les garanties
offertes aux migrants retenus, qui ne sont pas des délinquants,
sont souvent pires que celles réservées aux personnes placées en
réclusion criminelle» ainsi que le fait que «l’accès des personnes retenues
à un avocat est limité». L’Assemblée recommande «que les personnes
retenues [aient] un accès concret garanti à des conseils, à une
assistance et à une représentation juridiques d’une qualité suffisante, ainsi
qu’à une aide juridique gratuite».
26. Par ailleurs, sur la base d’un rapport récent de notre commission,
en juin 2016, elle a adopté la
Résolution 2122 (2016) sur la détention administrative. Le rapport de Lord
Balfe (Royaume-Uni, CE) couvre la situation de la rétention administrative
pour les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile
et souligne en particulier le manque de garanties procédurales et
d’accès dans un bref délai à un avocat pour les personnes en rétention
administrative
Note.
27. À l’occasion de l’audition devant la commission, Mme Basilien-Gainche
a pointé du doigt une tendance des États à opérer une extension
des cas de limitation ou privation de liberté par la voie administrative, réduisant
ainsi les garanties procédurales des détenus, et notamment l’accès
à un avocat. Selon elle, l’accès à un avocat s’y résume souvent
à une simple liste de numéros de téléphone et l’accès à un téléphone
peut se révéler difficile. Par ailleurs, lorsque l’accès à un avocat
existe, il est quasiment impossible que l’entretien se fasse en
toute confidentialité. De plus, les délais pour exercer un recours
contre les mesures d’éloignement et les mesures de détention sont
relativement restreints, ce qui, souvent, rend impossible l’accès
à un avocat en pratique. Ainsi, selon un rapport récent d’Amnesty
International, en Belgique, suite à une décision de la Haute Cour
de justice, le ministre chargé de l’Immigration a suspendu en juillet
2015 la procédure d’asile accéléré – en vertu de laquelle de nombreux
demandeurs d’asile étaient placés en rétention et disposaient d’un
délai très court pour consulter un avocat ou rassembler des éléments
à l’appui de leur demande
Note.
28. Le CPT a aussi fait des recommandations concrètes dans ce
domaine. Par exemple, dans son rapport publié le 23 février 2016,
il a recommandé aux autorités suédoises de modifier la législation
de manière à ce que toutes les personnes placées en rétention dans
le cadre de la législation sur les étrangers («Aliens legislation»)
aient un accès effectif à un avocat dès le début de leur privation
de liberté et à tous les stades de la procédure. Selon la législation
en vigueur, les étrangers retenus n’ont accès à un avocat concernant
la mise en œuvre d’une décision de non admission sur le territoire
ou d’expulsion qu’après trois jours de rétention
Note. Concernant
«l’ex-République yougoslave de Macédoine», le CPT a constaté que
l’immense majorité des étrangers retenus n’avait à aucun stade de
la procédure eu accès à un avocat puisque la législation en vigueur ne
prévoit l’accès à l’aide juridictionnelle gratuite que pour les
demandeurs d’asile
Note. Dans son rapport
de visite sur la Finlande, le CPT constate que les ressortissants
étrangers détenus ont bien accès à un avocat une fois arrivés dans
le centre de rétention, mais pas quand ils sont détenus par la police
ou par les gardes-frontières alors même que les premiers interrogatoires
sont menés à ce stade
Note.
29. Le CPT s’est rendu en Grèce à deux reprises en avril et en
juillet 2016 afin d’examiner la situation des ressortissants étrangers
privés de liberté dans les «centres d’accueil et d’identification»
(«
hotspots») récemment créés
et auxquels les avocats et les associations de défense des droits
des migrants ont du mal à accéder. Le CPT a notamment accordé une
attention particulière aux garanties juridiques qui sont offertes
à ces étrangers
Note. Le CPT s’est également rendu en
Turquie en juin 2015 dans le but de d’examiner le traitement et
les conditions de détention des ressortissants étrangers retenus
en vertu de la législation relative à l’immigration ainsi que les
procédures qui leurs sont appliquées durant leur détention dans
l’attente d’un renvoi
Note. Les rapports du CPT sur la Grèce
et sur la Turquie ne sont pas encore publiés car les autorités n’en ont
pas demandé la publication. Il sera intéressant de connaître les
conclusions du CPT sur la question de l’accès à un avocat pour les
étrangers en rétention administrative. De manière générale, le CPT
sera sans doute amené à accorder une attention encore plus importante
à cette question dans un grand nombre des États membres directement
ou indirectement concernés par la crise des réfugiés en cours.
