L’Assemblée observe avec regret que les recommandations particulières
adressées aux autorités russes compétentes dans sa
,
adoptée à l’unanimité, avec le soutien sans réserve de la délégation
russe, n’ont toujours pas, dans l’ensemble, été mises en œuvre.
En particulier:
3.1 les méthodes
de règlement des conflits non violentes fondées sur le dialogue,
par exemple l’action menée par les commissions de réinsertion et
d’adaptation, ont été très largement abandonnées ou n’ont jamais
fait l’objet de tentatives sérieuses (comme en République tchétchène);
les autorités ingouches et les commissions municipales de réinsertion
de Derbent et de Khasavyourt, en revanche, méritent d’être félicitées
pour avoir cherché constamment à réinsérer les militants qui souhaitaient revenir
à la vie civile. Au lieu de rechercher un dialogue avec les groupes
musulmans, y compris ceux qui agissent de manière constructive en
faveur de la réconciliation, les autorités de la République tchétchène
et du Daghestan ont harcelé et intimidé les salafistes présumés;
3.2 la coopération avec la société civile et les avocats demeure
tendue et restreinte. En République tchétchène, mais également au
Daghestan, les groupes de défense des droits de l’homme, comme le Comité
contre la torture de Nijni-Novgorod avec son Groupe mobile conjoint
de défenseurs des droits de l’homme en Tchétchénie (JMG), lauréat
du prix des droits de l’homme de l’Assemblée 2011, le Centre des
droits de l’homme Memorial et MASHR, ainsi que leurs dirigeants
et leur personnel, ont été victimes d’actes de violence commis par
la foule, d’incendies criminels, d’agressions physiques et d’actes d’intimidation.
Il est regrettable que le JMG ait dû retirer ses équipes de la République
tchétchène au début de 2016 pour des raisons de sécurité. Les avocats
qui défendent les victimes de violations des droits de l’homme sont
eux-mêmes devenus la cible d’agressions, d’actes d’intimidation
et de chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces en représailles
à leur action;
3.3 les menaces proférées par des hauts fonctionnaires locaux
et des dirigeants politiques, les détentions arbitraires, la récente
condamnation d’un journaliste du Caucasian
Knot à trois ans de prison pour détention de drogue –
un chef d’accusation apparemment fabriqué de toutes pièces –, ainsi
que la violente attaque contre un groupe de journalistes en visite,
dissuadent les journalistes d’exercer leur profession en République
tchétchène;
3.4 les membres des forces de sécurité et des services répressifs
continuent à recourir à des moyens illégaux, comme les enlèvements
et les détentions secrètes, les exécutions extrajudiciaires, la
torture, les sanctions collectives ciblant des membres de la famille
de rebelles présumés et les pratiques d’humiliation en public, et
ils continuent de jouir d’une impunité presque complète. La quasi-totalité
des crimes dont ont été victimes les personnes auxquelles l’Assemblée
a rendu hommage dans sa
Résolution
1738 (2010) restent impunis. En outre, des informations
récentes faisant état de vastes campagnes d'enlèvements, de détentions
secrètes, de torture, voire d'exécutions extrajudiciaires de personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI)
en Tchétchénie sont une nouvelle source de préoccupations particulièrement
graves;
3.5 la persécution à grande échelle, orchestrée par l'État,
d'un groupe ciblé en raison de ses orientations sexuelles suscite
de graves inquiétudes quant à l'existence d'atrocités de masse perpétrées au
sein d'un État membre du Conseil de l'Europe, et contraint le Conseil
de l'Europe à prendre des mesures urgentes et à adopter une résolution
réclamant une enquête spécifique sur la question;
3.6 l’exécution des 247 arrêts rendus par la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») dans le groupe d’affaires
Khashiyev et Akayeva, qui portent
sur de très graves violations des droits de l’homme commises par
les membres des forces de sécurité et sur l’absence d’enquêtes menées
par les autorités compétentes, demeure extrêmement insatisfaisante,
malgré l’application par le Comité des Ministres de la procédure
de surveillance soutenue et l’adoption de résolutions intérimaires.
