B Exposé des motifs,
par Sir Edward Leigh, rapporteur
1 Cadre du présent rapport
1. En adoptant la
Résolution 2319 (2020), l’Assemblée parlementaire a décidé d’instaurer une
procédure complémentaire conjointe entre le Comité des Ministres
et l’Assemblée parlementaire en cas de violation grave par un État
membre de ses obligations statutaires. L’Assemblée finalisait ainsi
le processus de réflexion qu’elle avait entamé trois ans plus tôt,
lorsqu’elle avait décidé d'engager «une procédure visant à harmoniser, conjointement
avec le Comité des Ministres, les règles régissant la participation
et la représentation des États membres dans les deux organes statutaires,
tout en respectant pleinement l’autonomie de ces organes» (
Résolution 2186 (2017) «Appel pour un sommet du Conseil de l’Europe afin de
réaffirmer l’unité européenne, et de défendre et promouvoir la sécurité
démocratique en Europe»), puis lorsqu’elle avait jugé «urgent de
créer des synergies et d’organiser des actions conjointes entre
les deux organes statutaires afin de renforcer la capacité de l’Organisation
d’agir plus efficacement lorsqu’un État membre manque à ses obligations statutaires
ou ne respecte pas les valeurs et les principes fondamentaux défendus
par le Conseil de l’Europe» (
Résolution
2277 (2019) «Rôle et mission de l'Assemblée parlementaire: principaux
défis pour l'avenir»).
2. Le paragraphe 10 de la
Résolution
2319 (2020) stipule que «tout changement nécessaire à la mise en œuvre
de la présente résolution sera introduit dans le Règlement de l’Assemblée
par une résolution ultérieure qui sera adoptée sur la base d’un
rapport de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles.
La procédure complémentaire conjointe entrera en vigueur à la suite
de l'adoption de cette résolution et d'une décision du Comité des
Ministres allant dans le même sens.».
2 Mise
en œuvre de la Résolution
2319 (2020) sur la procédure complémentaire conjointe entre le Comité
des Ministres et l’Assemblée parlementaire en cas de violation grave
par un Etat membre de ses obligations statutaires
3. La
Résolution 2319 (2020) sur la procédure complémentaire conjointe entre le Comité
des Ministres et l’Assemblée parlementaire en cas de violation grave
par un Etat membre de ses obligations statutaires établit les principes
fondamentaux qui régissent cette nouvelle procédure (paragraphe
4), définit clairement le processus, étape par étape (paragraphes
5 à 9) – depuis la décision d’engagement, la préparation, l’adoption et
la mise en œuvre d’une feuille de route, jusqu’à la décision du
Comité des Ministres de mettre en œuvre l’article 8 du Statut du
Conseil de l’Europe si la violation grave de l’article 3 du Statut
par l’État concerné persistait – ainsi que le calendrier et les
délais des actions prévues pour chacune de ces étapes.
4. A l’instar des règles et procédures pour les élections du
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe – ayant fait l’objet d’une
déclaration interprétative conjointe adoptée par l’Assemblée et
par le Comité des Ministres dans les mêmes termes en mars 2010 –
ou du cadre de compétence pour la procédure d’élection du/de la
Secrétaire Général(e) adjoint(e), adopté également dans les mêmes
termes par l’Assemblée et par le Comité des Ministres en 2012, la
procédure complémentaire conjointe entre le Comité des Ministres
et l’Assemblée parlementaire en cas de violation grave par un Etat
membre de ses obligations statutaires a valeur de texte pararéglementaire.
Elle n’a pas à être intégrée en tant que telle dans le corps même
du Règlement. Tel est d’ailleurs également le cas de plusieurs autres
procédures relevant quant à elles de la responsabilité autonome
de l’Assemblée, telles que la procédure de suivi des obligations
et engagements contractés par les Etats membres du Conseil de l’Europe,
ou la procédure d’élection des juges à la Cour européenne des droits de
l’homme.
5. Le 5 février 2020, les Délégués des Ministres approuvaient
«une procédure complémentaire pour l’application de l’article 8
du Statut du Conseil de l’Europe comme conséquence d’une violation
grave par un Etat membre des valeurs et principes fondamentaux de
l’Organisation selon l’article 3 du Statut»
Note.
Force est de constater que cette décision finale diverge sensiblement
du projet de décision des Délégués des Ministres que la Présidence
française du Comité des Ministres avait transmise à l’Assemblée
le 25 novembre 2019, auquel l’Assemblée via son Comité présidentiel
avait donné son accord de principe, et qui devait «servir de base
à un accord avec l’Assemblée».