4 L’accès
à un avocat dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et pendant
l’état d’urgence
30. Les défis auxquels sont confrontés
les États membres ne peuvent justifier les restrictions et dérogations apportées
à ce droit d’accès à l’avocat que dans des conditions limitées et
de manière temporaire. La Cour s’est récemment prononcée sur les
restrictions temporaires à l’accès à un avocat au cours des interrogatoires de
police des poseurs de bombes du 21 juillet 2005 à Londres. Elle
a conclu, à l’égard des trois requérants, à la non violation du
droit à un procès équitable et du droit à une assistance juridique,
estimant qu’il y avait des raisons impérieuses – en l’occurrence
empêcher d’autres attentats suicides – de restreindre temporairement leur
droit à une assistance juridique. En revanche, elle a conclu à la
violation des dispositions des articles 6.1 et 6.3.
c de la Convention en ce qui concerne
le quatrième requérant, initialement entendu en qualité de témoin et
qui n’a pas été informé de son droit de garder le silence et n’a
pas eu accès à l’aide juridique au moment où il a commencé à s’incriminer
Note.
31. Le Comité des Ministres précise dans une recommandation que
l’état d’urgence au sens de l’article 15 de la Convention ne devrait
pas avoir d’incidence sur le droit d’accès à un avocat:
«Un
état d’urgence, au sens de l’article 15 de la Convention européenne
des Droits de l’Homme, ne devrait normalement pas avoir d’incidence
sur le droit d'accès à un avocat et de consultation avec celui-ci
dans le cadre de la procédure devant l’autorité judiciaire chargée
de se prononcer sur le placement en détention provisoireNote.»
32. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) a estimé en matière de poursuites au sujet d’actes criminels
terroristes que «l’accès à un avocat dès l’ouverture de la procédure non
seulement renforcerait les droits de la défense, mais encore faciliterait
sa collaboration avec la justice dans le respect de l’exercice de
ses droits fondamentaux»
Note.
33. Dans sa
Résolution
2122 (2016) sur la détention administrative, l’Assemblée s’inquiète
que «certains États membres ont recouru abusivement à la détention
administrative pour (…) obtenir des aveux en l’absence d’un avocat
et/ou sous la contrainte» et encourage tous les États membres «à
faire usage des instruments respectueux des droits de l’homme dont
ils disposent pour protéger la sécurité nationale ou la sûreté publique, ainsi
que pour prévenir les infractions pénales, notamment le terrorisme»
Note.
34. En France, l’état d’urgence a été déclaré le 14 novembre 2015,
suite aux attentats meurtriers perpétrés la veille à Paris. En janvier
2016, le Conseil national des barreaux s’est fermement exprimé contre
la prolongation de l’état d’urgence et a dénoncé ses conséquences
pour les droits de la défense
Note. Il s’est également inquiété d’un
autre projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé,
son financement et l’efficacité et les garanties de la procédure
pénale. Il a demandé «que l’exercice des droits de la défense soit ouvert,
dans le cadre de l’enquête préliminaire, dès la mise en œuvre d’une
mesure d’audition, de perquisition ou de saisie à l’encontre de
la personne soupçonnée». Le 26 juillet 2016, l’état d’urgence a
été à nouveau prolongé. Mme Basilien-Gainche
a, lors de l’audition devant la commission, dénoncé la nature de
plus en plus administrative des procédures, lesquelles sont soumises
au juge administratif qui exerce un contrôle seulement
a posteriori et opère un examen
restreint de la légalité des mesures
Note. Le juge administratif, outre le
fait qu’il intervient après, ne peut à lui seul tout faire et peut
se révéler généralement plus attentif aux exigences de sécurité
publique qu’aux impératifs de liberté individuelle. Mme Basilien-Gainche
a également exprimé des inquiétudes eu égard à la décision du Conseil
d’État du 11 décembre 2015 qui a affirmé que les dispositions de
la loi française de 1955 sur l’état d’urgence n’imposaient pas qu’il
y ait un rapport entre l’objet de la déclaration de l’état d’urgence
et les motifs des décisions prises sur le fondement de cet état
d’urgence
Note. L’assignation
à résidence, dans le contexte de l’état d’urgence, de militants
écologistes qui avaient l’intention de manifester en marge de la
COP21 a ainsi suscité la controverse
Note.