En particulier:
3.6.1 les «unités d’investigation spéciales»
créées tout spécialement pour examiner les affaires dans lesquelles
la Cour a constaté une absence d’enquête ont produit de maigres résultats;
3.6.2 un «organe unique et de haut niveau» chargé de rechercher
les personnes disparues et d’assurer la mise à disposition des ressources
nécessaires pour des travaux médico-légaux et scientifiques à grande
échelle au sein d’un mécanisme centralisé et indépendant, recommandé par
la Cour elle-même, le Comité international de la Croix-Rouge, l’Assemblée
parlementaire et le Comité des Ministres, n’a toujours pas été mis
en place; la République tchétchène ne s’est pas davantage dotée
d’un laboratoire médico-légal capable d’effectuer des exhumations
de corps et des tests ADN professionnels;
3.6.3 l’inadéquation des infrastructures actuelles est devenue
flagrante fin décembre 2016, lorsque 109 corps d’une fosse commune
ont été ramenés en Tchétchénie et que seules deux familles de personnes
disparues ont été en mesure d’identifier les restes de leurs proches,
avant que les autres restes soient à nouveau rapidement enterrés;
3.6.4 les autorités comptent de plus en plus sur les lois concernant
les délais de prescription et les amnisties pour garantir l’impunité,
y compris au petit nombre d’auteurs de violations des droits de
l’homme qui ont été identifiés, allant à l’encontre des exhortations
de l’Assemblée et du Comité des Ministres;
3.6.5 selon le plan d’action soumis par le Gouvernement russe
au Comité des Ministres, les enquêtes sur presque toutes les affaires
relevant du groupe Khashiyev et Akayeva ont maintenant
été suspendues;
3.7 en République tchétchène, les autorités continuent à entretenir
un climat de peur sous-jacente, dans une atmosphère de personnalisation
du pouvoir. Le dirigeant de la république a publiquement proféré
des menaces à l’encontre des opposants politiques, des militants
de la défense des droits de l’homme et leurs familles, y compris
dans d’autres régions de la Fédération de Russie et au-delà. En particulier,
à la veille des élections locales de septembre 2016 en République
tchétchène, les autorités locales ont mené une répression généralisée
contre la moindre critique, notamment contre des citoyens ordinaires
exprimant des opinions divergentes, et s’en sont prises de manière
virulente aux journalistes et défenseurs des droits de l’homme russes
et étrangers exprimant des critiques. Les forces de l’ordre et les
agences de sécurité tchétchènes, agissant directement ou par procuration,
ont multiplié les pratiques de détention illégale et de disparitions
forcées, les traitements cruels et dégradants, les menaces de mort
et les représailles à l’encontre des membres des familles de détracteurs
locaux. Par ailleurs, le fait que les autorités tchétchènes aient
nié, minimisé, voire approuvé les attaques récentes contre les personnes
LGBTI en Tchétchénie semblerait être en conflit flagrant avec l'obligation
positive découlant des articles 2 et 3 de la Convention européenne
des droits de l'homme (STE no 5) de mener une
enquête effective concernant des allégations sur de telles attaques;
3.8 la dégradation de la situation des femmes et des jeunes
filles en République tchétchène se poursuit. Le dirigeant de la
République tchétchène promeut activement l’application de dispositions fondées
sur le droit coutumier tchétchène, les adats,
et d’une interprétation de la charia qui établit une discrimination
à l’égard des femmes et des jeunes filles en matière de droit de
la famille, en violation du droit russe. La violence domestique
et les pratiques prétendument «traditionnelles» préjudiciables aux femmes
et aux jeunes filles, comme les mariages forcés, précoces et arrangés,
voire les crimes dits «d’honneur», sont largement répandues et tolérées
par les autorités régionales;
3.9 la généralisation de la violence dans la société et dans
les pratiques sociales affecte non seulement les femmes et les jeunes
filles, mais également les LGBTI et les personnes perçues comme telles,
comme l’illustrent des faits récemment rapportés par les médias.