6. Il est difficile de ne pas relever que la «procédure complémentaire
conjointe» décidée par l’Assemblée dans sa
Résolution 2319 (2020) et la «procédure complémentaire» arrêtée par le Comité
des Ministres, dans sa décision du 5 février 2020, divergent tant
dans leur intitulé (les Délégués des Ministres n’ont pas retenu
le terme «conjointe»), dans les principes fondamentaux qui les régissent,
que dans leur dispositif, ou encore le calendrier qui fixe des durées
pour les différentes étapes qui ne concordent pas. C’est décevant,
en particulier dès lors que le Comité des Ministres fait le choix
de ne pas calquer sa décision sur la Résolution de l’Assemblée,
préalablement négociée avec lui pendant de longs mois. Que penser
de la décision du Comité des Ministres d’intégrer dans les «principes
fondamentaux» de sa procédure l’amendement 15 présenté par des parlementaires
de la délégation russe qui avait pourtant été rejeté par la commission
des questions politiques et de la démocratie à une majorité écrasante
et retiré par ses signataires en séance plénière? On ne peut dès
lors que s’interroger sur l’utilité des très nombreuses réunions
conjointes et du processus de consultation réciproque qui s’est
déroulé pendant de longs mois, dans le cadre du Comité mixte et
des rencontres entre le Bureau du Comité des ministres et le Comité
présidentiel et regretter que le Comité des Ministres n’ait pu s’abstenir
de chercher à rabaisser l’Assemblée dans ses prérogatives. Concrètement,
si une telle procédure devait être initiée prochainement, sur quelle
base serait-elle mise en œuvre compte tenu des divergences d’approche?
On peut s’interroger, en fin de compte, sur la viabilité et la faisabilité
d’une procédure que le Comité des Ministres n’a pas souhaité rendre
pleinement conjointe.
7. Bien que la
Résolution
2319 (2020) soit tout à fait claire sur ce point, il conviendra
de réaffirmer dans le cadre du présent rapport, que cette nouvelle
procédure vient en complément des règles, mécanismes et procédures
existants, qu’elle ne saurait les remettre en question et ne saurait
en affecter la mise en œuvre effective. Cela concerne notamment
la procédure de suivi des obligations et engagements de l’Assemblée ainsi
que la procédure de contestation des pouvoirs des délégations nationales
pour des raisons substantielles. L’Assemblée et ses commissions
compétentes sont seules juges de l’opportunité de conduire ces procédures
simultanément ou en parallèle, préalablement ou postérieurement,
avec une procédure conjointe avec le Comité des Ministres en cas
de violation grave par un État membre de ses obligations statutaires.
L’initiation d’une telle procédure conjointe à l’égard d’un Etat
membre faisant l’objet d’une procédure de suivi de ses obligations
et engagements, ou d’un dialogue postsuivi, ne bloquerait en aucun
cas la poursuite des travaux de la commission de suivi.
8. Nonobstant ce hiatus avec le Comité des Ministres, la décision
de principe prise par l’Assemblée dans la
Résolution 2319 (2020) d’instaurer une procédure complémentaire conjointe entre
le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire en cas de violation
grave par un Etat membre de ses obligations statutaires ne saurait
être remise en cause. Sa mise en œuvre nécessite de procéder à la
modification du Règlement de l’Assemblée sur certains points.
2.1 Les
conditions d’initiation d’une proposition de procédure complémentaire
conjointe
9. La procédure complémentaire
conjointe ne peut être engagée que sur la base exclusive d’une proposition
de recommandation, signée par au moins un cinquième des membres
qui composent l’Assemblée, appartenant à au moins trois groupes
politiques et quinze délégations nationales (paragraphe 5.1 de la
Résolution 2319).
10. Les conditions de dépôt d’une proposition de résolution ou
de recommandation sont fixées par l’article 25 du Règlement: seules
les signatures d’au moins 20 membres de l’Assemblée appartenant
à cinq délégations nationales sont requises. Il n’existe dans le
Règlement qu’une seule procédure dérogatoire, avec des conditions
renforcées, celle de la destitution du Président et des vice-présidents
de l’Assemblée (article 54).