Selon l’experte, «certaines procédures examinées se [sont] accompagnées
de détention sans accès rapide à un avocat»
Note. De façon plus
générale le contrôle en urgence du juge avant une décision de l’autorité
administrative devrait pouvoir être renforcé. Le 15 novembre 2016,
le Président français a annoncé son intention de demander à nouveau
la prolongation de l’état d’urgence jusqu’aux prochaines élections
présidentielles prévues en avril et mai 2017.
35. En réponse à mon courrier, le Président de la délégation française,
M. René Rouquet (SOC), m’a indiqué que «la mise en place de l’état
d’urgence n’a pas entraîné de dérogations aux règles relatives à
l’accès des détenus à un avocat». Au contraire, alors que l’article
11 de la
loi
n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence confère
aux autorités le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu,
il exclut expressément les lieux affectés «à l’activité professionnelle
des avocats». Cependant, comme me l’indique la documentation transmise
par la délégation française, la question de la présence de l’avocat
(pas obligatoire) au cours des perquisitions fait l’objet de débats.
Et je constate que l’article 11 de la loi no 55-385
prévoit la possibilité de refuser à une personne placée en rétention
administrative au cours d’une perquisition de faire valoir son droit à
faire prévenir par l’officier de police judiciaire toute personne
de son choix, «en raison des nécessités liées à la retenue» sur
décision du Procureur de la République.
36. Il est intéressant de noter que l’Assemblée nationale française
et le Sénat ont mis en place un contrôle parlementaire de l’état
d’urgence effectué par leurs Commissions des lois respectives. Le
rapport de la Commission des lois de l’Assemblée nationale souligne
en effet la nécessité d’un «contrôle parlementaire innovant»: «à
procédure d’exception, contrôle exceptionnel»; «le contrôle parlementaire
s’est très vite imposé comme un élément de la légitimité de cette
période d’exception»
Note. Ce contrôle parlementaire vise
notamment à obtenir des précisions auprès du gouvernement sur certaines
mesures individuelles ou générales, telles que les perquisitions,
les assignations à résidence, les interdictions de manifester, etc.
37. En Belgique, suite aux attentats de Paris de novembre 2015
et de Bruxelles de mars 2016, de nombreuses nouvelles lois et réglementations
relatives à la lutte antiterroriste ont été adoptées. Dans un rapport
Human Rights Watch (HRW) a exprimé ses inquiétudes quant à l’impact
de ces mesures sur les droits fondamentaux
Note. En ce qui concerne
l’accès des détenus à un avocat, HRW souligne qu’un projet de loi
en cours de considération par le Parlement fédéral vise à tripler
(de 24 h à 72 h) la période maximale de détention en garde à vue
de suspect dans des cas liés au terrorisme. Alors que la Loi belge
«Salduz», en conformité avec la jurisprudence de la Cour, garantit
au suspect l’accès à un avocat pendant la garde à vue, le projet
de loi prévoit la possibilité de ne pas avoir ce contact au tout
début de l’interrogatoire par la police. Selon HRW, cela signifierait
qu’un suspect pourrait rester sans avocat pendant près de trois
jours
Note.
La réponse de la délégation belge à mon courrier indique que la
loi relative à certains droits des personnes soumises à un interrogatoire,
adoptée le 10 novembre 2016 par la Chambre des représentants
Note, transpose la Directive 2013/48/UE
relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures
pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen
Note et garantit le
droit d’accès à un avocat lors de toutes les auditions, y compris pour
les personnes en détention provisoire. Son article 6.9 reprend littéralement
le texte de la directive et prévoit des exceptions au droit de concertation
avec un avocat préalablement au premier interrogatoire ainsi qu’au
droit d’être assisté de son avocat lors des auditions «à la lumière
des circonstances particulières de l’espèce» au cas où un ou des
motifs impérieux (définis dans la loi) le justifient
Note.
5 La
situation en Turquie suite à la tentative de coup d’État du 15 juillet
2016
38. Comme je l’ai mentionné plus
haut, on assiste actuellement à une très sérieuse et inquiétante
diminution des principes et normes de l’État de droit en Turquie.
Cette érosion, qui avait commencé avant la tentative de coup d’État
du 15 juillet 2016 et a déjà été dénoncée par notre Assemblée dans
sa
Résolution 2121 (2016)Note, a
pris de nouvelles proportions depuis. L’état d’urgence, initialement
proclamé le 20 juillet 2016 pour une durée de trois mois, a été
reconduit pour trois mois à compter du 19 octobre 2016. Des arrestations
massives qui s’apparentent à des purges de grande ampleur, plusieurs
dizaines de milliers de personnes
Note, ont eu lieu et il y a
fort à penser qu’un certain nombre d’entre elles soient arbitraires.
Des avocats ont indiqué avoir subi des pressions pour ne pas représenter
des personnes soupçonnées d’appartenir au mouvement FETÖ/PDY (
Fetullahçı Terör Örgütü/Paralel Devlet Yapılanması –
Organisation terroriste guleniste/structure d’État parallèle) ou
avoir peur d’y être associés s’ils le faisaient
Note. Des douzaines d’avocats auraient
d’ailleurs été détenus pour soupçons de liens avec le mouvement
FETÖ/PDY
Note. Les chiffres
sont édifiants et je renvoie ici à la lecture de la note d’information
publiée par la commission de suivi de l’Assemblée
Note. Un groupe d’experts des
Nations Unies, y compris la Rapporteure spéciale sur l'indépendance
des juges et des avocats, Mme Monica
Pinto, a appelé la Turquie à respecter l’indépendance du judiciaire
et les principes de l’État de droit, y compris en temps de crise.
Les experts des Nations Unies ont notamment appelé les autorités
à garantir l’accès des détenus à l’avocat de leur choix
Note.
Dans un memorandum publié en octobre 2016, le Commissaire aux droits
de l’homme dénonce des restrictions drastiques au droit d’accès
à un avocat ainsi que des limitations au principe de confidentialité
de la relation client-avocat
Note.
Certains avocats désignés pour représenter les détenus ont finalement
refusé de le faire, par peur de représailles
Note.Dans
le contexte d’allégations plus que sérieuses de torture et de traitements
inhumains ou dégradants à l’égard des détenus, l’absence d’accès
à un avocat est d’autant plus préoccupante.
39. Depuis la déclaration de l’état d’urgence, plusieurs décrets-lois
ont apporté des limitations au droit d’accès à un avocat des détenus.
Le décret no 667 publié le 23 juillet
2016 a augmenté la durée de détention légale en l’absence d’inculpation
de quatre à 30 jours. Selon la réponse qui m’a été donnée par la
délégation turque, cette augmentation était nécessaire pour faire
face à l’arrestation soudaine d’un très grand nombre de personnes.
Cette durée peut s’appliquer dans les cas d’atteintes à la sûreté
de l’État, à l’ordre constitutionnel, aux secrets d’État, à la défense
nationale et aux crimes terroristes, ainsi qu’aux crimes commis
en groupe. Elle souligne également que la durée de 30 jours maximum
prévue n’aurait encore jamais été appliquée. Le décret remet également
directement en cause le principe de la confidentialité des communications
avec l’avocat puisqu’il autorise des officiels à être présents durant
les entretiens entre les gardés à vue et leurs avocats, à les enregistrer
et même à les interrompre. Par ailleurs, les détenus ne sont plus
libres de choisir leurs avocats comme ils le souhaitent
Note. Un autre décret, en date du 27
juillet 2016, permet au procureur de limiter l’accès des détenus
à un avocat pendant les cinq premiers jours de détention
Note.
Selon des témoignages concordants d’avocats, beaucoup des personnes
arrêtées ont été détenues et tenues au secret
pendant
plusieurs jours, sans contact avec leurs proches et sans la possibilité
de joindre un avocat
Note.
40. Par ailleurs, le décret du 27 juillet 2016 autorise les procureurs
à ordonner, sans décision d’un juge, des fouilles des bureaux des
avocats et des saisines de documents
Note.
41. La délégation turque m’a transmis des informations détaillées
sur les modifications législatives apportées par décrets lois, notamment
par le décret-loi no 676 du 29 octobre
2016, sur leurs implications sur le droit d’accès à un avocat ainsi
que sur la procédure de déclaration de l’état d’urgence. L’état
d’urgence est déclaré sur décision du gouvernement, laquelle est
soumise à l’approbation de la Grande Assemblée nationale.