11. Il conviendra donc:
- de
compléter la note de bas de page relative à l’article 24.2.c, relatif
aux propositions déposées par les membres qui sont publiées en tant
que documents officiels de l’Assemblée;
- d’insérer un nouvel article après l’article 25.2 relatif
au dépôt de propositions de recommandation et de résolution, afin
de stipuler les conditions de dépôt d’une proposition d’initiation
d’une procédure complémentaire jointe;
- d’inclure une nouvelle note de bas de page aux articles
25.2 et 25.3, relatifs au dépôt de propositions de recommandation
et de résolution, afin de mentionner le caractère dérogatoire de
cette nouvelle procédure;
- de prévoir une note de bas de page à l’article 26 sur
la saisine des commissions, afin d’établir le fait que la saisine
de la commission des questions politiques et de la démocratie ne
nécessite nullement une décision du Bureau;
- d’inclure également une note de bas de page à l’article
27.1 relatif à l’ordre du jour (paragraphe 5.2 de la Résolution),
afin d’établir le fait que le rapport de la commission des questions
politiques et de la démocratie doit être obligatoirement inscrit
à l’ordre du jour de la session de l’Assemblée;
- enfin, dans une note de bas de page aux articles 51.1
et 52.1 relatifs à la procédure d’urgence au sein de l’Assemblée
et de la Commission permanente (paragraphe 5.3 de la Résolution),
de préciser qu’il ne sera pas possible de proposer un débat selon
la procédure d'urgence pour engager une procédure complémentaire
conjointe.
2.2 Les
conditions d’engagement de la procédure complémentaire conjointe
par l’Assemblée
12. La commission des questions
politiques et de la démocratie est chargée de présenter à l’Assemblée
un rapport comportant un projet de recommandation «sur la question
d’engager ou non la procédure complémentaire conjointe» dont l’adoption
nécessitera «une double majorité», à savoir la majorité des deux tiers
des suffrages exprimés et «un nombre de suffrages en faveur équivalent
au minimum à un tiers du nombre total des membres de l’Assemblée
autorisés à voter» (paragraphe 5.4 de la Résolution).
13. Cette «double majorité» vise à assurer qu’une décision d’une
telle importance politique, qui engage également le Comité des Ministres
et le/la Secrétaire Général·e de l’Organisation, recueille un soutien incontestable,
garantissant la crédibilité, l’autorité et la légitimité politique
de la décision de l’Assemblée d’initier la nouvelle procédure à
l’égard d’un Etat membre.
14. Il convient donc de modifier l’article 41 du Règlement relatif
aux majorités requises pour l’adoption des décisions de l’Assemblée,
en insérant après l’article 41a. le nouvel article suivant:
«[Les
majorités requises sont:] pour l’adoption d’un projet de recommandation
relative à l’engagement d’une procédure complémentaire conjointe
entre le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire en cas
de violation grave par un Etat membre de ses obligations statutaires,
la majorité des deux tiers des suffrages exprimés et un nombre de
suffrages en faveur équivalent au minimum à un tiers du nombre total
des membres de l’Assemblée autorisés à voter».
15. A cet égard, il est rappelé que l’Assemblée devra adopter
le projet de résolution présenté par la commission du Règlement
dans le cadre du présent rapport avec une majorité des deux tiers
des votants, conformément à l’article 29 du Statut du Conseil de
l'Europe qui oblige l’Assemblée à approuver à la majorité des deux
tiers toute modification des dispositions du Règlement qui touche
à la majorité requise pour le vote d’une décision.
3 Conclusions
16. Afin de mettre en œuvre la
Résolution 2319 (2020) sur la procédure complémentaire conjointe entre le Comité
des Ministres et l’Assemblée parlementaire en cas de violation grave
par un Etat membre de ses obligations statutaires, le rapporteur
recommande d’examiner les propositions suivantes relatives aux modifications
qui pourraient être apportées au Règlement:
- s’agissant des conditions d’initiation d’une telle procédure,
de compléter la note de bas de page à l’article 24.2.c, d’ajouter
un nouvel alinéa à l’article 25, de compléter la note de bas de
page à l’article 25.2, d’ajouter des notes de bas de page à l’article
25.3, à l’article 26, à l’article 27.1 et aux articles 51.1 et 52.2;
- s’agissant des conditions de vote d’une décision de l’Assemblée
engageant cette procédure, d’ajouter un nouvel alinéa à l’article
41.
17. L’article 29 du Statut du Conseil de l'Europe oblige l’Assemblée
à approuver à la majorité des deux tiers toute modification des
dispositions du Règlement qui touche à la majorité requise pour
le vote d’une décision. Dans la mesure où le projet de résolution
présenté propose de modifier l’article 41 du Règlement relatif aux majorités
requises pour l’adoption par l’Assemblée de ses décisions, son adoption
en séance plénière requerra une majorité des deux tiers des votants.
18. Enfin, s’agissant de la mise en œuvre des modifications réglementaires
à intervenir, le projet de résolution propose que les modifications
du Règlement entrent en vigueur dès leur adoption.