42. Le droit d’un suspect de communiquer avec son avocat peut
effectivement être limité durant l’état d’urgence, mais le suspect
ne peut pas être interrogé durant cette période. Le but de cette
mesure serait d’éviter la transmission d’information à des fins
terroristes entre les suspects/détenus et des organisations terroristes
par l’intermédiaire des avocats. À mon sens, écarter l’avocat à
ce stade supprime un élément de prévention efficace des cas de torture
ou de traitements inhumains ou dégradants durant la période précédant les
interrogatoires.
43. D’autre part, en raison du nombre très important et de l’ampleur
des enquêtes en cours relatives au mouvement FETÖ/PDY, la représentation
aux audiences a été limitée à trois avocats dans le but de garantir un
procès équitable sans pour autant entraver les poursuites.
44. Un avocat faisant l’objet de poursuites en cours ou soupçonné
de crimes terroristes ou listés aux articles 220 et 314 du Code
Pénal turc (appartenance à des organisations criminelles et/ou armées)
peut se voir interdire de représenter un détenu, soupçonné/accusé
d’avoir commis ces mêmes crimes, ou un condamné pour ces derniers.
45. L’article 59 de la loi no 5275
sur les mesures préventives et l’exécution des peines a également
été amendé en ce sens que, en cas de menace à l’encontre de la société
et de l’administration pénitentiaire, en cas de risque de diriger
une organisation terroriste ou criminelle, de lui donner des ordres
ou des instructions, les mesures suivantes peuvent être mises en
œuvre concernant l’accès à l’avocat des condamnés détenus dans des
établissements pénitentiaires: les entretiens entre le détenu condamné
et son avocat peuvent être enregistrés (son et/ou vidéo), un officiel
peut assister à ces entretiens et les documents transmis peuvent
être confisqués. Le nombre et la durée des entretiens peuvent également
être limités. Ces mesures peuvent être prises sur décision du juge
d’application des peines à la demande du procureur en chef de la
République pour trois mois (période qui peut être prolongée). En
cas d’infraction à l’encontre de ces règles pendant les entretiens
entre un détenu et son avocat, les contacts de celui-ci avec ses
avocats peuvent être interdits pendant six mois. Dans ce cas, un
autre avocat sera commis d’office par le Barreau compétent. Selon
les autorités, le but de ces mesures, qui sont susceptibles d’un
recours, n’est pas de porter atteinte au principe de confidentialité
des échanges entre avocat et client mais d’empêcher les communications
entre les membres du FETÖ/PDY par l’intermédiaire de leurs avocats.
46. Je ne partage pas l’avis exprimé dans la réponse de la délégation
turque selon laquelle toutes les mesures prises depuis la tentative
de coup d’état du 15 juillet 2016 ont été «nécessaires, urgentes
et proportionnées». Les arguments de nécessité et d’urgence, plus
de quatre mois après la tentative de coup d’état, me semblent perdre
de leur pertinence. Quant à la question de la proportionnalité de
ces mesures, il y a fort à penser que la Cour européenne des droits
de l’homme, auprès de laquelle des centaines de requêtes ont d’ores
et déjà été déposées dans ce contexte, se prononcera à ce sujet
Note.
47. Par ailleurs, la réponse de la délégation turque précise qu’un
certain nombre des amendements apportés à la législation par les
décrets-lois pris dans le contexte de l’état d’urgence ont un caractère permanent
et ne sont donc pas limités à l’état d’urgence. Sous couvert d’état
d’exception, le législateur turc est en train de réviser les lois,
notamment le Code de procédure pénale, et de réduire les garanties
en matière de droits de l’homme et de procès équitable de manière
permanente. C’est plus qu’inquiétant.
48. Nous devons veiller à ce que la législation revienne à un
état conforme aux standards internationaux qui garantissent l’État
de droit et les droits de l’homme – notamment ceux définis dans
la «
Liste
des critères de l’État de droit» de la Commission de Venise – et condamner ces situations
le plus fermement possible et appeler les autorités turques à rétablir
les garanties procédurales d’un procès équitable en respectant les
droits de l’homme et les principes d’un État de droit et en menant
sans attendre des enquêtes effectives, impartiales et diligentes
sur les allégations de torture, de traitements inhumains ou dégradants,
voire de décès en détention. j’adhère pleinement à l’appel lancé
récemment par la commission de suivi de l’Assemblée dans une déclaration
demandant «la levée de l’état d’urgence dans les plus brefs délais»
Note.
6 Conclusions
49. Ce rapport rappelle que l’accès
aux avocats doit être garanti dans les conditions fixées par la
Convention européenne des droits de l’homme dès le début de la garde
à vue et à chaque stade de la procédure pénale. Il examine également
dans la pratique la question de l’accès des détenus à un avocat
dans trois contextes spécifiques d’actualité particulière: l’accès
à un avocat dans les contextes migratoire; la lutte contre le terrorisme;
et la situation inquiétante en Turquie depuis la tentative de coup
d’État du 15 juillet 2016. Ces trois questions d’actualité méritent
toute notre attention.
50. Ce rapport met le doigt sur la situation des avocats dans
les États membres du Conseil de l’Europe. Leur rôle de garants des
droits de la défense et d’un procès équitable, mais aussi de prévention
en matière de torture ou de traitement inhumain ou dégradant, ne
saurait être sous-estimé. Or, l’accès à l’avocat peut se trouver
entravé ou refusé directement (en retardant cet accès par exemple)
ou indirectement (lorsque les avocats sont la cible d’intimidations,
de menaces ou font l’objet de procédures visant à les disqualifier)
Note.
51. Les difficultés d’accès à un avocat sont réelles et courantes
dans le contexte de la rétention administrative des migrants en
situation irrégulière et des demandeurs d’asile. Le CPT s’est penché
sur cette question en particulier lors de récentes visites en Grèce
et en Turquie et il est regrettable que ces rapports ne soient pas
encore dans le domaine public.
52. La lutte contre le terrorisme oblige les gouvernements et
les législateurs à prendre des mesures exceptionnelles, mais cela
ne devrait pas se faire aux dépends du droit à un procès équitable.
Les situations d’exception doivent donc faire l’objet d’une attention
particulière de la part des parlements nationaux, qui devraient
instaurer un contrôle parlementaire de l’état d’urgence. En effet,
il faut s’assurer que ces dernières ne soient pas exemptes des garanties
procédurales adéquates. Les autorités ne peuvent pas recourir à
des détentions arbitraires et s’affranchir des droits de l’homme
et des principes de l’État de droit, notamment en faisant un recours
abusif à des procédures administratives ou en bloquant l’accès à
un avocat de différentes manières. Comme l’avait si bien rappelé
dans une
déclaration Anne Brasseur, alors Présidente de notre Assemblée,
«Les droits de l'homme ne sauraient être sacrifiés sur l’autel de
la lutte contre le terrorisme, c’est là précisément ce que veulent
les terroristes!».
53. En ce qui concerne la Turquie, les entraves à l’accès à un
avocat des personnes arrêtées après la tentative de coup d’État
sont rapportées en masse. Je constate en effet que, sous couvert
d’état d’urgence, le législateur turc est en train de restreindre
fortement et durablement les garanties d’un procès équitable. Les amendements
apportés me semblent manquer de précision et ouvrir la possibilité
d’interprétations très larges. Etant donné la situation actuelle,
on est en droit de se demander s’il restera des avocats susceptibles
de défendre les personnes arrêtées ou poursuivies suite à la tentative
de coup d’État, autres que des avocats commis d’office. Ainsi, j’appelle
à la levée de l’état d’urgence le plus rapidement possible.
54. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
a détaillé les aspects du droit d’accès à un avocat et a à de nombreuses
reprises rappelé son rôle fondamental dans un procès équitable.
Or, ce rapport constate que cet accès n’est pas toujours une évidence,
au contraire il est même souvent directement entravé soit dans la
législation, soit dans la pratique. Le projet de résolution formule
donc quelques propositions de recommandations concrètes en vue de
renforcer et de garantir ce droit en toutes circonstances. Dans
sa résolution, l’Assemblée devrait rappeler l’importance primordiale
de l’accès effectif des détenus à un avocat dès le début de la détention
provisoire – peu importe la nature du délit ou du crime, et peu importe
son importance, mineure ou majeure – pour garantir que les droits
de la défense soient des droits concrets et effectifs, et non pas
théoriques ou illusoires.